Ce que l’IA générative fait au travail et à l’emploi
Le sommet de l’IA qui se réunit à Paris met en évidence la rapidité de l’adoption des outils d’intelligence artificielle et notamment de l’IA générative. Plutôt que de céder à un alarmisme spéculatif, ce rapport examine des usages positifs de l’IA générative dans le monde du travail pour lutter contre l’exclusion, favoriser les parcours, faciliter les transitions et enrichir le contenu du travail.


L’émergence et l’adoption rapides des outils d’intelligence artificielle générative (IA Gen) transforment déjà en profondeur le travail et l’emploi. Malgré les prévisions alarmistes de certaines études, il est encore trop tôt pour quantifier précisément les impacts de cette nouvelle technologie. En revanche, des cas concrets montrent que l’IA Gen peut faciliter l’accès au marché du travail, réduire les discriminations, favoriser la progression professionnelle et enrichir les tâches quotidiennes. En automatisant des routines, elle promet des gains de productivité et affectera le contenu et l’organisation du travail. Ce rapport explore les potentiels effets positifs de cette révolution technologique en s’appuyant sur des exemples d’usages concrets dans des entreprises et institutions telles que France Travail. L’IA Gen offre des opportunités tout au long de la vie professionnelle : recrutement, intégration, progression et reconversions. Elle présente un potentiel d’inclusion significatif pour les personnes éloignées de l’emploi. Au stade du recrutement, les outils d’aide à la rédaction de CV et la correction des biais de sélection permettent de mieux valoriser les parcours atypiques et d’accroître la diversité dans les processus de recrutement. Tout au long de la carrière, les capacités de traitement de l’information de ces outils facilitent les transitions professionnelles et les changements de poste. On voit ainsi se dessiner des opportunités où les nouveaux outils issus de l’IA pourront accompagner les salariés et non les remplacer. Cependant, l’adoption se fait par expérimentation prudente de la part des organisations et parfois de manière informelle de la part des salariés (« shadow GPT ») ce qui montre un besoin de négociation collective pour encadrer l’usage de ces technologies et organiser leur déploiement. Les gains de performance qu’on peut attendre de l’IA seront répartis selon des logiques différentes des précédentes révolutions technologiques. Les risques, bien qu’inédits, peuvent être maîtrisés par une action concertée des pouvoirs publics et des acteurs économiques.
Tout d’abord, l’éducation et la formation doivent être adaptées. Larévolution de l’IA doit être intégrée dans les programmes scolaires pour que les élèves en comprennent la logique, et pour faire évoluer les méthodes et objectifs pédagogiques. Ce défi se prolonge également dans la formation continue, où l’offre doit être renforcée rapidement pour accompagner l’ensemble des actifs. Les entreprises doivent être incitées à investir dans la formationprofessionnelle de leurs salariés, afin de maximiser les bénéfices de l’IA Gen. Enfin, le déploiement de l’IA doit devenir un sujet central du dialogue social. Par la négociation et l’accord, il sera possible d’anticiper les évolutions desmétiers, de prévenir les dérives et de surmonter les difficultés liées au développement de ces outils. Une telle approche collective pourrait transformer l’IA générativeen un levier d’inclusion et d’amélioration de la qualité de vie au travail
Introduction
Le développement de l’IA générative s’est imposé et accéléré depuis la mise à disposition publique en 2022 de ChatGPT3 (OpenAI-Microsoft)[1]. Depuis, le rythme de l’innovation se poursuit – encore récemment avec le lancement de nouveaux systèmes d’IA (o1-preview et o1-mini) – et se maintiendra probablement dans les années qui viennent, faisant de la décennie 2020–2030 une nouvelle séquence de bouleversement technologique intense.
L’IA Generative (ci-après “IA Gen”) se distingue des autres innovations récentes par la combinaison de quatre dimensions :
- Elle se base sur un langage proche du langage humain : pour l’usager, non seulement l’IA Gen ne nécessite aucune infrastructure spécifique, mais l’interface avec la machine se présente en langage naturel si bien que l’adoption de cet outil est facilitée pour de nombreux usages et dans de nombreux contextes. Pour bien l’utiliser, il faut bien sûr en comprendre les règles générales mais le bagage technique de base pour y accéder est minimal. C’est ce qui explique que son adoption via des chatbots comme ChatGPT ait été fulgurante même si, au départ, les usages qu’en faisaient les utilisateurs étaient et sont encore peu diversifiés.
- Elle touche potentiellement un très grand nombre de secteurs et d’usages. C’est une « general purpose technology » (technologies à usage général[2]) c’est-à-dire qu’à l’instar d’autres innovations passées (comme l’électricité, par exemple), elle n’est pas cantonnée à un domaine d’application exclusif. Ce n’est pas qu’une révolution technique dont la compréhension serait réservée aux ingénieurs et aux départements des systèmes d’information au sein des entreprises. C’est une révolution d’usage qui concerne potentiellement d’innombrables tâches dans de très nombreux secteurs (tâches rédactionnelles, computationnelles, documentaires, iconographiques, etc.).
- Elle peut créer des contenus à partir de données non structurées, à savoir des jeux de données qui ne sont pas stockées dans des bases de données structurées. Ce point est décisif car ces données sont souvent les plus nombreuses : on estime ainsi que seules 20% des données sont structurées en entreprise[3]. Cela démultiplie les possibilités d’usages nouveaux, en tirant parti de ressources jusqu’à présent difficiles à exploiter.
- Ses effets impactent des professions qualifiées alors que les précédentes ruptures technologiques, notamment l’automatisation, touchaient essentiellement les publics les moins qualifiés[4]. Les premières études montrent même que l’IA Gen permet de réduire les inégalités au profit des travailleurs les moins productifs.[5]
L’IA au secours de la croissance ? L’histoire des innovations technologiques montre que leur arrivée n’entraine pas d’effets uniformes. Les conséquences varient selon leurs conditions d’adoption, leur rapidité de développement, les formes organisationnelles de leur insertion dans le monde du travail. Les gains de productivité associés ne sont pas non plus automatiques ni instantanés. Pour l’heure, les évaluations macro-économiques concernant l’IA sont contradictoires et peu concluantes, fluctuant, selon les estimations, entre une progression de moins de 1% de la productivité et une croissance de 15% sur 10 ans. Jusqu’ici, l’opinion la plus courante considérait que l’IA aurait un impact macro-économique absolument majeur, s’accompagnant de bonnes nouvelles (choc de croissance et de productivité) mais aussi d’inquiétudes lancinantes (destruction d’emplois…). Ainsi, selon des études de Goldman Sachs[6], l’IA pourrait stimuler la productivité[7] de 1,5 point de pourcentage par an sur 10 ans et augmenter le PIB mondial de 7 %. Et, selon la Commission de l’Intelligence artificielle[8] qui a rendu son rapport pour la France en mars 2024, on pouvait tabler sur une hausse du PIB liée à l’accélération de la productivité comprise entre 250 et 420 Mds€ d’ici 2034, soit entre 0.8 et 1.3 point de PIB par an. Pour donner un point de comparaison, +0.8 point, ce fut à peu près l’effet des TIC ; et 1.3 point, celui du déploiement de l’électricité lors de la deuxième révolution industrielle ! Une telle croissance reviendrait à doubler notre croissance potentielle. Mais elle s’accompagnerait d’une importante réallocation d’emplois et de sensibles phénomènes de “destruction créatrice”. Des papiers plus récents présentent une tout autre perspective, notamment celui du prix Nobel d’économie Daron Acemoglu[9] qui a marqué les débats sur le sujet : loin des analyses précédentes, Acemoglu suggère qu’au plan macro-économique, il ne faut sans doute pas s’attendre à des destructions massives d’emploi, mais plutôt à des gains de productivité moyens et progressifs. Selon les modèles qu’il utilise, l’augmentation de la Productivité Globale des Facteurs (PGF) n’excèderait pas +0,71% sur 10 ans. Et encore, ces estimations pourraient être exagérées car « les premiers effets concerneront les tâches faciles à apprendre (easy-to-learn), alors qu’une partie des effets futurs proviendront de tâches plus difficiles où de nombreux facteurs dépendants du contexte affectent la prise de décision et où il n’existe pas de mesures objectives des résultats à partir desquelles on puisse mesurer une performance réussie ». Enfin, même si, au plan théorique, des gains de productivité réalisés sur les tâches de travailleurs peu qualifiés peuvent accroître plutôt que réduire les inégalités, au plan empirique, Acemoglu constate que « les progrès de l’IA ne risquent pas d’accroître les inégalités autant que les technologies d’automatisation précédentes parce que leur impact est plus équitablement réparti entre les groupes démographiques ». Les récentes analyses macro-économiques dont nous disposons sont assez convergentes avec ce scénario. Elles relativisent la vitesse de diffusion de la technologie après un démarrage en fanfare et suggèrent que les gains de productivité pourraient être plus proches de « l’effet TIC » (+0.8) que de « l’effet électricité » (+1.3), et même peut-être inférieurs (plus proches de l’« effet Smartphone » ?). Les principales études conduites en 2023 relèvent en outre que les gains de productivité peuvent être plus sensibles chez les agents qui étaient antérieurement les moins productifs et souvent les moins qualifiés. C’est en particulier l’enseignement de Brynjolfsson et al. 2023, Doshi et al. 2023, Choi et al. 2023 et Dell’Acqua et al. 2023[10] et de l’étude d’Ethan Mollick de 2023[11] réalisées auprès de centaines de consultants du BCG. Comme le suggère le graphique suivant, le recours à l’IA réduit considérablement (ici d’un facteur 4 !) les écarts de productivité entre les collaborateurs les moins performants et les plus performants. Elles notent également qu’une large gamme de postes et d’emplois peuvent être exposés à cette révolution technologique, mais à des degrés variables et avec des gains de productivité potentielle plus ou moins difficiles à extraire. |

Source : Dell’Acqua F., McFowland E., Mollick E. R., Lifshitz-Assaf H., Kellogg K., Rajendran S., Krayer L., Candelon F., Lakhani K. R. (2023), « Navigating the Jagged Technological Frontier : Field Experimental Evidence of the Effects of AI on Knowledge Worker Productivity and Quality », Harvard Business School Technology & Operations Mgt. Unit Working Paper.
Note de lecture : Ce graphique compare l’effet de l’utilisation de l’IA sur les performances des travailleurs d’un cabinet de conseil international pour réaliser des tâches créatives (création, lancement et promotion de nouveaux produits), selon leur niveau initial de performance (sans utilisation de l’intelligence artificielle). L’axe des ordonnées indique les scores moyens sur une échelle de 0 à 10.
Au stade extrêmement précoce de la diffusion de l’IA Gen auquel nous nous trouvons, la capacité à discuter collectivement de l’adoption de nouveaux usages sera déterminante sur les effets économiques et sociaux de cette innovation. En effet, les débats qui entourent l’IA Gen sont en train d’évoluer. Les agents conversationnels sont de plus en plus perçus comme des outils permettant d’assister les travailleurs de la connaissance plutôt que de les remplacer et c’est sans doute ce qu’il faut développer si l’on suit D. Acemoglu[12]. Une perspective qui élargit le débat de la question de l’emploi à celles du travail et des compétences.
A ce jour, les organisations optent, dans leur grande majorité pour une appropriation prudente de l’IA Gen, par expérimentations successives. On observe même parfois une certaine réserve des employeurs vis-à-vis de cette technologie. Selon une étude The Adecco Group publiée au printemps 2024, issue d’une enquête auprès de 2000 chefs d’entreprise[13], la majorité d’entre eux ne comptent pas former leurs équipes à la maîtrise de l’IA, mais préfèrent recruter à l’externe des personnes déjà formées. La méfiance semble peser sur les décisions. Pourtant, à l’intérieur même des organisations, les individus s’emparent de cette technologie et testent progressivement différentes fonctionnalités (rédaction de texte, de message, création d’images, réalisation de synthèses documentaires…), souvent de leur propre initiative. On parle de « shadow GPT » dans les entreprises, un phénomène d’appropriation invisible par les salariés, qui montre une appétence ou un besoin très éloigné de l’attentisme ou de la crainte que les employeurs attribuent souvent à leurs équipes. Les salariés qui utilisent cette technologie au travail se disent d’ailleurs plus productifs (68%, selon la même étude).
Néanmoins, cette prise en main de l‘outil n’est pas toujours sans risque pour les organisations, quand on sait que 55 % des travailleurs qui utilisent l’IA Gen le font sans autorisations ni cadre discuté ou partagé et qu’ils sont encore une minorité à déclarer avoir été formés à l’IA[14].
Notre hypothèse est que, lorsqu’elle sera généralisée et si nous sommes capables de faire les bons choix, l’IA Gen permettra à des personnes de moindre niveau de qualification ou de performance (et/ou à de très petites organisations) d’accéder rapidement à des informations et à une qualité/rapidité d’exécution hier réservées à des profils plus qualifiés (et/ou à des organisations plus sophistiquées et de plus grande taille). En libérant les actifs de toute une série de tâches techniques, la généralisation de l’IA Gen au travail donnera par ailleurs plus de poids et d’importance aux compétences comportementales et au savoir-être. Cela induira de fait des modifications fondamentales des processus de recrutement.
Ces bouleversements technologiques rapides et à large portée vont donc affecter le marché de l’emploi et le monde du travail – comme beaucoup d’autres secteurs de la vie humaine et productive. L’objectif de cette note est de présenter les potentiels impacts positifs de l’IA Gen sur la chaîne de valeur de l’emploi et du travail, c’est-à-dire ceux qu’une stratégie et une politique de progrès devraient poursuivre sans attendre.
Cette révolution technologique présente en effet des opportunités pour lever des barrières à l’entrée dans l’emploi ainsi que des barrières au maintien ou au développement dans l’emploi, et pour enrichir le travail. On ne trouvera donc pas ici de récit dystopique du développement des nouvelles technologies franchissant nécessairement un nouveau seuil de surveillance et d’automatisation, et entraînant la destruction de dizaines voire de centaines de milliers d’emplois. Sans excès de naïveté, cette note s’attachera au contraire, à partir des effets positifs de l’IA Gen déjà observés à date sur le développement des compétences professionnelles, la formation professionnelle et l’enrichissement de certaines tâches, à identifier les conditions dans lesquelles cette technologie pourrait devenir un levier d’inclusion et d’amélioration de la qualité de vie au travail (organisation et conditions de travail, montée en compétences, évolution des carrières).
Ainsi, nous proposons d’étudier, à chaque étape des parcours professionnels, comment et à quelles conditions l’IA Gen pourrait constituer une opportunité pour l’accès, le maintien et la progression dans l’emploi. Nous essaierons d’illustrer chaque piste de réflexion avec des cas d’usage existants déjà déployés dans une organisation pour en tirer des pistes d’action à la fois pour les décideurs publics et pour les entreprises.
A noter que ne sont pas intégrées dans cette note toutes les dimensions liées à l’utilisation des données tels que les enjeux de souveraineté, de cybersécurité ou encore de protection de la donnée.
1. IA Gen et emploi – Réflexions issues des cas d’usage sur toute la chaîne de valeur de l’emploi : de l’accès à l’emploi à l’évolution de carrière
1.1 Ouvrir davantage le marché du travail et faciliter les processus de recrutement
Au stade de l’appariement entre l’offre et la demande de travail, l’IA Gen présente des avantages à la fois pour les demandeurs d’emploi, pour les agences publiques et privées au service de l’emploi, et pour les recruteurs.
Du côté des demandeurs d’emploi, la difficulté pour certains candidats à maîtriser des compétences de base est l’un des nombreux freins d’accès à l’emploi identifiés aujourd’hui. 18% des demandeurs d’emploi sont en forte difficulté en littératie et numératie. Ce taux monte à 25% pour ceux qui sont au chômage depuis plus de deux ans[15]. Rédiger un CV et une lettre de motivation et rechercher une offre d’emploi restent des barrières pour une partie du public. En somme, un grand nombre de personnes peinent à franchir la première haie de la recherche d’emploi : la présentation de soi, de son parcours et de ses compétences telle qu’encadrée par le formalisme des procédures habituelles de recrutement.
L’IA Gen répond à une partie de ces difficultés. En recourant à des outils de conversion de la voix en texte ou à des outils de traduction, ainsi qu’en faisant retravailler un texte par l’IA Gen en l’orientant vers le niveau de formalisme exigé, elle permet de limiter les freins tels que l’illettrisme, la dyslexie, la non maîtrise des outils digitaux, certains handicaps ou encore la maîtrise imparfaite du français. Elle permet également de déduire de ses expériences passées des compétences que le demandeur d’emploi n’aurait pas su ou pas pensé faire valoir.
Plus largement, en utilisant ChatGPT ou des générateurs de CV par IA Gen, le temps consacré à l’élaboration des CV et lettres de motivation est beaucoup plus court, et la qualité des résultats meilleure. Les candidats peuvent ainsi consacrer davantage de temps à la recherche des offres d’emploi elles-mêmes et effectuer davantage de candidatures. La qualité de la rédaction, basée sur les informations fournies par les candidats, peut progressivement s’améliorer.
En parallèle, les agences publiques au service de l’emploi telles que France Travail et les acteurs privés du marché trouvent ou vont trouver, eux aussi, dans l’IA Gen des solutions pour améliorer leurs pratiques de recrutement. Cela accroitra l’efficacité du matching et plus largement des processus de recrutement : ultimement, cela changera la nature des tâches à réaliser et fluidifiera ces processus pour les candidats comme pour les recruteurs.
Le temps ainsi libéré par l’utilisation des chatbots pourra être alloué à un accompagnement plus personnalisé des demandeurs d’emploi et un suivi plus régulier des parcours de recherche d’emploi. Et l’on sait que c’est ce dont ont le plus besoin les publics qui sont les plus éloignés du marché du travail.
Quant aux entreprises qui recrutent, on sait que certaines restreignent les canaux de diffusion de leurs offres d’emploi pour éviter d’être submergées par les candidatures et de devoir consacrer un temps trop conséquent à les trier, les analyser et les hiérarchiser. Le risque de ces stratégies restrictives est du même coup de favoriser l’homogénéité voire le caractère stéréotypé des candidatures reçues et de passer à côté de profils plus diversifiés : à la fin, tous les candidats sont issus des mêmes parcours de formation. L’IA Gen permet d’éviter ces écueils : certains outils peuvent permettre d’automatiser le premier tri sans avoir à limiter les canaux de diffusion des offres, même s’ils restent paramétrés selon des critères introduits par l’humain.
Au-delà de l’analyse des CV et courriers de candidatures, le travail de présélection, à travers des questions fermées, était auparavant réalisé par les recruteurs et exigeait un échange préalable, basique, peu valorisant et souvent chronophage. C’était autant de temps qui ne pouvait être libéré pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. En assurant cette présélection, le chatbot intervient donc sur une fonction qui, en elle-même, ne sollicitait guère les talents des recruteurs. En outre, le chatbot peut également sélectionner des candidats moins “classiques” sur la base de leurs compétences acquises et en donnant un poids moins décisif au diplôme de la formation initiale.
Au total, l’IA Gen présente un potentiel important pour réduire les frictions inhérentes au marché du travail en augmentant la vitesse et l’efficacité de l’appariement entre offre et demande de travail. Les résultats de récentes recherches empiriques vont dans ce sens. C’est notamment le cas de celles de Roland Rathelot[16] et de ses coauteurs : la mise au point d’un outil permettant de générer des recommandations aux demandeurs d’emploi sur la base de leur historique de clics, et son déploiement sur le plus grand site d’offres d’emploi en Suède a conduit à constater que, dans les six mois qui suivent leur première exposition à ces recommandations, les demandeurs d’emploi voient leur taux d’emploi progresser[17].
Des acteurs de la formation comme l’école d’informatique solidaire Simplon ont bien compris le potentiel de l’IA Gen de ce point de vue, en particulier en matière d’inclusion des publics les plus fragiles (personnes en situation de handicap, réfugiés…). Raison pour laquelle cette école s’est associée à OpenAI afin de démocratiser l’accès à l’IA, notamment au moyen d’ateliers grand public.
Cas d’usage illustratifs CV Maker chez Adecco[18]. En quelques minutes, le candidat peut créer son CV en exposant oralement son parcours, ses expériences et ses qualifications, etc. L’outil l’aide à mettre en avant ses compétences de manière claire et professionnelle : le cas échéant, il enrichit les expériences professionnelles passées des compétences qu’elles impliquent si le candidat ne les a pas décrites lui-même. A partir de cette matière orale, l’outil rédige intégralement le CV du candidat. Plus de 80 000 CV ont été créés grâce à cet outil sur les douze derniers mois, et l’outil est référencé sur l’emploi store de France Travail. Job posting, outil de création d’offres d’emploi pour les équipes recrutement d’Adecco3. A l’aide de cet outil, les équipes dédiées à la rédaction des offres d’emploi économisent 70% du temps nécessaire à cette tâche. Le temps libéré peut être réinvesti dans des tâches à plus forte valeur ajoutée comme les entretiens avec les entreprises intéressées pour mieux cerner leurs besoins et leurs attentes, et avec les candidats pour identifier leurs besoins. MatchFT chez France Travail. France Travail expérimente actuellement un outil intitulé MatchFT qui vient appuyer le conseiller entreprises sur trois dimensions : le rapprochement entre les offres et les candidats, l’interaction avec des candidats et l’enrichissement du profil des demandeurs d’emploi. Un système d’échanges conversationnels par SMS entre une IA et le demandeur d’emploi permet de mettre à jour le profil du demandeur d’emploi, de s’assurer que les données sont toujours valides et, le cas échéant, de tester l’adéquation de son profil à une offre spécifique. Cet outil va plus loin que la mise en forme de l’offre et de la demande : il permet d’entamer concrètement le travail d’appariement en prenant en compte les résultats de préqualification. France Travail expérimente également l‘outil QualifFT. L’objectif est d’explorer l’expérience utilisateur grâce à une conversation vocale guidée par une IA Gen. Cela permet de comprendre les besoins du candidat, ses envies et ses contraintes sans avoir besoin de passer par le formalisme du CV. |
1.2 Limiter les biais des recruteurs, des équipes RH, des managers et des cadres face à certains profils (genre, origine, parcours atypique…)
Ces applications de l’IA Gen au recrutement de la main d’œuvre ne sont toutefois pas dénuées de risques. Les universitaires sont de plus en plus nombreux à effectuer des analyses des IA portant en particulier sur les préjugés sexistes et raciaux qu’elles sont susceptibles de répliquer, voire d’amplifier[19]. Des rapports récents traitant des effets sexospécifiques des IA soulignent que la ségrégation professionnelle est un sujet de préoccupation majeur[20]. Le règlement européen sur l’intelligence artificielle du 13 juin 2024, dont l‘approche est fondée sur les risques, classe ainsi les systèmes d’IA utilisés pour le recrutement parmi les systèmes à hauts risques.
Ainsi, selon Reuters, Amazon a dû renoncer à une IA destinée à examiner les CV des candidats à l’emploi. L’entreprise s’est en effet rendue compte que ce système avait un biais d’évaluation en faveur des hommes. L’IA ayant été entraînée sur des CV soumis à l’entreprise sur une période de 10 ans et la plupart d’entre eux émanant d’hommes – prévalence fréquente dans le domaine des technologies –, elle finissait par défavoriser les profils féminins[21].
Pour relever les défis liés à ce type de biais, une réglementation précise et adaptée sera sans doute nécessaire. Les entreprises ont, quoi qu’il en soit, besoin de se prémunir contre les coûts réputationnels attachés à ces risques. Nombre d’entre elles ont d’ores et déjà décidé de créer des comités d’éthique internes sur l’utilisation des IA, au sein desquels les représentants de travailleurs pourraient être encore davantage associés. C’est le cas, par exemple, de La Poste, Orange, Microsoft, The Adecco Group, mais aussi de France Travail.
Par ailleurs, il n’est pas interdit d’imaginer que l’IA Gen puisse aussi être mise au service de la lutte contre des biais cognitifs existants si on l’exerce à les identifier et si on l’applique pour les résoudre situation par situation, avec méthode et rigueur. C’est, du reste, ce à quoi s’emploie d’ores et déjà la start up Unbias (voir encadré ci-après)[22].
Cas d’usage illustratif Unbias 0.8 par Unbias[23]. Unbias propose des modèles d’apprentissage machine “inclusifs et frugaux”. Basé sur l’IA Gen, le modèle Unbias 0.8 propose notamment de “débiaiser le sexisme ordinaire”. Il a été notamment utilisé par le ministère du travail ou encore France Travail, pour réécrire les offres d’emploi afin de supprimer les rédactions genrées de nature à exclure les candidats d’un genre dès la lecture de l’opportunité d’emploi. |
1.3 Faciliter l’accès au savoir technique et accompagner l’évolution des métiers
Sur le long terme, l’IA Gen va permettre de rendre plus accessibles des compétences techniques qui étaient jusqu’à présent longues à acquérir et de ce fait réservées à celles et ceux qui y avaient été spécifiquement formés. Typiquement, il ne sera plus nécessaire d’interroger le juriste d’entreprise pour connaître la réponse à telle ou telle question liée à l’environnement réglementaire de son métier ou activité. L’IA Gen fera office ici, comme dans bien d’autres situations, de compétence technique embarquée, à la disposition immédiate de tout professionnel, y compris parmi les moins qualifiés. Le Sénat s’est d’ailleurs interrogé à ce titre sur l’impact de l’IA et particulièrement l’IA Gen sur les professions du droit[24].
Cela pourra faciliter des transitions professionnelles. Les opportunités professionnelles pourront plus facilement s’élargir, même à des champs techniques ou semi-technologiques, jusqu’à présent inaccessibles lorsqu’ils étaient trop éloignés de la formation initiale des salariés. Ainsi, que ce soit à l’embauche ou au cours d’une carrière, des tâches nouvelles pourront plus facilement être accomplies par une grande diversité de collaborateurs. Les domaines juridique, réglementaire ou comptable sont des exemples parlants. Accéder à des connaissances précises sur les lois, les règlements et les jurisprudences nationaux et européens sera possible via des outils d’IA Gen sans avoir soi-même un profil d’expert sur le sujet en question. De même, les normes comptables applicables et les règles financières attachées à telles ou telles opérations seront rendues plus accessibles à des profils financiers généralistes via les outils d’IA Gen.
Même si, au global, les emplois affectés par le développement de l’IA Gen seront plus souvent modifiés que détruits, il est probable que les gains de productivité s’accompagneront de destructions d’emplois anciens dans certains secteurs et métiers, et de créations d’emplois nouveaux dans d’autres secteurs. La théorie du déversement de Sauvy s’appliquera alors à cette révolution technologique comme elle s’est appliquée aux précédentes. Ces mouvements exigeront une reconversion de la main d’œuvre concernée et des efforts de formation professionnelle. Pour gérer au mieux cette transition, il faudra anticiper autant que faire se peut l’évolution des tâches et des métiers, et négocier l’évolution des carrières professionnelles. Cette préoccupation devrait être d’ores et déjà au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, des managers et des partenaires sociaux.
Cas d’usage illustratif NickelAssist chez Nickel. Les banques et les institutions financières traditionnelles exigent généralement un BTS Banque chez les candidats souhaitant rejoindre leurs équipes de service clients. Chez Nickel, fintech innovante proposant l’ouverture d’un compte bancaire en 5 minutes chez un buraliste et ayant conquis plus de 4 millions de clients en 10 ans, le recrutement se fait dès le baccalauréat. Les équipes du service client de la fintech rassemblent ainsi de jeunes lycéens, des employés de commerce, des ex-coiffeurs… Cela est rendu possible par la formation et les outils mis à disposition des équipes. Mentionnons ici Nickel Assist, outil développé avec de l’IA Gen, qui permet par un simple prompt de faire une recherche sur l’ensemble des modes opératoires et procédures de l’entreprise pour trouver la réponse à la question d’un client. Diagnostic métier LHH[25] au prisme de l’IA Gen. LHH a développé une approche pour accompagner l’introduction de l’IA au sein des métiers. Cette approche s’appuie sur deux phases. En premier lieu, un diagnostic IA des métiers : en s’appuyant sur la cartographie des métiers, détermination des tâches IA-compatibles permettant ainsi l’entraînement / le développement / l’introduction de systèmes d’IA Gen, complété par le recueil des besoins métiers non couverts pouvant être facilités par l’IA. Une deuxième phase pour déterminer le champ d’intervention de l’IA Gen dans l’entreprise, en formalisant les cas d’usage (Productivité individuelle, GEN IA embarquée ou développement d’un système expert poussé). A l’issue de cette étape, une feuille de route intégrant des recommandations dans l’évolution des métiers (accompagnement, formation, types de solutions IA) est proposée. |
1.4 Accompagner la montée en compétence lors de l’intégration de nouveaux collaborateurs
Dans les premières années de la vie professionnelle, certains actifs qui débutent, continuent leur apprentissage en effectuant des travaux tels que la recherche de données, la compilation d’informations ou encore la réalisation de synthèses. C’est particulièrement le cas dans certaines professions, comme les avocats, ou dans les cabinets de conseil. Les jeunes recrues sont souvent dédiées à des tâches chronophages, assez routinières et parfois fastidieuses (travaux de recherche de jurisprudences, préparation de dossiers) mais qui permettent néanmoins d’améliorer la compréhension des dossiers et d’accroître leur expertise.
Dans certaines entreprises, des solutions d’IA Gen, installées localement et reposant sur des données internes, effectuent désormais ce travail de recherche et remplacent les “juniors” auparavant préposés à ces tâches, parfois rébarbatives mais néanmoins très formatrices. Pour que l’introduction des outils d’IA Gen permette d’améliorer la productivité de l’entreprise tout en maintenant l’accueil et la formation des jeunes salariés, il faudra que les tâches allouées aux jeunes évoluent. Il ne s’agira plus seulement de compiler l’information mais de commenter les arrêts, de s’interroger sur les décisions, d’identifier les éventuelles erreurs pour progresser. Ces évolutions prendront du temps car, si certaines entreprises ont déjà commencé à intégrer ces dimensions dans leur “onboarding”, c’est encore loin d’être la norme aujourd’hui.
Inversement, les jeunes professionnels sont souvent plus acculturés que la moyenne à l’usage des nouvelles technologies. Certains utilisent déjà l’IA Gen et vont attendre des entreprises son utilisation en termes d’intégration et de formation professionnelle. Cela va conduire certaines entreprises à accélérer l’intégration de l’IA Gen dans leur organisation pour s’assurer d’avoir les moyens de maintenir leurs « juniors » dans l’emploi. Comme indiqué dans le graphique ci-dessous, les jeunes sont plus nombreux à avoir bénéficié d’une formation sur le sujet. L’IA Gen est à ce titre aussi un levier d’attractivité et de fidélisation.

Source : APEC « Les cadres et l’IA : Quelles connaissances et utilisations professionnelles ? », Mai 2024
Le cas d’usage ci-dessous illustre par ailleurs la manière dont l’entreprise peut accompagner les jeunes leaders à se saisir de l’IA Gen et à contribuer à développer la stratégie de l’entreprise vis-à-vis de cette nouvelle technologie.
Cas d’usage illustratif Programme de développement LHH « Leadership pour la transformation IA ». Ce programme est conçu pour équiper les leaders des compétences techniques et comportementales essentielles pour naviguer et exploiter la puissance de l’IA dans un environnement en rapide évolution. Le programme combine une immersion dans le monde de l’IA Gen grâce à un atelier en ligne sur mesure conçu pour s’aligner avec la stratégie et le niveau de maturité en IA de l’entreprise et des sessions entre groupes de pairs pour apprendre à stimuler l’innovation et à accompagner la transformation induite par l’IA Gen dans l’entreprise. |
1.5 Favoriser les mobilités internes en cours de parcours professionnel
Évoluer d’un département ou d’une équipe à un autre au sein d’une même organisation ou valoriser des compétences acquises en cours de la vie professionnelle constituent parfois de vrais défis pour se développer professionnellement, les informations concernant la carrière d’un collaborateur au sein de son organisation ou issues d’autres expériences (compétences, formations réalisées, entretiens de performance…) n’étant pas toujours formalisées de la même manière par les managers et les équipes RH. Ainsi, l’AI Gen peut faciliter le croisement d‘informations issues de systèmes informatiques différents et formalisées sur différents supports en les valorisant de manière uniforme sur un même support. Cela pourra dynamiser les mobilités internes et favoriser les reconversions.
Cas d’usage illustratif Reconversion des facteurs du Groupe La Poste[26]. La reconversion des facteurs du Groupe La Poste est un véritable défi. La baisse rapide du courrier à distribuer modifie leurs activités et offre l’opportunité de développer notamment la relation client et de nouveaux services. L’identification des compétences de chacun et l’examen de leur correspondance avec les compétences recherchées dans toutes les filiales du Groupe La Poste constituent deux défis à surmonter. Pour atteindre ces objectifs, les équipes des Ressources Humaines travaillent actuellement à des modèles d’IA Gen pour exploiter ces informations qui ne sont pas suffisamment structurées et réparties dans plusieurs outils et relever ainsi plus facilement ce défi de transformation des métiers. Facilitation de la mobilité interne chez AKKODIS[27]. Pour favoriser la mobilité interne et valoriser les compétences disponibles, AKKODIS a intégré une solution d’IA Gen qui cartographie automatiquement les compétences des collaborateurs à partir de leurs CV, quels que soient les formats de ces documents. Ce processus produit instantanément une première version du dossier de compétences, que chaque collaborateur peut ensuite compléter et affiner. Grâce à un module de recherche avancé, les équipes d’AKKODIS peuvent aisément identifier les profils internes les mieux adaptés aux besoins projets en saisissant simplement un résumé de poste ou des compétences recherchées. La base de données, couplée à l’algorithme de matching de l’IA Gen, permet une exploitation optimale des talents internes, réduisant les obstacles à la mobilité et favorisant l’évolution de carrière des collaborateurs au sein de l’entreprise. |
L’examen de ces cas d’usage souligne que le potentiel de l’IA Gen est bien là : elle pourrait avoir un impact positif pour lever les principales barrières à l’emploi que nous observons actuellement ; elle pourrait conduire à repositionner des postes sur des missions de contact et des interactions humaines (avec le client, l’usager…) ; elle pourrait fluidifier les mobilités internes ; etc. Et nous ne sommes encore qu’au début de ces transformations. Mais en se généralisant, l’IA Gen va soulever de nouveaux défis que nous devons d’ores et déjà anticiper et que nous ne devons pas sous-estimer. L’IA Gen n’est pas un choc exogène qui s’impose à nous : elle prendra la forme que nous serons capables de lui donner. Comment les pouvoirs publics et les acteurs économiques peuvent-ils contribuer à ce que le potentiel inclusif de l’IA Gen soit pleinement exploité, veiller à contrôler les risques et inciter les organisations à se saisir activement du sujet ?
Pour répondre à ces défis, il faudra mettre en place des actions et des politiques fortes.
2. Recommandations
2.1 Adapter les politiques de formation initiale et continue
Recommandation #1
Adapter la formation Initiale
Le déploiement de l’IA Gen va considérablement modifier la formation initiale. Elle va en effet s’imposer à la fois a) comme un nouveau moyen d’enseignement, b) comme un nouvel objet d’enseignement et c) comme une nouvelle hiérarchie des compétences scolaires.
- Elle va d’abord s’imposer comme un nouveau moyen d’enseignement. Le Partenariat d’Innovation Intelligence artificielle (P2IA) de l’Education nationale se propose déjà de développer et de fournir aux enseignants des services d’assistance pédagogique “grâce à des solutions innovantes basées sur l’intelligence artificielle (IA) et la recherche scientifique”. Il a déjà permis de développer des outils pour l’apprentissage de la lecture comme Lalilo (https://p2ia.lalilo.com/). D’autres outils comme Adaptativ’Math (Adaptiv’Math) dans le champ des mathématiques vont dans le même sens. Ces outils sont des assistants pédagogiques fondés sur l’adaptative learning. Leur principal intérêt est de permettre la différenciation et la personnalisation des apprentissages en fonction des difficultés des élèves.
Dans ces domaines, il importe de passer dès que possible de l’expérimentation au déploiement à grande échelle, notamment en formant les nouveaux enseignants à l’usage de ces instruments pédagogiques innovants.
- L’IA Gen doit dans le même temps s’imposer comme un objet d’enseignement. Dans un monde où de nombreuses compétences seront couvertes par des machines, les individus devront être davantage préparés à utiliser correctement ces machines, à en contrôler les résultats et à en connaître les risques. C’est pourquoi il convient d’intégrer aux missions de l’Éducation nationale l’apprentissage des IA Gen : apprendre à manipuler ces outils, comprendre leur fonctionnement et les enchâsser dans la formation générale tout en veillant à ce que chacun y ait un égal accès. A l’image de ce qui existe déjà avec la plateforme de formation au numérique Pix (https://pix.fr/) développée par l’Éducation nationale mais accessible gratuitement à tous, une plateforme de montée en connaissances et en compétences dédiée à l’IA Gen pourrait être d’un accès universel.
- Enfin, le déploiement de l’IA Gen va imposer une nouvelle hiérarchie des compétences scolaires et notamment une forte réévaluation des soft skills et de la communication orale. De nombreux cas d’usage montrent que le développement des IA Gen recentre l’activité ou le métier concerné sur la relation client ou l’interaction directe avec l’usager. Pour investir les interactions humaines auxquelles les IA Gen pourraient donner une place croissante dans le monde du travail, il importe de préparer correctement les plus jeunes, notamment en accompagnant encore davantage les élèves dès le plus jeune âge dans le développement de leurs compétences psycho-sociales : capacité d’anticipation, de flexibilité, capacité à gérer le changement, l’incertitude, de s’adapter, favoriser l’esprit critique ; et accompagner encore plus les jeunes pour développer leur créativité et la confiance en soi. Or les enquêtes PISA ont montré que ce ne sont pas là des points forts de l’Education nationale[28]. C’est pourquoi il importe de donner une plus grande place au développement de ces compétences psycho-sociales au sein de l’école.
Recommandation #2
Développer l’offre de formation continue
Le défi d’une formation de masse à l’usage des IA Gen se prolonge à l’âge adulte : il ne s’agit pas seulement de former le flux des entrants sur le marché du travail, mais aussi le « stock » des actifs en emploi ou en recherche d’emploi. Des travaux récents de l’OCDE ont montré que plus les salariés sont formés aux usages de l’IA, plus les bénéfices en sont élevés[29]. Le système de formation continue doit pour cela s’adapter en permanence pour répondre au rythme de transformation des compétences. Or le développement de l’IA Gen risque de marquer une nouvelle accélération dans ce domaine.
Pour faire face à cette accélération, il faudra a) proposer des offres pertinentes sur le marché de la formation, b) envisager des modes de formation plus immersifs, c) faire jouer davantage la validation des acquis de l’expérience et d) stimuler le rôle des branches.
- Le défi ne pourra être relevé que s’il existe rapidement des offres de formation pertinentes sur le marché de la formation professionnelle. Il est nécessaire que les acteurs de la formation développent des programmes actualisés en faveur d’une IA Gen inclusive et vertueuse. Plusieurs dispositifs existent aujourd’hui :
- L’enregistrement d’une certification au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) est nécessaire pour être reconnue par l’Etat mais c’est un processus souvent très long, ce qui limite la capacité des universités, des écoles et des centres de formation à se saisir du sujet en amont.
- D’autres formations sont dispensées par des établissements publics ou privés, des associations, des entreprises ou tout autre organisme habilité à dispenser des formations professionnelles. La certification de l’État n’est pas une nécessité, même si cela limite l’accès à certains financements.
- Les certificats de qualification professionnelle (CQP) sont des dispositifs extrêmement intéressants. Créés et délivrés par une ou plusieurs branches professionnelles, ils permettent aux salariés d’acquérir des compétences spécifiques à un métier, reconnues par la convention collective ou l’accord de branche auquel il se rattache ainsi qu’une une qualification opérationnelle grâce la certification des compétences acquises par la formation ou par l’expérience.
Les référentiels des formations devront intégrer des compétences spécifiques à l’IAG en adaptant les contenus, les compétences enseignées et les méthodes d’évaluation. Les processus de certifications devront être suffisamment fluides et rapides pour intégrer les avancées les plus récentes.
- Les usages de l’IA Gen varieront considérablement d’un environnement professionnel à l’autre et seront très étroitement liés à l’organisation du travail dans chaque entreprise. C’est pourquoi il faudra développer et encourager dans le futur les actions de formation en situation de travail qui hybrident davantage travail et formation, c’est-à-dire des interventions en situation de travail qui s’ajustent le mieux possible au besoin dans une logique de « flux tendu » : j’apprends en travaillant, et non pas j’apprends, puis je travaille, puis j’apprends… C’est déjà le cas dans le cadre des AFEST[30] (actions de formation en situation de travail) où l’intervenant vient former le salarié directement sur son lieu de travail, avec les outils dont il dispose à l’intérieur de son organisation.
- La validation des acquis de l’expérience (VAE) devrait également pouvoir être rapidement mobilisée pour reconnaître et certifier les compétences acquises en matière d’usage des IA Gen. C’est souvent plus rapide et moins cher que de développer tout un programme de formation dédié, et cela permet de valoriser les sensibilisations à l’IA qui sont faites dans les entreprises ou même l’usage qu’en font plus ou moins spontanément les salariés, car ils acquièrent des compétences en utilisant l’IA dans leur travail au quotidien.
- Les branches professionnelles ont également un rôle à jouer dans la définition des politiques de formation sectorielles et le soutien à l’investissement dans ce domaine. Leur action est particulièrement précieuse à destination des TPE et PME qui ne disposent pas des mêmes moyens que les grandes entreprises pour stimuler et accompagner ce virage technologique. Or on sait que le rythme auquel les gains de productivité pourront être extraits dans les différents secteurs du tissu productif dépendra en grande partie de la capacité des entreprises de taille moyenne et petite à adopter ces solutions technologiques. En somme, le rôle des branches pourrait être décisif pour faire entrer ces entreprises dans le mouvement général.
Comment faire ? Les entreprises ont l’obligation de participer au développement de la formation professionnelle en versant la contribution à la formation professionnelle et la taxe d’apprentissage. En complément de ces contributions, les partenaires sociaux peuvent décider, par accord de branche, du versement de contributions conventionnelles complémentaires à la formation. Ces fonds supra-légaux appelés auprès des entreprises de la branche pourraient être mis à profit pour former les salariés à l’IA Gen et aux applications les plus sensibles du secteur. Et là où de telles contributions complémentaires n’existent pas, les partenaires sociaux devraient envisager de négocier à ce sujet. Nous verrons plus loin quelles pourraient être les incitations mises en place par les pouvoirs publics pour favoriser de telles négociations (voir infra, Recommandation 3).
De manière plus générale, les branches ont vocation à apporter un appui d’expertise et de conseil aux entreprises de leur secteur et singulièrement aux plus petites.
2.2 Accompagner les entreprises dans leur effort de formation
L’entreprise est un acteur central du maintien et du développement des compétences ; elle a même désormais l’obligation légale de veiller à l’employabilité de ses salariés. Ses décisions et efforts en la matière rencontrent des motifs d’intérêt général qui justifient le soutien de la puissance publique. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’IA Gen : une technologie qui a vocation à toucher de très nombreux secteurs d’activité, qui recèle des gains de productivité significatifs, qui est susceptible de profiter aux peu diplômés et qui comporte un réel potentiel d’inclusivité.
Recommandation #3
Au regard de ces enjeux, il est essentiel que les pouvoirs publics continuent à inciter fortement les entreprises à investir dans la formation professionnelle de leurs salariés. Pour accroître ces incitations, plusieurs pistes mériteraient d’être étudiées. Nous en mentionnons deux.
- La première consiste à réformer le traitement comptable des dépenses de formation professionnelle de manière à ce qu’elles soient davantage reconnues comme des investissements à proprement parler. En effet, jusqu’à une époque récente, les dépenses de formation professionnelle d’une entreprise étaient considérées comme des charges dans sa comptabilité. Début 2020, l’Autorité des normes comptables a consenti une révision de son règlement[31] pour que certaines des dépenses de formation professionnelle puissent être comptabilisées comme des actifs de l’entreprise et, en conséquence, ouvrir droit à amortissement sur plusieurs années. Cette disposition permet de lisser l’effort de formation dans le temps.
Il reste que seules sont éligibles pour le moment les dépenses de formation versées à des prestataires extérieurs dans le cadre de l’acquisition d’un nouvel outil de production (machine, logiciel, etc.), c’est-à-dire celles qui sont liées à la mise en service d’un investissement. Autrement dit, les dépenses consenties pour former des salariés au maniement et à l’usage du nouvel équipement. Il faut aller plus loin en commençant par rendre éligibles à l’amortissement les dépenses de formation versées en interne (et non seulement à des prestataires extérieurs) et singulièrement dans le cadre des mutations technologiques en cours, à commencer par l’IA.
Toutefois, deux difficultés doivent être surmontées :
- L’écart de normes qu’une modification plus profonde occasionnerait entre le plan de comptabilité générale français et les normes internationales IFRS qui s’imposent aux entreprises cotées. Cette difficulté ne devrait pas dissuader d’avancer, mais au contraire nous inciter à créer les coalitions européennes et internationales nécessaires pour peser en ce sens sur l’IASP et réduire ainsi l’écart de normes à un moment où la plupart des économies européennes sont confrontées au déploiement de l’IA Gen et à une “panne de productivité”. En outre, cette initiative ne serait nullement un problème de ce point de vue pour les TPE et PME (non cotées pour la plupart).
- En cas de défaut de l’entreprise, son actif fait partie des ressources valorisables et mobilisables. Compter le capital humain comme un actif comporte un risque, car les salariés restent libres de quitter la société à tout moment, et les mieux formés font partie des plus susceptibles de le faire. En réalité, les entreprises ne possèdent pas de capital humain : elles emploient des personnes, qui elles, ont un capital humain. Cette difficulté de principe est une objection forte. Néanmoins, trois observations permettent de la moduler.
- La décision de l’Autorité des normes comptables de janvier 2020 rencontre potentiellement la même limite. Même si elle « ancre » le capital humain dans une immobilisation (machine, logiciel…), les compétences concernées restent attachées à des personnes qui demeurent libres de leurs engagements futurs.
- Le risque d’une comptabilisation à l’actif de compétences en réalité volatiles pourrait être réduit par la durée d’amortissement autorisée. C’est pourquoi il nous semble que le débat doit se poursuivre et que doivent être explorées sans attendre toutes les solutions susceptibles d’étendre davantage encore la reconnaissance comptable de l’investissement des entreprises dans le capital humain.
- Pour se prémunir du risque de voir les salariés partir après avoir engagé des frais importants dans leur formation, les entreprises ont développé des stratégies, notamment par l’insertion d’une clause de dédit-formation dans les contrats de travail ou par avenant. Une telle clause permet d’exiger du salarié qu’il indemnise partiellement son employeur du coût de sa formation, en cas de départ anticipé de l’entreprise. La durée de rétention prévue contractuellement pourrait être calquée sur la durée d’amortissement évoquée ci-dessus.
- La seconde piste qui pourrait être explorée concerne la conditionnalité des allègements de cotisations patronales. On sait que celles-ci sont sur la sellette ces derniers mois, notamment au-dessus de 2 voire 2,5 Smics. Plusieurs rapports ont souligné l’inefficacité de ces allègements de cotisations, surtout à partir de 1,6 SMIC. Toutefois, dans les secteurs où les rémunérations supérieures à 2,5 Smics sont les plus représentées – en particulier les secteurs industriels –, la suppression de ces allègements pose une question de compétitivité. Au lieu de supprimer purement et simplement ces allègements, ne pourrait-il pas être envisagé de conditionner leur maintien à un surcroît d’investissement des entreprises dans le capital humain, c’est-à-dire dans la formation de leurs salariés ? Cet effort supplémentaire dans la formation pourrait se déployer au niveau des branches professionnelles : en contrepartie du maintien de tout ou partie des allègements de charge, elles pourraient s’engager à négocier avec les organisations syndicales un effort de formation supérieur au plancher légal actuel de la contribution légale (1% + 0,68% pour l’apprentissage). Les entreprises de chaque branche concernée verseraient ensuite une contribution correspondante qui pourrait abonder un fonds dédié qui serait utilisé pour former les salariés des entreprises de toute la branche.
2.3 Adapter les politiques publiques de l’emploi
Le développement de l’IA Gen dans le domaine de l’emploi est un levier susceptible d’améliorer le service rendu aux usagers, aux agents et aux demandeurs d’emploi, en particulier pour faciliter leur retour sur le marché du travail. L’IAGen peut être utilisée non seulement pour automatiser des processus, mais aussi pour dégager des moyens nécessaires afin d’améliorer l’accompagnement humain et de réduire les inégalités. Avec l’IA Gen, il devient possible de sélectionner plus finement les profils en fonction de leurs compétences et de leurs affinités et de les former à des métiers qu’ils ne connaissent pas forcément, mais qu’ils sont capables d’exercer du fait de leur savoir-être et de leurs qualités humaines.
Recommandation #4
Mettre à profit le potentiel inclusif direct et indirect de l’AI gen en généralisant son utilisation dans le service public de l’emploi et de manière générale pour tous les usagers des services publics.
Le potentiel inclusif de l’IA Gen est à la fois direct et indirect.
Direct car, on l’a vu, elle permet aux personnes éloignées de l’emploi de souscrire plus facilement aux exigences formalistes de la recherche d’emploi (réalisation de CV, lettres de motivation, etc.). Pour cette raison, il est souhaitable de généraliser les dispositifs comme le CV Maker. Déjà référencé par France Travail, cet instrument doit être plus largement diffusé et promu auprès des demandeurs d’emploi et des publics les plus vulnérables. Il est également souhaitable que les structures d’accompagnement vers l’emploi puissent utiliser les outils de conversation par SMS (France Travail) pour affiner l’appariement en amont de la première interaction humaine (et donc à l’abri des préjugés de genre, origine, etc. pour autant que les IA elles-mêmes soient exemptes de tels biais).
Mener des campagnes de communication directes à destination des demandeurs d’emploi ou indirectes via les structures d’accompagnement vers l’emploi et via le réseau national pour l’emploi : missions locales, cap emploi, APEC, services emploi des communes et des intercommunalités… dans l’objectif d’accélérer le déploiement de ces outils auprès des publics plus vulnérables.
Le potentiel inclusif de l’IA Gen est également indirect : parce qu’elle permettra aux agents de France Travail de gagner du temps sur toute une série de tâches techniques, elle leur permettra également de consacrer davantage de soin et d’énergie au suivi individualisé des personnes les plus éloignées du marché du travail. D’une manière plus générale, dans tous les domaines de l’action publique où une action plus individualisée auprès des usagers est souhaitable (demandeurs d’emplois éloignés du marché du travail, élèves en difficulté, etc.), les gains de productivité liés au déploiement de l’IA Gen ne doivent pas être prioritairement alloués à l’allègement de la charge financière des services publics, mais au suivi personnalisé des publics.
2.4 Placer l’IA Gen au cœur du dialogue social
Recommandation #5
IA Gen et dialogue social
Des travaux récents de l’OCDE ont montré que le déploiement de l’IA est d’autant plus profitable aux organisations et aux actifs qu’il passe par le dialogue social et le dialogue professionnel[32]. Ces médiations permettent en effet de mieux identifier les difficultés et de les surmonter.
Par exemple, dans les organisations où elle est déployée aussi bien qu’au niveau des individus qui y recourent, l’IA Gen apparaît, on l’a vu, comme un économiseur de « routines créatives » (computationnelles, rédactionnelles, etc.). Or, dans le quotidien des organisations, ces routines peuvent être plus ou moins fastidieuses, répétitives et chronophages, mais aussi plus ou moins source de régénérations ou de pauses cognitives pour les actifs au cours de leur journée de travail. De même, il n’est pas certain que tous les salariés aspirent aux interactions humaines et aux missions de contact qui, comme on l’a vu, pourraient se substituer à ces routines : tous n’ont pas les qualités et les compétences psycho-sociales requises pour cela et certains devront sans doute être accompagnés vers d’autres évolutions professionnelles. Comme le pointe Antoine Amiel (Learn Assembly), il est probable que l’IA Gen impacte moins l’emploi que le travail dans son contenu, son identité et son vécu. Il est donc crucial que le dialogue social s’empare des différents effets liés à l’intégration de l’IA Gen dans le collectif et l’organisation du travail.
Il importe pour cela de faire de l’IA Gen un sujet de dialogue social au sein des entreprises, en le faisant progressivement devenir un sujet commun d’accords possibles comme l’emploi des séniors ou le handicap ou en le positionnant, le moment venu, comme un sujet d’accord obligatoire tels que le télétravail ou l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Au-delà de l’accompagnement des parcours professionnels des salariés exposés au déploiement de l’IA Gen, ce dialogue social devra également se saisir des conditions d’une gestion éthique du potentiel de cette technologie. Au niveau de l’entreprise comme des branches, il importe également que les partenaires sociaux étudient ensemble, dans le cadre de la Gestion des emplois et parcours professionnels (GEPP), la possibilité de détecter les métiers qui pourraient se trouver en décroissance ou au contraire en tension, qu’ils travaillent sur l’évolution des compétences et qu’ils considèrent l’intérêt de mettre en place un observatoire paritaire des effets de l’IA sur les métiers.
Cas d’usage illustratif IA & Dialogue social à la MAIF Consciente du potentiel de transformation des métiers lié au déploiement de l’IA au sein de son groupe et soucieuse d’en anticiper les effets au moment de définir ses choix stratégiques en la matière, la MAIF a pris une initiative originale en concertation avec ses représentants syndicaux : organiser une « convention de salariés » sur cette question. Inspirée des conventions citoyennes nationales (pour le climat, sur la fin de vie…), elle fait le pari que ces méthodes démocratiques innovantes sont de nature à favoriser à la fois la performance de l’entreprise et sa cohésion sociale. Le processus se déroule en plusieurs temps :
L’engagement de la direction à l’égard des 30 salariés-conventionnels est de répondre de façon motivée à ces propositions, qu’il s’agisse de les adopter, de les écarter ou de les explorer de façon plus approfondie. L’idée sous-jacente à cette initiative est à la fois d’aiguiser la conscience partagée du changement au sein de l’organisation, d’anticiper les mutations en mettant l’intelligence collective au service des choix stratégiques de la direction et, le cas échéant, de pouvoir mettre en place les moyens d’en prévenir les effets négatifs. Les conclusions n’en sont pas publiques au moment où nous rédigeons ce rapport mais l’expérience préfigure d’ores et déjà un nouvel instrument au service du dialogue professionnel et de l’innovation organisationnelle face à des ruptures technologiques profondes. |
2.5 Recommandations à l’attention des décideurs privés
Recommandation #6
Indépendamment de ce dialogue social, il est essentiel d’aider les entreprises à se projeter et à anticiper les possibles impacts de l’IA Gen sur les compétences, l’emploi, l’organisation, à tous les niveaux : salariés, managers, direction, fournisseurs. C’est indispensable pour créer les conditions pour réussir et engendrer de la confiance. Cela doit se faire à la maille de l’entreprise, de la filière et/ou du territoire. Plus tôt ont lieu ces discussions, meilleure est la capacité d’adoption du corps social.
Pour cela, il importe d’utiliser les dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (aujourd’hui réservés aux entreprises de plus de 300 salariés) pour identifier les emplois menacés, accompagner les salariés les plus exposés, former à l’utilisation de l’IA Gen et aux nouvelles compétences demandées.
Il importe également de conduire le changement au sein des entreprises en s’appuyant sur les collaborateurs les plus motivés et les plus avancés dans le virage technologique. On sait en effet que le niveau moyen de formation d’un travailleur améliore la productivité des autres travailleurs avec lesquels il interagit par un effet de « compétence collective ». Cet effet d’agglomération permet des échanges d’informations entre agents qui augmentent la productivité globale des facteurs. Pour favoriser la diffusion du « learning by doing » entre les travailleurs, les organisations auront avantage à identifier parmi les collaborateurs d’un même département ou service celles et ceux qui sont le plus susceptibles d’être des ambassadeurs des nouveaux usages de l’IA Gen auprès de leurs pairs et de les aider à se former et à développer leurs talents spécifiques.
Conclusion
C’est à l’IA d’assister les travailleurs, et non l’inverse. Les choix que nous ferons dans un avenir proche doivent permettre à cette révolution technologique d’être inclusive et éthique, et de se mettre au service de l’emploi du plus grand nombre. C’est la philosophie que nous avons suivie tout au long de ce travail, conformément aux vœux exprimés par Daron Acemoglu dans ses récentes interventions publiques.
La généralisation de l’IA Gen nécessite une appropriation collective de la technologie et de ses enjeux. Par les entreprises qui doivent en identifier les applications les plus opportunes et les plus prometteuses sans se laisser dicter leurs choix par des modes. Par les travailleurs et leurs représentants qui doivent être associés à cette révolution technologique et formés à ses usages : on a vu que plus le dialogue social est sollicité et la formation développée, plus les bénéfices de l’innovation technologique sont élevés. Par les décideurs publics, enfin, à qui il revient de donner les bonnes impulsions et de fixer un cadre qui empêche les dérives et favorise à la fois la performance et l’équité.
Il n’y a pas de fatalité technologique : l’IA Gen sera ce que nous en ferons collectivement. Son destin n’est pas entre les seules mains des ingénieurs de la Tech qui mettent au point les outils. Les inventeurs sont même souvent les plus mauvais prophètes des usages qui seront bientôt faits de leurs découvertes. Thomas Edison pensait que le phonographe permettrait d’enregistrer la parole des mourants ! Et on prête à Alexander Graham Bell l’idée que le téléphone électrique permettrait de faire entendre de la musique à distance… Les concepteurs des IA Gen ne sont pas davantage prophètes des usages qui en seront faits. A nous de façonner cette révolution pour qu’elle soit juste et utile.
Composition du groupe de travail
- Marie DEGRAND-GUILLAUD, Directrice Générale de Nickel, Administratrice ADIE
- Fanny BARBIER, Editrice associée Smart Factory chez Entreprise&Personnel
- Suzanne GORGE, Directrice générale adjointe de Terra Nova
- Camille GUEZENNEC, Directrice des Affaires Publiques et de la Prospective, The Adecco Group
- Hélène JONQUOY, Directrice Digital et IA, The Adecco Group
- Iona LEFEBVRE, Responsable des relations institutionnelles, The Adecco Group
- Marc Olivier PADIS, Directeur des études, Terra Nova
- Thierry PECH, Directeur général, Terra Nova
- Martin Richer, Président et fondateur, Management & RSE
- David SOUBIELLE, Directeur Advisory et Leadership Development, LHH, The Adecco Group
- Sébastien RAMIREZ, Directeur Digital IT France, Akkodis, The Adecco Group.
Liste des personnes auditionnées
(Le contenu de cette note n’engage pas les personnes auditionnées)
- Aurélia Andreu, Directrice des ressources humaines, Groupe Crédit Social des Fonctionnaires
- Anne Bouverot, envoyée spéciale Sommet pour l’Action sur l’IA, Co Fondatrice de la Fondation Abeona
- Stéphane Campion, Responsable des relations externes IA et Data, France Travail
- Laurent Daudet, Fondateur et dirigeant, LightOn
- Sylvie Joseph, Administratrice, Groupe La Poste
- Daphné Marnat, Anthropologie et fondatrice de la startup Unbias
- Roland Rathelot, Professeur d’économie, ENSAE, IP Paris et CREST
- Franca Salis-Madinier Secrétaire nationale CFDT Cadres/VP groupe Travailleurs CESE
[1] ChatGPT, basé sur GPT-3, a été mis à disposition du public pour la première fois le 30 novembre 2022. Cependant GPT-3, le modèle sous-jacent, avait été lancé plus tôt, en juin 2020, mais uniquement pour certains développeurs via une API d’OpenAI.
[2] OECD (2023), “A blueprint for building national compute capacity for artificial intelligence”, OECD Digital Economy Papers, No. 350, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/876367e3-en.
[3] Interview de Laurent Daudet, Fondateur de Light On
[4] D. Acemoglu (2000) “Technical Change, Inequality and The Labor Market”, Journal of economic Literature
[5] Source : Dell’Acqua F., McFowland E., Mollick E. R., Lifshitz-Assaf H., Kellogg K., Rajendran S., Krayer L., Candelon F., Lakhani K. R. « Navigating the Jagged Technological Frontier : Field Experimental Evidence of the Effects of AI on Knowledge Worker Productivity and Quality », Harvard Business School Technology & Operations Mgt. Unit Working Paper, 2023.
[6] Avril 2023, Generative AI could raise global GDP by 7%, Generative AI could raise global GDP by 7% | Goldman Sachs
[7] https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/generative-ai-could-raise-global-gdp-by-7-percent.html
[8] IA : Notre ambition pour la France, mars 2024, 4d3cc456dd2f5b9d79ee75feea63b47f10d75158.pdf (info.gouv.fr)
[9] D. Acemoglu, “The Simple Macroeconomics of AI”, MIT, April 5, 2024
[10] Working Paper, National Bureau of economic Research : ”Generative AI at Work”, Erik Brynjolfsson, Danielle Li & Lindsey R. Raymond, Novembre 2023
[11] https://www.oneusefulthing.org/p/centaurs-and-cyborgs-on-the-jagged, Ethan Mollick, September 2023
[12] Daron Acemoglu, « Le monde doit œuvrer pour une IA au service de l’être humain », Le Monde, 27 décembre 2024.
[13] Enquête menée d’octobre à décembre 2023 auprès de 2000 chefs d’entreprises, dans 9 pays, en collaboration avec Oxford Economics “Leading through the great disruption How a human-centric approach to AI creates a talent advantage” Intelligence Artificielle (groupe-adecco.fr)
[14] Recherche mondiale sur la main-d’œuvre du futur 2024
[15] Les nouveaux chiffres de l’illettrisme en France, 2024, Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (anlci.gouv.fr)
[16] https://rolandrathelot.com/research/
[17] Le Barbanchon, Thomas and Hensvik, Lena and Rathelot, Roland, How Can AI Improve Search and Matching? Evidence From 59 Million Personalized Job Recommendations (july 24, 2023). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=4604814
[18] Créez votre CV avec le générateur de CV d’Adecco France
[19] voir Gomez-Herrera et Köszeg, 2022 : A gender perspective on artificial intelligence and jobs: The vicious cycle of digital inequality, Policy Paper, Future of Work, Bruegel 2022
[20] Gomez-Herrera et Köszeg, article cité, 2022 ; M. Lane et A. Saint-Martin, « The Impact of artificial intelligence on the labour market: what do we know so far? », OCDE, 2021.
[21] Insight, Amazon scraps secret AI recruiting tool that showed bias against women, Reuters
[22] Unbias | IA pour la lutte contre les discriminations / AI for inclusivity and diversity /Our mission = Tackling biais source of sexism, racism, homophobia
[23] Entretien avec Delphine Marnat, Anthropologie et fondatrice de la startup Unbias, Septembre 2024
[24] L’intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir, rapport d’information du Sénat n°216, déposé le 18 décembre 2024
[25] LHH est une filiale du groupe Adecco spécialisée dans les ressources humaines, qui propose des solutions de recrutement, conseil, transition et développement pour les individus et les entreprises, et regroupe LHH Recruitment Solutions, LHH Career Transition & Mobility, LHH Leadership Development, LHH Advisory et les marques Pontoon et General Assembly.
[26] Entretien avec Sylvie Joseph, Administratrice du Groupe La Poste, Septembre 2024
[27] Akkodis est une filiale du Groupe Adecco qui est leader mondial sur le marché de l’ingénierie et de la R&D et regroupe 50 000 experts en IT et Ingénierie répartis dans 30 pays en Amérique du Nord, EMEA et APAC.
[28] À titre d’exemple, le classement Pisa de 2018 a classé la France 62e sur 65 pays de l’OCDE pour la confiance en soi des élèves, alors que cette compétence est un déterminant de la réussite scolaire (OCDE, 2018 – Résultats du PISA 2015 (Volume III) : Le bien-être des élèves, PISA, Éditions OCDE, Paris).
[29] Lane, M., M. Williams and S. Broecke (2023), “The impact of AI on the workplace: Main findings from the OECD AI surveys of employers and workers”, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, No. 288, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/ea0a0fe1-en.
[30] Une Afest est une action de formation (Art L.6313–1 1°) en situation de travail.
[31] ANC n° 2014–03.
[32] Kramer, C. and S. Cazes (2022), Shaping the transition: artificial intelligence and social dialogue, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f097c48a-en.