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Note

Quelle stratégie pour une fiscalité écologique en France ?

Parce qu’elle incite au changement comportemental des acteurs économiques vers une meilleure protection de l’environnement, et permet une progressivité dans le temps de la pression fiscale, la fiscalité écologique doit être conçue comme le premier échelon d’une réforme fiscale globale.

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1 – Qu’est-ce que la fiscalité écologique ?

Le thème de la fiscalité écologique s’enracine progressivement dans le débat public depuis une trentaine d’années. Il a ainsi été désigné comme une priorité par la Conférence environnementale de septembre 2012 qui a conduit à la création d’un Comité de la fiscalité écologique mis en place fin 2012 et présidé par le professeur Christian de Perthuis.

Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Les comportements des agents économiques privés n’intègrent pas spontanément le coût des dommages qu’ils causent à l’environnement. La fiscalité écologique fait partie de l’ensemble des mécanismes financiers incitant au changement comportemental des acteurs économiques, qu’ils soient producteurs, intermédiaires ou consommateurs, au travers par exemple d’une taxe sur les produits polluants, d’un marché de « droits à polluer », de dispositifs de tarification, de subventions, etc. [3]

Les outils de la fiscalité écologique se composent à la fois de mesures incitatives positives (exonérations, déductions et réductions d’impôts) ayant pour objet d’encourager les acteurs économiques à s’engager dans une démarche vertueuse ; mais également de mesures d’internalisation des externalités négatives, consistant à faire peser sur le producteur et le consommateur des coûts actuellement payés par l’ensemble de la collectivité : maladies environnementales, dépollution des sols et des eaux, etc. Il s’agit donc d’un outil de compensation des coûts environnementaux et sociaux qui doit permettre de répondre aux enjeux liés à la fois à la raréfaction des ressources, au changement climatique et aux pollutions de diverses natures.

Du point de vue de la transition écologique, cet outil fiscal apparaît comme moins coercitif que la norme, et néanmoins efficace lorsqu’il permet d’avantager économiquement les comportements durables par rapport aux comportements nuisibles à l’environnement. Il permet également une progressivité dans le temps de la pression fiscale (dont les exonérations), sur la base de négociations avec les parties prenantes, qui peuvent alors anticiper cette pression fiscale et réaliser les investissements technologiques pour en limiter le coût.

Toutefois, force est de constater qu’en France, peu a été fait jusqu’ici pour réorienter les prélèvements et les dépenses fiscales vers une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux. Et si la feuille de route pour la transition écologique intègre bien la mise en place d’une fiscalité verte, elle mentionne seulement 3 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires d’ici 2016, et en compensation d’allègements fiscaux déjà opérés dans le cadre d’une autre politique publique…

2 – Les exemples européens

2. 1 – Pour des raisons de compétitivité, plusieurs pays européens ont relancé la fiscalité environnementale

Alors que la France était seule, après les pays scandinaves pionniers en la matière [4] , à vouloir mettre en place la taxe carbone en 2009–2010, cet outil, emblématique de la fiscalité environnementale, se développe aujourd’hui chez ses voisins.

Au Royaume-Uni, le gouvernement conservateur a décidé en 2012, dans le cadre d’une réforme plus vaste du marché de l’électricité, d’adopter une taxe carbone visant à imposer un prix minimal de la tonne de CO 2 (16 £ la tonne de CO 2 en 2013, devant augmenter de manière linéaire jusqu’à 20 £ en 2020 et 30 £ en 2030) qui est prélevée depuis d’avril 2013. Le Royaume-Uni, qui s’est engagé unilatéralement sur un objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 % par rapport à 1990 à horizon 2050, et est ainsi devenu le pays le plus volontariste en Europe dans la lutte contre le changement climatique au plan national, en faisant preuve d’une ambition politique en adéquation avec l’état actuel de la science du climat et clairement définie dans le temps, a pour objectif premier de fournir des recettes pour stimuler l’investissement dans les énergies renouvelables. L’objectif second est de réduire à terme la facture énergétique et de préserver l’économie face à la hausse et à la volatilité des prix de l’énergie importée.

En Irlande, une taxe carbone a été introduite dès 2010 à 15€ la tonne, puis augmentée à 22€ la tonne en 2012. Son objectif principal est de fournir une source de recettes supplémentaires dans un contexte de crise des finances publiques. La taxe carbone est utilisée pour limiter les hausses d’impôts sur le revenu, réalisées par ailleurs mais qui, au-delà d’un certain point, sont jugées peser sur l’activité. La fiscalité verte trouve donc un rôle nouveau dans ce pays : avec d’autres écotaxes, elle contribue pour 20 % à la hausse de la fiscalité que la troïka FMI-Union européenne-BCE exige de l’Irlande.

On assiste, dans le contexte irlandais mais aussi bien au-delà, à un renouvellement de la notion de « double dividende », cette expression de la théorie économique désignant le bénéfice de la fiscalité verte à la fois par l’usage qui est fait de ses recettes et par la réduction des dommages environnementaux qu’elle entraîne. La notion avait été contestée depuis les années 1990, mais en période de consolidation fiscale, elle prend un sens dynamique : la hausse de la fiscalité verte permet de limiter une hausse d’autres impôts qui, elle, serait plus néfaste pour l’économie.

Qu’il s’agisse de considérations de court terme (limiter la hausse de la fiscalité des ménages et des entreprises), ou de considérations de long terme (limiter la dépendance de l’économie aux importations d’énergie), dans tous les cas, la fiscalité verte connaît une nouvelle dynamique en Europe, ainsi que dans d’autres pays (l’Australie vient ainsi d’instituer une taxe carbone accompagnée d’une réforme fiscale).

2. 2 – La France n’a pas encore suivi ce mouvement

Les taxes environnementales, qui ont rapporté un peu plus de 36 milliards d’euros en 2011, consistent pour les trois quarts en une fiscalité assise sur les consommations énergétiques, principalement sur les énergies fossiles. Les taxes sur les pollutions émises et les ressources restent faibles, alors qu’elles représentent plus de 18 % des taxes environnementales en vigueur aux Pays-Bas. D’après Eurostat [5] , en 2011, les recettes de ces taxes représentaient en France 1,8 % du PIB, contre respectivement près de 3,9 % et de 4,1 % aux Pays-Bas et au Danemark, et 2,4 % en moyenne au sein de l’Union européenne (UE27), seule l’Espagne ayant une fiscalité verte de moindre ampleur que la France. Cette évaluation d’Eurostat englobe la fiscalité sur l’énergie (dans certains cas liée au contenu carbone), mais également la fiscalité verte pesant sur les transports, et toutes les autres types de fiscalités liées à l’environnement (eau, déchets, pollutions diverses).

La France avait donc en 2011 et conserve aujourd’hui une fiscalité écologique plus faible que ses voisins. En l’absence de réforme, il est probable que cette situation s’amplifie. En effet, la base fiscale des impôts environnementaux actuels tend à se réduire à plus ou moins long terme, si bien qu’à taux inchangé, les recettes de ces impôts diminuent [6] . Ce phénomène est l’une des raisons qui ont conduit à une réforme de la fiscalité verte au Royaume-Uni, en Allemagne, en Finlande, ou encore en Suède.

3 – Propositions pour la montée en charge d’une fiscalité écologique ambitieuse en France

Au-delà de l’exemple européen, les enjeux de la mise en place d’une fiscalité écologique significative (c’est-à-dire dépassant les quelques taxes marginales dans leur montant et leur objectif environnemental) sont à la fois sociaux et économiques.

3. 1 – Programmer la montée en charge de la fiscalité écologique dans le cadre d’une réforme fiscale ambitieuse

La fiscalité française requiert un nettoyage approfondi pour corriger les effets pervers des cas particuliers accumulés au fil des ans, qui la rendent injuste sur le plan social et nuisible pour l’environnement. Les quelque 500 niches fiscales (exonérations, dégrèvements et autres crédits d’impôt) pour un montant évalué à 65 Mds€ en 2011 [7] attaquent le principe de progressivité et donc d’une participation de chaque contribuable au contrat social en fonction de ses moyens. Une partie de ces niches ciblent précisément des exonérations de taxes environnementales, et en particulier de taxes énergétiques. L’exonération sur le diesel (plus de 3 Mds€ en 2011) et le différentiel de taxation essence-diesel (qui constitue une perte de recettes fiscales de 6,9 Mds€ en 2011, que la Cour des comptes recommande de qualifier de dépense fiscale) [8] figurent parmi les niches les plus coûteuses, au sein d’une liste qui compte aussi des exonérations relatives au kérosène des avions, aux raffineries, au barème fiscal automobile, etc. En plus de cette distorsion d’égalité, certains impôts et taxes n’ont jamais été adaptés à l’évolution de la société ; par exemple, le classement des propriétés non bâties n’a pas été actualisé depuis 1908 [9] et leur valeur locative cadastrale date des années 1960.

Si le niveau de la fiscalité écologique française sur l’ensemble des prélèvements obligatoires était ramené à la moyenne européenne, soit un passage de 4,2 % à 6,2 %, le montant des taxes environnementales rapporteraient de l’ordre de 60 Mds€, contre environ 40 Mds€ actuellement [10] . Ces recettes seraient bien plus élevées si, de surcroit, la fiscalité écologique couvrait les externalités environnementales à hauteur des pollutions effectives telles qu’elles sont monétarisées par les économistes. A titre d’exemple, près de 20 Mds€ pourraient être apportés par la taxation des émissions des gaz à effet de serre à l’horizon 2020 [11] , et jusqu’à 5 Mds€ par la taxation des oxydes d’azote (NOx) [12] . La liste complète des recettes à attendre d’une fiscalité environnementale « exhaustive » reste à faire.

Tendre progressivement vers la suppression des niches fiscales couplée à la révision d’une partie des taxes nationales et locales, dans une logique écologique, permettrait de faire de l’outil fiscal un outil plus adapté aux politiques publiques de gestion des infrastructures, de l’aménagement et du logement [13] .

Actuellement, au-delà de la pédagogie nécessaire à mettre en œuvre pour expliquer les mesures, l’acceptabilité sociale de la fiscalité écologique se heurte à l’inégalité des conséquences de sa mise en place. Taxer la consommation énergétique, c’est ainsi toucher de plein fouet des populations n’ayant pas les moyens de faire rénover leur logement ou n’habitant pas à côté d’un moyen de transport collectif. Certaines taxes écologiques peuvent aussi peser lourdement sur la valeur ajoutée de certains secteurs économiques et mettre en péril la viabilité de leurs entreprises. Une réforme ambitieuse de la fiscalité ne pourra donc se construire sans anticiper les conséquences pour les ménages et pour l’ensemble de l’activité économique. L’analyse de ces conséquences constitue le principal objet de travail au sein du Comité de la fiscalité écologique institué fin 2012 sous la présidence de Christian de Perthuis. L’ensemble des parties prenantes de ce comité, partenaires sociaux, collectivités, administration, associations environnementales, de consommateurs, experts, font le constat des nombreux blocages à l’instauration d’une nouvelle taxe dans un contexte de crise économique et de difficultés croissantes pour les ménages et les entreprises.

Pourtant, ces freins au changement doivent être dépassés dans la perspective d’une réforme globale en faveur d’une fiscalité plus juste et meilleure pour l’environnement. Celle-ci ne pouvant se faire dans un grand soir fiscal, la révision de la fiscalité passe par l’instauration dès le PLF 2014 de mesures phares fondées à court terme sur des taux faibles – et indolores – mais instaurant d’ores et déjà dans la loi un accroissement progressif pour atteindre en 5 ans les niveaux souhaitables pour répondre aux enjeux environnementaux, ce qui devrait aider à éviter le maintien des taux faibles initiaux. La fiscalité écologique représentera alors l’acte I d’une profonde mutation de la fiscalité. Elle devra être poursuivie par d’autres réformes pour rétablir la progressivité de l’impôt et réduire les freins à la compétitivité de notre économie.

Par conséquent, il est proposé de définir la fiscalité écologique dans un cadre temporel de moyen terme permettant à l’ensemble des acteurs économiques de s’y préparer et de réaliser les investissements nécessaires à leur transition. Une loi de programmation pluriannuelle pourra fixer ce cadre et donner la visibilité nécessaire à travers notamment une montée en puissance progressive de nouvelles taxes et la suppression ciblée des niches les plus dommageables. Si l’augmentation des taux est inscrite dans une loi de programmation, il est en effet plus difficile de revenir en arrière par les lois de finance annuelles, ce qui renforce la crédibilité de la mesure et qui évite donc que les agents économiques adoptent un comportement attentiste.

La loi devra également inclure l’obligation de réaliser une évaluation ex ante lors de la mise en place de toute nouvelle disposition fiscale d’exonération totale ou partielle, mais aussi d’une évaluation ex post régulière permettant de juger de l’opportunité de la maintenir, l’ajuster ou la supprimer. L’application de cette mesure devra permettre en particulier d’éviter que des exonérations destinées à un soutien temporaire d’un secteur de l’économie ne se transforment progressivement en une dépense fiscale nuisible à l’environnement, comme ce fut le cas pour la fiscalité du diesel par exemple.

Propositions pour la hausse progressive de la fiscalité carbone dans le cadre d’une loi de programmation pluriannuelle

La mise en place d’une taxation du carbone doit se faire immédiatement à un taux peu élevé au démarrage, mais avec une augmentation progressive et inconditionnelle ; l’efficacité de la taxe carbone n’étant atteinte que si le prix du carbone modifie les anticipations de long terme des agents économiques en déclenchant les investissements requis pour « décarboner » l’économie. La mise en œuvre de cette taxation doit cependant prendre en compte le niveau actuel des taxes sur l’énergie.

La fixation d’une cible chiffrée de taxation carbone pour 2020

Le taux effectif de la taxation des combustibles fossiles correspond à un niveau de 73€ la tonne de CO2 en France en 2011 [14] . Il a légèrement augmenté depuis 2008 où il s’élevait à 65€/tCO2. Selon le rapport Quinet sur la valeur tutélaire du carbone [15] , sur la base des chiffres 2008, le niveau global de taxation du carbone devrait augmenter pour avoisiner en 2020 un taux apparent global d’environ 130€/tCO2 en euros courants pour permettre à la France d’atteindre ses engagements de réductions de gaz à effet de serre liés à l’énergie. Il s’agirait donc d’augmenter le niveau global des taxes sur l’énergie de l’équivalent de 56€/tCO2 d’ici 2020. Cet objectif pourra être inscrit dans une loi de programmation qui précisera également les niveaux de taxation apparente globale à atteindre sur les cinq prochaines années. Ce pourrait être par exemple un objectif de 80€ en 2014 (équivalent aux 7€ de taxe carbone proposés par le comité de Perthuis), puis une augmentation d’environ 10€ par an les années suivantes. Les recettes associées à cette hausse peuvent être estimées à 1,8 Mds€ supplémentaires en 2014 et 20Mds€ en 2020 par rapport à 2013.

Cette proposition est plus ambitieuse que le projet d’avis du Comité de fiscalité écologique discuté le 13 juin dernier, qui prévoit une hausse de seulement 20€/tCO2 d’ici 2020 [16] , soit seulement 40 % du niveau préconisé par la commission Quinet.

Une déclinaison de l’objectif général nominal pour les différentes énergies

Les lois de finances devront ensuite fixer de manière pragmatique des augmentations de taxes énergétiques par énergie, pour atteindre le niveau global fixé par la loi de programmation. Il pourra ainsi être pris en compte les niveaux différentiés actuels des taux apparents par énergie (de 0€/tCO2 pour le charbon et le gaz domestique à 260€/tCO2 pour l’essence).

Le tableau ci-dessous reprend les taux d’imposition carbone effectifs (à partir des recettes constatées en 2011) et les taux apparents de la fiscalité en 2013. Ils sont mis en rapport avec les seuils de la Directive européenne sur la fiscalité énergétique. Un projet de relèvement des seuils pour 2018 est en discussion [17] . Ceux-ci sont également indiqués dans le tableau. Enfin des cibles souhaitables en 2020 sont proposées, compatibles avec la valeur tutélaire du carbone recommandée par le rapport Quinet en 2008.

Taux d’imposition en €/tCO2

Taux effectif 2011

France

Taux apparent 2013 France

Taux minimal de la directive européenne actuelle

Taux proposé pour 2018 dans la directive européenne

Cible souhaitable pour 2020 en France

Toutes énergies

73

0 – 260

20 (hors carb.)

148 (carb.)

130

Essence

250

250 – 260 [18]

148

148

250

Gazole

12

161 –170 (hors exonérations) [19]

147

147

250

Gaz

3

6 (usages prof.)

0 usages dom.

3

22

30

Fioul lourd

6

4

22

30

Charbon

3 (usages prof.)

2

22

30

Sources : Eurostat et calculs des auteurs

La mise en place d’un seuil de taxation minimale par énergie

Conformément à l’objectif de réduction des niches fiscales sur les produits énergétiques, la loi de programmation pourra également fixer des niveaux de taxation minimale par énergie, le cas échéant supérieurs à ceux de la Directive européenne sur la fiscalité énergétique. Par exemple, pour le gaz domestique, cela conduirait à une suppression de l’exonération fiscale dès 2014 avec la mise en place d’une taxe d’au moins 0,05 c€/kWh, soit une augmentation de l’ordre de 1 % du prix actuel, puis à une taxe d’au moins 45c€/kWh en 2018, soit une hausse de 10 % du prix actuel, à échelonner d’ici là.

Pour les entreprises soumises à l’ETS, il pourra être prévu que ce seuil s’applique à la somme de la taxe carbone effective et du prix du quota ETS. Le niveau minimal pourra aussi être appliqué par défaut aux secteurs économiques soumis à une forte concurrence.

Le cas particulier des carburants

Concernant les carburants, le taux effectif d’imposition carbone est déjà très élevé dans les secteurs non exonérés, la TICPE aujourd’hui visant d’abord à couvrir d’autres externalités liées à l’automobile (congestion, insécurité routière…) ce qui justifie ces niveaux. Il ne paraît donc pas nécessaire d’augmenter les taxes sur l’essence. En revanche, la taxation du gazole pourra augmenter de manière à rattraper progressivement le différentiel avec l’essence au regard de l’impact des moteurs diesel sur la santé.

Un seuil minimal croissant devra également être fixé pour les secteurs qui bénéficient aujourd’hui de taux réduits (transport routier, services de taxi, agriculture) ainsi que pour le kérosène et les produits pétroliers utilisés pour la navigation qui sont aujourd’hui exonérés de taxes.

3. 2 – Intégrer la lutte contre les inégalités dès la mise en place de la fiscalité écologique

Alors que ses détracteurs mettent en avant ses impacts sociaux négatifs, il faut souligner en quoi la fiscalité écologique apporte aussi une réponse à certaines précarités et certains risques sanitaires.

La fiscalité écologique peut ainsi apporter des réponses pour réduire les précarités environnementales et locales liée à la surexposition à des pollutions locales de l’air, du sol ou de l’eau. Ces risques se rencontrent en effet plus fréquemment dans des zones d’habitat défavorisé ou dans des secteurs d’activités où les conditions de travail sont déjà difficiles (agriculture, industrie polluantes…). La mise en œuvre d’une fiscalité écologique peut induire des baisses des pollutions émises, restaurant un environnement plus sain pour les riverains et les travailleurs.

Mais c’est surtout la précarité énergétique qui revient dans les débats sur la fiscalité écologique. Ce terme définit l’impact négatif de l’énergie sur les budgets des ménages. L’augmentation du prix de l’énergie, associée à sa déperdition à cause d’infrastructures non adaptées, comme le manque de transports en commun, l’étalement urbain, le manque d’isolation des bâtiments, fait des dépenses énergétiques une dépense conséquente pour une partie des Français. Ces derniers commencent à mettre en place des stratégies individuelles (rapprochement de centres urbains desservis par un train ou TER, isolation de leur maison, etc.) qui ne sont pas accessibles à tous (notamment les locataires ou les propriétaires occupants à très faibles revenus).

Face à ce constat, il convient d’appréhender globalement la fiscalité de l’énergie pour les ménages dans le cadre d’une politique de baisse du coût global du logement et des déplacements contraints par la localisation du logement.

Les enjeux environnementaux de la fiscalité de l’énergie sont en premier lieu de donner un signal-prix sur les émissions de CO 2 des énergies de chauffage (gaz, fioul, charbon, GPL…) et du carburant en instituant une taxe carbone, et de programmer son augmentation sur le moyen terme. Il faut, en effet, laisser le temps au consommateur, averti de la progression du prix des émissions, de faire son choix et de se tourner vers des solutions décarbonées ou moins intensives en énergie. Il s’agit aussi d’inciter à la maîtrise de l’énergie (par des travaux de rénovation énergétique, par l’achat d’équipements efficaces ou d’un véhicule performant). La fiscalité de l’énergie peut enfin apporter un signal-prix sur d’autres pollutions (émissions de particules, d’oxyde d’azote) principalement émises par les véhicules, mais aussi certains modes de chauffage.

Toutefois, de véritables blocages sociaux et économiques existent, liés aux coûts très élevés du logement qui pèsent sur le pouvoir d’achat. Une des conséquences de ces prix élevés dans la plupart des agglomérations est aussi la difficulté pour un ménage de choisir un logement au plus près de ses principales activités. Cela induit donc des déplacements contraints importants notamment pour les trajets domicile-travail, l’arbitrage entre logement et transport se faisant au détriment de ce dernier, dans le cadre d’une approche qui n’intègre pas le coût réel du transport sur le long terme et qui conduit trop souvent à opter pour un logement en zone périurbaine immédiatement moins cher. Les prix élevés du logement en zones tendues incitent également les ménages à négliger la performance énergétique de leur logement au moment d’un achat ou d’une location. Au contraire, dans les zones détendues, la « valeur verte » des logements se renforce, dégradant le prix des biens énergivores. L’incitation à faire des travaux de rénovation énergétique devient donc forte, mais les capacités financières des ménages concernés font souvent défaut, ainsi que la capacité à définir un programme de travaux optimal. La mise en place d’une fiscalité environnementale sur l’énergie est donc complémentaire de la politique du gouvernement en faveur du logement et de la rénovation thermique des bâtiments.

S’il est important, pour anticiper une société dans laquelle l’énergie sera de plus en plus chère, de mettre en place une fiscalité écologique sur l’énergie incitant le consommateur à modérer sa consommation, cette fiscalité doit prendre en compte son fort impact sur le pouvoir d’achat des ménages. Il est incontournable de prévoir des mesures d’accompagnement ciblées et différenciées selon les niveaux de revenu des ménages, intervenant comme un « bouclier énergétique ». Ce dernier pourra gommer les effets sociaux liés à la montée en charge de la fiscalité énergétique.

En avril 2013, après l’adoption d’une partie de la loi pour une transition vers un système énergétique sobre, dite « loi Brottes », les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz ont été étendus à 8 millions de personnes. Cette mesure doit maintenant être articulée avec une solution nouvelle et juridiquement solide pour instaurer un aspect incitatif à la maîtrise de la consommation d’énergie, et transposée dans le cadre de la loi sur la transition énergétique pour élargir le bouclier énergétique à toutes les énergies, carburants inclus. L’extension de ce bouclier énergétique pourra se faire par un crédit d’impôt familialisé sous condition de ressources, calculé en fonction de critères déclaratifs tels que l’accès ou non à des transports en commun (en prenant en compte la question des déplacements des professionnels indépendants) et la possibilité ou non de rénovation à l’initiative du contribuable (locataire, copropriétaire, etc.). Ce système serait plus équitable et plus lisible que les chèques verts forfaitaires prévus en 2009 en compensation de la taxe carbone.

Ces compensations doivent s’accompagner de la mise en place des moyens humains et financiers nécessaires à l’effectivité d’un service public de la performance énergétique, pour faciliter les travaux de rénovation en priorité à destination des ménages modestes, qu’ils soient propriétaires ou locataires de leur logement. Cette démarche, déjà initiée par le programme d’aide financière à la rénovation thermique, est essentielle pour limiter, à terme, la dépense énergétique des ménages, et donc des taxes écologiques y afférant.

3. 3 – Conjuguer fiscalité écologique et compétitivité

Que ce soit dans le débat sur la fiscalité énergétique ou pour toute autre fiscalité écologique touchant directement les entreprises, l’enjeu de la compétitivité internationale est nécessairement présent.

L’exemple des négociations internationales sur le climat, qui piétinent depuis des décennies, laisse peu d’espoir pour une régulation au niveau mondial des émissions de gaz à effet de serre et de toutes les dégradations de l’environnement en général. Dans le même temps, toute proposition de régulation nationale est analysée par les producteurs comme un risque pour leur compétitivité, dès lors que leurs concurrents ne sont pas soumis aux mêmes règles ou aux mêmes coûts.

Cependant, plusieurs pays européens ont mis en place des fiscalités écologiques significatives. Ainsi, l’exemple allemand démontre que lorsqu’une contrainte fiscale est anticipée, elle favorise l’investissement dans la recherche et développement, et se solde par une avancée technologique qui, brevetée, sera en plus une source de richesse pour l’entreprise. L’adaptabilité des entreprises aux enjeux environnementaux et sociaux est un pari d’avenir qui a réussi dans plusieurs pays. Si certaines réformes échouent actuellement en France jusqu’ici, c’est en grande partie à cause de l’instabilité fiscale chronique imposée par nos décisionnaires politiques, aggravée par un manque de vision de long terme. C’est pourquoi il est essentiel que la mise en place de taxes écologiques (mais aussi la suppression de niches anti-écologiques) se fasse de façon progressive et concertée, pour en assurer l’acceptabilité sociale et l’efficacité environnementale.

Par ailleurs, si la fiscalité écologique est un formidable outil de modernité et de durabilité pour l’économie française, elle doit s’accompagner d’une stratégie industrielle renouvelée, qui permette aussi d’investir dans une production de proximité, cette dernière permettant un contrôle qualité plus sûr pour les consommateurs.

La mise en place ou le renforcement de la fiscalité écologique ne doit pas, par contre, être une occasion de constituer de nouvelles niches à travers des exonérations multiples. Rappelons ainsi que le projet de taxe carbone a été retoqué par le Conseil constitutionnel en 2009 en raison de l’importance des exemptions totales de contribution carbone jugées contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique, et introduisant une rupture d’égalité devant les charges publiques. De même, le bonus malus sur l’énergie prévu par la loi Brottes a été abrogé parce qu’il ne couvrait pas les consommations d’énergie des professionnels. Pour une même pollution, les exonérations doivent être proscrites si elles ne sont pas limitées dans le temps.

Ainsi, pour mettre en place une fiscalité carbone tout en évitant la censure du Conseil constitutionnel, des modulations de taux pourront être instaurées avec un montée en charge plus progressive réservée aux entreprises intensives en énergies, et notamment celles soumises au marché européen des quotas carbone.

Pour accompagner la montée en charge de la fiscalité écologique sur les entreprises, des mécanismes d’exonérations temporaires pourront également être envisagés pour certains secteurs. Il pourra par exemple être prévu des exonérations de taxe énergétique ou des dispositifs d’aide à l’investissement lorsqu’une TPE et/ou PME s’engage dans des investissements d’économie d’énergie. Cette exonération pourra être approuvée par le service administratif compétent à la réception d’un audit énergétique. Elle devra être prévue pour une durée limitée, et des contrôles ex post devront être mis en place. Pour bénéficier plus largement aux TPE/PME dans des secteurs diffus, il pourra également être prévu un crédit d’impôt sur une liste d’investissements d’efficacité énergétique.

La montée en charge de la fiscalité écologique doit en outre rester proportionnée à l’existence d’une fiscalité analogue dans les principaux pays avec lequel chaque secteur économique est en concurrence. Sinon les gains environnementaux sur le territoire national risquent d’être compensés par une hausse d’importations issues de productions plus polluantes. Pour réguler ce risque, il est tout d’abord nécessaire d’identifier finement, secteur par secteur, les enjeux de concurrence internationale. Une grande partie de la production n’est soumise qu’à une concurrence sur le marché européen. La mise en œuvre d’une fiscalité harmonisée au niveau européen permettrait alors de limiter le risque de délocalisation pour les biens et services où la concurrence est intra-européenne. C’est l’objet notamment de la Directive sur la fiscalité de l’énergie qui prévoit en particulier des taux minimum pour la taxation du contenu carbone.

Néanmoins, de nombreux secteurs sont également soumis à une concurrence extra européenne. Pour permettre d’accroître la fiscalité écologique en limitant l’impact sur la compétitivité des entreprises européennes, trois solutions doivent être explorées avec nos partenaires européens :

la mise en œuvre d’un niveau de taxe minimal à l’échelle mondiale, éventuellement dans le cadre d’accords sectoriels ;

la définition d’un système d’ajustement aux frontières qui permette de définir un taux de taxes sur les produits importés correspondant au niveau qui serait payé si le bien était produit en Europe ;

la modulation de la TVA en fonction de l’empreinte écologique d’un produit. Cette proposition nécessite cependant d’établir une méthode d’évaluation environnementale des produits qui soit généralisable aux produits importés et non contestable. Dans l’attente de l’élaboration d’une telle méthode, il pourrait a minima être envisagé une TVA à taux réduit pour certains produits tels que les denrées alimentaires issus de l’agriculture biologique, les éco-matériaux de construction, etc.

3. 4 – Accompagner le projet de transformation agro-écologique

Le projet agro-écologique annoncé en décembre par le ministre de l’Agriculture est fondé sur une boîte à outils composée de capitalisation, de formation et d’incitation à de nouvelles pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Le verdissement du premier pilier de la Politique agricole commune (PAC) constitue un signal important pour orienter les changements de pratiques vers une meilleure prise en compte des impacts environnementaux de l’agriculture en termes de pollution de l’air, des sols et de l’eau, même s’il manque encore un contenu concret propre à transformer la PAC en un outil bénéfique pour l’environnement. L’enjeu est aussi de réduire la dépendance de l’agriculture aux intrants pétro-chimiques et chimiques, en particulier lorsqu’ils proviennent de marchés très volatiles et concentrés sur un faible nombre d’acteurs (comme par exemple les engrais phosphatés). Une accélération du changement de pratiques est nécessaire pour répondre aux attentes des consommateurs, de plus en plus préoccupés par les conditions de production, en particulier pour des raisons sanitaires, mais aussi pour respecter les engagements internationaux de la France. L’évolution des pratiques agricoles est ainsi particulièrement attendue pour respecter les objectifs de la Directive cadre sur l’eau, du fait notamment des pesticides, et des engagements internationaux sur le changement climatique, le secteur agricole représentant plus de 20 % des émissions françaises de gaz à effet de serre.

Ainsi, tout comme les entreprises, le secteur agricole doit se préparer à une hausse de la fiscalité sur l’énergie, qui incitera les exploitants à privilégier des pratiques moins énergivores. Cela signifie également revenir progressivement sur l’exonération portant sur les carburants à usage agricole. Une diversification des revenus permise par une utilisation des ressources renouvelables disponibles dans chaque exploitation agricole (biogaz, biomasse, solaire, éolien, hydraulique, géothermie) peut permettre de compenser la hausse progressive de cette fiscalité. L’exemple des agriculteurs autrichiens et allemands montrent que la valorisation des ressources disponibles apporte des revenus stables et différenciés des aléas climatiques qui pèsent sur leurs productions classiques [20] . De même pour les pêcheurs, les projets d’énergies marines renouvelables (éoliennes marines, hydroliennes…) représentent des opportunités de diversification, voire de reconversion, dans un contexte d’épuisement des ressources halieutiques [21] .

D’autres mesures fiscales doivent être également renforcées pour les rendre plus incitatives.

C’est le cas de la redevance sur les pollutions diffuses dont le niveau est aujourd’hui faible et couvre un nombre limité de pollutions. Son taux devrait donc augmenter pour réduire la quantité de pesticides consommé, en accord avec le programme Ecophyto 2018. Là encore, son instauration doit être progressive, avec l’objectif que les taux finaux couvrent l’ensemble des coûts de dépollution aujourd’hui à la charge des collectivités publiques.

D’autres chantiers de fiscalité écologique dans le secteur agricole devront être ouverts dans les prochaines années : création de taxation sur les engrais azotés, taxation sur les élevages hors sol à fort risque environnemental, augmentation de la taxe d’irrigation.

Les plans d’augmentation progressive des taux de la fiscalité écologique sur l’agriculture devront prendre en compte le fait que certaines exploitations pourraient à la fois être touchées par des taxes sur les pesticides et engrais, mais aussi sur leurs activités d’élevage. Les investissements pour convertir les exploitations concernées vers des pratiques agro-écologiques, et donc beaucoup moins taxées, peuvent s’avérer importants et difficiles à réaliser pour des exploitants déjà surendettés. Sur le même modèle que pour les TPE/PME, et de manière sans doute renforcées, des crédits temporaires d’impôt ou d’autres dispositifs d’aide à l’investissement pourront être envisagés contre un engagement de conversion. Une modulation en fonction des activités des exploitations permettra l’évolution de leurs infrastructures dans des délais économiquement viables.

Enfin, n’oublions pas que la fiscalité est également un outil efficace pour protéger les terres agricoles de la spéculation foncière. Cela pourra se faire notamment par des mesures fiscales favorisant la lutte contre l’étalement urbain et l‘artificialisation des sols.

3. 5 – Accélérer la mutation de la ville durable en revisitant une partie du dispositif fiscal de l’aménagement et de l’immobilier

La vision de la ville « durable » conduit aujourd’hui à limiter l’étalement urbain afin de mieux préserver les espaces agricoles et naturels qui disparaissent trop vite en France aujourd’hui, et d’éviter l’impact négatif sur la biodiversité et la gestion de l’eau de l’artificialisation des sols qui en découle. Il faut aussi maîtriser les effets négatifs sur le plan environnemental générés par le développement pavillonnaire en zone périurbaine et la dépendance automobile dans ces zones peu denses et donc souvent privées de transports collectifs.

Pour toutes ces raisons, il apparaît essentiel dans une optique de transition écologique de mettre en place des outils permettant de limiter l’étalement urbain et la consommation des sols qui en est la conséquence.

Si la fiscalité écologique fait indubitablement partie des outils qui doivent être mobilisés à cet effet, elle doit être mise en œuvre dans un cadre permettant la mobilisation des élus et des citoyens autour d’un objectif de résultat clair en termes d’étalement urbain et d’urbanisation compacte.

Il apparaît essentiel qu’un tel objectif soit établi au niveau supracommunal, niveau pertinent pour la planification stratégique. Il est ainsi préconisé de créer une obligation juridique visant à introduire dans les SCOT [22] avant 2016 un objectif quantitatif de réduction de la consommation foncière établi après avis de la Commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) et à imposer dans le cadre des plans locaux d’urbanisme (PLU) l’élaboration avant 2017 d’un diagnostic de densification des zones déjà urbanisées et des extensions urbaines envisagées, ainsi que du développement du renouvellement urbain. De manière à inciter fortement à l’intégration d’un tel objectif spécifique dans les SCOT, il pourrait être proposé qu’en son absence à compter de début 2016, l’objectif général de 50 % de réduction de la consommation foncière exposé dans la loi s’impose automatiquement et que les avis de la CDCEA prévus pour certaines procédures et autorisations d’urbanisme deviennent conformes.

De surcroît, pour faciliter l’intégration dans l’urbanisme opérationnel des contraintes issues des orientations stratégiques élaborées au niveau intercommunal et la déclinaison de l’objectif établi pour l’intercommunalité dans des règles de densité s’imposant aux communes, il apparaît plus pertinent d’opter pour l’établissement de plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI). Les règles de densité pourront ainsi être différenciées par type de commune, avec une solidarité entre les plus grandes et les plus petites, les plus ou moins consommatrices d’espace.

Toutefois, même si l’approche intercommunale de l’urbanisme est le cadre le plus approprié pour mettre en œuvre une démarche de lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, il est indéniable qu’elle ne fait pas encore consensus auprès des élus aujourd’hui. Sauf à supposer que le transfert du PLU au niveau supracommunal soit finalement voté dans le cadre des prochaines lois sur la décentralisation ou sur le logement et l’urbanisme (ce que l’on peut appeler de ses vœux mais qui ne peut être considéré comme un acquis dans la mesure où il s’agit d’une question en lien avec l’organisation générale des collectivités territoriales fortement débattue aujourd’hui, le Gouvernement ayant déjà indiqué que le permis de construire restait au niveau communal), ce sont les maires qui seront, dans la plupart des cas, à la manœuvre et qui devront appliquer les contraintes résultant des orientations stratégiques des documents d’orientation intercommunaux. Il faut donc conduire les maires à les décliner au plus vite et, de plus, à les faire adhérer eux et leurs administrés à la vision d’une ville densifiée qui aujourd’hui fait peur ou qui ne correspond pas à leur idéal (cf. le rêve de devenir propriétaire d’un pavillon avec jardin). Les maires seront toutefois libres des moyens pour mettre en œuvre le potentiel de densification et notamment, sur la base du diagnostic de densification à établir, de la sélection des outils adéquats : intervention publique par la réhabilitation, le renouvellement urbain, promotion de la parcellisation, suppression des règles bloquantes (retrait de 5 m, impossibilité de mitoyenneté, coefficients d’occupation des sols – COS, etc.).

La prise en compte rapide de la question de la limitation de l’étalement urbain pourrait être obtenue par l’instauration, en complément des mesures particulières évoquées ci-dessus (avis conforme de la CDCEA, etc.), d’une modulation à la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour les collectivités dont les SCOT puis les PLU n’auraient pas été revus dans les délais prescrits pour introduire les éléments prévus (cf. supra : objectif de consommation d’espaces naturels et agricoles, obligation d’élaboration d’un diagnostic de densification). Pour lutter contre la tentation des collectivités locales de s’affranchir d’une optimisation de densité en privilégiant la construction de logements dans le cadre d’un étalement urbain, les services de l’État (préfets et directions départementales des territoires) devront aussi être vigilants et refuser les SCOT et les PLU qui ne privilégient pas la recherche de l’intensité urbaine. De la même manière, le contrôle de légalité devra s’attacher à rejeter les permis de construire trop significativement en dessous des règles de densité prévues dans les PLU.

Une des réponses à l’évolution des mentalités sur la question de la densification doit se faire à travers l’élaboration largement concertée voire participative des documents d’orientation (SCOT) et d’urbanisme opérationnel (PLU), qui peut être utilisée comme un outil-clé pour la sensibilisation des acteurs de l’aménagement du territoire, des élus et des habitants.

Ce cadre incitatif et pédagogique étant mis en place au niveau des acteurs locaux de l’urbanisme, l’instauration d’une fiscalité écologique de l’aménagement a alors toute sa place. Il s’agit de définir une fiscalité de l’urbanisme incitant à la limitation de l’étalement urbain par la densification, la réutilisation des espaces au sein des zones déjà aménagées, et par un contrôle plus fort de la transformation d’espaces naturels ou agricoles aidé par une fiscalité incitative, sachant que la fiscalité actuelle, à quelques exceptions près, n’a pas été conçue à cet effet, mais plutôt pour financer l’aménagement ou d’autres politiques. Les mesures fiscales suivantes peuvent être préconisées :

– Pour les communes aux PLU qui n’ont pas été rendus conformes à l’objectif supracommunal de réduction de consommation d’espaces [23] , l’instauration d’un bonus/malus sur la taxe d’aménagement en fonction de sa destination (diminution de la taxe pour la réutilisation de parcelles dans des secteurs déjà aménagés comme par exemple les friches industrielles ou commerciales ; augmentation de la taxe si le projet concerne un terrain naturel nouvellement ouvert à l’urbanisation) inciterait les aménageurs et les constructeurs à privilégier la réutilisation en centre-ville et la construction sur des parcelles précédemment aménagées, plutôt que l’utilisation de terrains vierges plus chers.

Pour que la mesure soit aussi incitative vis-à-vis des collectivités territoriales, la taxation supplémentaire reviendrait non à la commune, mais à l’EPCI [24] s’il est bien couvert par un SCOT avec un objectif de réduction de consommation d’espaces, et à l’État sinon, la réduction de taxation étant imputée sur la part communale de la taxe d’aménagement.

– Pourrait être mise en œuvre en complément une possibilité de modulation de la taxe d’aménagement pour privilégier les projets économisant l’espace : par exemple ceux prévoyant des parkings intégrés au bâti au détriment de ceux construits à l’horizontal et occupant une grande surface au sol.

– Une taxation plus systématique des constructions sous les seuils de densité minimaux doit être mise en place.

La réforme de la fiscalité de l’aménagement votée fin 2010 a en effet ouvert la possibilité, pour les communes, d’instaurer un versement pour sous-densité (VSD) sur des secteurs des zones urbaines (U) et à urbaniser (AU), à acquitter lorsque la surface de la construction (entendu au sens de « surface habitable ») se traduit par une densité inférieure au seuil fixé. De manière à ce que cet instrument, qui a vocation à servir d’incitation à la densification, ne puisse être détourné de son objectif pour servir au contraire une sous-densification par fixation de seuils très bas, un seuil minimal moyen de densité (correspondant à un COS minimum) pourra être instauré dans le cadre des orientations stratégiques du SCOT pour les communes n’ayant pas élaboré un PLU qui soit conforme à l’objectif supracommunal de réduction des consommations d’espace. Ce seuil minimal pourra ensuite être modulé dans le cadre des PLU qui s’y seront conformés. Il s’agit ici de créer, en complément de l’incitation financière proposée (modulation de la DGF évoquée supra comme devant être appliquée quand le PLU n’a pas été revu sur la base d’un diagnostic de densification), une incitation propre des communes à une refonte de leur PLU pour y intégrer des objectifs de densification conformes à leur politique communale, plutôt que de voir une valeur moyenne prise comme valeur minimale.

En complément de ces mesures relatives à la fiscalité de l’urbanisme, il convient de revoir toutes les autres dépenses fiscales pour qu’elles n’encouragent plus le phénomène d’étalement urbain et, notamment par exemple, de :

conditionner la fiscalité de la politique du logement (PTZ+ et dispositif d’investissement locatif Duflot ainsi que la taxe d’aménagement pour des opérations financées en PTZ+ par exemple) à la localisation géographique de la nouvelle construction, pour privilégier les logements collectifs ou situés en intra-urbain ;

créer un bonus/malus pour désinciter à la création de surfaces commerciales en périphérie et inciter à leur implantation en intra urbain.

Ces mesures visant à limiter l’étalement urbain pourraient enfin être associées à la mise en œuvre d’une fiscalité sur les plus-values immobilières incitant à prendre en compte davantage la valeur verte du bâti existant.

Ainsi, pour les biens ne respectant pas une performance énergétique minimale, une taxation de la plus-value spécifique, applicable à tous les types de bâtiment (résidentiel, qu’il s’agisse de la résidence principale ou pas, ou tertiaire) pourrait être mis en place. Elle serait progressive en fonction des ressources du propriétaire dans la mesure où celles-ci restent représentatives de la capacité réelle à entreprendre des travaux de rénovation thermique. Cette modulation des plus values entrerait en vigueur deux années après le vote de la mesure, permettant ainsi aux propriétaires qui envisagent la vente de leur bien immobilier de s’y préparer en effectuant les travaux d’amélioration de la performance énergétique leur permettant d’optimiser leur future plus-value. Cette évolution de la fiscalité immobilière prendrait tout son sens dans un contexte de mise en place d’un service public de la performance énergétique qui apporte une information impartiale, encourage les rénovations utiles et facilite l’obtention des aides et des financements privés.

3. 6 – Lever la contrainte budgétaire par une approche globale sur les dépenses publiques

Les contraintes budgétaires sont un obstacle important à la mise en place d’une fiscalité écologique.

En premier lieu car la création de nouvelles mesures fiscales peut être interprétée comme une hausse des prélèvements si elle ne s’inscrit finalement pas dans une refonte globale de la fiscalité.

Une seconde contrainte budgétaire réside dans la logique même de la fiscalité écologique. Cette dernière est destinée à internaliser dans le coût des activités économiques les externalités négatives pour l’environnement. Elle vise principalement à mieux faire percevoir l’externalité à l’agent économique, et, accessoirement, à générer un revenu destiné à remédier aux effets négatifs de la pollution. C’est le rôle de correction que lui attribuait Pigou, l’un de ses concepteurs en théorie économique. Ainsi, la taxe « pigouvienne » qui « marche » est supposée s’éteindre et n’est donc pas destinée à dégager des ressources financières pérennes. Cette « extinction » peut se dérouler sur du moyen-long terme pour certains prélèvements, mais elle requiert une anticipation (création de nouvelles taxes ou augmentation progressive des taux en euros constants par exemple), et il s’agit d’un élément important à prendre en compte avant de proposer que la fiscalité écologique ne remplace tout ou partie des prélèvements sociaux sur le travail, pour le financement de la sécurité sociale.

Enfin, la contrainte budgétaire liée à la volonté actuelle de maîtrise de l’endettement public freine la possibilité de financer des mesures d’accompagnement correspondant à des dépenses publiques telles que le bouclier énergétique ou des mesures incitatives positives (exonérations, déductions et crédits d’impôts) ayant pour objet d’inciter les acteurs économiques à s’engager dans une démarche vertueuse.

On voit bien ici, mais également par la comparaison avec des expériences européennes, que la mise en place d’une fiscalité écologique significative s’avère plus complexe si elle ne s’insère pas dans une refonte globale de la fiscalité. Néanmoins, elle reste possible, dès lors que les enjeux et la répartition des recettes sont fixés dès le départ. Dans le contexte français actuel, il n’est pas possible de s’engager vers une fiscalité écologique dégageant un rendement de court terme, mais l’équilibre des prélèvements peut être respecté, et des économies budgétaires peuvent être dégagées. Des taux très progressifs ainsi que des compensations adaptables par l’administration à l’évolution de la collecte permettraient cet équilibre budgétaire.

Toutefois, des ressources nouvelles doivent également être identifiées pour financer des investissements publics dans la transition énergétique (infrastructures de transports collectifs et ferroviaires, rénovation énergétique des bâtiments, modernisation du réseau électrique, production de chaleur renouvelable, etc.). La mobilisation d’instruments financiers tels que les « green bonds » (obligations ayant pour objet de financer des investissements dans la transition écologique) ou un fléchage de l’épargne populaire, peut répondre à des besoins de financement pour des investissements présentant une certaine rentabilité grâce aux économies d’énergie générées. L’investissement dans la transition écologique peut également être financé par une réorientation des dépenses publiques actuelles, en réévaluant la décision de financement en fonction de critères environnementaux, et donc de durabilité.

Depuis plusieurs mois, la fiscalité écologique est envisagée par Bercy comme le moyen de financer le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) et, plus largement, permettre une réduction des déficits publics. Il est évident que la mise en place d’une telle fiscalité réduirait le déficit, comme nous l’avons écrit plus haut. Mais il semble que cela se heurterait à la contrainte d’équilibre des prélèvements, qui paraît prédominer pour le moment au sein du gouvernement actuel, comme vu plus haut. Néanmoins, la mise en place d’une fiscalité écologique à « iso-fiscalité » (à travers le recyclage des recettes provenant de la fiscalité écologique pour abaisser par ailleurs la fiscalité) pourrait tout de même générer des économies pour la collectivité. En effet, la fiscalité écologique n’est pas un simple mécanisme financier, mais a bien un objectif environnemental, et donc de suppression d’un certain nombre d’externalités coûteuses. Par exemple, aller vers la diminution d’intrants chimiques dans l’agriculture entraînerait une diminution des effets cancérigènes liés à ces intrants, et donc à de substantielles économies pour la santé publique à terme. De même, la fin des pollutions de l’air supprimerait une partie des coûts de traitement de l’asthme causés par ces pollutions. Une évolution des élevages porcins (modification des pratiques d’élevage intensif et culturales ainsi que des techniques de traitement des déchets azotés) signifierait la fin des coûts de nettoyage et transport des algues vertes, dont la prolifération est favorisée par l’épandage des lisiers issus d’élevages intensifs, etc. Il convient donc d’intégrer le coût de l’inaction dans l’analyse des économies pour la collectivité liées à la mise en place de mesures de fiscalité verte.

Conclusion

La fiscalité écologique est un levier puissant qui doit permettre d’infléchir les comportements pour faire face aux enjeux majeurs de la défense de notre environnement. Les objectifs à terme doivent être ambitieux et faire de la fiscalité écologique le cœur de la fiscalité de notre société, même si sa mise en œuvre doit être progressive, réaliste, respecter les règles d’équité sociale et être pensée pour ne pas mettre en péril les acteurs économiques du pays. Le contexte de crise économique ne doit pas être un frein à la mise en place de mesures échelonnées dans le temps, comme le montre l’exemple des pays européens qui ont procédé ces dernières années à un renforcement de la fiscalité écologique.

Des premières mesures sont possibles à court terme dès le PLF 2014, mais le débat sur la fiscalité écologique doit surtout permettre de repenser le système fiscal français et d’engager plus concrètement la conversion écologique de l’économie, favorisant à terme l’activité économique et l’emploi.

  1. * Pseudonyme

  2. Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

  3. La fiscalité écologique peut également être associée à la mise en place de conditionnalités environnementales et sociales pour les marchés publics, pour les placements financiers, pour la délivrance d’autorisation d’exploitation, etc. Ces conditionnalités doivent s’appuyer sur des labels clairs et facilement utilisables. Mais nous parlerons ici du fiscal et non du normatif.

  4. La Suède fut la première à introduire la taxe carbone en 1991, suivie en 1993 par le Danemark et en 1997 par la Finlande.

  5. Eurostat, mai 2013.

  6. Cet effet est variable selon l’élasticité des comportements propres à chaque impôt, mais l’idée générale est que la fiscalité verte coûte aux pollueurs et les incite donc à réduire la pollution, avec pour effet un déclin à terme de la base fiscale et des recettes qu’elle procure. Voir par exemple D. Fullerton et G. Metcalf (1997), «  Environmental taxes and the double-dividend hypothesis: did you really expect something for nothing?  », Working Paper, NBER.

  7. Rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011.

  8. Avis sur l’écart de taxation entre le gazole et l’essence adopté par le Comité de la fiscalité écologique le 18 avril 2013.

  9. Voir Guillaume Sainteny, Plaidoyer pour l’écofiscalité , Buchet et Chastel, 2012.

  10. Voir « La fiscalité environnementale en France : un état des lieux », Commissariat général au développement durable, avril 2013.

  11. Calcul réalisé avec une fiscalité généralisée sur les gaz à effet de serre au taux recommandé par la commission Quinet sur la valeur tutélaire du carbone (2009), c’est-à-dire 56€/tCO 2 . Les émissions totales de la France sont de 450 MtCO 2 eq en 2011 (source : CITEPA) et devrait décroître d’environ 20 % si les engagements européens du paquet énergie climat sont tenus.

  12. Calcul réalisé avec une fiscalité généralisée sur les oxydes d’azote (NOx) en considérant un taux de 5000€/t (similaire au taux suédois et compatible avec les recommandations des économistes) contre 164€/t en 2013, pour des émissions totales de 1080 kt en 2010 (source : CITEPA)

  13. La fiscalité écologique se conçoit ici dans le cadre de la fiscalité nationale. Néanmoins, une répartition entre fiscalité nationale et fiscalité locale directe pourrait être envisagée selon les types de taxation. Par exemple, les taux et assiettes de fiscalité écologique foncière pourraient être ajustés au niveau des intercommunalités (à fiscalité propre) avec une péréquation gérée au niveau régional ou national.

  14. Données Eurostat 2011 : les recettes de taxes énergétiques hors taxes sur l’électricité (CSPE) en 2011 sont évaluées 25 Mds€ alors que les émissions de CO 2 liées à la combustion de l’énergie s’élèvent à 344 MtCO2éq. Le taux apparent est calculé par la division de ces deux valeurs.

  15. Voir rapport de la commission Quinet sur la valeur tutélaire du carbone (Documentation Française, 2009).

  16. Voir le projet d’avis sur l’assiette carbone et rééquilibrage de la taxation essence-diesel – Propositions de mise en œuvre sur la période 2014–2020 soumis à l’avis du Comité de la fiscalité écologique le 13 juin 2013

  17. Voir nouvelle proposition fixant le taux minimum de taxation de l’élément CO2 sur le site de la Commission Européenne

  18. La TICPE sur l’essence et le diesel comprend une part régionale qui est fixée à son niveau maximal de 2,5 €/L dans la plupart des régions, à quelques exceptions (Poitou-Charentes, Corse et Rhône-Alpes).

  19. Les exonérations totales ou partielles sur le diesel concernent le transport routier de marchandises et de voyageurs, les taxis, les agriculteurs, le transport fluvial, maritime et aérien.

  20. Voir le rapport « Impacts of renewable energy on european farmers » pour la Commission Européenne, 2011.

  21. Voir « Synergies entre pêche et énergies marines renouvelables », CNPMEM, 2011.

  22. Schémas de cohérence territoriale

  23. Dans les autres cas, la délivrance de l’autorisation d’urbanisme, fait générateur de la taxation, se faisant dans le cadre des orientations du SCOT, la consommation d’espace peut être supposée maîtrisée et il n’est donc pas nécessaire d’introduire de bonus/malus.

  24. Etablissement public de coopération intercommunale

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