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Rapport

Entrer et rester dans l’emploi : Un levier de compétitivité, un enjeu citoyen

Dans un contexte où le chômage reste durablement à un niveau élevé, et malgré la loi du 5 mars 2014, la tentation est forte de faire de la formation professionnelle, non pas un instrument actif de réduction des inégalités et de renforcement de la compétitivité, mais la « voiture-balai » du modèle social français. Issu d’un groupe pluridisciplinaire présidé par Mathilde Lemoine, les propositions de ce rapport ont pour objectif d’améliorer l’efficacité, l’équité, l’accessibilité et la lisibilité de notre système de formation continue, en tenant notamment compte, au-delà des gains individuels ou privés, des gains sociaux.

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Pourquoi un énième rapport sur la formation professionnelle alors qu’une loi changeant significativement le paysage du système de formation vient d’être votée (Accord national interprofessionnel de décembre 2013 ; loi du 5 mars 2014) ?

Tout d’abord, parce que les effets positifs attendus de cette loi comme l’orientation des financements vers les salariés qui en ont le plus besoin, l’obligation de former et non plus de payer, l’accompagnement des personnes dans leur évolution professionnelle, la création d’un compte formation attaché à la personne dépendent des modalités de son application. Dans un contexte où le chômage reste durablement à un niveau élevé, la tentation est forte de faire de la formation professionnelle, non pas un instrument actif de réduction des inégalités et de renforcement de la compétitivité, mais la « voiture-balai » du modèle social français :

  • d’une part, les acteurs économiques sont très attachés au système de validation des compétences par la formation initiale ;
  • d’autre part, les partenaires sociaux et les salariés se rejoignent sur une conception « adéquationniste » du marché du travail (un demandeur d’emploi doit se former pour un métier spécifique). L’illustration la plus récente en est le lancement par l’Etat, les partenaires sociaux et les régions d’un plan de 30 000 formations prioritaires visant à cibler « les opportunités d’emploi existantes » ;
  • ensuite, les entreprises n’assument pas toujours leur responsabilité sociale d’obligation et de maintien des compétences de leurs salariés, et externalisent sur la société le coût du maintien d’une main d’oeuvre capable de s’adapter aux mutations technologiques et économiques ;
  • enfin, le consensus existant pour privilégier les allègements de charges repose sur une conception du marché du travail qui incite les entreprises à avoir un comportement de « chasseur-cueilleur », c’est-à-dire à utiliser la main d’oeuvre à bas coût, sans la faire progresser en compétence et sans contribuer au développement du bien-être collectif.

Deuxièmement, l’augmentation du taux d’accès à la formation continue en France qui atteint 50,5% sur les douze derniers mois, soit un taux supérieur à celui observé en Allemagne, ne permet pas à une majorité d’adultes français d’avoir un bon niveau de compréhension de l’écrit et des concepts numériques et mathématiques. Certes, la formation initiale joue un rôle essentiel mais la proportion d’adultes ne comprenant que des textes simples est d’autant plus forte que l’âge est élevé : 47 % des 16–24 ans contre 75 % des 55–65 ans. Le même phénomène est observé pour les textes complexes puisque 53 % des 16–24 ans les comprennent contre seulement 25 % des 55–65 ans. En conséquence, le « redéploiement d’une partie de fonds de la formation vers les jeunes et la reconversion des salariés licenciés » comme le prévoit notamment la convention cadre entre l’Etat et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) est loin d’être à la hauteur du problème. Selon une étude menée par l’OCDE dans 14 pays, les travailleurs ayant perdu leur emploi sont ceux qui « mobilisaient le moins de compétences mathématiques, verbales, cognitives et interpersonnelles » avant le licenciement et ils occupaient des emplois requérant un niveau de formation moins élevé que le niveau moyen. Ainsi, ne pas permettre aux salariés les moins qualifiés de se former régulièrement accroît la probabilité qu’ils perdent leur emploi et se retrouvent dans une situation durable de sous-activité et de successions d’emplois précaires. Plus la compétence du travailleur était spécifique au poste de travail et plus la perte de compétence et de salaire est importante. Par ailleurs, pourquoi considérer que les formations ne sont plus utiles après 45 ans et en particulier les formations certifiantes ou diplômantes alors que l’âge de départ à la retraite ne cesse d’être repoussé ? Passer de la catégorie « jeunes » à celle de « seniors » n’a plus aucun sens quand l’âge de départ à la retraite peut atteindre 67 ans, sauf à stigmatiser négativement les salariés les plus âgés.

Troisièmement, tout le monde s’occupe de formation, ce qui rendrait impossible la réalisation rapide d’objectifs clairement définis si tel était le cas. Bien sûr, la loi du 5 mars 2014 simplifie le paysage de la formation professionnelle en donnant clairement à la région le rôle de « chef de file », mais elle ne réduit pas pour autant le nombre d’acteurs qui interviennent dans ce champ et qui sont de plus cloisonnés par statut. L’absence d’information fiable sur la qualité des formations proposées, de modes de contrôle et de certification des compétences acquises, et de perspectives ouvertes à l’issue des formations représente également une « barrière à l’entrée », cause d’abandon de parcours dans un certain nombre de cas.

Quatrièmement, les jeunes sans emploi, sans formation et qui sont sortis du système scolaire sans diplôme sont les abandonnés de la réforme. La garantie jeunes, déclinaison toute française de l’initiative européenne pour l’emploi des jeunes, ne vise dans un premier temps que 10 000 jeunes de 10 territoires alors que 133 000 jeunes d’une classe d’âge sortent du système éducatif de façon précoce et sans diplôme selon le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq). Par ailleurs, elle ne pose pas la question de la formation initiale. Or les jeunes s’insèrent plus difficilement sur le marché du travail – leur taux de chômage atteignait 47 % en 2012 – et ils sont en grande précarité. Quant à l’apprentissage qui est souvent l’alpha et l’oméga des politiques d’insertion des jeunes, les entrées dans ce type de contratétaient de 272 993 seulement en 2013, soit leur plus bas niveau depuis 2006, alors que l’objectif fixé par les pouvoirs publics est de 500 000 en 2017…
 
Les réformes de la formation professionnelle se suivent et se ressemblent : elles se concentrent sur les dispositifs en oubliant les populations concernées. Elles traitent essentiellement les difficultés à la marge sans s’attaquer aux racines des dysfonctionnements. C’est pourquoi, il nous semble possible en ciblant les actions ayant les effets de levier les plus importants sur les inégalités et la compétitivité de faire en sorte qu’il y ait un intérêt partagé à améliorer la qualification des salariés français et à faire rentrer dans l’emploi plus de jeunes sans qualifications ; et ce pour beaucoup avec de simples décrets d’application.

  • si les 30 milliards d’euros du Pacte de responsabilité étaient affectés à la formation des moins qualifiés et des plus de 45 ans, le PIB pourrait augmenter de près de 5 % selon nos calculs basés sur un modèle économétrique que nous avons développé pour la France. Ainsi, le PIB par habitant serait supérieur de 1 400 euros à son niveau actuel, et atteindrait alors près de 29 500 euros ;
  • par ailleurs, cette mesure pourrait contribuer à l’augmentation du taux d’emploi parmi les celui des peu qualifiés, les jeunes et les plus de 50 ans ;
  • enfin, cette mesure pourrait participer à la réduction des risques psychosociaux puisque l’un des facteurs les plus importants de leur développement est le manque de perspectives professionnelles.

Si les conséquences économiques et sociales qui en découlent ne sont pas suffisantes pour convaincre de l’urgence de cette prise de conscience, la Commission européenne a rappelé à la France le 2 juillet dernier ses engagements en la matière. Elle insiste sur la nécessite de mener des politiques de soutien de la croissance et non de seulement baisser les dépenses publiques. Elle recommande de « poursuivre la modernisation de l’enseignement et de la formation professionnels » et l’encourage« et à poursuivre la réduction des inégalités en matière d’éducation, notamment en renforçant les mesures portant sur l’abandon scolaire ; à veiller que les politiques actives du marché du travail soutiennent efficacement les groupes les plus vulnérables ; à améliorer le passage de l’école au travail, notamment en multipliant les mesures visant à développer l’apprentissage, en particulier chez les travailleurs les moins qualifiés ».

Les propositions que nous faisons ont pour objectif d’améliorer l’efficacité, l’équité, l’accessibilité et la lisibilité de notre système de formation continue. Elles visent à mettre au centre de la réforme en cours l’utilisateur et à tenir compte des gains sociaux et pas seulement des gains individuels ou privés. Les plus emblématiques sont les suivantes :

  • créer un droit opposable, pour tous les jeunes sortis de l’enseignement scolaire sans diplôme, à une formation qualifiante qui ne soit pas obligatoirement un « retour à l’école ». L’Etat financerait cette formation en abondant le compte personnel de formation du jeune.
  • ouvrir plus largement le contrat de professionnalisation aux personnes qui ont besoin des formations permettant de construire un projet professionnel ou une mobilité : pour les jeunes sortants de lycée, ou pour les salariés à mi-carrière.
  • créer un « bonus-malus » sur les contributions d’assurance chômage des employeurs, en fonction de leur implication dans des formations certifiantes et/ou qualifiantes à destination des moins qualifiés
  • conditionner les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires au financement de formations obligatoires d’actualisation des savoirs de base dans le plan de formation des entreprises.
  • créer une obligation pour l’employeur d’inclure une fiche d’information sur le droit au conseil en évolution professionnelle et au compte personnel de formation, avec la fiche de paie des salariés.
  • compléter l’obligation de négocier les orientations du plan de formation dans toutes les entreprises par celle de négocier le contenu du plan de formation.
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