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Note

Pour une tarification duale de l’énergie domestique

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1. Lutter efficacement contre la hausse des prix de l’énergie

Depuis le début de l’année, plus de la moitié de l’augmentation de l’indice des prix à la consommation s’explique par la hausse spectaculaire des prix de l’énergie. Dynamiques depuis la fin de l’été 2021, ceux-ci ont été accélérés par l’invasion russe de février. Le bouclier tarifaire portant sur l’électricité, le gaz et la plupart des carburants mis en place depuis l’hiver dernier permet donc de contenir efficacement l’inflation, la réduisant à lui seul de 2 points depuis son entrée en vigueur, selon l’Insee. C’est en partie ce qui contribue à faire de la France le pays qui connaît le plus faible taux d’inflation de la zone euro, à 5,8% en mai 2022, soit 2,3 points de moins que la moyenne de la zone euro — et plus de 10 points de moins pour l’ indice des prix (IPCH) énergie, à 29% en France.

Le défaut de ce bouclier tarifaire est qu’il n’incite pas à réduire la consommation d’énergie. Il entre donc en contradiction avec au moins trois autres objectifs de la lutte contre l’inflation : celui de notre d’indépendance stratégique vis-à-vis de la Russie — car si la France ne reçoit plus de gaz russe depuis le 20 juin, rien ne prouve que cela restera longtemps le cas, notamment à l’approche de l’hiver —, celui de la transition énergétique et celui, enfin, de protéger en priorité les ménages les plus modestes des effets de l’inflation.

Comment concilier la lutte contre les effets de la hausse des prix de l’énergie en restant cohérent avec ces autres objectifs ? Cette question essentielle est devenue d’autant plus importante que l’inflation s’installe dans le temps d’une part, et d’autre part que la reconfiguration de l’Assemblée nationale laisse présager un dialogue de sourds pour la rédaction de la loi pour le pouvoir d’achat. De fait, entre la défense du bouclier tarifaire actuel, efficace mais contradictoire, et la mise en avant de mesures contre-productives, comme le blocage des prix par exemple, il est urgent de mettre sur la table d’autres dispositifs plus cohérents.

2. Principe de la tarification duale de l’énergie

Une tarification duale de l’énergie permettrait de mieux tenir ensemble ces objectifs jusque-là contradictoires. Son principe est simple : une quantité de base d’énergie serait rendue accessible à tous les ménages à un prix administré inférieur au prix qui prévaut actuellement avec le bouclier tarifaire. Au-delà de ce quantum, qui correspondrait à la consommation d’énergie pour le logement des premiers déciles de la distribution, toute consommation marginale serait tarifée au prix de marché[1], fortement désincitatif. En-deçà, la différence serait transférée directement aux ménages.

Économiquement, cela revient à mettre en place un transfert forfaitaire d’un montant correspondant à la différence entre la valeur du quantum d’énergie au prix de marché et la valeur de ce même quantum au prix administré. Les plus modestes qui consomment moins bénéficieraient d’un transfert positif et verraient leur budget énergétique diminuer, et les plus aisés ne seraient pas subventionnés sur leurs consommations d’énergie marginales. Dans le même temps, une large part des ménages serait incitée à consommer moins, du fait de la part de leur consommation payée au prix de marché. En somme, les « premiers wattheures » les plus nécessaires seraient largement subventionnés et protégés des variations de prix, et les autres consommations désincitées par les prix de marché.

Cette tarification aurait également l’avantage, du fait de sa structure et de son ciblage, de représenter un coût budgétaire comparable au bouclier tarifaire actuel — selon les compensations prévues aux fournisseurs pour le maintien des prix administrés.

3. Paramétrer le dispositif

Une tarification duale permettrait de paramétrer et d’expliquer simplement le soutien de l’État.

D’abord, le périmètre des énergies prises en compte. Ce premier paramètre définit quelle partie des dépenses en énergie des ménages le dispositif prend en compte — gaz, électricité ou carburants. Ici, c’est la gestion du dispositif qui est la contrainte principale. Ainsi, dans la mesure où les ménages se fournissent le plus souvent en gaz et électricité auprès d’un fournisseur unique, à même de centraliser la gestion du dispositif, ces énergies apparaissent comme un périmètre cohérent. Gaz et électricité correspondent de surcroît aux dépenses énergétiques liées au logement, qui sont moins compressibles et moins fonction du mode de vie que celles liées au transport — se chauffer, s’éclairer et cuisiner. Un quantum établi sur la base de la consommation d’énergie pour le logement des plus modestes engloberait une large partie de cette même consommation pour une partie conséquente de la population, ce qui ne serait pas le cas par exemple pour l’essence.

Ensuite, la part de la population qui devrait être subventionnée quelle que soit l’évolution des prix. Ce paramètre permet de définir la quantité d’énergie allouée à prix administrée par unité de consommation. Notons d’emblée que l’on prend comme référence pour la quantité allouée par unité de consommation la consommation de la première unité, c’est-à-dire des ménages mono-occupants (pour, donc, une unité de consommation), afin d’ajouter les économies d’échelle de la consommation en énergie des ménages à la subvention, ce qui permet de rendre le dispositif mécaniquement plus généreux pour les familles, en moyenne.

Par exemple, si l’on souhaite subventionner le premier décile de la distribution des niveaux de vie, alors le quantum à prix administré est fixé à hauteur de la consommation moyenne d’énergie en gaz et électricité des ménages mono-occupants du premier décile — soit environ 5,1 MWh en 2017. Ainsi, tous les ménages consommant une quantité équivalente seraient assurés de la payer au prix administré. Ceux consommant moins que ce quantum pour le gaz et l’électricité pourraient ensuite percevoir un transfert équivalent à la différence entre leur consommation et ce à quoi ils auraient droit à prix administré.

Ce transfert est important puisqu’un ménage qui se chauffe au fioul domestique, consommant moins d’électricité qu’un ménage similaire chauffé à l’électrique, pourra utiliser le transfert pour financer les « premiers wattheures » de son chauffage au fioul. Cela est plus désincitatif à la consommation de modes de chauffages polluants que, par exemple, l’intégration du fioul domestique dans le dispositif de remise sur les carburants, mais permet tout de même d’assurer une consommation minimale.

Enfin, la part de la population qui devra être accompagnée au moment de la réforme et incitée à consommer moins à mesure que les prix augmentent. Ce paramètre, en sus des deux premiers, permet de définir le prix administré comme le prix permettant à ces ménages « à accompagner » de garder un niveau de dépense en énergies stable au moment de la mise en place de la tarification duale. De fait, ces ménages auront des consommations d’énergies supérieures au quantum garanti à prix administré et devront, pour garder un niveau constant de consommation, acquérir un supplément d’énergie au prix du marché. Le prix administré est donc mécaniquement inférieur au prix actuel, ce qui permet précisément de constituer un transfert pour les plus modestes.

Plus tard, si les prix de marchés continuent d’augmenter à la suite de la réforme — ce qui est probable si la loi sur le pouvoir d’achat voit le jour en été, que l’inflation continue et que la crise énergétique ne se débloque pas avant l’hiver —, alors les dépenses marginales augmenteront en proportion, incitant progressivement la population dont la consommation d’énergie n’est pas entièrement couverte par le quantum à consommer progressivement moins.

En somme, la tarification duale se définit par trois variables de choix : les énergies à prendre en compte, la population à subventionner durablement et celle à protéger au moment de la mise en place de la réforme. Cela permet de définir le quantum d’énergie et le prix administré auquel il est assuré.

4. Coût budgétaire du dispositif

Le coût budgétaire de la tarification duale est ajustable à celui de du bouclier tarifaire actuel. Pour ce faire, deux paramètres sont particulièrement cruciaux.

D’abord, la compensation des fournisseurs de gaz, au titre des charges de service public de l’énergie. La question est de savoir quelle part de leur perte liée à la fourniture d’énergie au prix administré pour les consommations en-deçà du quantum devra être couverte. Ces pertes sont difficiles à évaluer, d’abord parce que les fournisseurs achètent à un prix inférieur à celui du marché du fait de contrats de long terme, ensuite parce que la Commission de régulation de l’énergie n’a pas encore délibéré sur le sujet concernant le bouclier tarifaire, sauf pour les plus petits fournisseurs.

Ensuite, la redistribution aux ménages sous forme de transfert de la différence entre le quantum à prix administré et la consommation effective de l’ensemble des ménages constitue un coût difficilement estimable également, puisqu’il dépend de la réaction de la demande des plus modestes au prix administré.

A titre d’exemple, en faisant le choix d’une tarification duale subventionnant (avec transfert) le premier décile et accompagnant jusqu’au troisième décile, et d’une compensation équivalente à 60% de la différence entre le prix de marché et le prix administré, le dispositif, en incluant la remise carburant par ailleurs, équivaut en coût budgétaire au bouclier tarifaire — et précisément à la dernière budgétisation qui en a été faite, qui est probablement une estimation basse.

Ainsi, au vu du contexte et des dispositifs existants, une tarification duale semble être une version plus juste et plus cohérente du bouclier tarifaire.


[1] Pour le cas de l’électricité, le « prix de marché » mentionné ici et s’appliquant aux consommations excédant le quantum correspond aux tarifs proposés par les fournisseurs prenant en compte les prix de marché et l’Arenh (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique), déjà réhaussé de 20 TWh dans le cadre du bouclier tarifaire et contribuant à faire baisser les prix proposés par les fournisseurs par rapport aux seuls prix de marché.

ANNEXES

Pour obtenir des ordres de grandeur du quantum et du coût du dispositif, nous utilisons les données du Budget des familles 2017 de l’Insee. Nous obtenons, en choisissant de subventionner le premier décile et de protéger jusqu’au troisième et en incluant la remise carburant :

  • Un quantum de 5 MWh couvrant les dépenses en gaz et électricité ;
  • Un prix administré d’environ 170 €/MWh pour l’électricité (soit le niveau 2017, contre un prix de marché de près de 190 €/MWh et un prix du contrat bleu d’EDF sous bouclier tarifaire de 174 €/MWh) et d’environ 63 €/MWh pour le gaz (soit le niveau de 2017, contre plus de 150 €/MWh et 85 €/MWh, resp.) ;
  • Le quantum aurait donc un prix de plus de 900 € à prix de marché, mais d’un peu moins de 700 € à prix administré.
  • Cela représenterait pour tous les ménages un transfert de près de 250 € par rapport au prix de marché. Par rapport aux prix garantis par le bouclier tarifaire, cela représenterait un transfert supplémentaire de près de 200 € par an pour le premier décile.

En faisant l’hypothèse d’une compensation des fournisseurs d’électricité prenant en compte l’« écrêtement », la compensation d’EDF pour les 20 TWh d’Arenh supplémentaire et en conservant une baisse de la taxe intérieure sur  la consommation finale d’électricité (TICFE) en l’état, et pour les fournisseurs de gaz d’une compensation égale à 60% du surcoût par rapport au prix de marché, nous obtenons un montant budgétaire inférieur à celui annoncé pour le bouclier tarifaire, soit très légèrement moins de 19 Mds€ aux prix actuels (soit 24 Mds€ en ajoutant la remise carburant).

Ce montant, comme le reste du dispositif, peut bien évidemment être paramétré différemment. L’idée ici est simplement de montrer qu’on peut faire sensiblement mieux que le système actuel pour un coût similaire. Le paramétrage nécessaire pour optimiser protection des plus modestes, désincitation à la consommation et coût budgétaire est tout à fait discutable.

N.B. : nous calculons cette fonction de dépense en distinguant un prix administré et un quantum pour chaque énergie, à partir de leurs consommations moyennes respectives dans les populations choisies. Ainsi, dans notre exemple, le quantum est en moyenne réparti entre 3,7 MWh d’électricité et 1,4 MWh de gaz, d’où deux « coudes » sur la courbe de la tarification duale à ces deux endroits. Aussi, le prix du gaz ayant beaucoup plus augmenté que celui de l’électricité, le dispositif agit notamment dans cette configuration via le prix administré du gaz. Enfin, il s’agit d’une illustration simple de l’effet « moyen » sur les premiers wattheures (en sachant que les plus fortes consommations de gaz et électricité sont bien au-delà de 10MWh par an), en faisant l’hypothèse que la consommation est répartie entre 80% d’électricité et 20% de gaz (ce qui est la moyenne dans les données Insee si l’on considère la consommation de gaz et d’électricité pour le logement). Les dépenses sous tarification duale évoluent ensuite plus rapidement que sous bouclier tarifaire, plus ou moins vite selon les types de consommation.

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