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Zones à faibles émissions : un risque d’exclusion sociale dans les villes ?

Zones à faibles émissions : un risque d’exclusion sociale dans les villes ?

Pour encourager l’évolution vers une mobilité durable et limiter la pollution dans les centres-ville, la loi Climat et résilience promeut les Zones à faible émission (ZFE). Celles-ci sont contestées au motif qu’elles constituent un risque majeur d’exclusion pour des populations dont l’activité est pourtant essentielle en ville, comme les petits artisans ou les travailleurs « de première ligne ». Faut-il pour autant renoncer à lutter contre une pollution urbaine qui est aussi un enjeu sanitaire majeur ? Comment concilier écologie et accès à la ville ?

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Publié le 5 décembre 2022

Les ZFE : fake news politiques, urgences sanitaires et solutions locales

Les Zones à faibles émissions (ZFE) sont au cœur d’une vive controverse. Instrument de lutte contre les dégâts sanitaires causés par la pollution de l’air, elles sont aujourd’hui accusées d’être des « zones de forte exclusion sociale ». Les élus RN à l’Assemblée nationale proposent même leur suppression pure et simple. Thierry Pech et Mélanie Heard montrent dans les pages qui suivent que les dommages sanitaires de la pollution de l’air demeurent non seulement élevés mais socialement concentrés sur les plus modestes. Ils soulignent également les fake news véhiculées sur le texte de loi par les élus RN. Enfin, ils mettent en exergue des besoins de documentation largement insatisfaits ainsi qu’un éventail de solutions et d’expérimentations susceptibles de concilier impératif sanitaire et justice sociale. 

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Des députés RN ont récemment déposé une proposition de loi portant suppression des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) créées par la LOM en 2019 et renforcées par la loi « Climat et résilience » en 2021. Ils prétendent en effet que les ZFE-m conduiront à interdire de circulation dans les cœurs d’agglomérations les ménages modestes du périurbain et les professionnels qui s’y rendent chaque jour pour travailler.

Ce diagnostic fait silence sur les dommages sanitaires de la pollution de l’air ambiant, qui sont pourtant la raison d’être de ce cadre légal. En dépit des progrès réalisés ces dix dernières années, cette pollution est toujours responsable de plusieurs dizaines de milliers de décès prématurés et de nombreuses pathologies. Ces dommages sont en outre concentrés sur les publics les plus modestes. Par ailleurs, les progrès de la connaissance en santé environnementale ont déjà conduit l’OMS à durcir ses recommandations et risquent de pousser l’Union européenne à faire de même avec ses seuils réglementaires. L’heure n’est donc pas à baisser la garde, mais au contraire à redoubler d’effort. D’autant que l’Etat français a déjà été condamné pour manquement à ses obligations en la matière, à la fois par la Cour de justice de l’Union européenne et par le Conseil d’Etat, et que des victimes particulières commencent à demander réparation devant des juridictions pénales.

Les députés RN commettent également de graves erreurs d’interprétation sur le cadre légal actuel. La LOM de 2019 n’imposait l’instauration d’une ZFE-m qu’aux agglomérations ayant régulièrement dépassé les normes règlementaires de qualité de l’air, et elle laissait aux collectivités locales la liberté de l’organiser à leur guise (périmètre, nature et calendrier des restrictions, véhicules concernés…). La Loi Climat et résilience (2021) a durci ce cadre en imposant aux agglomérations en dépassement un calendrier de restrictions : interdiction des véhicules Crit’Air 5 dès 2023, des Crit’Air 4 dès 2024 et des Crit’Air 3 en 2025. Si les métropoles de Paris, Lyon et Aix-Marseille vont certainement se trouver sous cette contrainte, beaucoup d’autres vont y échapper. La même loi « Climat et résilience » fait en outre obligation à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants de se doter d’une ZFE-m à compter du 31 décembre 2024, mais, là encore, elle les laisse libre de l’organiser comme elles le souhaitent. La réalité est que les ambitions les plus sévères en matière de calendrier et de restrictions ont été fixées par des métropoles qui ont-elles-mêmes pris l’initiative d’une ZFE-m, des ambitions que l’on ne peut donc imputer ni à l’Etat ni au législateur.

Avant de décréter que les ZFE-m vont se transformer en « zones à forte exclusion sociale », encore faut-il connaître le nombre de ménages et de professionnels qui risquent d’être exposés, dans chaque agglomération concernée, à d’éventuelles restrictions de circulation. Dans la plupart des cas, il est impossible de le savoir avec précision. Un travail d’enquête statistique reste à faire, qui sollicitera la mobilisation de plusieurs jeux de données (SIV, recensement, etc.) et qui ne peut être correctement paramétré qu’à la condition de connaître les caractéristiques de la ZFE-m (périmètre, ambitions, contraintes…). En outre, ce travail d’enquête doit tenir compte de l’attrition naturelle du parc des véhicules les plus anciens (Crit’Air 4 et 5) dans les deux années qui viennent. Ce travail devrait être placé sous la responsabilité conjointe de l’Etat et des collectivités concernées.  

Enfin, avant d’en appeler à la suppression in utero des ZFE-m et donc au sacrifice de l’impératif sanitaire au nom de la justice sociale, il serait utile d’explorer les solutions et réponses qui permettent de les concilier. La présente note propose, pour finir, un passage en revue de ces solutions. Qu’il s’agisse du développement de l’électromobilité, des RER métropolitains, des cars express à haute fréquence, du développement des mobilités douces sur les courtes distances ou du covoiturage, les réponses ne manquent pas et beaucoup sont déjà en expérimentation. Mais il importe que chaque agglomération compose à partir de ses besoins propres sa batterie d’instruments privilégiés. C’est à ce travail qu’elles devraient s’atteler dès à présent.

Alors qu’elles étaient passées quasiment inaperçues lors de l’adoption de la loi LOM en 2019, puis de la loi Climat et résilience en 2021, les « Zones à faibles émissions mobilité » ou « ZFE-m » passent aujourd’hui pour des « bombes sociales à retardement ». En cause, les contraintes que ces dispositifs feraient peser sur les ménages modestes et certains professionnels (artisans, TPE…) alors même qu’il leur serait difficile de changer de véhicule pour s’aligner sur des normes d’émission plus exigeantes dans les cœurs d’agglomération.

Le procès est d’autant plus singulier que la politique visée relève en bonne partie des collectivités locales qui pourront lui donner des formes très variables d’une agglomération à l’autre, et qu’elle aspire justement à améliorer les conditions d’existence des ménages modestes : la pollution de l’air urbain nuit en effet particulièrement à la santé des moins aisés.

Au lieu de s’efforcer de situer clairement les difficultés et de rechercher des solutions qui concilient impératifs sanitaires et justice sociale, des voix commencent à s’élever pour décrire les « zones à faibles émissions » comme des « zones de forte exclusion », notamment pour les ménages des classes populaires et moyennes qui résident dans le périurbain, privilégient des véhicules d’occasion et ont un usage quotidien des cœurs d’agglomération, en particulier pour se rendre au travail.

Les députés du Rassemblement national ont ainsi déposé récemment ​. On lit dans l’exposé des motifs que, « dès le 1er janvier 2025, les véhicules dotés des vignettes Crit’Air 5, 4 et 3, qui représentent 40 % du parc automobile actuel, ne pourront accéder à plus d’une quarantaine d’agglomérations ». Et encore que « la quasi-totalité de nos compatriotes seront concernés par cette mesure ». La conclusion ne tarde pas : « ces ZFE risquent de se transformer en zones à fortes exclusions pour un grand nombre de nos concitoyens. (…) C’est pourquoi, il y a urgence à supprimer les zones à faibles émissions qui sont socialement injustes, viennent cibler les ménages de la classe moyenne et pointer du doigt les automobilistes qui ne sont pas à eux seuls responsables de la pollution. »

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Ce tableau élude délibérément les risques sanitaires liés à la circulation des véhicules thermiques les plus polluants dans les grandes agglomérations (I) : les élus du RN passent par pertes et profits les dizaines de milliers de décès prématurés et de pathologies imputables chaque année à la pollution de l’air dans notre pays, alors même que des victimes engagent des actions en réparation toujours plus nombreuses devant les juridictions. Sur ce chapitre de la santé de nos compatriotes, la proposition de loi du RN ne propose… rien !

Les explications des députés RN reposent en outre sur une lecture superficielle et erronée de la situation (II). D’une part, les véhicules Crit’Air 5, 4 et 3 ne représentent pas « 40% du parc automobile actuel » mais plutôt un tiers et leur part aura encore décru au 1er janvier 2025, les Crit’Air 4 et 5 constituant d’ores et déjà une faible part des véhicules en circulation ; il est du même coup encore plus faux d’affirmer que « la quasi-totalité de nos compatriotes seront concernés par cette mesure ». D’autre part, le cadre réglementaire et législatif actuel ne dit pas du tout que l’ensemble de ces véhicules « ne pourront pas accéder » aux agglomérations concernées à compter du 1er janvier 2025.

Cela ne signifie pas pour autant que la mise en place des ZFE-m ne soulèvera pas de difficultés, mais celles-ci mériteraient d’abord d’être soigneusement documentées à l’échelle locale, agglomération par agglomération (III). Or, de ce point de vue, le travail reste largement à réaliser et il n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat. L’inventaire des besoins dépendra notamment des périmètres des ZFE et des dispositions que les collectivités locales auront décidé de leur associer. Dans ce domaine comme dans beaucoup de secteurs de la transition écologique, le succès passe par la mobilisation des collectivités et la qualité de leur coopération à la fois entre elles (à l’échelle du pôle urbain et de sa couronne) et avec les services de l’Etat.

Plutôt que de décréter la mort in utero des ZFE-m comme le propose le RN, l’heure est plutôt à organiser le débat sur les conditions de leur mise en œuvre, comme le soulignait récemment Jean-Philippe Hermine. Il serait temps en effet d’inventorier les solutions les plus appropriées pour concilier les impératifs sanitaires et écologiques, d’une part, et l’intérêt des ménages qui pourraient se trouver en difficulté, de l’autre. De telles solutions existent – certaines sont déjà expérimentées – et les collectivités locales devront choisir, parmi elles, celles qui sont le plus appropriées à leur situation particulière (IV).

1. Les enjeux sanitaires et climatiques

L’objectif poursuivi par le législateur mérite d’être rappelé en préambule : réduire la pollution de l’air ambiant dans les villes et limiter les pathologies et la surmortalité qui en résultent. De nombreuses études épidémiologiques ont en effet montré que la pollution de l’air est la première cause environnementale de mort prématurée dans le monde. Sur la base de ces données épidémiologiques et au terme d’un exercice de modélisation pour le territoire français, l’étude publiée en 2016 par Santé publique France arrivait à la conclusion que, pour la période 2007–2008, l’exposition chronique aux particules fines (PM2,5) aurait été responsable de 48 000 décès par an en France métropolitaine, soit plus deux fois plus que les décès imputés à l’alcool il y a une vingtaine d’années (22 500 en 2000) et à peine 20% de moins que ceux imputés au tabac (60 000 en 2000). Santé publique France a récemment actualisé ses résultats pour la période 2016–2019 : en dépit des progrès réalisés (voir infra), ce sont encore 40 000 décès par an qui seraient imputables à la pollution de l’air ambiant dans notre pays. La réalité pourrait même être plus sombre selon d’autres sources : une étude publiée en 2019 dans le European Heart Journal concluait à 67 000 décès prématurés annuels en France. Enfin, pour l’Europe, l’Agence européenne de l’environnement estimait, pour sa part, à 400 000 décès prématurés annuels l’impact de la pollution de l’air ambiant.

Quelle que soit la source retenue, la pollution de l’air apparaît de fait comme un fléau silencieux contre lequel il est plus que temps de lutter activement.

1.1. La pollution de l’air urbain et ses conséquences sanitaires et sociales

Quelles sont les composantes de cette pollution ? D’abord, les « particules fines » : ce sont des particules d’une taille inférieure ou égale à 2,5 micromètres (PM2,5 μm). Elles sont émises lors des processus de combustion ou formées par des réactions chimiques à partir de gaz précurseurs présents dans l’atmosphère ou eux-mêmes émis par différentes activités. Parmi les éléments les plus surveillés par les indices de qualité de l’air figurent également les oxydes d’azote (NOx) et singulièrement le dioxyde d’azote (NO2), ainsi que l’ozone (O3), le monoxyde de carbone (CO), l’amoniac (NH3) ou les composés organiques volatiles (COV).

Du fait de leur taille, les particules fines peuvent s’introduire dans notre organisme, notamment dans les voies respiratoires, et pour les plus fines (PM0,1 μm) jusque dans notre sang (voir schéma ci-après). Il en va de même des gaz qui participent à la pollution de l’air ambiant. Selon les niveaux de concentration et d’exposition, cette pollution peut favoriser différentes pathologies (accidents cardio-vasculaires, réactions bronchitiques, cancers du poumon, etc.) et causer de nombreux décès prématurés. Les concentrations de dioxyde d’azote peuvent, par exemple, entraîner des difficultés respiratoires ou une hyperréactivité bronchique chez les personnes sensibles et favoriser la sensibilité des bronches aux infections chez les enfants ; elles peuvent également avoir une incidence sur la prévalence du diabète de type 2.

A la veille, comme l’a souligné Elisabeth Borne à l’Assemblée le 29 novembre, d’une possible saturation du système de soins sous l’effet conjugué de trois épidémies de virus respiratoires (grippe, Covid-19, bronchiolites à VRS), il semble particulièrement crucial de souligner l’impact démontré de la pollution de l’air extérieur à la fois sur la fréquence et sur la gravité des symptômes associés. Pour la bronchiolite à VRS, qui est la première cause d’hospitalisations d’enfants de moins de un an en Europe et qui provoque chaque année en France 45.000 passages aux urgences dont plus d’un tiers suivis d’une hospitalisation, la position du Haut conseil de la santé publique est sans ambiguïté : « Si cette infection touche tout le territoire national, sa prévalence est majorée par la densité de la population, l’usage des transports en commun et la pollution atmosphérique ». De même, s’agissant du Covid dont l’incidence à la hausse préoccupe aujourd’hui à nouveau médias et pouvoirs publics, les études portant sur les mécanismes physiopathologiques et les études épidémiologiques traitant du lien entre pollution atmosphérique et Covid-19 sont, selon Santé publique France, plutôt en faveur d’un lien avéré, qui s’ajoute aux facteurs de risque individuels. D’autres travaux récents ont montré une corrélation entre taux de pollution de l’air et mortalité liée au Covid-19. En outre, une étude de l’INSEE en 2019 a démontré l’impact d’une hausse du trafic automobile en ville (jours de grèves des transports collectifs) sur les admissions à l’hôpital pour les pathologies aiguës des voies respiratoires supérieures et les anomalies de la respiration.

L’exposition à la pollution atmosphérique est également associée à d’autres impacts délétères tels que la pré-éclampsie chez la femme enceinte (hypertension associée à la présence de protéines dans les urines), un poids à la naissance diminué chez l’enfant et peut-être même un fonctionnement dégradé des poumons et des troubles neuro-développementaux. Des chercheurs ont montré que l’exposition à la pollution atmosphérique est associée à des modifications épigénétiques au niveau du placenta, pouvant présenter un risque pour le fœtus. Selon des travaux de l’équipe Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires (EPAR), le coût de la prise en charge spécifique des 8 300 enfants nés chaque année en France avec un petit poids à la naissance attribuable à l’exposition aux particules fines est estimé entre 9,5 et 39 millions d’euros. La prise en charge (sur l’ensemble de leur vie) de ceux présentant des retards moteurs ou intellectuels, est estimée entre 458 millions d’euros et 1,9 milliard d’euros.

L’accumulation de preuves scientifiques sur les conséquences sanitaires de la pollution de l’air ambiant ne laisse donc aucun doute sur la réalité du problème. Pourtant, les promoteurs de la proposition de loi du RN n’en disent rien.

1.2. Pollution de l’air et inégalités sociales

Les diverses conséquences sanitaires de la pollution de l’air ambiant sont inégalement réparties dans la population et sur le territoire. Elle frappe bien sûr en premier lieu les personnes vulnérables qui habitent les zones les plus polluées (personnes âgées, jeunes enfants, personnes atteintes de comorbidités, femmes enceintes…). Mais elle suit aussi un gradient social. Une étude de l’Unicef et du Réseau Action Climat a ainsi montré que dans l’agglomération lilloise les populations vivant dans les IRIS les plus défavorisées sont plus exposées que les autres aux concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et que, dans l’agglomération lyonnaise, la proportion d’écoles REP et REP+ est trois fois plus élevée dans les IRIS dépassant les 40 µg/m³ de NO2 que dans les autres IRIS.

D’autres chercheurs ont montré, en se fondant sur l’analyse de près de 80 000 décès survenus à Paris entre 2004 et 2009, que le risque supplémentaire de décès lors d’une hausse de la teneur en NO2 de 10 µg/m³ était 3 à 4 fois plus élevé chez les personnes résidant dans les quartiers les moins favorisés que chez les personnes résidant dans les quartiers les plus favorisés. Cela ne tient pas tant à la répartition géographique des plus fortes concentrations de pollution (à Paris intra muros, les quartiers les plus exposés sont plutôt les quartiers les plus favorisés, à l’inverse de Lille) qu’à la situation sanitaire plus globale des personnes et à leurs « micro-environnements ». Les plus modestes sont en effet, en général, en moins bonne santé que les plus aisés ; ils vivent dans des appartements plus petits et moins bien isolés où la pollution de l’air intérieur vient s’ajouter à celle de l’air ambiant ; ils travaillent souvent dans des environnements moins sains et ont moins souvent l’occasion de s’échapper en dehors de la ville ; ils sont souvent également plus exposés au tabagisme passif ou actif… Ces facteurs peuvent aggraver en particulier la situation des enfants pauvres dont l’exposome est dans l’ensemble plus problématique que celui des enfants de familles aisées.

Si les députés du RN veulent porter la voix et les intérêts de la France modeste, ce sont ces réalités qu’ils devraient faire connaître en premier lieu ! Or, ils les passent délibérément sous silence.

1.3. Valeurs guides et seuils règlementaires

Pour encadrer et stimuler les politiques de lutte contre la pollution de l’air ambiant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis des recommandations qui prennent la forme de valeurs guides. Elles ont été fixées, pour les PM2,5, à 10 μg/m3 en moyenne annuelle en 2005, puis drastiquement révisées en 2021 à 5 μg/m3, soit moitié moins. Ce durcissement fait suite à une revue exhaustive de la littérature scientifique sur les 15 dernières années. D’autres éléments plaident également en faveur de ce durcissement, notamment le classement de la pollution de l’air comme cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et le rapport européen ELAPSE qui a confirmé les effets sur la santé d’une exposition à long terme même à de faibles concentrations de PM2,5, NO2 et O3. Comme l’expliquait récemment l’Agence européenne de l’environnement, même des concentrations inférieures à 5 μg/m3 peuvent avoir un impact sanitaire.

De fait, les progrès continus de la connaissance en santé environnementale obligent à renforcer le cadre réglementaire. Pour le moment, l’Union européenne a conservé des valeurs limites inchangées : 25 μg/m3 pour les PM2,5, soit une exigence 7 fois inférieure aux recommandations actuelles de l’OMS. Ce seuil date de la Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 qui exige des États membres qu’ils mettent en œuvre des mesures efficaces de réduction de la pollution de l’air ambiant. Mais il pourrait être révisé dans les mois qui viennent. La Commission européenne a en effet dévoilé le 26 octobre 2022 une proposition en ce sens. Si elle était adoptée, les valeurs réglementaires européennes se caleraient sur les recommandations de 2005 de l’OMS : 10 μg/m3 en moyenne annuelle pour les PM2,5 ; et les autres polluants connaîtraient un sort comparable (de 40 μg/m3 à 20 μg/m3 pour les concentrations annuelles moyennes de NO2). Cette situation imposerait aux Etats membres de nouveaux efforts et les exposeraient à des poursuites en cas d’échec, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en la matière, jurisprudence dont l’Etat français a déjà fait les frais (voir infra).

Autant d’aspects de la question qui sont également passés sous silence par les promoteurs de la proposition de loi du RN.

1.4. Les sources d’émission

Quelles sont les sources de ces pollutions ? Comme le montre le graphique ci-après, toutes les émissions de particules fines dans l’atmosphère urbain ne sont pas imputables aux transports qui ne représentent que 15% des PM2,5 au niveau national (19% en Ile-de-France selon Airparif). Les bâtiments et le chauffage résidentiel, particulièrement en hiver, y prennent une part beaucoup plus forte (57%), bien que décroissante à mesure que les températures moyennes radoucissent du fait du changement climatique. Et même parmi les véhicules thermiques, les voitures particulières (VP) et les véhicules utilitaires légers (VUL) ne sont pas seuls en cause : les véhicules de plus 3,5 t qui sont exclus du champ de la législation sur les ZFE-m, y ont également leur part, même s’ils circulent moins dans les cœurs d’agglomération.

Source : Secten/Citepa 2022

Les moyennes nationales cachent cependant des réalités locales où le transport routier peut jouer un rôle beaucoup plus important. Airparif a ainsi montré récemment que les émissions de particules ultrafines sont beaucoup plus fortes à proximité des axes routiers à l’extérieur de la ville-centre qu’à l’intérieur : 2,5 fois plus à proximité du Boulevard périphérique Est et 5 fois plus à proximité de la RN 20 à Montlhéry, à une trentaine de kilomètres de la capitale. Ce qui, soit dit en passant, souligne que la pollution de l’air ambiant n’est pas exclusivement le problème des habitants des cœurs d’agglomération mais aussi celui des périurbains et, parmi eux, en particulier de ceux, souvent modestes, qui habitent à proximité des grands axes routiers.

En outre, parmi les principaux polluants, les oxydes d’azote (NOX) sont, eux, majoritairement émis par les transports (53% à l’échelle nationale) et avant tout par les moteurs diesel. Ces proportions peuvent atteindre entre 60 et 70% dans les zones urbaines les plus denses. Or les VP et les VUL jouent un rôle important dans ces émissions, singulièrement ceux qui ont des vignettes Crit’Air 3, 4 ou 5.

Cette contribution du transport routier à la pollution de l’air ambiant dans les villes est clairement minorée par les élus du RN à l’Assemblée nationale.

1.5. Des co-bénéfices climatiques

La politique de lutte contre la pollution de l’air urbain et particulièrement les ZFE-m ont d’abord un objectif sanitaire mais elles présentent également des co-bénéfices climatiques (les véhicules les plus anciens ciblés par la loi et par les agglomérations qui ont déjà mis en place des ZFE-m sont aussi souvent les plus émetteurs de gaz à effet de serre). Les transports représentent en effet 30% des émissions nationales de gaz à effet de serre, selon les données Citepa, 95% de ces émissions étant liées au transport routier dont 74% aux motorisations diesel (voir graphique ci-après), 53% aux VP et 15% aux VUL.

Ces inventaires nationaux masquent bien sûr des réalités locales contrastées. La part des transports dans le total des émissions de gaz à effet de serre des métropoles est souvent supérieure à la moyenne nationale : une étude du WWF l’estimait à 24% des émissions cadastrales dans la métropole du Grand Paris, 31% dans la métropole du Grand Lyon, 44% à Bordeaux, 53% à Toulouse… Une telle politique présente enfin des avantages économiques, d’autres études ayant évalué les coûts de la pollution de l’air à une cinquantaine de milliards d’euros chaque année. Un rapport du Sénat l’estimait même en 2015 entre 68 et 97 Mds €, soit entre 2 et 4% du PIB de notre pays. Ce qui suggère que faire reculer la pollution de l’air ambiant serait aussi un investissement économiquement rentable.

Source : Citepa, 2021
Lecture : en rouge, les émissions liées au diesel. Source : Citepa, 2021

Ces aspects climatiques de la question ne sont pas même évoqués par les promoteurs de la proposition de loi du RN.

1.6. Des émissions à la baisse mais des seuils sanitaires à la hausse…

Bonne nouvelle toutefois : les tendances actuelles des émissions de particules sont plutôt bien orientées. D’après le bilan 2021 d’Airparif pour l’Ile-de-France, « À l’exception de l’ozone, la baisse tendancielle des niveaux de pollution chronique se poursuit ». L’évolution en longue période du volume de particules en suspension à l’échelle du territoire métropolitain en témoigne : il a diminué d’un facteur 3 à 4 selon la typologie retenue (cf. graphique ci-après).

Source : Rapport Secten Citepa

Tirée notamment par l’amélioration des performances techniques des voitures en circulation (notamment avec la diffusion des pots catalytiques), et plus récemment par le recul du nombre des immatriculations de véhicules diesel, les émissions d’oxyde d’azote en particulier ont été divisées par trois en une vingtaine d’années (voir graphique ci-après).

Source : Rapport Secten Citepa

Les auteurs du bilan 2021 d’Airparif poursuivent : « La baisse des concentrations en dioxyde d’azote (NO2) a entraîné une forte diminution du nombre de personnes potentiellement exposées au dépassement de la valeur limite réglementaire pour ce polluant ». Les habitants directement exposés dans la Métropole du Grand Paris sont en conséquence moins nombreux qu’il y a 15 ou 20 ans : la baisse des concentrations de PM2,5 entre 2010 et 2019 se traduirait par un recul de 40% des décès prématurés liés à cette pollution et un gain moyen d’espérance de vie de 8 mois.

Les villes françaises sous l’œil de l’Agence européenne pour l’environnement

L’agence européenne pour l’environnement (AEE) dispose d’un outil de suivi de la qualité de l’air, le Air Quality Data Viewer qui permet de classer les villes européennes en 5 catégories selon les niveaux de concentration de PM2,5 :

a/ « Bonne » : des concentrations inférieures aux valeurs guides annuelle de l’OMS (5 µg/m3) ;

b/ « Passable » : entre 5 µg/m3 et 10 µg/m3, soit des niveaux inférieurs aux précédentes valeurs guides de l’OMS (2005) ;

c/ « Modérée » : entre 10 µg/m3 et 15 µg/m3 ;

d/ « Mauvaise » : entre 15 µg/m3 et 25 µg/m3 ;

e/ « Très mauvaise » : concentrations égales ou supérieures à la valeur limite de l’UE de 25 µg/m3 (directive 2008/50/CEen cours de révision).

Il est à noter que les « villes » observées le sont souvent à une échelle supérieure à celle de la ville proprement dite, mais inférieure à celle de l’EPCI.

Sur les 59 villes françaises comprises dans ce classement, aucune ne figure dans la première catégorie (« bonne ») ; 45 dans la 2e catégorie (« passable ») ; 14 dans la 3e catégorie (« modérée ») ; et aucune dans les 4e et 5e catégories.

Pour les villes françaises de plus de 150 000 habitants ayant un niveau de concentration de PM2,5 jugé « passable » : Montpellier (23e rang), Dijon (30e), Saint-Etienne (54e), Clermont-Ferrand (61e), Toulon (63e), Nîmes (69e) et Tours (100e) s’en sortent correctement, tandis que Marseille (137e), Le Havre (143e), Rennes (144e), Bordeaux (157e), Grenoble (170e), Strasbourg (177e), Paris (181e), Lyon (198e) et Lille (226e) présentent des résultats plus problématiques.

Si la proposition de la Commission européenne d’octobre 2022 était adoptée, 10 villes françaises se retrouveraient en dehors des clous et 6 villes de plus de 150 000 habitants tout proches du dépassement (valeurs entre 9,5 et 10 µg/m3). Et ce, uniquement au regard des concentrations de PM2,5, c’est-à-dire sans tenir compte des autres polluants et des normes correspondantes.

Lecture : La barre orange symbolise le seuil des valeurs guides OMS 2021 ; la barre rouge symbolise le seuil des valeurs guides OMS 2005 et le seuil des nouvelles valeurs réglementaires européennes si les propositions de la Commission européenne d’octobre 2022 sont adoptées. Source : Agence européenne de l’environnement, Air Quality Data Viewer

Il reste que, si l’intensité de dépassement des normes se réduit d’année en année, les recommandations de l’OMS 2021 continuent d’être largement dépassées dans plusieurs villes, notamment pour le NO2, l’O3 et les PM2,5. La valeur limite règlementaire pour le dioxyde d’azote est en particulier souvent largement franchie à proximité du trafic routier, singulièrement dans le cœur dense des agglomérations.

En outre, la fréquence, l’intensité et la durée croissantes des canicules peuvent entrainer des pics de pollution qui dépassent les normes de court terme, notamment des concentrations d’ozone du fait de la combinaison d’une chaleur élevée et de la concentration de dioxyde d’azote dans l’atmosphère. Ce fut le cas par exemple les 16 et 17 juin derniers dans plusieurs grandes villes françaises, exposant les personnes âgées, les femmes enceintes et les jeunes enfants à diverses complications. Il est à noter que l’ozone a la faculté de se déplacer rapidement et peut toucher la deuxième couronne des agglomérations ainsi que les zones rurales. Airparif souligne d’ailleurs, dans un rapport de juillet 2022, que ce sont ces zones qui sont aujourd’hui les plus touchées par la pollution à l’ozone et que, du fait de ses propriétés oxydantes, elle y nuit au rendement des cultures et à la forêt.

Au total, il n’est pas faux de dire que l’air ambiant des grandes villes françaises n’a jamais été aussi peu pollué depuis une trentaine d’années, mais il est tout aussi vrai que la situation demeure préoccupante au regard des effets sanitaires constatés et de mieux en mieux connus. D’après les dernières mesures de l’Agence européenne de l’environnement, la France occupe le 3e rang des pays européens où les émissions d’ozone (O3) causent le plus de décès prématurés, et le 4e rang pour le dioxyde d’azote (NO2). Concernant la morbidité associée à ces pollutions, la situation n’est guère plus reluisante : elle n’arrive qu’au 19e rang des pays européens les moins touchés par les maladies pulmonaires obstructives chroniques causées par les PM2,5 ; au 19e rang pour les cas de diabète de type 2 causés par les concentrations de NO2 ; et au 16e rang pour les hospitalisations en lien avec les concentrations de O3. Dans la foulée des études épidémiologiques récentes et des travaux qui ont conduit l’OMS à réviser ses seuils en 2019, l’Agence européenne de l’environnement fait par ailleurs observer que même des concentrations très faibles (y compris inférieures aux seuils révisés de l’OMS) ont une incidence sur la santé. Elle chiffre ainsi, au niveau de l’UE à 27, les morts prématurées potentielles pour des niveaux inférieurs aux normes de l’OMS à 175 000 pour les PM2,5, 87 000 pour le NO2 et 83 000 pour l’O3.

Là encore, le silence des élus du RN à l’Assemblée nationale est assourdissant.

Droit et risque juridique

Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé figure à l’article 1er de la Charte de l’environnement de 2004. A ce titre, il a en France valeur constitutionnelle et il est codifié à l’article L.220–1 du Code de l’environnement.

Les politiques publiques en matière de lutte contre la pollution de l’air sont en outre encadrées par divers textes européens transcrits dans le droit national, notamment la Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 qui exige des États membres qu’ils mettent en œuvre des mesures efficaces de réduction de la pollution de l’air ambiant au niveau local, national et communautaire dans le respect des valeurs limites de concentrations prévues dans son annexe II. Une nouvelle Directive européenne a été adoptée en 2016 dans le cadre du programme « Air pur pour l’Europe ». Et, comme on l’a vu, les valeurs règlementaires européennes en matière de qualité de l’air pourraient être prochainement révisées.

Ces textes sont d’ores et déjà à l’origine d’une jurisprudence importante. Dans un arrêt du 19 novembre 2014 (n°C404–13), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rappelé le rôle des juridictions nationales dans le contrôle de l’application des Directives européennes transposées en droit interne : en cas de non-respect des exigences communautaires, « il appartient à la juridiction nationale compétente, éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire  ». Cette décision donne un fondement aux juges administratifs nationaux pour poursuivre les Etats en carence, les mettre à l’amende et ainsi contraindre les gouvernements à agir.

Ainsi, plusieurs Etats ont déjà été contraints à revoir leur action en faveur de la qualité de l’air, notamment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Pologne, en Bulgarie… Huit États membres font actuellement l’objet de procédures d’infraction pour non-respect de la Directive 2008/50 devant la CJUE.

En France, le Conseil d’État a sanctionné le gouvernement dans une décision du 12 juillet 2017 au sujet de 14 zones où étaient dépassés les seuils de concentration de particules fines et de dioxyde d’azote, lui demandant non seulement un plan crédible de lutte contre la pollution de l’air mais des mesures efficaces. Jurisprudence confirmée dans sa décision du 17 octobre 2022 qui condamne l’Etat français à deux astreintes de 10 millions € pour dépassement des limites de pollution au dioxyde d’azote dans plusieurs zones de France, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille, entre juillet 2021 et juillet 2022. Considérant que les engagements du gouvernement français restaient insuffisants, la Commission européenne avait justement saisi, le 17 mai 2018, la CJUE d’un recours contre la France pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote.

Ces actions sont dirigées contre l’Etat français, mais celui-ci pourrait très bien considérer qu’il paie pour les territoires et collectivités concernés car ceux-ci ont mené une action insuffisante pour réduire la pollution de l’air. Un tel mécanisme d’action récursoire contre les collectivités en cas de condamnation de l’Etat pour manquement a en effet été créé par la loi NOTRe de 2015 (art. 33 de la loi, art. L.1611–10 du code des collectivités territoriales) afin de responsabiliser les collectivités dans l’application du droit communautaire. En conséquence, le Gouvernement pourrait envisager de leur faire partager les amendes à proportion de leurs compétences et de leurs contributions respectives aux difficultés observées. Ce mécanisme qui n’a pas été actionné à ce jour, pourrait l’être dans le futur, mettant ainsi les collectivités en tension sur un enjeu qui requiert clairement leur action et leur responsabilisation.

Ces différentes actions n’épuisent pas le risque juridique pour l’Etat et les collectivités. Les victimes de la pollution de l’air ambiant peuvent aussi bien former des recours pour obtenir réparation de leur préjudice, même si le lien de causalité entre leur pathologie et la pollution de l’air ambiant est toujours difficile à établir dans le cas d’espèce. Plusieurs tribunaux administratifs (Montreuil, Paris, Grenoble, Lyon, Lille…) ont déjà été saisis par des victimes de la pollution de l’air ambiant d’actions en responsabilité contre l’Etat et ses services déconcentrés. Au tribunal administratif de Paris comme à celui de Montreuil, l’idée a été retenue d’une carence fautive du pouvoir réglementaire, notamment concernant les valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote, sans pour autant donner lieu à indemnisation faute de pouvoir démontrer le lien de causalité dans le cas d’espèce.

Il ne fait guère de doute que ce contentieux est appelé à croître dans les années qui viennent, comme dans tous les autres compartiments du droit de l’environnement. Il n’est pas impossible qu’il touche bientôt les collectivités locales et leurs élus. Même si les pouvoirs de police des maires en matière de qualité de l’air demeurent minces à ce jour, le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans ce domaine dans un futur proche pourrait les exposer à leur tour.

2. Des peurs en grande partie infondées

2.1. Que dit la loi ?

En 2019, la Loi d’orientation des mobilités (LOM) instaure les ZFE-m et les rend obligatoires lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière « régulière ». Autrement dit, une agglomération où la qualité de l’air resterait régulièrement en-dessous des normes sanitaires en vigueur (et il y en a !) ne serait pas soumise à cette contrainte. En outre, la LOM laisse à la collectivité la liberté d’organiser sa ZFE comme elle l’entend, aussi bien en terme de périmètre, de véhicules concernés que de nature et de calendrier des restrictions. Ce qui signifie que le débat qui s’organise et se politise aujourd’hui au niveau national devrait aussi bien sinon davantage s’organiser au niveau local.

Adoptée en 2021, dans la foulée des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la loi Climat et résilience a cependant durci ce premier cadre législatif en imposant aux agglomérations en dépassement un calendrier de restrictions précis avec interdiction de circulation des véhicules portant des vignettes Crit’Air 3, 4 et 5 : les Crit’Air 5 (véhicules diesel qui ont plus de 22 ans) en 2023, les Crit’Air 4 (véhicules diesel qui ont plus de 18 ans) en 2024 et les Crit’Air 3 (véhicules diesel qui ont plus de 12 ans et véhicules à essence qui ont plus de 18 ans) en 2025.

Le nombre d’agglomérations concernées par ces dispositions varie et variera donc en fonction de l’évolution des niveaux de pollution constatés. Elles étaient une dizaine en 2018 pendant les travaux de préparation de la LOM. Aujourd’hui, trois d’entre elles (Métropole du Grand Paris, Aix-Marseille et Grand Lyon) devront certainement être soumises à cette obligation car elles sont encore en dépassemement régulier. Mais d’autres agglomérations (Montpellier, Nice, Rouen, Saint-Etienne, Toulon…) pourront sans doute échapper aux contraintes de ce calendrier même si elles présentent des niveaux de pollution proches des seuils sanitaires actuels ; elles doivent pour cette raison rester sous surveillance et sont invitées à faire baisser par d’autres moyens la pollution de l’air ambiant sur leur territoire. Christian Estrosi, le maire de Nice, se bat par exemple aujourd’hui pour la suppression d’un péage autoroutier situé à l’ouest de sa ville sur l’Autoroute A8, péage qui serait à lui seul responsable de l’émission de 112 kg d’oxyde d’azote par jour, impactant quelques 80 000 Niçois…

La loi Climat et résilience élargit par ailleurs l’obligation de mise en place d’une ZFE-m à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants (soit une trentaine de plus par rapport au périmètre de la LOM au moment son adoption) à compter du 31 décembre 2024. Mais là encore, pour ces agglomérations, les collectivités locales conserveront leur pleine liberté d’organisation, de choix des restrictions et de dérogations, pourvu que la ZFE-m couvre au moins 50% de l’EPCI. Il est donc objectivement faux de dire, comme le suggèrent les députés du RN, qu’en 2025, les 40 plus grandes agglomérations françaises interdiront tous les Crit’air 3 (véhicules diesel de plus de 12 ans et véhicules à essence de plus de 18 ans).

En réalité, contrairement à ce qu’affirment les députés du RN, cela dépendra à la fois des choix règlementaires des collectivités concernées et de leur capacité à rester sous les seuils sanitaires requis, c’est-à-dire à protéger la santé de leur population. On peut très bien imaginer que, sans contrevenir au cadre légal, une agglomération dont les niveaux de pollution ne dépassent pas les seuils réglementaires se contentent, pour commencer, d’interdire l’accès à sa ZFE-m aux véhicules Crit’Air 5 à partir du 1er janvier 2025, soit une part assez marginale du parc (2% des VP et 4,6% des VUL au niveau national aujourd’hui et sans doute encore moins au 1er janvier 2025)…

En outre et enfin, à l’exception des agglomérations pour lesquelles « la messe est (quasiment) dite » du fait d’un dépassement régulier des seuils (Paris ou Lyon par exemple), les autres collectivités concernées attendent la publication d’un décret définissant les conditions de dérogation à l’obligation de mise en place d’une ZFE-m pour lancer les travaux qui pourraient s’avérer nécessaires : de la signalétique à l’éventuelle construction d’infrastructures multimodales en passant par des moyens de contrôle, des parkings relais à l’entrée de la ZFE, etc. (certaines de ces mesures étant sans regret, elles pourraient d’ailleurs les mettre en œuvre sans délais). Selon les termes même de la loi, ce décret devra en effet « préciser (…) les modalités de dérogation aux obligations pour des motifs légitimes ou en cas d’actions alternatives mises en place et conduisant à des effets similaires à ceux de la création d’une zone à faibles émissions mobilité ». Au total, le système des contraintes règlementaires qui a suscité tant d’alarmes ces dernières semaines est encore loin d’être stabilisé et il est clair qu’il laissera d’importantes marges de manœuvre pour singulariser le système local retenu et l’adapter aux conditions du territoire concerné… Il suffit d’ailleurs d’observer les réalisations à l’étranger pour constater que de nombreuses variantes sont envisageables en fonction des caractéristiques locales (voir par exemple le cas de Barcelone en Espagne, encadré ci-après).

Le cas de la Zone de basses émissions (ZBE) de Barcelone

Depuis le 1er janvier 2020, la Zone de Basses Émissions (ZBE) de l’agglomération de Barcelone en Espagne fonctionne seulement les jours ouvrables, du lundi au vendredi de 7h à 20h.En revanche, elle n’impose aucune restriction de 20h01 à 6h59 en semaine et le week-end du vendredi 20h01 au lundi 6h59, ainsi que les jours fériés.

Pour pouvoir circuler dans la ZBE les heures et jours ouvrables, il faut disposer d’une vignette environnementale CERO, ECO, B ou C. En revanche, sont interdits de circulation : les véhicules de tourisme et à essence antérieurs à la norme Euro 3 (immatriculés avant 2000) et les véhicules Diesel antérieurs à la norme Euro 4 (immatriculés avant 2005 ou 2006) ; les motos ou cyclomoteurs antérieurs à la norme Euro 2 (immatriculés avant 2003) ; les fourgonnettes à essence antérieurs à la norme Euro 3 (immatriculés avant 2000) et les fourgonnettes Diesel antérieurs à la norme Euro 4 (immatriculés avant 2005 ou 2006) ; les camions et petits autocars antérieurs à la norme Euro 4 (immatriculés avant 2006 ou 2007) ; les autobus et autocars destinés au transport collectif antérieurs à la norme Euro 4 ( immatriculés avant 2006 ou 2007).

Les contrevenants s’exposent à une amende  de 100 euros. En cas de récidive, le coût de l’amende croît. Le contrôle des ZBE se fait à travers un système automatique de caméras capables de lire le numéro d’immatriculation du véhicule et de vérifier s’il a l’autorisation de circuler.

2.2. Les ZFE-m en place et à venir

De fait, le cadre législatif national ne dit pas tout et le débat à ce sujet devrait tout autant, voire davantage se déployer au niveau local. D’autant que douze métropoles ont déjà mis en place une ZFE-m : Paris, Lyon, Rouen, Nice, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Aix-Marseille, Toulon, Grenoble, Reims et Saint-Étienne.

Mieux : elles ont annoncé de leur propre initiative des calendriers souvent très ambitieux. Les restrictions qu’elles imposent aux usagers sont certes encore souvent modestes et concentrées pour l’essentiel sur les niveaux Crit’Air les plus élevés, mais les perspectives futures s’avèrent parfois très sévères. La ZFE-m de la Métropole du Grand Paris veut ainsi écarter les véhicules Crit’Air 3 dès juin 2023 et les Crit’Air 2 en 2024 (soit au total 53% du parc actuel des VP de la métropole et 55% dans les communes voisines…). La Métropole de Lyon annonce de son côté qu’à partir de 2026, c’est l’ensemble des VUL Crit’Air 2 qui pourraient se voir imposer des restrictions de circulation. La concertation à ce sujet est toujours en cours mais dans l’hypothèse où cette orientation serait confirmée, au total, 96% du parc des VUL de la Métropole (environ 100 000 véhicules) devraient être renouvelés d’ici cette échéance. De même, alors que la loi ne vise que les véhicules inférieurs à 3,5 t, les ZFE-m déjà en place font parfois le choix de cibler les Poids lourds. C’est le cas de la Métropole du Grand Paris ou de celle de Grenoble. Là encore, la responsabilité n’en revient ni à l’Etat ni au législateur mais aux collectivités locales qui l’ont jugé utile (parfois légitimement, du reste).

Sans surprise, les communes et intercommunalités voisines de ces ZFE font entendre leur mécontentement mais la responsabilité ne saurait en être imputée à l’Etat. Il faut noter d’ailleurs que les exercices de concertation auxquels se livrent certaines collectivités convient souvent essentiellement les habitants des communes et quartiers situés à l’intérieur de la ZFE et non ceux qui ont un usage quotidien du cœur d’agglomération sans y résider eux-mêmes. Autrement dit, le consentement des personnes consultées à des ambitions parfois radicales peut être un effet de ce que Jean Viard appelle la « démocratie du sommeil ». Autrement dit, on ne consulte pas toujours à la bonne échelle.

En outre, même quand elles sont issues d’une concertation approfondie, ces ambitions et ces initiatives locales ont été fixées alors même que l’inventaire des ménages et entreprises concernées par d’éventuelles restrictions futures n’avait pas été fait ou de façon très sommaire… Il faut dire que l’exercice est loin d’être simple. Les données du Système d’immatriculation des véhicules (SIV) permettent de dire, dans chaque agglomération, combien de véhicules Crit’Air 3, 4 et 5 (VP ou VUL) sont en circulation et si leurs propriétaires habitent le pôle urbain ou la couronne. Mais elles ne permettent pas de dire combien, parmi eux, ont besoin de circuler quotidiennement ou régulièrement dans le cœur de l’agglomération. Et encore moins combien seront encore en circulation au 1er janvier 2025… Pour les particuliers, les données du recensement permettent de connaître la distance à l’emploi des actifs et le nombre de véhicules par foyer, mais pas la nature du ou des véhicules en circulation. Enfin, pour les VUL, la base SIRENE peut fournir des informations précieuses, elle aussi ; un inventaire précis a ainsi été réalisé pour l’Eurométropole de Strasbourg par l’initiative Mobilités en transition de l’IDDRI en croisant les données SIV et SIRENE notamment.

Ce travail de documentation locale ne peut incomber uniquement à l’Etat : il incombe également aux collectivités qui vont devoir fixer le design et les ambitions de leur ZFE-m. Il implique en conséquence une collaboration active entre ces parties. Certaines données – c’est le cas des données du SIV – sont la propriété de l’Etat mais peuvent être ouvertes aux collectivités à des fins d’enquêtes ou de recherches (art. L. 330–5 du Code de la route) ; d’autres devront sans doute être collectées par les collectivités elles-mêmes. Les données de bornage de certains opérateurs télécom pourraient également être mobilisées, moyennant toutes les précautions requises par la CNIL.

Devant tant d’incertitudes cependant, la grogne et les inquiétudes s’amplifient. De multiples interrogations surgissent : les industriels seront-ils capables de proposer en temps et en heure des véhicules alternatifs à des prix abordables pour les classes moyennes ? quand un marché secondaire de véhicules électriques d’occasion se mettra-t-il en place pour les ménages modestes et quelle sera l’espérance de vie des produits qui y seront proposés ? Si une partie de la flotte dédiée à la logistique urbaine ne peut plus pénétrer dans le cœur d’agglomération, les capacités d’approvisionnement seront-elles menacées ? Les différentes unités administratives qui composent les agglomérations et les autorités organisatrices de la mobilité sauront-elles s’entendre pour agir convenablement ? Quelles seront les dérogations possibles et les exceptions (par exemple pour l’accès aux moyens de santé) ? Comment sera organisé le contrôle à l’entrée des ZFE-m ? S’il est suffisamment automatisé, précis et fiable, permettra-t-il, comme dans certaines ZFE actuelles (par exemple, à Strasbourg), d’accorder un droit à un certain nombre d’entrées par an pour les véhicules disposant de la mauvaise vignette ? Etc.

On le voit, une grande partie de ces questions s’adressent au niveau local. Toutefois, afin d’apaiser les tensions qui commençaient à se faire jour, la Première ministre a annoncé récemment une enveloppe de 150 millions € dans le cadre du nouveau fonds vert d’accélération de la transition écologique dans les territoires doté de 2 milliards € pour accompagner les collectivités locales dans la mise en place des ZFE. Une réponse aux élus qui dénoncent l’absence de l’Etat dans la mise en place d’un dispositif dont ils ont la compétence et dont ils redoutent les effets sociaux, mais sur lesquels beaucoup ont en réalité insuffisamment travaillé à ce jour.

Au registre des aides, il faut naturellement signaler également celles qui sont versées par l’Etat : prime à la conversion (5 000 €) et bonus écologique (6 000 €). Le Gouvernement a par ailleurs décidé d’augmenter de 1 000 € la prime à la conversion pour les personnes qui habitent ou travaillent dans une ZFE-m et de passer à 7 000 € le bonus écologique pour les ménages les plus modestes. Un prêt à taux zéro (PTZ) sera également expérimenté pendant deux ans à partir du 1er janvier 2023 pour financer l’achat d’un véhicule propre dans les métropoles qui dépassent les seuils d’émission à partir du 1er janvier. A quoi s’ajoutent les aides locales dont les dispositifs et volumes varient sensiblement d’un territoire à l’autre. Dans le cas de la Métropole du Grand Paris, par exemple, la Région Ile-de-France propose des aides qui vont de 1 500 à 6 000 € en fonction du revenu fiscal de référence par part (RFR) ; les intercommunalités proposent jusqu’à 6 000 € selon le RFR ; et la Ville de Paris présente également une palette d’aides aux auto-entrepreneurs, TPE, PME, etc. Mais dans le cas du Grand Lyon, la région Auvergne Rhône-Alpes ne propose… rien !

Le scénario de l’inaction

Comme dans tous les débats relatifs à la transition écologique, il est important d’envisager le scénario de l’inaction : que risque-t-il de se passer si nous n’agissons pas davantage et plus efficacement qu’aujourd’hui ? Si, par exemple, on en venait à supprimer le cadre légal construit depuis 2019 et les contraintes qu’il comporte ?

Les investissements dans le renouvellement du parc automobile seraient probablement en large partie différés. Les industriels auraient moins de raison de parier sur le développement rapide des voitures électriques et poursuivraient probablement un chemin de recherche de pure optimisation sur les technologies thermiques. Les collectivités locales auraient, elles aussi, moins de raison de presser le pas. En conséquence, les émissions de PM2,5, de dioxyde d’azote, d’ozone, etc. se maintiendraient certainement à un niveau élevé.

Mais, dans le même temps, les recommandations de l’OMS et les normes règlementaires européennes continueraient de se durcir sous la pression des progrès de la connaissance en santé environnementale. Les actions en manquement contre l’Etat français se multiplieraient, ainsi que les condamnations et les astreintes correspondantes. Face aux dommages sanitaires accumulés et au risque judiciaire de plus en plus pressant, les pouvoirs publics n’auraient d’autre solution, en cas de pics de pollution liés à la combinaison d’un trafic abondant et de canicules récurrentes par exemple, que de prendre des mesures d’urgence comme des restrictions de circulation, voire des interdictions certains jours dans le cœur des agglomérations, sans concertation ni préavis. Ces expédients contiendraient aussi leur lot d’injustices sociales : comment les plus démunis pourraient-ils trouver une solution face à une mesure d’urgence alors qu’on voit bien que les alternatives doivent se construire dans le temps, l’analyse du problème et la concertation ?

Ce raisonnement par l’absurde souligne l’intérêt de la planification et de l’anticipation plutôt que la gestion de l’urgence, de la transition choisie plutôt que de la transition subie.

3. Des difficultés qui restent à documenter…

Dans certaines agglomérations – celles qui seront contraintes pour des raisons sanitaires de mettre en place des ZFE-m plus coercitives et celles qui auront décidé d’elles-mêmes de poursuivre de plus hautes ambitions –, des difficultés risquent de se faire jour. Des ménages modestes, des artisans, des indépendants et des TPE seront peut-être exposés dans les mois et les années qui viennent à des restrictions de circulation. Et s’ils n’ont pas les moyens de changer de véhicule ou de basculer vers d’autres solutions de transport au quotidien, ils risquent d’être à la peine. Reste à savoir comment les aider à franchir ce cap (voir infra III). Mais pour cela, il est d’abord nécessaire de savoir combien ils sont et où ils sont. Or ces questions sont loin d’être correctement documentées à ce jour.

3.1. L’attrition du parc le plus ancien

Au niveau national, c’est-à-dire au niveau le plus agrégé, la part du parc des véhicules Crit’Air 4 et 5 n’est pas négligeable. Les Crit’Air 5 représentent 2% des VP en circulation et 4.6% des VUL. Les Crit’Air 4, respectivement 8.4% et 12.9%. Soit au total 10.4% des VP et 17.5% des VUL. Les Crit’Air 3 sont plus nombreux encore : 1/4 des VP et 1/5 des VUL.

Il faut cependant tenir compte du fait que ce sont des véhicules qui auront plus de 20 ans en 2025 pour les Crit’Air 4 et 5, plus de 12 ans pour les diesel Crit’Air 3 et plus de 18 ans pour les véhicules à essence Crit’Air 3. Il est probable qu’une partie de ce parc aura disparu au moment de l’entrée en vigueur du dispositif prévu par la loi Climat et résilience : la durée de vie moyenne d’un véhicule particulier est en effet un peu supérieure à 10 ans (150 000 km pour un moteur à essence et 250 000 km pour un diesel) et la durée moyenne de détention de moins de 6 ans en 2018.

Le rythme d’attrition du parc des Crit’Air 4 et 5 étant légèrement supérieur à 10% par an ces dernières années, et celui des Crit’Air 3 légèrement inférieur à 7%, on peut en effet estimer que, dans les deux années qui viennent, l’ensemble de ce parc (3, 4 et 5) sera passé d’un peu plus d’1/3 des VP en circulation à environ 1/4, et d’un peu plus de 40% à environ 1/3 pour les VUL. Mais ce sont des chiffres à l’échelle nationale. Le tableau est sensiblement différent à l’échelle des EPCI concernés par la mise en place présente ou future d’une ZFE-m. Sur les 23 principaux EPCI de cette nature, un simple exercice d’extrapolation du rythme d’attrition observé entre 2019 et 2021 suggère qu’au 1er janvier 2025, les véhicules Crit’Air 5 (VP et VUL) pourraient représenter entre 0 et 1% du parc de ces territoires (contre 1 à 2% aujourd’hui), les Crit’Air 4 environ 4% du parc (contre 7 à 8% aujourd’hui), et les Crit’Air 3 17% pour les VP (contre 23% aujourd’hui) et 9% pour les VUL (contre 16% aujourd’hui), comme on peut le voir dans le tableau ci-après. Naturellement, on cible ici les cœurs d’agglomération. La situation est sans doute un peu différente dans les périphéries plus éloignées. Mais dans l’ensemble, que l’on considère les résultats d’un exercice d’extrapolation à grande échelle ou à petite échelle, les rythmes d’attrition laissent imaginer un stock de véhicules concernés par d’éventuelles restrictions de circulation sensiblement plus faible qu’aujourd’hui.

  2019 2021Ecart 2019/21 en %Part/total parc 2021 en %2025Part/total parc 2025 en %
VP CA3 2 124 1211 831 998–14 231 362 834 17
VP CA4 749 287 548 267–27 7293 534 4
VP CA5 181 471 106 842–41 137 041 0
VUL CA3 243 969 184 503–24 16106 659 9
VUL CA4 119 904 85 154–29 842 926 4
VUL CA5 40 109 26 142–35 211 045 1
Evolution du parc et extrapolations dans les 23 principaux EPCI concernés par la mise en place présente ou future d’une ZFE-mLecture : VP CA3 = Véhicules particuliers Crit’Air 3 ; VUL CA4 = Véhicules utilitaires légers Crit’Air 4. En italique, les projections résultant d’une simple extrapolation des tendances observées entre 2019 et 2021. Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (calculs de l’auteur)

3.2. Combien et où sont-ils ?

Il est toutefois beaucoup plus difficile de dire quelle est la part de ces véhicules qui seront confrontés à des restrictions de circulation dans les ZFE-m (c’est-à-dire la part de ceux qui ont un usage régulier de la circulation dans les cœurs d’agglomération sans nécessairement y avoir leur résidence). En effet, pour résoudre cette énigme, il faudrait disposer de deux informations manquantes.

Tout d’abord, on l’a dit, on ne sait pas encore précisément quelles seront les restrictions effectivement mises en place dans les ZFE-m par les différentes agglomérations concernées, ni même le périmètre exact de ces ZFE-m. Selon les initiatives que les collectivités jugeront utile de prendre, le tableau pourra varier très sensiblement d’une agglomération à l’autre.

Ensuite, on ne sait pas dire précisément aujourd’hui, pour une agglomération donnée, quels sont les véhicules Crit’Air 3, 4 et 5 qui ont un usage régulier des cœurs d’agglomération et ceux qui n’en ont pas. Les enquêtes de recensement permettent de connaître Ces données révèlent également que la part de chaque mode de déplacement n’a quasiment pas évolué dans les couronnes entre 2015 et 2020, alors qu’elle se déforme légèrement dans les pôles et les ville-centres au détriment de la voiture (-2,2%) et au profit du vélo (+1,6%) :

Source : Insee

Le répertoire statistique des véhicules routiers (dont les données sont issues du ministère de l’intérieur et du SIV) fournit d’autres informations : elles permettent de recenser le parc de ces véhicules et d’identifier le lieu de résidence du propriétaire (dans la métropole ou dans les intercommunalités voisines). Par exemple, on sait que les 13 plus grandes métropoles et leurs intercommunalités voisines abritent quelque 2,3 millions de VUL, dont 0,8 million (33%) de Crit’Air 3, 4 et 5 (pour moitié Crit’Air 3 et pour moitié Crit’Air 4 et 5). Et l’on sait que les 2/3 de ces VUL Crit’Air 3, 4 et 5 appartiennent à des personnes vivant dans les intercommunalités voisines de la métropole. Mais cela ne nous renseigne pas sur la part de ceux qui ont un usage régulier du cœur de l’agglomération. Certaines intercommunalités voisines englobant de très nombreuses communes, il est en outre probable que des pans entiers de leur territoire soient faiblement polarisés par le cœur d’agglomération.

Nombre %
Total VUL top 13 Métropoles 2 331 024 100
 S-Total Crit’Air 3+4+5769 940 33
 S-Total Crit’Air 4+5 320 814 14
 S-Total Crit’Air 3+4+5 dans les communes voisines des métropoles 517 806 22

Le tableau n’est pas tellement différent concernant les VP. Dans les agglomérations de Strasbourg ou Grenoble, les véhicules particuliers classés Crit’Air 3, 4 et 5 représentent environ 1/3 des immatriculations. Et environ 2/3 des Crit’Air 3, 4 et 5 appartiennent à des personnes résidant dans les intercommunalités voisines de la métropole. C’est dans ces catégories que pourraient se trouver les situations les plus problématiques, ceux qui résident plus près du cœur de l’agglomération ayant en général davantage de solutions de transports en commun à leur disposition.

STRASBOURG

 

Nb

%

Total véhicules particuliers

631 193

100

Crit’Air 3+4+5+Non classés

227 219

36

dont intercommunalités voisines

143 248

23

GRENOBLE

 

Nb

%

Total véhicules particuliers

546 888

100

Crit’Air 3+4+5+Non classés

201 516

37

dont intercommunalités voisines

121 841

22

En somme, la mise en place de restrictions à la circulation des véhicules les plus anciens dans certaines ZFE-m fera certainement des perdants le moment venu, mais il reste beaucoup à faire pour savoir où et combien seront ces perdants. C’est pourquoi il serait temps que les collectivités des agglomérations concernées s’attèlent à la tâche avec l’Etat. Sans quoi, il est à craindre que dominent les préjugés et représentations à la mode sur la géographie de la pauvreté et de la précarité. L’Observatoire des inégalités relevait ainsi récemment que, selon les données 2018 de l’Insee et contrairement à ce que pensent beaucoup, « Près des deux tiers des personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (fixé ici à 60 % du niveau de vie médian) vivent dans les pôles urbains qui regroupent au moins 10 000 emplois ». Elles se répartissent entre les villes-centres (36,5 % des pauvres) et leurs proches banlieues (26,4 %). 30,7 % des pauvres vivent dans les zones périurbaines et seulement 6,4 % dans les zones rurales isolées. Par ailleurs, on sait que les ménages disposant des restes à vivre (le revenu disponible moins les dépenses contraintes ou pré-engagées) les plus faibles logent soit au centre de la zone d’emploi, soit au contraire à sa périphérie la plus éloignée, et qu’entre les deux, les restes à vivre peuvent être nettement plus élevés (en première couronne on profite souvent d’un coût du logement moins élevé sans avoir de lourdes charges de transport).

L’exposition aux difficultés que pourraient générer des ZFE-m assorties de restrictions de circulation ne suit donc pas un simple « gradient d’urbanité » qui les verraient croître régulièrement avec la distance au centre de la zone d’emploi. Les choses sont plus compliquées que cela et les configurations peuvent varier sensiblement d’une agglomération à l’autre. Enfin, les ménages pauvres ne sont pas forcément ceux à qui d’éventuelles restrictions de circulation en voiture au sein de la ZFE-m poseront le plus de problème. Il est plus probable que des ménages issus des classes populaires intégrés dans l’emploi ou des classes moyennes soient plus directement concernés. Mais, encore une fois, cela nécessiterait un inventaire agglomération par agglomération plutôt que des affrontements généraux et parfois idéologiques.

4. L’éventail des solutions

On peut toutefois lister sans attendre les réponses qui pourraient être apportées à ces difficultés et dont la combinaison devrait naturellement varier selon les contextes urbains locaux. Etant entendu que la suppression du cadre légal actuel ne serait évidemment pas une solution, sauf à se désintéresser à la fois de la santé des habitants, de la lutte contre le réchauffement climatique et des coûts économiques associés à une mauvaise qualité de l’air.

4.1. La voiture électrique

Une première solution pourrait consister dans le développement de l’électromobilité, c’est-à-dire le changement de véhicule au profit d’un véhicule électrique parfaitement neutre en termes d’émission (y compris en termes de gaz à effet de serre si l’électricité est elle-même issue de modes de production décarbonés). C’est sans doute une partie de la réponse, en tout cas à moyen-long terme. Toutefois, les véhicules électriques sont plus chers que les véhicules à motorisation thermique (surtout quand on recherche une autonomie conséquente) et le marché d’occasion est encore beaucoup trop étroit pour que les ménages issus des classes populaires et des petites classes moyennes y trouvent des opportunités bon marché.

Si l’on veut favoriser cette substitution, il faut donc envisager des aides à l’achat (c’est le cas aujourd’hui avec la combinaison de la prime à la conversion et du bonus écologique auxquels s’ajoutent des aides locales variables selon les collectivités) et le développement de solutions de leasing bon marché, comme l’envisage le gouvernement. Si cet effort d’accompagnement est suffisant, ensuite l’électromobilité se traduit pour les ménages concernés par des gains de pouvoir d’achat immédiats, le coût d’une recharge de la batterie étant très inférieur à celui d’un plein d’essence ou de gazole (à quoi il faut ajouter des économies sur la fréquence des réparations et sur l’assurance). Même en acquittant 100 ou 130 euros de leasing par mois, la plupart des ménages y gagneront instantanément sur leur budget transports.

Les mêmes gains peuvent s’envisager pour les artisans et les TPE propriétaires de VUL. Dans leur cas, une solution de transition négociée serait certainement vertueuse comme nous le préconisions ici : après avoir fait, avec l’appui des collectivités locales, l’inventaire des besoins de substitution dans l’ensemble des agglomérations concernées, l’Etat devrait alors réunir les représentants des secteurs professionnels impactés, les constructeurs automobiles et les organismes de crédit pour tenter de nouer un accord au niveau national. Assurés d’un volume d’achat de véhicules neufs conséquents, les constructeurs pourraient réaliser des économies d’échelle et proposer des prix plus attractifs ; assurés de la garantie de l’Etat ou de toute autre forme de derisking public, les organismes de crédit pourraient quant à eux proposer des taux plus intéressants ; etc. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a vocation à préparer ces « deals » et à en suivre ensuite la bonne exécution avec les territoires concernés.

Les professionnels propriétaires de VUL pourraient peut-être aussi miser sur des solutions de retrofit. Le retrofit consiste à remplacer le moteur thermique (essence ou diesel) d’un véhicule par un moteur électrique ou à hydrogène (pile à combustible) en conservant tout le reste du véhicule et en prolongeant sa durée de vie. C’est une solution encore émergente mais qui pourrait se développer rapidement, notamment du fait des besoins engendrés par la perspective de mise en place des ZFE. De premières homologations de kits de conversion ont vu le jour ces dernières semaines pour des VUL produits entre 2000 et 2006 (type Renault Trafic).

Le problème est que le déploiement de l’électromobilité et la croissance de ses performances techniques seront nécessairement progressifs. Faute de composants en quantité suffisante, les constructeurs peinent aujourd’hui à assurer une production de masse de véhicules neufs en entrée de gamme et sont parfois tentés de concentrer leurs moyens sur une offre plus haut de gamme, y compris sur des modèles beaucoup plus lourds (type SUV électriques) qui, de ce fait, « mangent » inutilement une partie des gains énergétiques réalisés. La croissance de la part de marché de l’électrique est aujourd’hui très nette (12,8% des ventes en juin 2022, en progression de 4,7% en un an), mais il est difficile d’imaginer la voir dépasser le tiers des ventes dès le mitan des années 2020.

A défaut de pouvoir tout miser sur l’électromobilité et pour les ménages qui garderont une forte dépendance à la voiture, il serait sans doute utile d’envisager des solutions pour passer d’une vignette Crit’Air 3, 4 ou 5 à un véhicule classé en Crit’Air 1 en ouvrant certaines des aides existantes à l’achat de ce type de véhicules, y compris d’occasion et ce pour une période de temps limitée. Ces solutions sont peu évoquées dans le débat public car elles restent moins satisfaisantes en termes d’émissions que la solution électrique. Mais elles peuvent fournir une option d’appoint qu’il ne faut pas négliger, a fortiori si l’on considère que les ménages qui auront les moyens de passer au véhicule électrique remettront sur le marché secondaire un certain nombre de véhicules Crit’Air 1.

La voiture électrique présente toutefois une autre limite : elle ne résout en rien les questions de congestion urbaine. Particulièrement sensibles aux heures de pointe dans les grandes agglomérations, elles se traduisent par des temps de trajet élevés, ce qui est une autre dimension des difficultés rencontrées par les ménages qui résident en couronne et travaillent dans les cœurs d’agglomération…

4.2. Le rail et les RER Métropolitains

Pour englober le problème de la congestion dans les réponses proposées, il faut miser sur le report modal vers les transports en commun. Comme le montre Jean Coldefy, les investissements massifs qui ont été réalisés en France dans ce domaine ces vingt dernières années (83 Mds €) ont concentré le report modal sur les villes-centres des grandes villes et leurs habitants (15% de la population), ce qui explique que la part modale kilométrique de la voiture soit restée écrasante dans l’ensemble du pays (environ 80% en 2019), les mobilités locales se réalisant pour l’essentiel en France autour des pôles urbains, là où l’offre de transport en commun est la plus faible, voire inexistante. Cela s’est fait au détriment du pouvoir d’achat des ménages et singulièrement des ménages modestes : le coût de la voiture est en effet de 0,22 € par voyageur.kilomètre (v.km), contre 0,07 €/v.km en moyenne pour les transports en commun (0,10 €/v.km pour le TGV, 0,03 pour un abonné d’un TER…).

Le développement du rail présente dans ce contexte des intérêts évidents : rapidité de circulation, neutralité en termes d’émissions, forte capacité en nombre de passagers, faibles coûts pour l’usager, sécurité, fiabilité… Là où c’est possible, cette solution est sans doute la meilleure. Les projets de RER métropolitains (ou « réseaux express métropolitains ») comme à Bordeaux, Rouen, Grenoble ou Nice vont dans ce sens (voir carte ci-après).

Récemment mis à l’honneur par les annonces du Président de la République, ils répondent à l’objectif de la Loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 qui est de doubler la part modale du transport ferroviaire dans les grands pôles urbains en améliorant la mobilité quotidienne et en fluidifiant les circulations autour des grandes étoiles ferroviaires. Il s’agit le plus souvent d’utiliser des infrasctructures existantes en augmentant le nombre de sillons alloués au transport de passagers entre le centre et la périphérie, en augmentant la fréquence des trains, en modifiant les dessertes et en créant des lignes « traversantes ».

Source : SNCF Réseau

Mais la disponibilité des infrastructures est très inégale selon les agglomérations. De plus, le coût et les délais de développement de nouvelles infrastructures peuvent être rapidement dissuasifs. L’élasticité de cette solution est en particulier assez faible dans les nœuds urbains. De plus, l’arbitrage en faveur du transport de passagers se ferait potentiellement au détriment de la logistique marchande ferroviaire que l’on cherche par ailleurs à développer (voir le récent rapport de Terra Nova sur le sujet). Pour surmonter cette difficulté, il faudra que ces projets aillent de pair avec une désaturation des nœuds ferroviaires et que SNCF Réseau affiche clairement sa stratégie capacitaire. 

4.3. Les cars express à haute fréquence

Autre solution : le développement de lignes de cars à haute fréquence disposant de voies réservées entre la deuxième couronne et le cœur d’agglomération. Cette solution est notamment défendue par Jean Coldelfy afin de relier les secondes couronnes avec les pôles urbains des grandes agglomérations. C’est le modèle en vigueur dans l’agglomération de Madrid en Espagne. Des lignes de ce type existent déjà en France dans certaines agglomérations : Voiron-Grenoble (Express 1 Isère), Dourdan-Massy (ligne express 91.03), Aix-Marseille (ligne 50) et elles semblent plébiscitées par le public, en particulier par les ménages du périurbain. Avec un intervalle à l’heure de pointe de 5 minutes et un gain de temps sur l’ensemble du parcours de 20 minutes par rapport à la voiture (soit 40 minutes A/R), la ligne Dourdan-Massy transporte ainsi près d’un million de voyageurs par an en empruntant une file entièrement dédiée de l’Autoroute A10 sur 3,3 km à l’approche de la gare de Massy-Palaiseau. Les passagers réalisent ainsi 270 € d’économies par mois s’ils font quotidiennement la totalité du parcours. Ces différents avantages se retrouvent avec quelques variations sur Aix-Marseille (3 millions de passagers, 3 minutes de moins que la voiture, 235 € d’économies par mois) et Voiron-Grenoble (1,2 million de passagers, 180 € d’économies mais pas de gain de temps par rapport à la voiture). En termes climatiques, les gains sont également sensibles : ce sont 1 950 tCO2-e évitées sur Dourdan-Massy, 3 900 tCO2-e sur Voiron-Grenoble, 12 480 tCO2-e sur Aix-Marseille, le tout pour un coût d’abattement très faible.

Ces premiers résultats ont d’ores et déjà inspiré de nouvelles initiatives. C’est notamment le cas en Ile-de-France où la Région envisage la création d’une quarantaine de ligne de cars express régionaux pour rapprocher de Paris les 5 millions habitants de la grande couronne qui ne sont pas connectés aux réseaux de transport en commun de la métropole. L’idée est de leur permettre d’accéder rapidement et facilement aux gares du Grand Paris.

L’avantage de cette option est d’être facile à déployer rapidement (pas de pari technologique, peu de coûts d’infrastructures…). Elle s’accompagne d’une nette économie pour les ménages sur leur budget transports et même d’un gain de temps par rapport à la mobilité en voiture dans des agglomérations congestionnées aux heures de pointe. Là où elle apparaitra pertinente, ses effets seront toutefois d’autant plus vertueux que seront envisagées des infrastructures multimodales autour des gares (routières notamment) où l’on puisse laisser son vélo ou sa voiture, et en cœur d’agglomération, en bout de ligne, des raccordements simples et rapides aux autres réseaux de transport (métro, tramways, etc.).

Cette solution soulève toutefois quelques questions. Tout d’abord, elle suppose que soient recrutés de nouveaux chauffeurs alors que le secteur est déjà en grande tension. Le niveau des rémunérations dans les transports urbains ne sont pourtant pas trop bas, mais le contact avec le public est de plus en plus redouté et l’activité jugée trop peu intéressante par les jeunes professionnels. Il faut réfléchir aux moyens d’enrichir ces métiers…

Ensuite, cette solution risque de se heurter au millefeuille administratif territorial, soit à la difficulté de faire coopérer de façon harmonieuse l’ensemble des collectivités concernées à l’échelle de l’agglomération pour structurer correctement cette offre. Mais cette difficulté est valable pour presque toutes les solutions évoquées ici.

4.4. Les solutions complémentaires

A ce bouquet de solutions peuvent s’adjoindre des solutions complémentaires. On pense notamment au covoiturage qui offre une réponse de court terme et à coûts limités au problème de la pollution comme à celui de la congestion. Les voies réservées aux cars à haute fréquence pourraient d’ailleurs être ouvertes aux véhicules transportant plus de trois personnes comme c’est le cas pour les High occupation lanes dans certaines métropoles canadiennes comme Toronto. On pourrait également imaginer une modulation des interdictions d’accès à la ZFE-m en fonction du nombre de passagers transportés. Certaines collectivités se lancent dans des solutions innovantes à cet égard. La Métropole Rouen Normandie et l’Agglo Seine-Eure viennent ainsi de lancer Covoit’ici : un service qui propose des lignes de covoiturage sans réservation pour les trajets quotidiens.

Parmi les solutions complémentaires, figurent également le développement du vélo sur les courtes distances séparant les usagers des nœuds d’intermodalités (créations de pistes cyclables supplémentaires et de parkings à vélos au point d’arrivée, voir le rapport de Terra Nova sur ce sujet), ainsi que le développement du télétravail pour les actifs qui le peuvent et dans les limites du « travail hybride socialement responsable » (des lieux de coworking à proximité des gares de l’agglomération seraient sans doute de nature à favoriser cet usage) et le développement des outils numériques permettant de faciliter une « mobilité sans couture » au sein des agglomérations et de diminuer le coût temporel de l’intermodalité.

4.5. Informer les populations

Aucune de ces solutions ne pourra faire l’économie d’un effort d’information active des populations. Les agglomérations qui ont d’ores et déjà mis en place une ZFE-m ont d’ailleurs souvent pris l’initiative de consultations locales approfondies et prévu des « phases pédagogiques » pendant lesquelles les agents de la force publique s’abstiendront de verbaliser les contrevenants et s’efforceront de les informer.

Il reste que cet effort d’information du public reste le plus souvent insuffisamment proactif et ciblé. C’est une information en push auprès des publics qui vont être concernés qu’il faut privilégier pour anticiper les besoins sans attendre que les intéressés se trouvent « au pied du mur ». Pour cela, les stratégies « d’aller vers » expérimentées dans certains départements pendant la période Covid pourraient être mises à profit : porte-à-porte (pourquoi ne pas mobiliser à cet effet des jeunes en SNU ?), phoning, envoi de courriers d’information sur les aides à tous les propriétaires des Crit’Air 3, 4 et 5 concernés dans les territoires identifiés comme les plus problématiques…

Conclusion

En conclusion, les solutions sont à portée de main. Elles passent par une combinaison, variable selon les territoires et les agglomérations, d’électromobilité, de covoiturage et de transports en commun, qu’il s’agisse du rail là où cela est possible ou de lignes de car express à haute fréquence. A cette combinaison peut s’ajouter une composante mobilités douces (vélo) et télétravail si celui-ci tend à se développer. Ce qui est sûr, c’est que cette politique implique une claire répartition des tâches entre le national et le local, ainsi qu’une forte coopération entre les collectivités locales concernées. Le gouvernement et le législateur peuvent et doivent fixer des règles communes, mettre en place des mesures d’accompagnement pour les ménages les plus vulnérables et favoriser la construction des solutions. Mais ils ne peuvent et ne doivent pas tout faire, ni même porter l’entière responsabilité juridique de l’action publique : les solutions les plus appropriées ne peuvent se définir qu’au niveau local, en fonction des singularités et des besoins de chaque agglomération et chaque agglomération doit, pour cela, faire l’inventaire précis et documenté de ses besoins. D’une manière plus générale, la transition écologique nécessite un fort investissement des territoires. Ceux-ci sont légitimes à demander le soutien de la collectivité nationale, mais ils ne sauraient se dédouaner systématiquement de leurs responsabilités à chaque fois que pointe un risque de mécontentement des populations. La décentralisation a un prix, celui de la responsabilité. Et un bénéfice : celui de la pertinence.

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Publié le 10 janvier 2023

ZFE : L’urgence d’allier priorité environnementale et justice sociale

Suite à la publication de l’article sur les Zones à faibles émissions (ZFE) de Mélanie Heard et Thierry Pech, « France urbaine » a souhaité répondre. L’association des grandes villes, agglomérations et métropoles met en avant ses accords et désaccords.

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Alors que les Zones à Faibles Emissions (ZFE) sont progressivement mises en place dans les métropoles du pays, Terra Nova a publié une note sur le sujet, intitulée « Les ZFE : fake news politiques, urgences sanitaires et solutions locales ». Si France urbaine, l’association des grandes villes, agglomérations et métropoles, partage de nombreux points de convergence, elle prône le principe d’une action résolue et partagée entre l’Etat et les collectivités territoriales et appelle l’Etat à être solidaire et cohérent avec les élus locaux.

Nous sommes d’accord

Les ZFE, un enjeu de santé publique

Alors que Santé Publique France estime à 40 000 décès par an l’impact sanitaire de la pollution aux particules fines et que le trafic routier est responsable de 57 % des émissions d’oxydes d’azote, l’amélioration de la qualité de l’air est un enjeu majeur de santé publique. La communauté scientifique a démontré l’importance du bénéfice pour les comptes publics. Elle doit être soutenue pour développer des dispositifs d’évaluation de l’impact de la mise en place des ZFE.

France urbaine partage l’analyse de Terra Nova : la mise en place de Zones à faibles émissions s’inscrit dans cette volonté d’améliorer la qualité de l’air des zones concernées. Les habitants des quartiers populaires en seront d’ailleurs les premiers bénéficiaires, la localisation de leur habitat étant souvent la plus proche des axes routiers les plus empruntés et les plus polluants.

Des règles acceptables et acceptées pour être efficaces

Les ZFE ne seront efficientes que si elles sont acceptables et acceptées. Les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles convergent avec l’analyse de Terra Nova quant à la nécessité de renforcer l’accompagnement des citoyens, des artisans et des commerçants pour ne pas aboutir à des « zones à forte exclusion », en augmentant et en élargissant les aides aux habitants des territoires voisins impactés et en proposant d’autres solutions que l’achat de véhicules électriques neufs (leasing, rétrofit…).

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Miser sur le marché de l’occasion est une opportunité à saisir : au moment où les ménages les plus favorisés vont changer de véhicule pour se tourner vers l’électrique, ils vont mettre sur le marché des véhicules thermiques d’occasion qui, moyennant une prime à la conversion, pourraient être accessibles à des ménages plus modestes qui en ont besoin pour passer dans une classe Crit’Air acceptable.

Les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles appellent aussi à simplifier l’octroi des aides, via la mise en place d’un guichet unique géré par les territoires, ces derniers étant les plus à même d’en définir les modalités. Ne contraignons pas les citoyens les plus précaires à avancer des sommes trop lourdes. Repensons les prêts à taux zéro ou les micro-crédits.

France urbaine propose aussi la mise en place d’un système d’attribution de « droits exceptionnels d’émission », notamment pour garantir aux citoyens l’accès aux services publics, en particulier de santé, d’emploi ou de culture. Agissons avec les associations caritatives et les services de solidarités afin de favoriser « l’aller vers » l’habitant, là où il exprimera son besoin, dans des permanences associatives ou les équipements de quartiers.

Jouer collectif

Parmi les facteurs d’échec des anciennes zones à circulation réglementées, l’incapacité de les contrôler efficacement et de travailler en bonne intelligence entre l’Etat et collectivités, a été majeure. Tirons-en les conséquences : France urbaine propose l’utilisation d’un outil automatisé de lecture de plaque d’immatriculation identique dans toute la France, pour contrôler les véhicules autorisés ou non à circuler dans les ZFE. Ce contrôle sanction automatisé doit ensuite être déployé dans les intercommunalités, adapté aux contraintes locales et aux compétences des élus locaux en matière de pouvoir de police.

L’enjeu est trop sérieux pour jouer l’irresponsabilité ou la naïveté. Il n’autorise aucun acteur institutionnel à se défausser. Au contraire, les aides ou les alternatives en matière de mobilités exigent une complémentarité d’action, que ce soit pour financer la conversion ou pour optimiser l’offre de mobilités.

Nous ne sommes pas d’accord

Ne déresponsabilisons pas l’Etat

Dans sa note, et c’est le seul principal point de désaccord avec France urbaine, Terra Nova appelle à ne pas surcharger l’Etat et le législateur sur le sujet.

A travers le commentaire de cette formulation, France urbaine souhaite avant tout objectiver les choses et rappeler qu’au même titre que les collectivités locales, l’Etat doit être à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux.

Les villes et les zones urbaines jouent un rôle central dans le contexte du Pacte vert européen et des ambitieux objectifs de neutralité climatique d’ici 2050 que s’est fixée l’Union européenne. La Transition écologique réelle et concrète est engagée par les collectivités territoriales, qui représentent 70% de l’investissement public, par leur action au quotidien sur la rénovation énergétique des logements, le développement des mobilités douces, l’économie circulaire, sociale et solidaire, l’alimentation durable, ou encore les investissements dans les énergies renouvelables et la protection de la biodiversité.

En même temps, au moment où l’action contre le dérèglement climatique est au cœur des préoccupations des Français et au centre des agendas politiques locaux, les élus locaux voient les libertés locales se réduire et leur autonomie financière rognée chaque année, les empêchant de financer les services publics de proximité : après la suppression de la taxe d’habitation en 2018, la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est un nouveau coup de griffe dans la capacité des élus locaux à agir. L’Etat doit y être sensible et doit jouer pleinement son rôle d’accompagnement et de soutien auprès des territoires. Ainsi, France urbaine sera attentive à ce que le produit des amendes perçu avec les ZFE revienne aux ZFE elles-mêmes, pour financer les aides et les projets de mobilités durables.

Enfin, l’Etat doit être à la hauteur en accompagnant les collectivités pour les aider à investir massivement dans les mobilités douces, en accélérant le déploiement des infrastructures et de la pratique du vélo ou de la marche à pied en ville, pour proposer de vraies alternatives à l’autosolisme en favorisant le covoiturage et en développant réellement les transports en commun, tels que les RER métropolitains, les tramways ou les lignes de cars-express.

Réussir la mise en place des Zones à Faibles Emissions est impératif. C’est un test grandeur nature de notre capacité à agir concrètement et collectivement pour l’avenir. L’Etat et les collectivités doivent travailler en bonne intelligence en ayant pour boussole l’efficacité de l’action publique. Les ZFE seront acceptées et efficaces si les mesures les instaurant allient en permanence priorité environnementale et justice sociale, sous peine de transformer ces zones en « zones à forte exclusion ».

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Publié le 23 mars 2023

Retours d’expérience de quatre ZFE européennes : Berlin, Bruxelles, Londres, Madrid

A compter du 1er janvier 2025, toutes les métropoles de plus de 150 000 habitants devront mettre en place une Zone à faibles émissions (ZFE). La mise en œuvre de ce dispositif suscite cependant un grand nombre de questions. A quelle vitesse faut-il les déployer ? Quelles exemptions prévoir ? Comment contrôler le respect des réglementations ? Comment accompagner les ménages modestes ? Les collectivités françaises peuvent s’inspirer de leurs voisines européennes qui ont déjà mobilisé cet instrument. Cette note propose une étude détaillée de quatre villes : Berlin, Bruxelles, Londres et Madrid. Elle vise à mettre en exergue quelques bonnes pratiques, mais aussi à établir les points de divergences pour nourrir les discussions démocratiques à venir.
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Résumé exécutif

A compter du 1er janvier 2025, toutes les villes françaises de plus de 150 000 habitants doivent mettre en place une Zone à faibles émissions (ZFE), dans laquelle les voitures les plus nocives pour la santé seront interdites. Les ZFE sont un instrument reconnu pour lutter contre les émissions de particules fines et d’oxydes d’azote, responsables chaque année de plusieurs dizaines de milliers de morts prématurées en France. Même si ce n’est pas l’objectif poursuivi, elles contribueront également à décarboner les mobilités et accélérer la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre. La généralisation des ZFE découle d’ailleurs des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui a identifié les grandes villes comme un territoire propice à accélérer la décarbonation des mobilités.

Pourtant, l’essor des ZFE inquiète aujourd’hui l’exécutif national et les municipalités, car les véhicules les plus polluants sont souvent ceux que possèdent les ménages les plus modestes, et l’épisode des Gilets jaunes a souligné le caractère potentiellement explosif des atteintes à la mobilité. Une précédente note de Terra Nova qualifiait ainsi les ZFE de “grenade dégoupillée”, et plaidait pour une mise en œuvre garantissant une justice sociale afin d’éviter qu’elles ne se transforment en “zones à forte exclusion”.

La mise en place des ZFE suscite également un grand nombre de questions pratiques. A quelle vitesse faut-il déployer les restrictions ? Quelles exemptions prévoir ? Faut-il adopter un calendrier d’interdiction de long terme, ou privilégier plutôt la flexibilité ? Comment communiquer efficacement ? Comment contrôler le respect des réglementations ?

Ailleurs en Europe, de nombreuses villes cherchent également les bons instruments pour améliorer leur qualité de l’air. 96 % de la population urbaine de l’Union européenne est toujours exposée à des niveaux de pollution atmosphérique que l’OMS considère comme dangereux, et 15 États membres sont actuellement sous le coup d’une procédure d’infraction ouverte à l’initiative de la Commission européenne suite à des dépassements réguliers des normes européennes sur la qualité de l’air ambiant. Face à ce défi sanitaire, la ZFE est un outil déjà largement éprouvé pour agir contre la pollution, puisqu’on en recensait plus de 320 en Europe en 2022.

La France peut s’inspirer des villes européennes qui ont déjà déployé des ZFE. Cette note propose d’observer les situations de quatre métropoles étrangères afin d’alimenter les réflexions actuelles : Londres, Berlin, Bruxelles et Madrid.

Que retenir de ce tour d’horizon ? Tout d’abord, la mise en œuvre des ZFE recouvre des pratiques très diverses. Qu’il s‘agisse du périmètre géographique, de la vitesse de renforcement des critères, des exemptions pour les résidents et les commerces, de l’approche planifiée ou flexible, des interdictions strictes ou tarifées, chaque ville a inventé ses propres règles. Ces divergences soulignent la diversité des options disponibles et ouvrent ainsi l’espace du débat démocratique en France. En revanche, peu de systèmes ont été mis en place pour aider spécifiquement les ménages les plus modestes : seul Londres a mis en place un mécanisme de prime à la conversion ciblé sur les faibles revenus en 2023. La France, qui dispose déjà d’aides au changement de véhicules (prime à la conversion, bonus écologique…), pourra ici inventer ses propres solutions d’accompagnement.

Ensuite, l’analyse permet d’identifier des bonnes pratiques et de les illustrer par des exemples concrets. Cinq points clés sont identifiés ici. Informer largement d’abord, afin que les personnes et les entreprises touchées puissent s’adapter en amont. Identifier les cibles prioritaires et les exemptions en fonction du contexte local pour mettre en place une politique efficace. Faire preuve de réactivité face aux imprévus, si les contraintes se révèlent difficiles à tenir ou au contraire trop faibles pour réduire la pollution. Assurer le respect des réglementations par des contrôles adéquats. Enfin et surtout, inclure la ZFE dans une politique plus générale de transformation des mobilités, en modifiant les infrastructures et les offres de transport individuel et collectif. L’Etat peut ici jouer un rôle de facilitateur en alignant davantage les ventes de véhicules avec les besoins des ZFE.

Introduction

Pour lutter contre la pollution de l’air en ville, la loi Climat et résilience prévoit que toutes les métropoles de plus de 150 000 habitants – soit 43 métropoles – devront mettre en place une Zone à faibles émissions (ZFE) d’ici le 31 décembre 2024. Onze métropoles ont déjà mis en place des ZFE pour se conformer à la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019. Bien que jugé nécessaire par la majorité des experts, ce dispositif des ZFE interpelle quant à sa mise en œuvre pratique. Comment agir efficacement sur les émissions ? A quelle vitesse faut-il mettre en place les limitations, et avec quelle étendue géographique ? Comment gérer les exemptions et les systèmes de contrôle ? Comment garantir une mobilité pour tous, notamment pour les ménages les plus modestes, qui possèdent généralement les véhicules les plus anciens – donc les plus rapidement exposés à une interdiction de circulation ? Cette note propose une revue de quatre expériences étrangères pour en tirer quelques enseignements.

La problématique de la pollution de l’air en ville, et donc de l’introduction de Zones à faibles émissions (ZFE) est loin d’être un sujet circonscrit à la France. Dans l’Union Européenne, 96 % de la population urbaine est toujours exposée à des concentrations de particules fines que l’OMS considère comme dangereuses. Les conséquences sanitaires sont aujourd’hui bien documentées et leur ampleur est manifeste. Au niveau européen, l’Agence européenne de l’environnement estimait à 367 000 le nombre de décès prématurés annuels liés à la pollution de l’air local en Europe en 2020.

Suite à des dépassements réguliers des normes européennes sur la qualité de l’air ambiant, quinze États membres sont actuellement sous le coup d’une procédure d’infraction ouverte à l’initiative de la Commission européenne. En outre, des actions en justice portées par la société civile, qui attaquent les villes pour non-respect de la qualité de l’air, se font jour – avec une condamnation du gouvernement anglais par la Cour Suprême de justice du pays suite à un procès de Client Earth en 2015 et 2016, et des actions similaires à Bruxelles.

Toutes les grandes villes européennes réfléchissent donc à la meilleure manière d’améliorer la qualité de l’air, et les ZFE se développent rapidement dans l’Union Européenne. On en décomptait 228 en 2019, 320 en juillet 2022, et leur nombre pourrait atteindre 507 en 2025, selon Clean Cities. Enfin, outre cette croissance, de nombreuses ZFE déjà existantes renforcent leurs conditions d’accès ou s’étendent géographiquement.

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Le sujet des ZFE progresse d’ailleurs à toutes les échelles : au niveau des villes bien sûr, mais aussi aux échelons nationaux et européens. Outre la France, l’Espagne a également adopté une loi nationale rendant obligatoires les ZFE pour les villes de plus de 50 000 habitants, en 2023 au plus tard. Les Pays-Bas ont signé un accord rendant obligatoire la décarbonation de la logistique et des taxis dans les grandes villes d’ici 2025. D’autres pays (Danemark, Royaume-Uni, Norvège) ont adopté de nouvelles lois permettant aux villes de mettre en place ou de renforcer leurs ZFE. Au niveau européen, la Commission européenne a financé plusieurs initiatives pour soutenir le déploiement de ZFE, allant de projets pour cartographier les pratiques à des documents pour guider leur mise en application. Elle finance également plusieurs villes européennes pour les aider à décarboner leur réseau de transport dans le cadre du Green Deal. Enfin, elle a adopté en décembre 2021 un Cadre de mobilité urbaine (Urban mobility Framework) qui prévoit que les 424 plus grandes villes adoptent une planification de la mobilité urbaine durable d’ici à 2025.

Les ZFE ne sont pas circonscrites au seul enjeu de la voiture : elles peuvent concerner toutes les sources de pollution locale. Il convient donc d’y intégrer également les enjeux logistiques, qu’il s’agisse des véhicules utilitaires légers (VUL) ou des poids lourds, mais aussi les deux-roues. C’est bien l’ensemble des usagers de la mobilité en ville qui sont concernés : les entreprises, les habitants mais aussi les non-résidents, qui viennent dans la ville pour y travailler, transiter ou faire du tourisme.

De nombreuses villes européennes ont déjà mis en place des ZFE. L’objectif ici n’est pas d’en faire une revue exhaustive, mais plutôt d’analyser quatre exemples en profondeur, afin d’en tirer des enseignements. Berlin, Bruxelles, Londres et Madrid. Que peut-on retenir de ces expériences étrangères ? Peut-on identifier des pratiques communes, voire des bonnes pratiques pouvant servir de modèle ? Ou inversement, les pratiques internationales montrent-elles qu’il n’existe pas de modèle unique, mais bien une pluralité d’options, ouvrant ainsi le champ des possibles pour la démocratie locale et l’action municipale ?

La structure de cette note commence par une brève description des ZFE mises en place dans chacune des quatre villes retenues. Ces cas pratiques sont ensuite comparés aux obligations prévues en France par la loi Climat et résilience, afin de les mettre en perspective. Enfin, deux sections plus analytiques soulignent les divergences et les bonnes pratiques, afin de mettre en exergue les choix possibles et de donner matière à réflexion pour la mise en place des ZFE en France.

L’analyse menée ici a pu utilement s’appuyer sur plusieurs travaux existants : la revue exhaustives des ZFE menée en 2020 par l’Ademe ; les analyses de Clean Cities concernant le développement des ZFE en Europe ; les travaux d’ICCT ; la mission flash de l’Assemblée nationale sur les ZFE ; et enfin les documents publiés par les villes concernées et leurs gestionnaires de réseau de transport. Le site internet https://www.green-zones.eu fournit également un résumé utile de toutes les ZFE en Europe. Ce travail s’inscrit dans la continuité de deux récentes notes de Terra Nova traitant des ZFE : une première note identifiait les risques de contestation associés à leur mise en œuvre ; une seconde rappelait leur intérêt sanitaire – y compris pour les plus modestes – en proposant quelques pistes pour leur mise en œuvre.

Qu’appelle-t-on ZFE ?

Le terme de ZFE est ici employé au sens large. Il désigne toute zone faisant l’objet de mesures de restrictions sur les véhicules, en fonction de leurs émissions, sur un périmètre donné, de façon permanente ou semi-permanente, dans le but d’améliorer la qualité de l’air. Certaines analyses font la distinction avec les ZZE (Zones à zéro émission, réservées aux véhicules électriques) ou avec ZTL (Zones à trafic limité, basées non sur des critères d’émissions mais sur des catégories d’usagers ou de véhicules). Celles-ci sont ici considérées comme des cas particuliers de ZFE. Afin de faciliter la lecture, le terme de ZFE est également utilisé pour traduire de manière générique les dispositifs mis en place à l’étranger.

Quatre exemples de ZFE

Berlin

Les villes allemandes peuvent mettre en place depuis 2008 des ZFE (Umweltzone en allemand, zones environnementales). En 2021, l’Allemagne comptait déjà plus de 58 ZFE.

Un cadre national a été fixé, selon un modèle similaire aux vignettes Crit’Air en France. Trois catégories de véhicules sont définies, allant du chiffre 2 à 4. Les véhicules les plus polluants n’ont pas de vignette. Les couleurs des vignettes ensuite vont du rouge au vert, le vert représentant les véhicules les moins polluants.

Tableau 1 : Le système allemand de vignette

La vignette verte allemande se rapproche du Crit’Air 3 français : elle présente le même niveau de contrainte pour les diesels (Euro 4) et un niveau en dessous pour les essences (Euro 1 contre Euro 2 pour le Crit’Air 3). Pour plus de précisions, voir infra la section “Comparaison avec la situation française”

Berlin a mis en place sa ZFE dès 2008, en excluant les véhicules sans vignette, c’est-à-dire en autorisant les vignettes 2 à 4. La ZFE a ensuite été renforcée en 2010 : depuis cette date, seuls les véhicules avec la vignette verte sont autorisés à entrer dans la ZFE. Celle-ci couvre 88 km2, ce qui en fait la plus petite ZFE parmi les quatre étudiées (contre 2 650 km2 pour le Grand Londres par exemple). Cette superficie correspond à environ 10% de l’aire urbaine, couvrant 1 million d’habitants.

La ZFE de Berlin est représentée en vert. Les S indiquent des stations du train spécial urbain (S-Bahn) de la ville.
Source : https://urbanaccessregulations.eu

La mise en place de la ZFE a été bien anticipée par les habitants, qui ont largement changé de véhicule avant son entrée en vigueur. Les critères mis en place en 2010 revenaient à exclure 65% du parc qui existait en 2005. Mais dès 2009, soit un an avant la mise en œuvre, les véhicules exclus ne représentaient plus que 27% du parc ; et 9% au moment de la mise en œuvre. Ces évolutions traduisent le fait que la communication de la ville et du gouvernement a été entendue par les habitants qui ont su anticiper et s’organiser. Cette situation illustre la vitesse à laquelle un parc de véhicules diesel peut évoluer pour atteindre des niveaux Euro 4 ou 3 avec filtre à particule en cas de communication claire.

Cette réussite s’explique aussi par le fait que la mise en place de la ZFE a été finement articulée avec les transports en commun. Des parkings ont été mis en place aux abords de la ZFE, en connexion avec le train express urbain (S-Bahn). Certaines rues ont été exclues de la ZFE afin de permettre aux conducteurs d’atteindre des stations de train.

Ces mesures n’ont cependant pas suffi à limiter la pollution de l’air : la ville restait exposée à des dépassements réguliers des valeurs limites pour le dioxyde d’azote (NO2). Berlin a mis en place plusieurs mesures fin 2019 : une limitation à 30 km/h sur 33 tronçons de route dans son centre-ville, ainsi qu’une interdiction de circuler sur huit routes importantes pour les voitures et les poids lourds diesel n’atteignant pas le standard EURO 6.

Les restrictions sur les diesels ont fait l’objet d’un litige. Elles ont été contestées d’un point de vue légal, jusqu’à remonter à la Cour administrative fédérale – la plus haute Cour administrative d’Allemagne – qui a jugé que ces mesures étaient légitimes et proportionnées pour lutter contre la pollution de l’air.

Face aux améliorations constatées, la ville a ensuite progressivement ré-autorisé la circulation aux véhicules diesels – tout en maintenant la limitation de vitesse. Cet exemple illustre que les ZFE nécessitent d’être sécurisées sur le plan juridique. Il montre également que l’évolution des ZFE n’est pas nécessairement linéaire : des mesures peuvent être mises en place puis enlevées, en cas de surperformance environnementale ou si elles s’avèrent inadaptées et trop contraignantes.

Le contrôle des véhicules s’effectue de façon manuelle par les agents municipaux. Le contrôle par caméra était interdit jusqu’à récemment ; mais un amendement au code de procédures criminelles en 2021 autorise désormais l’utilisation de ces technologies. En 2022, la ville a d’ailleurs mis en place un système de contrôle au moyen d’une caméra montée sur une voiture. L’amende en cas d’infraction est de 100 euros.

Bruxelles

La ZFE de la capitale belge a été mise en place en 2018. Elle s’étend sur tout le territoire de la région de Bruxelles-Capitale, c’est-à-dire 19 communes, couvrant ainsi une superficie de 161 km² et comptant environ 1,2 million d’habitants.

Périmètre de la ZFE de Bruxelles-Capitale et parking de transit

La mise en place de cette ZFE suit un calendrier extrêmement détaillé, de 2018 à 2035 – soit une planification sur presque 20 ans en comptant les délais de communication. Tous les véhicules sont concernés, et les niveaux des critères pour accéder à la ZFE sont progressivement renforcés. Aujourd’hui, les critères minimum sont la norme Euro 5 en diesel et la norme Euro 2 en essence, pour les voitures, les bus et autocars ou les camionnettes. Les restrictions sur les poids lourds et les deux-roues débuteront en 2025.

L’objectif de cette ZFE est d’aller vers une électrification complète des voitures, des camionnettes et des deux-roues. Les voitures et les camionnettes thermiques seront interdites à partir de 2030 pour le diesel et de 2035 pour l’essence. Les deux-roues thermiques seront également interdits, dès 2025 pour le diesel et en 2035 pour l’essence. Pour les poids lourds, les critères d’émissions se renforcent progressivement mais sans interdiction du thermique à l’horizon 2035.

Calendrier d’interdiction pour les voitures diesel présenté sur le site lez.brussels

Aucune exemption n’existe pour les résidents. La ZFE s’applique à tous, excepté quelques dérogations que l’on retrouve dans toutes les autres métropoles : pour les véhicules adaptés au transport de personnes handicapées, les véhicules militaires, les véhicules prioritaires (police, ambulance), les véhicules de foire et de marché et les véhicules historiques de collection.

Derrière ce cadre clair et fixe, de la flexibilité a été introduite avec un système de pass journaliers. Il est possible d’entrer dans la ZFE avec un véhicule polluant jusqu’à vingt fois par an, à condition de payer un droit d’entrée. Le montant de ce pass est de 35 euros par jour pour les voitures, 20 euros pour les deux-roues et 50 euros pour les poids lourds. Le pass peut être acheté sur internet avant d’entrer dans la ZFE ou le lendemain, le système étant automatisé par caméras avec reconnaissance de plaques d’immatriculations.

Une autre idée intéressante est la mise en place d’une période probatoire à chaque changement de réglementation. Lors de la mise en place de la ZFE, en 2018, aucune amende n’a été envoyée pendant neuf mois : les personnes en infraction recevaient à la place une lettre d’avertissement. Depuis, à chaque changement de réglementation, une période probatoire de trois mois est observée systématiquement. Le système de sanction a ainsi d’abord été utilisé comme système d’information supplémentaire.

Plus généralement, la communication de la ville a été pro-active. Un site web dédié a été mis en place un an avant l’instauration de la ZFE : https://lez.brussels/mytax/fr/. Il précise le calendrier des interdictions, les zones concernées, et fournit également des propositions pour des mobilités alternatives. Ce site permet de savoir si un véhicule peut circuler dans la ZFE en indiquant sa plaque d’immatriculation et sa date de première immatriculation. Il permet également d’acheter les pass journaliers. Par ailleurs, en amont de la création de la ZFE, des concertations ont été organisées, et une vaste campagne d’information et de sensibilisation a été menée pendant trois mois avant le lancement de la ZFE. Des rapports d’évaluation détaillés ont par ailleurs été réalisés chaque année et diffusés publiquement.

Enfin, la ville a pris plusieurs mesures en parallèle de la ZFE. Sur le pourtour de la ZFE, plusieurs parkings de transit dits « Park and Ride » sont accessibles aux véhicules qui ne répondent pas aux critères d’accès de la ZFE. Ces parkings permettent de rejoindre rapidement les transports en commun. La ville a également mis en place des réductions de vitesse : à partir du 1er janvier 2021, le 30 km/h deviendra la règle sur tout le territoire de la région bruxelloise, à l’exception de grands axes structurants où le 50 km/h s’appliquera et de quelques tronçons à 70 km/h.

Londres

Londres a mis en place trois zones distinctes afin de réduire la circulation automobile et les émissions. Dès 2003, elle a instauré dans son centre-ville une zone de congestion s’appliquant à tous les véhicules. Entre 2008 et 2012, elle a ensuite ajouté une zone à faibles émissions (Low emission zone ou LEZ) sur les poids lourds. Celle-ci couvre l’ensemble du Grand Londres en août 2023, ce qui en fait l’une des ZFE les plus étendues au monde avec une superficie de 1 580 km2. Enfin, à partir de 2019, la ville a mis en place dans le centre-ville une zone à ultra-faibles émissions (dite ULEZ pour Ultra-Low emission zone) visant les voitures, les camionnettes et les deux-roues. Cette ULEZ, initialement restreinte au centre-ville, a été étendue en 2021 à toute la ville, soit 381 km2, et sera à nouveau étendue en août 2023 pour couvrir également tout le Grand Londres.

Délimitation des trois zones actuelles à Londres

Au centre, la zone de congestion. L’ULEZ est au milieu et la ZFE sur les poids lourds couvre tout le Grand Londres. A partir d’août 2023, l’ULEZ est étendue pour couvrir également tout le Grand Londres.

Ces trois zones sont basées sur un système de péage : les véhicules polluants doivent payer un droit d’entrée journalier, dont le montant varie selon les zones et les véhicules. Pour donner un ordre de grandeur, il est de 12,5 £ par jour (soit 14€ environ) pour les voitures et camionnettes dans l’ULEZ, et monte jusqu’à 300 £ par jour (environ 336€) pour les poids lourds les plus polluants dans la LEZ. Ce système de péage est moins courant que les interdictions dans les ZFE, mais Londres n’est pas un cas isolé : il existe également des systèmes de péage en Norvège par exemple. Les bénéfices du péage londonien sont réinvestis dans les infrastructures de transport de la ville.

La ville de Londres et son gestionnaire de réseau de transport semblent privilégier une approche itérative plutôt qu’un calendrier fixé sur le long terme. Après chaque étape de l’ULEZ, des concertations sont menées puis l’étape suivante est annoncée. La ville a su faire preuve de flexibilité : elle n’a pas hésité à décaler de deux ans une étape de la LEZ suite à la crise économique de 2009. Elle a également modifié ses règles en cours de route pour ne plus exempter les voitures hybrides et les taxis privés de type Uber, dont le déploiement rapide n’avait pas été anticipé et nuisait à l’atteinte des objectifs sanitaires.

Plusieurs systèmes d’aides ont été mis en place pour accompagner ces évolutions : réduction des péages de congestion pour les véhicules bas-carbone, systèmes de primes à la casse, aides spécifiques pour les taxis… Des exemptions ont également été accordées aux résidents de l’ULEZ pendant deux ans et demi afin qu’ils puissent continuer à circuler avec leur véhicule. Enfin, dans le cadre de la nouvelle extension de l’ULEZ en août 2023, la ville a mis en place un système de prime à la casse ciblé sur les ménages modestes et les personnes handicapées. En parallèle, le réseau de transport de la ville a accompagné le déploiement de ces ZFE en décarbonant son réseau de bus, et en généralisant progressivement la vitesse à 20 miles par heure (soit environ 32 km/h). La ville s’est également appuyée sur une communication forte, relayée par le gestionnaire de réseau de transport.

Actuellement, pour entrer gratuitement dans l’ULEZ, il est nécessaire de disposer d’une voiture diesel Euro 6 ou essence Euro 4 (ce qui correspond à un niveau légèrement plus contraignant que le Crit’Air 2 en France) ou d’une moto avec la norme Euro 3. Pour les camions, les normes minimum pour entrer gratuitement sont le niveau Euro IV pour les camions légers (N1) et Euro VI pour les camions lourds (N2 et N3). Le contrôle est assuré par un système de caméras avec reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation.

Si Londres fait figure de précurseur au Royaume-Uni, de nombreuses ZFE commencent à se développer dans le pays. Ce mouvement national a été accéléré par des décisions de justice. En 2015, suite à un procès de cinq ans mené par l’ONG Client Earth, la Cour Suprême de justice a ordonné au gouvernement de prendre des actions immédiates en faveur de la qualité de l’air. En conséquence, le gouvernement a proposé en 2015 un cadre national pour les zones à air pur (“Clean Air Zones”), qui a commencé à s’appliquer en 2020. Ce cadre permet aux autorités locales de définir des mesures pour améliorer la qualité de l’air. Il s’inscrit dans la stratégie plus générale du gouvernement britannique de réduction de la pollution de l’air.

Madrid

En Espagne, les ZFE sont prévues dans le Plan national intégré de l’énergie et du climat (PNIEC) et dans la Loi sur le changement climatique et la transition énergétique adoptés en 2021.Chaque municipalité de plus de 50 000 habitants doit établir des ZFE avant le 1er janvier 2023 pour améliorer la qualité de l’air, soit 149 localités qui regroupent plus de 25 millions d’habitants en 2020. Cette obligation s’applique également aux villes de plus de plus de 20 000 habitants qui dépassent les valeurs légales pour la pollution de l’air.

Un cadre national a été fixé avec des vignettes, obligatoires depuis 2019, allant de la vignette “0” pour les véhicules électriques jusqu’à la vignette “C”. Les véhicules les plus polluants n’ont pas d’étiquette : ce sont ceux n’atteignant par le niveau EURO 3 pour les essences et EURO 4 pour les diesels.

Les vignettes espagnoles

Madrid a commencé à mettre en place deux ZFE de petite taille en 2018 : une ZFE dans le centre-ville (Madrid Central, sur 4,72 km2) et une autre au Sud de la ville, autour d’une rocade où les émissions étaient particulièrement élevées (Madrid Eliptica, 1 km2). Tous les véhicules sans étiquette y sont interdits, à la fois les voitures, les camions et les deux-roues. Pour les catégories B et C, les règles varient : les voitures B ou C n’ont plus l’autorisation de passer en transit à travers la zone, seules celles allant stationner dans la zone sont autorisées. Pour les deux-roues, les étiquettes B et C ont uniquement le droit de circuler entre 7h et 22h. Des exemptions sont cependant prévues pour les résidents : les riverains et les commerçants disposent de 20 invitations par mois afin d’inviter des proches disposant de véhicules B ou C, les véhicules sans étiquette restant interdits. Cette demande peut être faite par téléphone, sur Twitter ou dans les bureaux d’information de la ville. Les personnes qui ont des enfants scolarisés dans le périmètre concerné peuvent également circuler. Enfin, pour les deux-roues B et C, les résidents disposant d’une place de parking peuvent circuler dans la zone en dehors des horaires normaux.

Des restrictions s’appliquent également aux poids lourds. Seuls les camions de moins de 18 t sont autorisés. Parmi ceux-ci, les camions électriques peuvent circuler librement, mais les horaires des véhicules thermiques sont restreints – et plus le véhicule est polluant, plus les horaires sont restreints.

En parallèle, la ville a mis en place une limitation de vitesse à 30 km/h pour toutes les routes à une voie, soit plus de 80% des rues du centre-ville, contre 50 km/h auparavant. Seules les routes à deux voies ou plus gardent une limitation de vitesse à 50 km/h. En outre, toutes les zones dans lesquelles la route et le trottoir sont au même niveau voient leur limitation de vitesse passer à 20 km/h. L’auto-partage a également été encouragé à Madrid, avec plusieurs services (Car2Go, Emov).

En 2021, ces deux ZFE sont rebaptisées en “zones à faibles émissions à protection spéciale” (ZBEDEP) et la zone de “Madrid Central” est renommée “Distrito Centro”.

Carte des deux zones de protection spéciale : Madrid Central et Madrid Eliptica (en rouge)

Une évolution importante a lieu en 2019, avec l’annonce d’une nouvelle ZFE au périmètre plus large, mais moins contraignante, dénommé Madrid 360. Celle-ci concerne uniquement les voitures mais s’étend à l’ensemble de la ville de Madrid, par paliers progressifs entre 2020 et 2025. A partir de 2025, ces restrictions s’appliqueront également aux résidents, qui sont donc exemptés de toute contrainte jusqu’à cette date. En outre, des exemptions sont prévues pour les familles dont les enfants fréquentent les écoles situées dans le périmètre de Madrid Central. La mise en place de Madrid 360 va également de pair avec un assouplissement des règles pour les commerçants dans la zone Distrito Centro, qui bénéficient désormais des mêmes exemptions que les résidents.

Extension géographique de la ZFE Madrid 360 de 2020 à 2025

Ces mesures ont été accompagnées de plusieurs actions de la ville en faveur de la mobilité bas-carbone, comme la création de deux lignes de bus électriques gratuits, et une multiplication par 10 du nombre de bus électriques, une baisse du prix des places de parkings publics, une extension des zones piétonnes et des voies vélo, des aides pour changer de voiture et pour installer des bornes de recharge électrique.

Comparaison avec la situation française

Afin de donner une perspective d’ensemble, il est possible de représenter graphiquement les restrictions s’appliquant dans les villes étudiées. C’est ce que propose le graphique ci-dessous, qui montrent les critères minimum attendus pour les véhicules diesel et essence, ainsi que la superficie des ZFE étudiées.

Lecture : à Londres, le niveau minimum actuellement requis par la ZFE est Euro 6b pour les voitures diesel et Euro 4 pour les voitures essence. La taille des cercles indique la superficie des ZFE. Pour Londres et Madrid, les cercles intérieurs indiquent la superficie actuelle et les cercles extérieurs représentent les extensions planifiées, en août 2023 pour Londres et en janvier 2024 pour Madrid.

Ce graphique met en évidence que la ZFE de Londres est actuellement la plus ambitieuse, à la fois en termes de superficie (1 580 km2) et en termes de niveaux d’émissions requis, puisqu’il est désormais nécessaire de disposer d’une voiture diesel Euro 6 ou d’une essence Euro 4 pour entrer dans la ville. Cela correspond à la vignette Crit’Air 2 pour les essences, et à un niveau entre les vignettes Crit’Air 1 et 2 pour les diesels. La comparaison doit cependant être nuancée, car Londres s’appuie sur un système de péage, qui autorise les véhicules polluants à entrer dans la zone moyennant un droit d’entrée de 12,5 £ par jour pour les voitures.

A l’inverse, la ZFE la moins contraignante parmi les quatre villes étudiées est Berlin, à la fois sur les critères d’admission et sur la superficie. Ceci peut s’expliquer par le fait que la ZFE berlinoise a été mise en place en 2010 et n’a pas évolué depuis.

Enfin, il convient de noter que la région de Bruxelles-Capitale deviendra à partir de 2025 la plus ambitieuse des ZFE en termes de critères d’admission des voitures diesel : toutes celles n’atteignant pas le niveau Euro 6 seront interdites. Ce seuil marquera un progrès important contre la pollution de l’air car l’Euro 6 requiert des émissions d’oxyde d’azote significativement inférieurs aux normes antérieures (cf. tableau 2 en annexe). En outre, cette ZFE est la seule des quatre ayant un calendrier de long terme, fixant jusqu’à l’interdiction des voitures thermiques, en 2030 pour le diesel et 2035 pour les essences. La ZFE de Bruxelles-Capitale constitue donc un exemple particulièrement intéressant à observer.

En France, la loi Climat et résilience prévoit que lorsque les normes de qualité de l’air pour les oxydes d’azote et les particules fines PM-10 et PM-2.5 ne sont pas respectées de manière régulière dans un territoire, sa ZFE doit inclure les restrictions de circulation suivantes :

  • ​​Interdiction des Crit’Air 5 à partir du 1er janvier 2023,
  • Interdiction des Crit’Air 4 à partir du 1er janvier 2024,
  • Interdiction des Crit’Air 3 à partir du 1er janvier 2025

Il s’agit donc d’une obligation sous la forme de garde-fou : c’est uniquement si les autres mesures mises en place dans et par la ville n’ont pas suffi à atteindre les normes légales que ce calendrier et ces restrictions deviennent contraignants. Il devrait s’appliquer au minimum dans trois métropoles en dépassement régulier : le Grand Paris, Aix-Marseille et le Grand Lyon.

La loi Climat et résilience prévoit également que toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants adoptent une ZFE avant le 1er janvier 2025. Mais les collectivités locales ont ici toute latitude sur le choix des restrictions et des dérogations. La seule restriction est que la ZFE doit couvrir au moins 50% de l’EPCI.

L’étude de ces ZFE à l’étranger permet de mettre en perspective la situation française. Il apparaît ainsi que les restrictions pour 2023 en cas de dépassement régulier sont bien inférieures aux mesures déjà en vigueur à Londres, Bruxelles, Madrid et Berlin. A partir de 2025, les restrictions obligatoires en cas de dépassement reviennent à mettre en place les niveaux requis à Berlin depuis 2010 et à Madrid depuis 2020 (ou 2025 pour les résidents madrilènes) pour les diesels. Ces restrictions restent inférieures aux niveaux déjà atteints à Londres et Bruxelles, et plus encore aux niveaux prévus pour 2025. Cela ne signifie pas pour autant que leur mise en place en France sera aisée, car la difficulté à mettre en place une ZFE dépend de nombreux critères : l’état du parc automobile initial, la forme de la ville, le type de trafic qui la traverse, mais aussi les ressources des personnes touchées et les offres de mobilité alternatives à leur disposition. Cette comparaison avec les situations chez nos voisins européens souligne néanmoins que les objectifs qui ont été fixés en France n’étaient pas inatteignables, à condition de saisir le sujet à bras-le-corps pour enclencher suffisamment tôt les transformations nécessaires.

Des pratiques divergentes qui ouvrent les possibles

L’étude monographique de quatre métropoles suffit à souligner la diversité des approches retenues par les différentes villes ou régions, soulignant ainsi qu’il n’existe pas de modèle unique pour la mise en œuvre d’une ZFE. Chacune a été construite avec sa propre combinaison d’instruments, un périmètre géographique plus ou moins étendu et stable, des niveaux de contraintes différents. Les quatre ZFE ont été jusqu’à présent acceptées par la population et fournissent les bénéfices attendus sur la qualité de l’air. Il n’existe donc pas une voie unique pour mettre en place une ZFE.

Au-delà de ce premier constat, il est possible d’affiner l’analyse en distinguant sur quels paramètres clés ces ZFE divergent. Il s’agit en effet d’enseignements importants : ces divergences permettent d’ouvrir le champ des possibles, et donc de laisser davantage de place au débat démocratique. La mise en place d’une ZFE pose en effet certaines questions inévitables. Faut-il commencer par une zone restreinte et l’étendre ensuite, ou mettre en place dès le départ une zone large ? Faut-il mettre en place des exemptions pour les résidents ? Faut-il un calendrier à long terme ou plutôt évoluer de façon flexible ? A toutes ces questions, aucune réponse univoque n’est apportée par les exemples étrangers, mais au contraire des modèles de réussite dans chaque cas – avec pour chaque option, des avantages différents que nous pouvons identifier.

Extension progressive ou zone initiale large ?

Londres et Madrid ont choisi de commencer avec une zone initiale restreinte – et même deux zones initiales pour le cas de Madrid. Cette stratégie permet de se concentrer sur les zones les plus polluantes, maximisant ainsi le bénéfice environnemental et sanitaire en perturbant au minimum le trafic. Cette stratégie fonctionne bien si quelques zones ou nœuds de circulation soumettent les riverains à des niveaux de pollution particulièrement élevés. En revanche, il est généralement nécessaire d’étendre cette zone par la suite afin de continuer à améliorer la qualité de l’air.

A l’inverse, Bruxelles et Berlin ont mis en place dès le départ une zone large, qui n’a plus évolué géographiquement par la suite. C’est au sein de la même zone que les restrictions ont été renforcées progressivement. Par rapport à l’option d’une zone évolutive, l’avantage d’une zone fixe est qu’elle est plus aisément identifiée par les usagers. En outre, elles permettent de minimiser les coûts d’investissement en infrastructure, puisque les panneaux de signalisation à l’entrée de la zone n’ont pas à être déplacés par la suite, tout comme les éventuels moyens de contrôle automatisés des véhicules.

A quelle vitesse déployer les restrictions ?

Là aussi les approches divergent. D’un côté, Bruxelles déploie un calendrier progressif renforçant progressivement les niveaux minimum permettant d’entrer dans la ZFE. A l’opposé, Londres a mis en place une zone à ultra-faibles émissions (ULEZ) dont les critères sont fixes et dont le renforcement se fait plutôt par la superficie couverte, avec des extensions en 2021 et 2023. A Madrid, les critères d’émissions minimum ont même été assouplis suite à un changement de mandature, mais en échange d’une extension du périmètre.

Calendrier de restrictions pour les voitures dans les ZFE de Berlin, Bruxelles, Londres et Madrid

Lecture : en 2010, Berlin a mis en place une ZFE fixant le niveau Euro 4 minimum pour les voitures diesel, et Euro 1 minimum pour les voitures à essence.

Interdiction de circuler ou péage ?

L’objectif d’une ZFE est de réduire la pollution de l’air en désincitant l’utilisation de véhicules polluants. Deux grands instruments sont mobilisés en pratique : le péage urbain et l’interdiction.

L’instrument le plus utilisé est l’interdiction d’entrer pour les véhicules les plus polluants. C’est celui retenu par Berlin, Madrid et Bruxelles, ainsi que dans de nombreuses autres ZFE en Europe. Les véhicules jugés trop polluants ne peuvent plus entrer dans la zone. Le principe du péage urbain, quant à lui, consiste à faire payer les véhicules polluants, tout en laissant entrer gratuitement les autres véhicules. C’est le modèle choisi par Londres, avec une taxe journalière payée par les véhicules polluants.

Un modèle est-il préférable à l’autre ? Dans les deux cas, il est nécessaire d’acquérir un véhicule compatible avec la réglementation pour circuler sans être bloqué ni taxé ; en revanche, un véhicule polluant pourra continuer à circuler, moyennant paiement, dans un système avec péage urbain, tandis qu’il sera interdit de circulation dans l’autre cas. On voit donc que le système à péage est, toutes choses égales par ailleurs, plus flexible pour les utilisateurs. Il permet, par exemple, d’éviter de devoir changer de voiture pour les personnes qui circulent très peu (pour les autres, les tarifs du péage peuvent rapidement s’avérer dissuasifs).

Ces différences théoriques semblent cependant assez faibles face à la réalité pratique. Tout d’abord, parce que le choix d’un système ou de l’autre semble dépendre davantage du contexte culturel de chaque pays ou région. Ensuite, parce que les deux systèmes peuvent fournir le même résultat en termes de pollution de l’air, et que ce résultat dépend avant tout du niveau de contrainte : quels véhicules sont interdits ou taxés ? Sur quelle étendue de la ville ? Quel est le montant de cette taxe ?

Enfin, notons qu’il existe des options permettant de jeter un pont entre les deux systèmes. A Bruxelles, les résidents ont le droit de pénétrer jusqu’à 24 jours par an dans la ville, moyennant un paiement pour chacun de ces jours. A Madrid, les habitants et commerçants ont le droit d’inviter un véhicule, jusqu’à 20 jours par mois, dans la ZFE. Ces systèmes hybrides permettent de mutualiser certains avantages et d’ouvrir le champ des possibles pour une déclinaison sur-mesure.

Calendrier de long terme ou évolution adaptative ?

Est-il préférable de fixer dès le départ un calendrier de long terme, allant par exemple jusqu’à l’interdiction des véhicules thermiques (sachant que la commercialisation de ces derniers devrait être interdite dans l’espace européen à partir de 2035) ; ou vaut-il mieux avancer par étapes, en observant l’évolution de la qualité de l’air et des technologies de motorisation ? Face à ce dilemme classique de la planification – prévisibilité ou flexibilité ? – les pratiques ne tranchent pas : les deux approches sont observées et fonctionnent.

Bruxelles a choisi l’option de la prévisibilité. Elle a fixé un calendrier d’interdictions progressives, allant de 2018 à 2035 – ce qui correspond à une planification sur presque 20 ans, en comptant les délais entre l’annonce et le début de la mise en œuvre ! L’avantage de cette approche est de fournir davantage de visibilité aux ménages et aux entreprises.

A l’inverse, Londres a choisi la flexibilité. Après chaque étape, une évaluation des progrès sur la qualité de l’air est réalisée, et une nouvelle étape est annoncée, assortie de concertations. La zone à ultra-faibles émissions du centre-ville a ainsi évolué tous les deux ans environ. Cette approche a l’avantage de pouvoir s’adapter aux évolutions du contexte. Par exemple, la troisième phase de la ZFE pour les poids lourds a été décalée de 2010 à 2012 suite aux difficultés de la crise économique de 2009. Autre exemple : dans la zone de congestion londonienne, les voitures hybrides, initialement exemptées de taxe, ont été réintégrées au dispositif suite au constat que leurs émissions réelles étaient supérieures aux émissions théoriques.

Derrière ces exemples archétypaux, la pratique consiste à doser ces deux ingrédients. La ville de Bruxelles a ainsi accordé des délais supplémentaires à des personnes dont la livraison de véhicules a été retardée suite au Covid et aux difficultés des chaînes d’approvisionnement. De son côté, la ville de Londres annonce chaque évolution plusieurs années en amont.

Quelles exemptions pour les personnes ?

Plusieurs villes ont mis en place des exemptions temporaires pour les résidents. A Londres, les résidents ont bénéficié d’une période de grâce de deux ans et demi lors de la mise en place de la zone à ultra-faibles émissions dans le centre-ville, afin de leur laisser davantage de temps pour changer de véhicule. A Madrid, ils ont bénéficié d’une exemption pendant cinq ans. Des exemptions s’appliquent également aux personnes qui ont des enfants scolarisés dans une ZFE. Enfin, plus généralement, on peut noter que tous les systèmes basés sur un droit de péage plutôt qu’une interdiction (comme le péage londonien) ont l’avantage de permettre un accès occasionnel.

Il ne s’agit cependant pas d’une règle absolue. A Bruxelles, aucune exemption n’a été accordée aux résidents. A Berlin, les riverains n’ont pas bénéficié d’exemptions, sauf pour une mesure temporaire et de faible ampleur (une interdiction de circuler sur 8 routes s’appliquant aux vieux véhicules diesel sur huit tronçons de route, mise en place entre 2019 et 2022).

De nombreuses mesures visent également à permettre des passages occasionnels. Bruxelles permet jusqu’à 24 entrées par an aux véhicules ne respectant pas les critères – avec un prix d’entrée fixé à 35 euros par jour pour les voitures, 20 euros pour les deux-roues et 50 euros pour les poids-lourds. A Londres, les riverains disposent ainsi de 20 invitations par mois afin d’inviter des proches, et des exemptions sont prévues sur la période des fêtes de Noël. A Madrid, les résidents et les commerçants ont droit à 20 invitations par mois pour des véhicules thermiques – sauf pour les véhicules les plus polluants, sans étiquette écologique, qui restent interdits.

Une autre question est celle des taxis licenciés et des services de taxis avec des véhicules privés. A Londres, les taxis bénéficient toujours de l’exonération et peuvent entrer dans la zone de congestion sans payer, à condition de satisfaire des critères spécifiques. En revanche, les services de taxis avec véhicules privés ont bénéficié d’une exemption, mais celle-ci a été révoquée.

Il est à noter que toutes les villes ont mis en place des exemptions pour certains publics : les personnes handicapées, les pompiers, la police, etc. Les matériels agricoles et les machines du BTP bénéficient souvent d’exemptions, tout comme le matériel forain.

Quelles politiques pour les véhicules de livraison ?

Les restrictions commencent-elles avec les voitures des particuliers, les poids lourds ou les véhicules de livraison légers ? Tous les cas de figure coexistent. En Allemagne, la même contrainte a été imposée aux voitures et aux véhicules de livraison, avec une interdiction permanente des véhicules polluants aux mêmes dates. Londres a commencé par agir sur les poids lourds : la ZFE sur les poids lourds a été mise en œuvre dix ans avant la ZFE sur les voitures, avec un périmètre géographique plus large, et un montant de péage plus élevé. A l’inverse, Bruxelles-Capitale laisse davantage de temps aux poids lourds : les restrictions sur les poids lourds arrivent sept ans après les premières restrictions sur les voitures et camionnettes, sur un périmètre identique. Le timing des restrictions sur les poids lourds peut être dicté par leur importance dans les émissions locales de polluants et par la facilité à déployer des alternatives (camionnette électrique, vélo-cargo, etc.).

Madrid, pour sa part, a choisi une autre voie en jouant sur les horaires autorisés : plus le véhicule est polluant, plus ses horaires de circulation autorisés sont restreints. L’avantage des horaires flexibles est d’offrir davantage de souplesse aux entreprises de livraison, qui ne sont pas obligées de changer immédiatement toute leur flotte.

Bonnes pratiques communes

Cette section ne cherche pas à défendre un modèle plutôt qu’un autre, mais plutôt à identifier les bonnes pratiques qui pourraient utilement être appliquées aux situations des villes françaises.

Informer

Une bonne information est un enjeu essentiel pour permettre aux usagers et aux entreprises de s’adapter suffisamment en amont. Dans les ZFE observées, une grande partie du parc automobile s’est adaptée afin de se conformer aux critères avant même la mise en place de la ZFE, ce qui a permis d’en limiter l’impact sur la mobilité. Ainsi, en Allemagne, une information suffisamment précoce a permis au parc automobile d’évoluer avant la mise en place de la ZFE, évitant de fait les restrictions de mobilité ou les amendes. A Londres également : 95 % du parc concerné a atteint les standards attendus au moment de la mise en place de la ZFE (le reste étant constitué en grande partie d’exemptions).

Le sujet de l’information est un défi en France, puisque 60% des Français ignorent ce qu’est une ZFE, selon un sondage Harris réalisé en 2021.

Du point de vue de l’information, deux situations sont à éviter car pouvant être perçues comme injustes : une personne recevant une amende alors qu’elle n’était pas informée que son véhicule n’était plus habilité à circuler (information non reçue) et une personne ou une entreprise ayant trop peu de temps pour adapter sa mobilité (information trop tardive).

Pour y parvenir, l’information peut mobiliser plusieurs canaux. Londres et Bruxelles ont mis en place une vaste opération de communication, avec l’appui du gestionnaire de transport de la ville. Elles ont également mis en place unsite web permettant d’identifier très facilement si son véhicule a le droit de circuler dans les ZFE.

Les systèmes d’amendes peuvent également être utilisés pour informer. A Bruxelles et à Madrid, une période transitoire a été instaurée lors de la mise en place de la ZFE et à chaque changement de réglementation. Pendant cette période, les automobilistes reçoivent une lettre d’avertissement mais pas d’amende s’ils circulent avec un véhicule non conforme. A Bruxelles, cette période transitoire a duré neuf mois lors de la mise en place de la ZFE, puis trois mois à chaque renforcement des critères. A Madrid, cette période est de deux mois.

Cette information ne doit pas être circonscrite aux habitants de la ville, mais s’adresser à tous les automobilistes concernés. Cela implique les travailleurs résidant dans la couronne périurbaine de l’agglomération, les habitants des villes environnantes ou encore les touristes. Ainsi, à Berlin, environ 85% des amendes étaient infligées à des véhicules qui n’étaient pas immatriculés dans la ville. Ce taux élevé souligne l’importance d’une communication large et de panneaux signalétiques clairs pour les non-résidents : l’usage de la ville concerne aussi celles et ceux qui habitent ses environs plus ou moins éloignés. Cette information doit également toucher tous les publics, y compris les publics les plus précaires, comme le souligne la mission flash de l’Assemblée nationale. Une campagne de communication nationale pourrait ici être utilement mise en œuvre.

L’Italie constitue ici un exemple des difficultés que peuvent rencontrer les usagers face à un déficit d’harmonisation et d’information claire. De nombreuses ZFE ont été mises en place dans les centres-villes italiens, mais chaque région ou ville possède sa propre réglementation et aucun site web ne recense toutes les règles, ce qui rend difficile pour les usagers de savoir si son véhicule est autorisé ou non à y pénétrer. En pratique, les résidents sont exemptés, ce sont les touristes qui pâtissent de cette mauvaise information. La signalétique est également peu claire : en pratique, de nombreux touristes ne sont même pas au courant que leur véhicule est interdit : ils entrent dans des “Zones à trafic limité” en suivant les véhicules des résidents et découvrent leur infraction quelques semaines plus tard, assortie d’une amende. Cet exemple souligne en creux les difficultés qui pourraient survenir en l’absence d’harmonisation des ZFE, en particulier pour les véhicules de livraison qui sont parfois amenés à relier plusieurs villes.

Cibler les priorités et définir les exemptions

Pour chaque ville, les politiques peuvent être ajustées selon l’origine des émissions, en distinguant les besoins de mobilité des personnes et ceux des marchandises. Pour certaines villes, le transit de poids lourds peut être un enjeu important, tandis que d’autres auront davantage un enjeu sur le parc de voitures. Ainsi, Londres a mis en place une ZFE pour les poids lourds onze ans avant de mettre en place une ZFE pour les voitures. Madrid a également commencé par interdire les poids lourds, puis les voitures polluantes, avant de mettre des critères sur les utilitaires. A l’inverse, Berlin a davantage misé sur l’exclusion des vieilles voitures diesel. A Bruxelles, les restrictions se sont d’abord appliquées aux voitures, et aux camions et deux-roues quelques années plus tard.


Un point commun entre les quatre villes étudiées est que les restrictions sur les deux-roues arrivent plus tardivement. Elles s’appliquent désormais à Madrid, Londres et bientôt Bruxelles, mais pas encore à Berlin. Ce trait mérite d’être souligné, car il est étonnant au regard du fait que les émissions des deux roues sont presque du même ordre de grandeur que celles des voitures, et que les alternatives électriques sont disponibles.

Concernant la mobilité des personnes, la question des exemptions peut se poser. Plusieurs formats sont ici possibles : des exemptions pour tous les résidents comme à Londres, ou uniquement pour les résidents ayant un véhicule moyennement polluant comme à Madrid Central. Il est également possible de prévoir des exemptions pour les personnes ayant des enfants scolarisés dans la ZFE, ou encore possédant des places de parkings dans la ZFE.

Pour les personnes et les marchandises, certaines mesures permettent une approche plus souple en autorisant des passages occasionnels. Il peut s’agir d’une entrée payante mais limitée en nombrechaque année, comme à Bruxelles qui propose 20 entrées par an pour les véhicules polluants, ou à Londres qui donne des droits d’invitations aux résidents. Il est également possible d’utiliser des horaires variables, avec des horaires plus contraints pour les véhicules les plus polluants.

La consultation est ici un outil clé afin de saisir les besoins des habitants et des professionnels concernés. La ville de Londres a mis en place des concertations de façon systématique, généralement quelques années avant la mise en œuvre de nouvelles mesures, afin de laisser un espace de dialogue concernant les exemptions ou les mesures complémentaires. Pour donner un exemple concret : le changement de critères entre 2011 et 2013 a suscité de vives réactions chez les automobilistes ayant acheté un véhicule pour s’adapter aux règles de 2011. En conséquence, le gouvernement a prévu une période d’exemption de trois ans pour ces personnes concernant la norme de 2013.

Ces exceptions doivent cependant rester limitées, sous peine de miner l’efficacité du dispositif.

Faire preuve de réactivité face aux imprévus

Même avec toute la préparation possible, un calendrier ne se déroule pas nécessairement comme prévu. La mise en place des ZFE doit donc pouvoir s’adapter au contexte, qu’il s’agisse de relâcher certaines contraintes ou de les accélérer.

Plusieurs villes ont connu des glissements de calendrier, allant de quelques mois à quelques années.
A Londres, la troisième phase de la ZFE (concernant les véhicules de transport entre 3,5 t et 12 t), initialement prévue en 2010, a été décalée à 2012 du fait de la crise financière, afin de relâcher la pression sur les entreprises. La mise en œuvre de la cinquième phase de la ZFE, initialement prévue pour octobre 2020, a été décalée de quatre mois du fait de la crise Covid.
A Bruxelles, l’interdiction des diesels Euro 4, qui devait s’appliquer le 1er avril 2022, a été décalée de trois mois, au 1er juillet 2022. Par ailleurs, suite au Covid et aux difficultés de l’industrie automobile, certaines personnes n’avaient pas reçu à temps le véhicule qu’elles avaient commandé pour satisfaire les nouvelles normes de la ZFE. La ville a ainsi intégré cette difficulté et mis en place une exonération pour ces situations, le temps de la livraison du véhicule.

A l’inverse, certaines situations exigent de renforcer le calendrier ou les critères d’admission de la ZFE, quand les émissions n’évoluent pas de la manière prévue. Ainsi, en 2011, Londres a souhaité encourager les véhicules bas-carbone en les exonérant de la taxe à payer pour circuler en centre-ville. Cependant, les critères retenus n’ont pas suffi à améliorer la qualité de l’air. Le maire de la ville a donc dû renforcer les critères deux ans et demi plus tard, passant à 75 gCO2/km et excluant les hybrides.

Assurer le respect des réglementations

Il existe trois principaux moyens de s’assurer du respect des ZFE : le contrôle automatisé par des caméras fixes reconnaissant automatiquement les plaques d’immatriculation, le contrôle par des caméras sur un véhicule mobile et le contrôle de police par des agents. Les trois permettent un nombre de contrôles différent : une caméra à lecture de plaques (ANPR) contrôle 100 % des véhicules qui passent sur une voie, une voiture « scanner » contrôle environ 1 250 véhicules stationnés par heure dans les rues d’une ville, tandis qu’un agent de police contrôle manuellement entre 70 et 120 véhicules par heure.

En pratique, les trois dispositifs sont mis en œuvre. Londres, Bruxelles et Madrid ont mis en place des caméras, tandis que le contrôle à Berlin repose sur les agents municipaux, et des systèmes de caméras mobiles sont à l’essai.

Les systèmes de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation représentent des coûts d’installation plus importants, mais ils permettent ensuite un meilleur contrôle de la conformité des véhicules, entraînant du même coup une meilleure performance globale de la ZFE sur la qualité de l’air. Il contribue également à augmenter le volume de recettes issues des amendes, ce qui permet d’amortir le dispositif. Selon l’Ademe, la vidéosurveillance présente un gain socio-économique positif : l’investissement est rentabilisé par les progrès en termes de qualité de l’air et les recettes des amendes.

Le fait de pouvoir réaliser des contrôles a un effet direct sur le degré de conformité des véhicules et donc les impacts sur la qualité de l’air. Amsterdam en fournit l’illustration parfaite : le taux de conformité est passé de 66% à 97% après l’introduction de caméras permettant une reconnaissance automatique des véhicules.

Le coût des amendes varie d’une ville à l’autre. Il est de 100 € à Berlin, 200 € à Madrid, 350 € à Bruxelles. A Londres, le système est différent puisque les véhicules polluants peuvent entrer moyennant un droit de péage de 12,5£ par jour.

On peut d’ailleurs noter que le coût d’installation peut être réduit en évitant de modifier le périmètre de la ZFE trop souvent, et donc en prévoyant dès le départ un périmètre suffisamment large, afin de ne pas avoir à réinstaller les panneaux de signalisation et les caméras.

Un risque possible est que le coût des amendes devienne excessif si une personne commet plusieurs infractions avant d’être informée de la nouvelle réglementation. Bruxelles a instauré une limite sur le nombre d’amendes possibles chaque année pour un même véhicule, afin d’éviter une facture disproportionnée pour un usager n’étant pas informé du dispositif. Ce dispositif paraît intéressant pour informer les citoyens. Cette situation n’a cependant pas empêché quelques cas médiatisés de personnes recevant une amende lors d’un passage dans la ville, même plusieurs années après la mise en place de la ZFE. En complément de cette période transitoire, un “droit à l’erreur” pourrait ainsi être envisagé : un avertissement serait envoyé la première fois, avant une amende, dans tous les cas.

Inclure la ZFE dans une politique plus générale sur les mobilités

Il s’agit peut-être de la principale conclusion de cette étude : les ZFE ne doivent pas être conçues comme un objet isolé, mais bien comme un instrument à intégrer au sein d’une politique plus générale d’évolution des mobilités et de lutte contre la pollution de l’air. Mettre en place une ZFE ne consiste pas uniquement à remplacer les véhicules existants par des véhicules moins émetteurs : celle-ci s’intègre dans une transformation structurelle des mobilités urbaines, avec davantage de transports en commun, de mobilités partagées et actives, et une réduction du trafic automobile.

Toutes les ZFE étudiées dans cette note ont été incluses dans un plan plus large sur les pratiques de mobilité. Ainsi, des limitations de vitesse ont été généralisées dans toutes les villes : à Berlin en 2019, à Bruxelles et Madrid en 2021, à Londres en 2020 et 2024. Des zones apaisées avec priorité piétons ont également été mises en place. A Madrid, des parkings gratuits pour les véhicules électriques ont été installés et les trottoirs agrandis. A Bruxelles et Berlin, les ZFE sont articulées finement avec le réseau de transport en commun, avec des parkings prévus en périphérie des ZFE au bord des principales stations de transport. Des extensions de réseaux de transports en commun et leur décarbonation sont également menées en parallèle, afin d’offrir des alternatives aux usagers.

Le développement de ces alternatives pose la question de leur financement. A Londres, par exemple, l’annonce en 2015 d’une future zone à ultra-faibles émissions a été accompagnée d’un plan de décarbonation du réseau de transports en commun, d’un plan d’aide pour les taxis et de mesures de développement. En 2020, l’annonce d’une future extension de cette zone a été accompagnée d’un programme de prime à la casse pour les voitures. Les revenus générés par les ZFE peuvent d’ailleurs être mobilisés afin de financer l’accès aux alternatives ou à l’entretien de l’infrastructure comme c’est le cas à Londres.

On peut d’ailleurs noter qu’en France, la question de l’accompagnement des ménages modestes semble se poser avec davantage d’acuité que chez nos voisins européens. Les villes étudiées dans cette note semblent avoir mis en place peu d’aides les ciblant spécifiquement. Le seul exemple est la ville de Londres, qui a mis en place un programme de prime à la conversion de vieux véhicules ciblant les ménages modestes et les personnes handicapées. L’étude n’a pas permis de retrouver certaines propositions avancées en France, comme le leasing social, ou encore le fait de mener une campagne de communication visant spécifiquement à atteindre ces ménages. La France et les villes françaises auront donc ici à inventer leurs solutions, à la fois en termes d’alternatives, de financement et de communication, afin d’éviter que cette politique de transport devienne une politique de renforcement des inégalités.

Enfin, les déploiements des ZFE gagnent à être articulés avec des politiques nationales et locales. Au Royaume-Uni, une prime à la conversion nationale a permis de décarboner le parc avant la mise en place de la ZFE londonienne. En Norvège, pays précurseur sur les ZFE, la part des véhicules électriques dans les ventes atteint désormais 80%, sans compter les véhicules hybrides. Tant que des véhicules fortement émetteurs continueront à être vendus, la mise en place d’une ZFE continuera de générer des actifs échoués et des résistances compréhensibles. A l’inverse, encourager les petits véhicules électriques, plus écologiques et moins coûteux, facilitera d’autant la généralisation des ZFE en France. Cette transformation touche les voitures de particuliers et d’entreprises, mais aussi les utilitaires, les poids lourds et les deux-roues. L’enjeu n’est pas de remplacer chaque véhicule par son équivalent électrique, mais bien de transformer l’offre de mobilité. Outre les transports en commun, des mobilités actives ou du covoiturage, l’essor des véhicules intermédiaires constitue également une piste intéressante. En parallèle, réduire les émissions de particules provenant des pneus contribuerait également à améliorer la qualité de l’air. A travers la fiscalité, les aides nationales, la réglementation et les discussions avec les constructeurs de véhicules, l’Etat peut jouer un rôle décisif pour accompagner les collectivités territoriales dans toutes ces évolutions.

Remerciements :

L’auteur remercie Chantal Derkenne, Zachary Azdad, Marie-Charlotte Debouche, Agathe Destresse, Bastien Vigier et Thierry Pech pour les échanges et les relectures attentives.

Annexes

Correspondance entre les vignettes Crit’Air et les normes Euro pour les voitures

Vignette Crit’AirVoiture DieselVoiture Essence
Crit’Air 5Euro 2Aucune restriction
Crit’Air 4Euro 3Aucune restriction
Crit’Air 3Euro 4Euro 2 et 3
Crit’Air 2Euro 5 et 6Euro 4
Crit’Air 1InterdictionEuro 5 et 6

Normes Euro des voitures : dates d’immatriculation et émissions

NormeMise en service des véhiculesÉmissions des voitures diesel (mg/km)Émissions des voitures diesel (mg/km)Émissions des voitures à essence (mg/km)Émissions des voitures à essence (mg/km)
Oxydes d’azote (NOX)Particules (PM)Oxydes d’azote (NOX)Particules (PM)
Euro 11er janvier 1993140
Euro 21er janvier 199780
Euro 31er janvier 200150050150
Euro 41er janvier 20062502580
Euro 5a1er janvier 20111805605
Euro 5b1er janvier 20131804,5605
Euro 6b1er septembre 2015804,5605
Euro 6c1er septembre 2018804,5604,5
Euro 6d-TEMP1er septembre 2019804,5604,5
Euro 6d1er janvier 2021804,5604,5