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Note

Résoudre les paradoxes de la transition énergétique

A quelques jours de la réunion du Conseil national du Débat sur la transition énergétique, chargée d’examiner une première ébauche des propositions finales, Terra Nova propose en contrepoint une analyse des paradoxes auxquels la transition énergétique nous confronte.

Publié le 

1 – Le Paradoxe de l’inversion des temps : des choix court-termistes face a des enjeux de long terme

La transition énergétique nécessite que l’ensemble des acteurs inscrivent leurs choix dans des logiques de long terme. Or, les décisions politiques de ces dernières années (ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie, manque de stabilité des politiques règlementaires, etc.) ont au contraire favorisé les logiques de marché court-termistes. Il est urgent de définir une politique publique de long terme pour la transition énergétique, stable et lisible afin de donner les moyens à l’Etat et aux entreprises d’agir .

Présentation du paradoxe

Les marchés de gros de l’électricité en France sont déstabilisés avec des prix qui peuvent devenir négatifs, illustration de la difficulté de concilier des logiques de marché avec une stratégie nationale pour la transition énergétique [4] .

La transition énergétique est une longue route qui nécessite d’aligner les intérêts des acteurs avec les objectifs publics et l’intérêt général. Outre les incitations à l’investissement, c’est l’ensemble du cadre règlementaire qui doit être stabilisé. Ces dernières années ont vu défiler de nombreux arrêtés qui, accumulés, peinent à faire émerger une vision globale de la destination que notre pays souhaite prendre. C’est la raison pour laquelle nous demandons une stratégie qui soit non seulement ambitieuse mais surtout stable et partagée. Les épisodes de prix négatifs sur les marchés de gros de l’électricité en France et à l’international soulèvent de nombreuses questions sur la façon dont a été conçu le marché énergétique européen : quelle articulation entre marchés de gros, politiques de soutien aux énergies renouvelables et rémunération assurée aux sources d’énergie flexibles ou au stockage ? Quelle stratégie d’évolution des tarifs règlementés ? Comment optimiser les besoins de capacité du marché électrique en France tout en les coordonnant avec les mécanismes similaires mis en place ailleurs en Europe ?

Au total, la question de la place du marché dans le secteur de l’énergie doit être posée, au niveau français et au niveau européen. Dès 2007, Marcel Boiteux [5] avait mis en garde l’Etat français contre l’ouverture à la concurrence des marchés, pointant le risque d’une hausse généralisée des prix. Son propos mérite d’être relu : sans remettre en cause les bénéfices de la concurrence, il nous appelait à nous garder des gourous du marché à tout prix ! Or le fait est que cette concurrence n’amène pas grand-chose dans certains domaines (qu’a-t-elle apporté au consommateur final ?), et coûte dans d’autres : les débats récents sur la hausse des tarifs démontre l’impact de l’ouverture du marché sur la capacité à utiliser les tarifs de l’énergie comme amortisseurs des pertes de pouvoir d’achat. Alors qu’elle peut créer de la valeur ailleurs : la richesse du tissu d’entreprises dans le secteur des énergies renouvelables en Allemagne par rapport à la France s’explique sans doute en partie par l’existence de plusieurs opérateurs et des moindres barrières à l’entrée dans le domaine de la production.

Sans remettre en cause l’idée d’introduire des mécanismes de marché là où ils sont utiles, ces dispositifs présentent de nombreuses limites dans un secteur aussi stratégique, requérant tant d’investissements. Les logiques de marché ne répondent pas systématiquement aux exigences d’un temps long, génèrent rarement spontanément des mécanismes de solidarité et ne garantissent jamais que chacun puisse disposer d’un minimum de consommation sans risque d’interruption. Or ces trois attentes sont inhérentes aux politiques de l’énergie !

Illustrations

La politique de lutte européenne contre les émissions de gaz à effet de serre est peut-être un des exemples les plus frappants de ce paradoxe. Rappelons ainsi qu’en avril 2013, le Parlement européen a fait échouer une première tentative pour consolider cet outil en votant contre une intervention sur le marché (via un gel des quotas) qui aurait permis une hausse des cours de la tonne CO 2 . Si depuis la commission de l’environnement du Parlement européen a pu trouver un compromis, la difficulté des négociations n’est pas de nature à inscrire cet outil sur la durée, ni même d’assurer un prix de la tonne carbone correspondant à son « prix économique [6]  ». Pire, elle est passé totalement inaperçue en France, alors qu’elle est intervenue en plein débat sur l’énergie !

Propositions de solutions

– Doter l’Etat des moyens de mettre en œuvre une véritable politique de l’énergie et des tarifs. En particulier, il apparaît nécessaire de redéfinir en profondeur le schéma européen de l’énergie et la place que l’on souhaite donner au marché. L’objectif n’est en effet pas de mettre le marché partout, mais d’en mettre plus là où il est source de progrès, et moins là où il est contreproductif. Il faut également redonner au secteur public une réelle capacité de vision sur le temps long – moins en ressuscitant le plan qu’en développant des exercices réguliers de « diagnostics partagés et d’accord sur les désaccords » à l’horizon de 25 à 50 ans.

– Mettre en œuvre des politiques stables et lisibles dans le domaine de la croissance verte. La simplification du cadre réglementaire lié au développement de projets d’énergies renouvelables, déjà entamée dans l’éolien par les amendements de la Loi Brottes sur la suppression de la règle des 5 mats et des ZDE [7] , doit être poursuivi.

– Mettre en place des programmes nationaux et européens spécialisés dans l’innovation du secteur de l’énergie renouvelable. Les initiatives d’Oseo dans la création de nouveaux outils de garantie et de financement dans la « vallée de la Mort » [8] sont à saluer. De la même manière, l’Etat et l’Europe d’une manière plus générale doivent s’engager à s’investir dans l’installation de démonstrateurs technologiques dans les différents domaines (stockage d’électricité, panneaux photovoltaïques de 4 e génération, smartgrid, etc.) afin de permettre l’industrialisation future de projets technologiques.

– Adopter une approche stratégique du soutien aux énergies décarbonées ou peu carbonées, en recourant à des outils adaptés aux objectifs :

Les solutions (éolien onshore , cogénération, basculement du charbon au gaz, bioénergie…) disposant du surcoût par tonne de CO 2 économisée le plus bas doivent concentrer l’essentiel des aides, et constituer la cible privilégiée de tarifs de rachat qui doivent être aussi neutres que possible vis-à-vis des autres critères ;

Les solutions (éolien offshore , hydrolien…) disposant d’un coût élevé mais présentant un potentiel d’amélioration fort, et offrant à la France (ou à l’Europe) des perspectives raisonnables de construire un leadership mondial, doivent être encouragées au moyen de « concours de beauté » permettant de sélectionner les technologies.

2 – Le Paradoxe democratique : beaucoup d’attentes citoyennes, mais peu d’implication

La transition vers une économie sobre en ressources et respectueuse de notre environnement nécessite de construire une vision commune de notre avenir pour laquelle une réelle concertation démocratique doit être menée. Cela nécessite des choix stratégiques essentiels pour l’avenir de notre pays dans tous les secteurs : bâtiment, transport, production d’énergie, agriculture, etc. Il s’agit de construire un projet ambitieux et collectif pour proposer une vision positive de l’avenir.

Présentation du paradoxe

Un tiers des français ne sont pas convaincus de la réalité du changement climatique , un pourcentage en augmentation depuis les cinq dernières années [9]

Néanmoins, les citoyens consultés lors de la journée citoyenne voient la transition énergétique comme une opportunité [10]

Les visions qui s’affrontent dans le débat sur la transition énergétique (à la fois sur l’évolution de la demande d’énergie et sur les choix de mix énergétique pour satisfaire cette demande) sont diamétralement opposées, et des choix de société structurants pour notre avenir sont à faire . Quels que soient ces choix, des évolutions comportementales, financières, et organisationnelles fortes seront nécessaires dans les prochaines décennies. En particulier, l’effort demandé aux ménages sera important : rénovation des logements, évolution des modes de transport et des usages de la mobilité, augmentation des prix de l’énergie (programmée ou subie), évolution des comportements et des habitudes de consommation. Ces efforts ne pourront être consentis que si les citoyens sont impliqués dans la construction de ces choix de société.

Or c’est actuellement très loin d’être le cas. La crise a ses effets puisque le chômage est la première préoccupation des français depuis 2008, devant la pollution ; plus alarmante est l’augmentation récente du climato-scepticisme. Parallèlement à cette défiance, les citoyens sont peu impliqués dans le financement de la transition. A titre d’exemple, alors qu’en Allemagne les citoyens détiennent 40 % des capacités installées d’énergie renouvelable [11] , les initiatives privées ou locales restent fortement limitées en France. Les procédures pour l’investissement citoyen sont complexes et doivent être simplifiées pour permettre aux citoyens de devenir des acteurs-investisseurs de la transition.

Pourtant, le sujet de l’énergie continue de susciter de l’intérêt et de l’engouement. L’expérience de la Journée citoyenne du débat sur la transition énergétique a prouvé que les citoyens étaient capables de s’approprier les enjeux et se sentaient concernés à titre personnel (43 % des citoyens craignent d’être en situation de précarité énergétique à court terme). De même, cette enquête a prouvé qu’une majorité des citoyens considèrent que la transition énergétique aura des effets positifs pour la société, et qu’il est urgent d’évoluer vers un modèle énergétique soutenable .

Par ailleurs, la transition énergétique offre une solution pour réconcilier les enjeux environnementaux et économiques qui préoccupent les citoyens : deux études du CNRS-CIRED et de l’OFCE-Ademe ont montré que la transition énergétique peut créer environ 630 000 emplois d’ici à 2030 [12] , principalement dans les secteurs du bâtiment et des énergies renouvelables.

Notons enfin que ce paradoxe démocratique est en fait mondial : le débat sur la transition est en effet concentré dans un petit nombre de pays, représentant une fraction des émissions mondiales de gaz à effet de serre ; la France compte par exemple 2 % de ces émissions seulement. Autrement dit, à l’échelle mondiale, le débat se concentre dans les pays qui ne représentent qu’une part réduite des émissions de CO 2 !

Illustrations

Dans le débat sur la transition énergétique, les exemples suivants nous semblent illustrer le paradoxe démocratique :

- Le silence des médias au sujet des difficultés connues par le dispositif des ETS (système européen de droits d’émission de carbone) illustre la technicité d’un débat qui échappe au citoyen, sur un sujet pourtant clé pour la transition. Alors que les ménages se préoccupent de leur pouvoir d’achat, de leur capacité de pouvoir se chauffer correctement ou de leur facture énergétique, les parties prenantes ne semblent pas en mesure de présenter clairement aux français les conséquences directes et quotidiennes des politiques énergétiques proposées .

- Alors que les récentes innovations se font au niveau diffus, l’Etat maintient une gestion centralisée et freine les initiatives locales et privées. L’île d’El Hirro aux Canaries vient d’annoncer sa totale autonomie énergétique (transport, logement, etc.) et ceci grâce à la participation de l’ensemble des acteurs locaux. Energie Partagée qui, depuis 2011, n’a levé que 2,5 millions d’euros pour la construction de centrales d’énergies renouvelables [13] reste le seul fonds d’investissement citoyen dans les énergies renouvelables en France. Par ailleurs, le « crowdfunding » (ou financement participatif) reste très peu développé, et inexistant dans le financement de la transition.

Propositions de solutions

Il est nécessaire de construire un projet démocratique ambitieux et collectif pour proposer une vision positive de l’avenir .

- Etablir un équilibre entre gouvernance locale, régionale, nationale et européenne : donner plus de responsabilités aux territoires dans les débats, les prises de décisions, l’implémentation et le financement des projets de la transition, en accord avec la stratégie nationale et européenne, peut permettre d’ augmenter l’adhésion des citoyens aux projets de la transition et de favoriser l’innovation . L’exemple de la Région Bretagne, qui s’est dotée d’une société mixte d’investissement, Eilan, pour développer les énergies renouvelables dans la région, est une piste parmi d’autres [14] . A l’échelle des communes, l’exemple d’Energies du Méné montre l’importance de l’implication citoyenne pour porter des projets de transition [15] . Cette logique est particulièrement nécessaire dans des domaines tels que l’éolien terrestre, pour lequel les projets sont avant tous locaux, même si les tarifs de rachat doivent rester nationaux.

- Pour une démocratie énergétique : 1. faire le lien entre les enjeux macro-économiques (gestion du système énergétique, facture énergétique, règlementations, ETS, bilan énergétique de l’année, etc.) et les préoccupations des ménages français (prix de l’énergie, santé, sécurité, qualité de vie, emploi, etc.) ; 2. renforcer la sensibilisation aux enjeux de la transition de tous les citoyens, via l’éducation et les médias ; 3. associer largement l’ensemble des parties prenantes (citoyens, ONG, syndicats, entreprises, administration, etc.) aux processus de réflexion et décision.

- Pour une transition énergétique participative : favoriser l’implication des citoyens dans des projets locaux de transition, soit via leur financement [16] (fléchage de l’épargne des ménages), soit via une implication forte dans la vie des projets.

Enfin, plutôt que de voir une raison de renoncer à toute ambition dans le fait que le débat ne concerne que quelques pays, alors que les émissions de CO 2 et les évolutions de prix ont des effets mondiaux, nous pensons nécessaire de revendiquer au contraire une double ambition :

une ambition forte sur les efforts faits en France dans le domaine de la transition ;

une ambition aussi élevée pour convaincre le reste du monde d’emprunter cette voie, par tous les moyens de la « diplomatie climatique », française ou européenne. La conférence des Nations-Unies sur le climat de 2015 constituera également une occasion importante pour faire évoluer les positions.

Des outils peuvent enfin être mis en place (comme une taxe sur le carbone importé, ou d’autres mécanismes) pour éviter qu’un écart dans la vitesse de réalisation de ces deux ambitions ne vienne réduire la compétitivité de nos entreprises intensives en énergie et soumises à la concurrence mondiale.

3 – Le Paradoxe de la mobilité : Premier enjeu de la transition, grand absent des débats

Présentation du paradoxe

La mobilité représente 43% du déficit commercial français en 2012

La mobilité est la grande absente du débat sur la transition énergétique. Alors qu’elle représente le premier segment émetteur de CO 2 (plus de 35 % des émissions totales) et près de 50 % de la facture énergétique française, les mesures sont rares et la place de ce sujet dans les débats est sans rapport avec son poids dans les émissions de CO 2 !

Les ménages français consacrent en moyenne 15 % de leur budget au transport [17] , poste de dépense qui est passé pour la première fois devant celui de l’alimentation dans les années 2000. Avec l’augmentation des prix du pétrole et des carburants (+60 % pour l’essence et +40 % pour le gazole depuis 2007), ils font face à de nouvelles contraintes pour lesquelles il n’existe pas de mesures à la hauteur de l’enjeu.

De la même manière, la facture énergétique pour l’Etat français a explosé ces dernières années, représentant aujourd’hui 88 % de notre déficit commercial et plus de 3 % du PIB (alors que cette facture ne dépassait pas 1 % à la fin des années 1990) [18] , avec comme principal responsable le transport thermique fossile.

La mobilité doit ainsi être traitée plus nettement : pour les ménages modestes et les ménages ruraux, la voiture – qui permet (sauf grandes villes) l’accès à l’emploi – est étroitement liée au sujet de la précarité. A l’échelle du quinquennat, c’est 300Mds d’euros de déficit commercial qui n’auront pas été investis dans les infrastructures et les énergies de demain. Face aux modestes mesures prises par les précédents gouvernements, c’est le paradigme de la mobilité qui doit être remis en cause. Déjà dans le rapport « Pour une mobilité durable » publié en 2011, Terra Nova mettait en exergue les limites environnementales, énergétiques, sociales et économiques du modèle actuel, et formulait de nombreuses propositions en vue de l’instauration d’une politique de mobilité durable.

Illustrations

Dans le débat sur la transition énergétique, les exemples suivants nous semblent illustrer les situations paradoxales et les limites de nos politiques de mobilité :

- Les grands projets urbains sont aujourd’hui tirés par l’augmentation des capacités, ou à l’inverse la contrainte des usages, plutôt que l’efficacité énergétique. Ces grands projets favorisent souvent l’étalement urbain en l’absence de politiques coordonnées de mobilité et d’urbanisme. Son effet pervers est qu’il vulnérabilise et précarise davantage les habitants de ces zones étalées, pour lesquels le cours du baril de pétrole à une influence directe et de plus en plus importante sur leur revenus disponibles.

- Les nouveaux usages du véhicule (passer de la conduite de son propre véhicule au choix de sa propre mobilité [19] ) ne sont encore que trop peu encouragés. L’auto-partage, le covoiturage ne sont pas assez soutenus alors que leur impact sur le nombre de véhicules en circulation est immédiat [20] et ne nécessite que peu d’investissement.

- Le véhicule individuel a de moins en moins de raisons d’exister sous sa seule forme de moteur thermique et le développement du véhicule de demain doit s’appuyer sur des orientations définies qui mèneront à l’émergence de filières industrielles concurrentielles. On note l’absence de cohérence ou de volontarisme national dans ce sens, notamment pour mettre en œuvre une fiscalité sur les transports, des programmes de recherches (sur le stockage par exemple), etc. Par ailleurs, la focalisation sur la voiture risque de nous faire passer à coté de la révolution en cours sur le deux-roues électrique (qu’il s’agisse de sa diffusion dans les grandes villes chinoises, ou du coût d’utilisation désormais proche du thermique).

– S’agissant des choix énergétiques, on constate dans de nombreux pays une hausse des transports au gaz (Etats-Unis notamment). En France, ce mode de transport, accessible à tous en raison de son surcoût modeste (quelques centaines d’euros pour convertir une automobile d’entrée de gamme) a perdu son soutien au bénéfice de la voiture électrique. De la même façon, les deux-roues électriques (scooters et motos), pourtant adaptés aux besoins urbains, ont bénéficié de peu d’attention alors qu’ils se développent ailleurs dans le monde, notamment dans les grandes villes chinoises.

Propositions de solutions

Les leviers de la mobilité durable sont nombreux : urbanisme durable et aménagement du territoire, reports modaux vers les transports en commun et les modes doux, conduite efficace (formation et outils d’assistance) et accès à l’information pour fluidifier les flux, nouveaux services de mobilité, véhicules particuliers efficaces (y compris pour les plus modestes) et solutions alternatives pour le fret. Mais ces leviers sont actionnés d’une façon peu coordonnée : il n’existe pas en France de stratégie, partant des besoins des Français (différents selon le lieu, le contexte familial ou le revenu), visant une économie sur l’ensemble de la consommation liée à la mobilité, et mobilisant les options offrant le potentiel le plus fort pour le coût le plus faible. Une telle stratégie représente certainement un investissement considérable au niveau national, comme au niveau local, mais cet investissement est probablement l’un des plus rentables de la transition.

Cette stratégie doit prêter une attention particulière à plusieurs points particulièrement négligés :

donner l’accès aux classes moyennes et populaires à la mobilité durable. En effet, pour avoir un effet, la mobilité « verte » ne doit pas être le signe de reconnaissance de quelques utilisateurs engagés. Elle doit au contraire prendre des formes adaptées aux ménages les plus modestes et au plus grand nombre. Par exemple, le volontarisme en faveur de la voiture électrique peut tout à fait cohabiter avec un effort en faveur du gaz (qui représente à l’heure actuelle un surcoût par véhicule et des contraintes d’utilisation nettement moindres).

prendre en compte la diversité des vecteurs énergétiques (thermique pétrole, gaz naturel et biogaz, hybride, électrique, hydrogène) et des solutions pour la mobilité particulière (véhicules 4-roues légers et 2-roues). Si les villes chinoises, où le pouvoir d’achat est une fraction du nôtre, ont pu développer dans certains cas un parc deux-roues électrique considérable tout en accompagnant la croissance de leur industrie, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ?

si les infrastructures de transport nécessitent souvent un « planificateur avisé », nous ferions une erreur en négligeant l’apport de l’ open data dans la mobilité économe : en effet, pour planifier l’heure et les modalités de leurs déplacements, les citoyens ont besoin de connaître les paramètres permettant d’optimiser leur trajet (état du trafic, transports en commun, manifestations en cours, disponibilité des taxis…). Une politique volontariste pour augmenter fortement le volume et la qualité des informations utilisables par les développeurs d’applications serait une façon d’améliorer à faible coût l’empreinte carbone de nos besoins de transport.

4 – Le PARADOXE DU FINANCEMENT

« Nous ne faisons rien parce que nous n’avons pas d’argent, mais c’est précisément parce que nous ne faisons rien que nous n’avons pas d’argent. »

J. M. Keynes

Le financement de la transition énergétique est un levier pour renouer avec une économie en croissance. Investir massivement dans des projets générateurs d’emplois et créateurs de capital en France peut permettre de s’attaquer simultanément aux crises économique et énergétique.

Présentation du paradoxe

Selon la KfW, la rénovation énergétique en Allemagne ne coûte pas, elle rapporte [21]

La crise économique que la France connaît depuis 2008 a pour conséquence un ralentissement des investissements publics et privés dans la transition. La question de l’articulation des urgences économiques, sociales et énergétiques est posée, ainsi que celle de la soutenabilité pour les ménages et pour l’Etat d’investissements massifs dans la transition.

Cependant, le financement de la transition énergétique est un levier pour aider la France à sortir de la crise économique. Avec une croissance et une inflation nulles depuis 2008, et une augmentation du taux d’épargne des ménages, la France peine à sortir de la crise. Pour renouer avec une économie en croissance, il est nécessaire d’investir massivement dans des projets générateurs d’emplois et créateurs de capital en France. Un grand projet national pour la transition répond à ces objectifs, et permettrait ainsi de s’attaquer simultanément aux crises économique et énergétique .

S’engager dès aujourd’hui dans un projet collectif ambitieux de transition permettra de favoriser la relance économique, mais également de développer des filières industrielles françaises d’excellence , riches en emplois et porteuses d’avantages comparatifs pour la France à l’export. A l’inverse, cette volonté d’accompagner les filières ne doit pas être aveugle : la France doit aussi se laisser la possibilité d’importer à bas coût des équipements ou des produits qu’elle ne saura jamais faire de façon compétitive, pour concentrer ses ressources sur l’appui aux filières où elle dispose de chances véritables. Enfin, un projet collectif ambitieux permettra de renforcer le sentiment d’unité nationale et de stimuler l’innovation .

Illustrations

Les flux d’investissements vers la transition sont en ralentissement, malgré les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux de la France et de l’Europe.

- Les efforts pour réduire le déficit des dépenses publiques (en réponse à la crise des dettes souveraines) conduisent à revoir à la baisse certaines politiques énergétiques et climatiques. Par exemple, malgré une demande forte portée par les acteurs du bâtiment et le Plan Bâtiment Durable [22] , l’abaissement du taux de TVA à 5 % pour les travaux de rénovation énergétique n’a pas été annoncé dans le cadre du « plan d’urgence pour le logement » [23] . Un autre exemple est l’attentisme actuel au sujet du décret d’obligation de rénovation dans le tertiaire, du fait du manque de ressources pour rénover le parc public. On observe ainsi à la fois une baisse de la capacité d’investissement direct public, une remise en question de la capacité des Etats à garantir les investissements privés pour la transition, et un retard de certaines mesures règlementaires.

- Les investissements des ménages dans la transition, et en particulier dans la rénovation énergétique des logements, restent également largement inférieurs à l’objectif annoncé de 500 000 rénovations lourdes par an. Depuis 2008, le taux moyen d’épargne des ménages est en augmentation, alors que le marché de l’entretien et amélioration des logements a baissé de 6 % en valeur et 13 % en volume entre 2008 et 2010 [24] .

- Le financement de la transition peut contribuer à résoudre la crise agricole en faisant de l’agriculteur un producteur d’énergie via les ressources présentes sur son exploitation et permettre ainsi d’abaisser le niveau de dépendance à la PAC. En Allemagne, c’est souvent le tiers des revenus des exploitations qui proviennent des énergies renouvelables.

- La capacité des entreprises à investir est en baisse : les grandes entreprises intégrées du secteur de l’énergie ont vu leur dette nette passer d’une cinquantaine de milliards en 2001 à plus de 250 milliards dix ans plus tard. Elles ont par ailleurs toutes perdu leur notation « AAA ». En particulier, les résultats financiers de l’industrie énergétique française (notamment EDF et GDF-Suez) remettent en question la capacité de ces acteurs à porter les investissements nécessaires à la transition. La CRE [25] a ainsi recommandé une augmentation des prix règlementés de l’électricité de 13 à 16 % d’ici 2015 pour couvrir les charges de production et commercialisation d’EDF [26] . Cette tendance est mondiale : les analyses de Bloomberg montrent que les investissements mondiaux dans les énergies vertes ont chuté de 22 % au premier trimestre 2013 par rapport à la même période en 2012, pour atteindre le plus faible montant de financement depuis 4 ans [27] .

Propositions de solutions

– Donner un signal politique fort et une visibilité de long terme aux objectifs de la transition, afin d’orienter les investissements publics et privés vers la R&D, l’efficacité énergétique, les ENR et les infrastructures et technologies sobres. En effet, avant l’ouverture à la concurrence, une grande part des investissements étaient réalisés au taux d’actualisation des projets publics, nettement plus faibles que les taux de marché désormais exigés des opérateurs énergétiques privatisés. En particulier, l’augmentation juste des prix et tarifs (adossés à des dispositifs de prise en compte de la précarité énergétique) doit donner aux acteurs un signal prix suffisamment incitatif pour déclencher un changement comportemental et favoriser les solutions les plus efficaces économiquement, socialement et pour l’environnement. Dans le même temps, des mécanismes doivent être trouvés pour assurer que cette hausse ne vienne pas bouleverser la compétitivité des entreprises. Il s’agit là d’un équilibre complexe et délicat, que le statu quo ne permettra pas d’atteindre : dans certains secteurs, les prix de l’énergie en Allemagne sont actuellement inférieurs à ceux accessibles en France.

– Pour des investissements publics ambitieux dans la transition : Faire une KfW française de l’énergie en alliant la capacité de financement de la BPI avec l’appui à l’export de la Coface, et en garantissant une enveloppe suffisante au financement de la transition énergétique. Sortir de la crise économique et renouer avec une économie en croissance nécessite d’investir massivement dans des projets générateurs d’emplois et créateurs de capital en France. L’Etat et les collectivités doivent permettre de financer la transition à un coût du capital aussi faible que le fut celui qui finança les grands programmes nucléaires – condition indispensable à la faisabilité et rentabilité de tous les projets intenses en capital – et en particulier dans les énergies renouvelables ou la rénovation du bâtiment [28] . Au niveau européen, il s’agit d’orienter les flux d’investissements de la BEI vers la transition énergétique et écologique.

– Développer un secteur privé de l’investissement énergétique innovant , par exemple avec des outils sur le modèle des Sociétés pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica), ou en favorisant les investissements d’épargne-retraite ou d’assurance-vie dans les projets de transition énergétique. Si les grandes entreprises du secteur de l’énergie ne peuvent – ni ne doivent – avoir le monopole de ce type d’investissements, il est cependant nécessaire qu’elles disposent à la fois des moyens et des incitations pour y contribuer davantage.

– Mobiliser l’épargne citoyenne vers la transition : le montant total de l’épargne financière (hors immobilier) des ménages français s’élevait à 3 600 milliards d’euros fin 2011. Flécher une partie de cette épargne vers des projets de la transition, et en particulier vers la rénovation du parc résidentiel, permettrait de créer des emplois non délocalisables, de dynamiser la filière du bâtiment et de réduire la facture énergétique de la France. Faciliter le regroupement du financement des particuliers auprès des exploitations agricoles entre dans le champ du financement citoyen. L’expérience de la KfW en Allemagne montre que les investissements dans la rénovation thermique ont un impact positif sur l’économie, tant en termes de création d’emplois que d’impact sur les budgets publics [29] . Ainsi, le fléchage de l’épargne des ménages peut permettre de créer une véritable relance citoyenne par la transition .

  1. * Pierre Genas est le pseudonyme d’un Chargé d’affaires dans un fonds d’investissement spécialisé dans l’énergie.

  2. En Allemagne, la KfW ( Kreditanstalt für Wiederaufbau – « établissement de crédit pour la reconstruction »), « a pour vocation de mettre en œuvre les missions d’intérêt public telles que le soutien aux PME et à la création d’entreprises, la mise à disposition de crédits d’investissement aux petites et aux moyennes entreprises ainsi que le financement de projet de création d’infrastructures et de logements, le financement de techniques permettant d’économiser l’énergie et le financement d’infrastructure communales » (Source : Wikipédia ; voir également la note de Terra Nova : « Transition énergétique : financer à moindre coût les énergies renouvelables » (18 novembre 2012).

  3. Banque européenne d’investissement

  4. Bourse de l’électricité Epex Spot, 16/06/2013 : 14 heures de prix négatifs sur le marché spot en France sur le week-end du 15–16 juin, avec une pointe de 3 heures à –200€/MWh

  5. Marcel Boiteux, « Les ambiguïtés de la concurrence : Electricité de France et la libéralisation du marché de l’électricité » , Futuribles n°331, juin 2007

  6. Une trentaine d’euros selon le rapport « Quinet » sur la valeur tutélaire du carbone

  7. Zones de développement de l’éolien

  8. « La période pendant laquelle une jeune entreprise est en phase de développement de son offre et de sa clientèle, tout en étant à la recherche de financement pour assurer la mise au point de sa technologie, est une étape de grande fragilité financière. Les dépenses à engager en termes de R&D, recherche marketing, ressources humaines ou encore de stratégie ne compensent généralement pas ou très peu le chiffre d’affaire (éventuel), tout particulièrement lorsque l’entreprise aborde un nouveau marché. Cette phase de déséquilibre porte le surnom évocateur de « vallée de la mort » tant elle constitue une étape très difficile en raison de la multiplicité des obstacles à franchir. » (Source : « Entrepreneurs : de la difficulté à franchir la « vallée de la mort » , http://www.bulletins-electroniques.com)

  9. Source : Ademe&vous, « Environnement, énergie : quelles évolutions des opinions et pratiques des Français ? » , n°31, février 2012. Réponse à la question : « On parle de l’augmentation de l’effet de serre qui entrainerait un réchauffement de l’atmosphère de la terre, à votre avis est-ce plutôt : une certitude pour la plupart des scientifiques ou une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord ? ».

  10. Résultats de la Journée citoyenne du Débat sur la transition énergétique, 25 mai 2013

  11. Au travers de plus de 500 coopératives d’énergie

  12. Etude OFCE-ADEME des emplois générés par les scénarios Négawatt et Ademe : Philippe Quirion (CNRS-CIRED), « Scénario Négawatt, Emplois et économie, Une synergie gagnante » , mars 2013.

  13. Un nouvel appel à souscription est en cours en 2013, pour un montant de 3 millions d’euros supplémentaires

  14. D’ici 2016, la société engagera 4,7 millions d’euros et envisage d’augmenter progressivement son capital afin de soutenir une douzaine de projets d’ici à 2016. Sur cette première période, l’effet de levier financier aura pour effet la réalisation d’environ 100 millions d’euros d’investissements.

  15. Energies du Mené est un projet de transition mené sur sept communes de 6 500 habitants. L’objectif du projet est d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables, tout en maximisant la valeur ajoutée locale et en maitrisant les coûts. L’investissement citoyen local est encouragé, avec par exemple le parc éolien des Landes du Méné qui est détenu à 30 % par les habitants du territoire (CIGALES).

  16. Deux verrous réglementaires subsistent encore en France et ne facilitent pas l’émergence de plateformes appropriées, comme cela peut être le cas en Allemagne (Sunnycrowd), au Royaume-Uni (Abundance Generation) ou aux Etats-Unis (Solar Mosaic): 1. l’offre d’épargne au public qui ne permet pas aux plateformes de financement participatif de réaliser des financements au-delà d’un cercle d’investisseurs de plus d’une centaine de participants, et 2. le monopole des activités bancaires qui empêche les plateformes de permettre aux internautes de prêter des sommes d’argent en dehors d’un statut bancaire.

  17. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip1039.pdf

  18. Chiffres Clés de l’énergie – Edition 2012 , Commissariat général au développement Durable

  19. Dit autrement : passer de la propriété à l’usage.

  20. Setec indiquait en 2010 que le passage d’un taux d’occupation moyen de 1,25 à 1,35 passagers par véhicule peut faire baisser de 8 % le nombre de véhicules en circulation.

  21. Tobias Kronenberg, Wilhelm Kuckshinrichs, Patrick Hansen, “ Macroeconomic Effects of the German Government’s Building Rehabilitation Program ”, MPRA Paper No. 38815, Mai 2012

  22. Sous-proposition n°7.5 du rapport sur les financements innovants de l’efficacité énergétique

  23. Dans le cadre du « plan d’urgence pour le logement » , le taux de TVA à 5 % s’appliquera au logement social à partir de janvier 2014.

  24. Source : Enquête OPEN Campagne 2011, Résultats 2010

  25. Commission de régulation de l’énergie

  26. CRE, Analyse des coûts de production et commercialisation d’EDF dans le cadre des tarifs règlementés de vente d’électricité , Juin 2013

  27. Source : Bloomberg Energy Finance, Global Trends in Clean Energy Investment , Avril 2013

  28. Ces sujets ont été développés dans les notes de Terra Nova : « Transition énergétique : financer à moindre coût les énergies renouvelables » , 18 novembre 2012 ; « Rénovation énergétique des logements : pour une politique volontariste » , 9 janvier 2013.

  29. Macroeconomic Effects of the German Government’s Building Rehabilitation Program ”, op. cit.

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