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Note

La CSRD : le système métrique de l’entreprise responsable

Mesurer son impact et prendre ses responsabilités : ces ambitions ne sont plus réservées à quelques entreprises particulièrement engagées. C’est désormais une obligation codifiée qui concerne l’ensemble des entreprises européennes de grande taille. Faut-il s’inquiéter de ces nouvelles contraintes pesant sur les entreprises ou se féliciter de cette avancée vers une économie inclusive, juste, verte et compétitive ?  

Publié le 

« La catastrophe, c’est que les choses suivent leur cours »

 Walter Benjamin

La Directive sur les rapports de développement durable des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD)[1] est un chaînon essentiel du Pacte vert (« Green Deal ») européen, adopté en 2020 et mis en place par l’Union européenne pour atteindre ses objectifs ambitieux à l’horizon 2050[2]. On a souvent tendance, du fait de son nom et de son objectif ultime (faire de l’UE le premier continent neutre en carbone d’ici 2050) à réduire le Pacte vert à son versant climatique. Il est en fait beaucoup plus large puisqu’il se présente comme une feuille de route vers « une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 et dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources ».

Dans ce cadre, la CSRD vise à encadrer le reporting extra-financier (que l’on appelle désormais « reporting de durabilité ») au niveau européen, c’est-à-dire la manière dont les entreprises rapportent leur prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance[3]. La Taxonomie verte, entrée en vigueur en juillet 2020, puis la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) entrée en vigueur en mars 2021, ont pour objectif d’orienter les capitaux vers des entreprises durables[4]. Mais comment reconnaître une entreprise durable sans une batterie d’indicateurs robuste couvrant tous les versants de cette « durabilité » ?

L’accueil de la CSRD en France par les milieux d’affaires – et plus globalement en Europe – a été pour le moins difficile. Les cercles dirigeants déjà sensibilisés à la responsabilité des entreprises l’ont acceptée positivement, parfois avec enthousiasme – le Centre des Jeunes Dirigeants, le Mouvement Impact France, la Communauté des entreprises à mission, l’IFA (Institut français des administrateurs)… En revanche, l’hostilité des milieux patronaux plus « classiques » (Afep, Medef, CPME) a été particulièrement vigoureuse, à tel point que le lobbying mené au sein des institutions européennes, notamment par Business Europe, a failli parvenir à ses fins : limiter la portée de la directive, à défaut de pouvoir la bloquer.

Il faut dire que le contexte de déploiement de la CSRD n’est guère favorable :

  • Le « backlash ESG » (« retour de bâton ») en provenance des Etats-Unis, qui a marqué un retournement de la posture de nombreux investisseurs moins favorables à l’ESG[5] sous la pression de forces politiques conservatrices entrées en guerre contre ce que le parti Républicain appelle « le capitalisme woke »[6].
  • Les réticences grandissantes dans de nombreux pays européens vis-à-vis des implémentations du Pacte Vert qui ont sous-estimé et peu pris en compte ses impacts sociaux (comme l’a illustré la crise agricole en Allemagne en France et dans d’autres pays européens) et favorisent ainsi la montée de l’écoloscepticisme sous la poussée des mouvements populistes.
  • Un relâchement de la vigueur des politiques environnementales en France, sous l’effet des forces politiques qui ont réclamé une « pause règlementaire » et ont cru bon de caricaturer la transformation écologique et sociale (« retour à la bougie », mode de vie des Amish, « écologie punitive »…).

De fait, beaucoup de responsables politiques français et européens ont peu à peu abandonné la défense du Pacte Vert : très peu d’entre eux ont essayé d’enclencher un débat public à ce sujet dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de 2024, de présenter les mesures environnementales ou sociales comme des investissements sur le long terme, riches de solutions et de progrès. Ils ont au contraire laissé la transition écologique et sociale apparaître progressivement comme un ensemble de limitations, d’interdictions, de sanctions ou de coûts. Ils ont ainsi validé l’idée principale des nationalistes et des populistes en la matière : la transition écologique et sociale est essentiellement « punitive » et, parce qu’elle affecte nos modes de vie, elle s’en prend à notre identité.

Nous nous trouvons donc dans un moment crucial et dangereux où divers groupes aux motivations distinctes pourraient former une coalition négative aux effets particulièrement néfastes : des milieux d’affaire soucieux de leurs intérêts de très court terme et désireux de gagner encore un peu de temps sur les échéances ; des démagogues populistes habiles à fédérer les peurs et à accréditer l’idée (fausse) que les efforts demandés en matière de transition relèvent d’un « fanatisme écologiste » et visent à dissoudre nos identités ; des dirigeants politiques intimidés par les premières secousses sociales suscitées moins par la transition elle-même que par leur coupable indifférence aux exigences d’équité et de justice qui en sont indissociables ; le tout dans un contexte économique déprimé et dans un contexte géopolitique anxiogène… Voilà ce dont le Pacte vert en général et la CSRD en particulier pourraient faire les frais dans les mois et les années qui viennent, au risque de nous faire prendre un retard irréversible.

Pourtant, la CSRD est justement l’outil qui va mettre en lumière les bénéfices de cette transition. C’est ce caractère éminemment positif que nous voulons démontrer dans ce rapport. Pour ce faire, nous nous attacherons à déconstruire quelques idées reçues avant de montrer les apports tangibles de la CSRD pour les entreprises.

Ce que n’est pas la CSRD : déconstruire quelques idées reçues

On vous a raconté que la CSRD est inutile et dangereuse. Les uns vous ont expliqué qu’elle va déclencher un « tsunami bureaucratique » dans les entreprises ; les autres, au contraire, qu’elle ne sert à rien car elle doublonne avec des obligations qui existent déjà… Examinons ces arguments.

 

Inutile car elle ne fait qu’exiger le remplissage d’interminables tableaux de chiffres

Ce ne sont pas les chiffres qui changent le monde. Or, beaucoup d’entreprises conçoivent la CSRD et le reporting de durabilité uniquement comme des batteries de chiffres. C’est une profonde erreur. Ce que la CSRD demande aux entreprises assujetties de produire, ce ne sont pas des chiffres mais ce que la directive appelle les exigences de publication minimales (ou « Minimum Disclosure Requirements » ; MDR), qui portent sur quatre éléments :

  • les politiques de l’entreprise en matière de durabilité,
  • la gouvernance, stratégie, gestion des incidences, des risques et des opportunités (IRO),
  • les plans d’actions et les ressources mises en place et planifiées,
  • les cibles à atteindre et les métriques (indicateurs).

La CSRD repose sur deux piliers : les ESRS et le concept de double matérialité (que la CSRD désigne sous le terme « double importance »).

  • Les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) sont les normes de reporting préparées par l’Efrag (Groupe consultatif européen sur l’information financière, en anglais European Financial Reporting Advisory Group)[7]. Elles intègrent « autant que possible » les normes internationales, c’est-à-dire les normes développées par l’ISSB (IFRS Sustainability Disclosure Standards). A ce stade de la CSRD, les ESRS sont au nombre de 12 :
    • 2 jeux de normes transversales : ESRS1 (principes généraux – double matérialité, chaîne de valeur, structure) et ESRS2 (principales exigences – gouvernance, stratégie, management des risques, métriques et objectifs),
    • 5 jeux de normes sur l’environnement : de E1 à E5, respectivement changement climatique, pollution, eau et ressources marines, biodiversité et écosystèmes, ressources et économie circulaire,
    • 4 sur le social : de S1 à S4, respectivement : employés, travailleurs dans la chaine de valeur, communautés affectées, consommateurs et utilisateurs finaux,
    • 1 sur la gouvernance : G1, conduite des affaires.
  • La double matérialité est un filtre qui permet à l’entreprise de ne retenir que les indicateurs pertinents pour elle. Par exemple, si elle est un industriel du tannage du cuir, la consommation d’eau est un indicateur (ou un enjeu, pour reprendre le terme de la CSRD) matériel alors que si elle est un cabinet de conseil, cet indicateur n’est pas matériel[8]

Grâce à ces deux piliers, toutes les données demandées (ESRS et double matérialité) sont pertinentes au regard de la situation de l’entreprise, de ses enjeux et de sa stratégie. Les contempteurs de la CSRD qui poussent d’insoutenables lamentos en évoquant « la fourniture imposée de 1.178 datapoints » n’ont pas fait l’effort de lire la CSRD ni même d’assimiler ces deux piliers essentiels. La légende des 1.178 point de données résulte d’une mauvaise lecture d’un Draft publié par l’Efrag, qui faisait le recensement du maximum théorique !

Les entreprises doivent donner des informations claires sur leurs enjeux les plus matériels, leurs projets et plans d’actions pour les prendre en compte, leurs trajectoires phasées dans le temps et leurs objectifs. Elles sont poussées à établir une feuille de route, à poser la question de la priorisation des investissements et à mettre en place des mesures d’impact. Celles qui souhaitent montrer leur implication seront incitées à les étayer. La logique de la CSRD est celle de la boucle d’amélioration continue au travers des étapes Plan / Do / Check qui permettent d’étalonner les progrès.

 

Inutile car elle traite les mêmes domaines que la DPEF

Argument quasiment inverse du précédent, nombre d’entreprises considèrent que la CSRD ne va rien changer car elles sont déjà soumises à la directive précédente. Effectivement, la directive européenne 2014/95/UE dite NFRD (Non-Financial Reporting Directive) de novembre 2014, transposée en droit français par le Décret n° 2017–1265 du 9 août 2017, a créé la déclaration de performance extra-financière (DPEF), qui constituait la première incursion de l’UE dans le domaine du reporting de durabilité, 21 ans après la France[9]. Mais cette directive ne s’appliquait qu’aux grandes sociétés (de plus de 500 salariés et plus de 100 M€ de chiffre d’affaires net ou de total du bilan), soit 2.500 entreprises en France.

La CSRD, qui effectivement prend la suite de la NFRD, aura toutefois un spectre un peu plus large. Elle s’appliquera à partir de 2025 aux entreprises remplissant deux des critères suivants : plus de 500 salariés, plus de 50 millions € de chiffre d’affaires, plus de 25 millions € de bilan. A partir de 2026, le premier critère passera à plus de 250 salariés. Et, à partir de 2027, s’ajouteront les PME cotées en bourse. Au total, la CSRD pourrait s’appliquer à environ 50 000 entreprises européennes à la fin de la décennie. Cette extension reste cependant assez limitée : 50 000 entreprises, c’est à peine 0,2% de l’ensemble des entreprises de l’Union européenne.

La CSRD est surtout plus ambitieuse par son contenu : elle est plus affûtée dans le domaine environnemental, en particulier sur les aspects climat et sur la biodiversité ; elle pousse beaucoup plus loin les exigences en matière de gouvernance et elle renouvelle la méthodologie (ex : double matérialité, chaîne de valeur…).  

Enfin, elle a placé au centre de la démarche des normes européennes de reporting dédiées, les ESRS, là où, antérieurement, les entreprises étaient libres de s’inspirer des différents référentiels internationaux, générant une grande hétérogénéité des informations fournies. L’Efrag, leur concepteur, a veillé à ce que la rédaction des normes ESRS les rendent compatibles (ou « interopérables ») avec les normes internationales, dans le respect des ambitions et principes européens.

 

Inutile car elle n’est pas assortie de sanctions

Longtemps, le reporting RSE en France a constitué une obligation légale mais qui n’était pas assortie de sanctions en cas de non-publication ou de non-conformité. De ce fait, bon nombre d’entreprises considèrent que la conformité ne justifie pas l’effort. C’est une erreur.

D’abord parce que les choses changent. Poussé par les instances européennes, le législateur devient sérieux. La non-publication de la CSRD est passible de 3.750 € d’amende et d’une injonction sous astreinte par un tiers possible (tribunal de commerce)[10]. Plus grave encore, elle peut entrainer l’impossibilité de répondre à la commande publique (article 25 de la loi sur l’industrie verte). La non-désignation d’un commissaire aux comptes ou d’un organisme tiers indépendant est passible de 30.000 € d’amende et 2 ans d’emprisonnement[11]. L’entrave à l’audit est passible de 75.000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement[12].

Ensuite et surtout parce que la sanction la plus sévère ne proviendrait pas d’un tribunal mais de l’atteinte à la réputation de l’entreprise et des réactions négatives de ses parties prenantes.

 

Dangereuse car elle résulte d’une approche autoritaire et bureaucratique de la Commission

« Le reporting extra-financier des entreprises, la fameuse CSRD, va se traduire par un véritable tsunami administratif » a prévenu, fin novembre 2023, le président de la CPME, François Asselin. Le Medef est allé plus loin encore, par la voix de son président Patrick Martin en février 2024 : « La réglementation CSRD est particulièrement traumatisante pour les chefs d’entreprise de PME, avec un effet de sidération quand on voit les 1 168 critères auxquels il faudrait répondre… Mais c’est vrai pour toutes les entreprises. Dans la mienne, qui est une ETI, cela va occasionner deux ou trois créations de postes, « improductifs », pour dire les choses »[13].

Inutile de revenir ici sur la légende des 1.178 critères ou datapoints, qui relève d’une simple méconnaissance du texte comme on l’a vu plus haut. En revanche, il est vrai que la CSRD prête le flanc à certaines accusations de dérive bureaucratique, notamment par le verbiage qu’elle cherche à créer, au lieu de se contenter de reprendre les termes déjà établis et utilisés par le plus grand nombre. Ainsi, au risque de multiples confusions, la CSRD parle d’« incidence » au lieu d’impact, de « partie intéressée » au lieu de partie prenante, de « double importance » au lieu de double matérialité, etc.

De même, elle apparaît assez baroque dans certains éléments de sa méthodologie. Elle est parfois ouverte (par exemple, elle laisse libre des critères de calcul des effectifs : moyens, fin d’année, en ETP ou non…) mais parfois étrangement fermée (par exemple, la formule de calcul de la rotation des effectifs est imposée… et fausse !). Enfin, elle est assez souvent naïve, ce qui dénote une certaine méconnaissance de la vie des entreprises (on y lit par exemple : « lorsqu’elle publie des informations prospectives, l’entreprise peut faire savoir qu’elle considère lesdites informations comme incertaines »)[14].

Mais, sur le fond, l’accusation d’autoritarisme bureaucratique est infondée. Tout d’abord, la CSRD ne contribue pas à la prolifération normative car elle n’est pas véritablement un nouveau texte. Elle s’insère dans le corpus juridique de l’UE en modifiant quatre textes européens existants : la directive Comptable, la directive Transparence, la directive Audit et le règlement Audit.

Ensuite, tout au long de son processus d’élaboration, ses auteurs ont cherché à capter et intégrer les attentes de ses futurs utilisateurs et des entreprises qui y seront soumises. Elle repose intégralement quant à son contenu sur les normes ESRS, élaborées par l’Efrag (Groupe consultatif européen sur l’information financière), organe consultatif indépendant et pluripartite, en étroite association avec les investisseurs, les entreprises, les organes des auditeurs et commissaires aux comptes, les universitaires, les organismes de normalisation nationaux, la société civile (associations, ONGs) et les syndicats. Ces normes ont fait l’objet de deux consultations publiques, l’une en 2022 pour l’avant-projet, l’autre à l’été 2023 avant leur adoption définitive.

La CSRD ne prétend pas régenter le fonctionnement des entreprises, comme on l’a beaucoup entendu. Elle n’est pas un corpus autoritaire qui exigerait des entreprises de se comporter de la manière jugée la plus adéquate ou « politiquement correcte » par un aréopage de technocrates. Ceux qui propagent cette conception n’ont pas compris sa philosophie qui est très libérale. Elle ne comporte pas des obligations d’agir de la part des entreprises et de leurs dirigeants, mais demande simplement la transparence, de façon à permettre aux parties prenantes de disposer d’une vue plus pertinente sur leur trajectoire.

S’il est souhaitable de diminuer le fardeau administratif qui pèse sur les entreprises, une approche de mise en cohérence serait préférable aux tentatives d’entraver le déploiement de la CSRD. Pour la France, par exemple, l’exercice reste à faire, consistant à cartographier les informations CSRD déjà exigées par

  • la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), réceptacle de statistiques et d’indicateurs nourrissant le dialogue social, qui s’applique aux entreprises de plus de 50 salariés[15],
  • le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP),
  • le bilan social (qui s’applique aux entreprises de plus de 300 salariés),
  • l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, créé par la loi du 5 septembre 2018,
  • le rapport annuel de situation comparée des hommes et des femmes,
  • le bilan carbone, obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés (ou 250 dans les DOM) depuis la loi Grenelle II,

Le fameux principe « Dites-le-nous une fois » devrait s’appliquer ici.

« Les temps sont au ‘normes-bashing’. Pourtant, toutes les normes ne sont pas délétères et certaines sont même des appuis », a justement affirmé Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME, en soutien de la CSRD[16]. Les dangers qui menacent le monde (creusement des inégalités, raréfaction des matières, déclin de la biodiversité, changement climatique, pollution de l’air, tensions sur les ressources en eau…) menacent aussi les entreprises. « Finalement, est-ce qu’une entreprise peut vraiment se déclarer profitable si c’est une bombe à retardement sociale ou une poubelle environnementale ? » s’interrogeait justement Geneviève Creuzet Férone, Cofondatrice et associée chez Prophil[17]. Comme le disait Claude Fussler, fondateur du concept d’éco-innovation, lors de la Conférence de Johannesburg (2002), « il n’est pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd ».

 

Dangereuse car elle bouleverse radicalement les pratiques des grandes entreprises

Même si la France a joué le bon élève européen en étant, en décembre 2023, le premier des 27 Etats membres à transposer la directive[18], elle n’a effectué aucune « sur-transposition ». Ses entreprises sont donc placées dans le même cadre concurrentiel que celles des autres pays membres, ce qui n’était pas le cas auparavant. En effet, la France (accompagnée seulement par l’Italie et l’Espagne) avait pris de l’avance avec la directive de novembre 2014 (transposée en droit français en août 2017) en exigeant par exemple une vérification des données par un OTI[19]. Cette disposition de « sur-transposition », comme d’autres, a été reprise par le cadre général de la CSRD et s’applique donc désormais à tous.

La CSRD ne fait que remplacer la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), qui s’appliquait aux grandes entreprises européennes depuis 2017 et dont la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) était la déclinaison française. Elle poursuit une longue tradition, depuis la NRE de 2001[20] qui s’appliquait déjà aux 700 entreprises françaises cotées les plus importantes. Par cette initiative, la France était le premier pays du monde à exiger un reporting non financier de la part des entreprises.

Cette innovation du gouvernement de Lionel Jospin sera poursuivie neuf ans plus tard par la loi Grenelle II (juillet 2010), à l’initiative de Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, qui étend l’obligation de présenter un bilan social et environnemental à toutes les entreprises de plus de 500 salariés et dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires net dépasse 100 millions €. Chacun a compris que le déploiement du reporting de durabilité se poursuit par-delà les changements de majorité.

Alors que la réglementation précédente (loi NRE) s’appliquait uniquement aux entreprises cotées sur la place de Paris, Grenelle II s’applique aux entreprises cotées ou non cotées, ayant une présence physique en France. Un autre apport de cette loi est la certification obligatoire par un tiers accrédité, entrée en application de manière progressive jusqu’en 2016, qui a contribué à une amélioration de la qualité des informations publiées. Ce nouveau dispositif Grenelle II a concerné un peu plus de 2.000 entreprises en France (contre 700 seulement pour la législation antérieure, la loi NRE du 15 mai 2001).

On peut mentionner aussi l’article 29 de la loi Énergie Climat, adoptée en 2019, qui prévoit de définir les obligations de reporting des investisseurs sur les risques climatiques et la biodiversité. Applicable dès 2022, son décret d’application, sorti le 27 mai 2021, s’impose à tous les investisseurs qui gèrent plus de 500 millions €, ce qui couvre un large spectre du secteur financier français.

La CSRD souvent présentée par ses adversaires comme une sorte de « coup de tonnerre » n’est en fait qu’un nouvel épisode de l’histoire du déploiement du reporting de durabilité, qui se structure et se diffuse progressivement en France depuis 2001, avec trois axes de progression :

  1. l’élargissement des entreprises soumises à la réglementation : d’abord seulement les entreprises cotées (parce qu’elles font un appel public à l’épargne), puis les grandes entreprises, cotées ou non, puis les entreprises de taille plus modeste ;
  2. la volonté d’inclure les entreprises ayant une activité significative en France, quels que soient leurs statuts (les entreprises ayant leur siège à l’étranger ou celles ayant le statut de SAS, société par actions simplifiée, sont incluses dans les obligations pour la première fois avec la CSRD) ;
  3. l’oscillation entre la volonté de proposer un dispositif standardisé et comparable (homogénéisation des indicateurs) et un dispositif adapté aux singularités de chaque entreprise, dont le compromis atteint par la CSRD avec la double matérialité nous semble adéquat.

De même, les critiques à l’égard de Bruxelles formulées par le Medef en France ou par Business Europe ont beaucoup porté sur la difficulté de réunir les données permettant de rendre compte de sa chaîne de valeur, en amont et en aval. Pourtant, cette demande était déjà présente dans les normes précédentes (notamment Grenelle II et la NFRD), même si effectivement la CSRD la renforce. Mais, surtout, ces difficultés affrontées par les entreprises ne sont pas occultées par la CSRD, qui dispose avec pragmatisme : « Dans certaines circonstances, l’entreprise peut ne pas être en mesure de collecter des informations concernant sa chaîne de valeur en amont et en aval, tel que l’exige [la CSRD], après avoir raisonnablement essayé de le faire. En pareils cas, l’entreprise estime quelles informations doivent être publiées concernant sa chaîne de valeur en amont et en aval, en utilisant toutes les informations raisonnables et justifiables, telles que les données relatives aux moyennes sectorielles et autres approximations  »[21].

On a aussi entendu que la CSRD obligerait à dévoiler des informations précises sur des politiques encore en gestation ou trop sensibles. Or, « lorsqu’une information est exigée concernant les politiques, les actions et les cibles liés aux enjeux de durabilité, l’entreprise doit publier ce qu’elle fait ou a l’intention de faire dans ce domaine conformément aux ESRS, mais elle a également la possibilité de déclarer qu’elle n’en a pas adopté »[22].

De même, contrairement à ce qui a été souvent répété, la CSRD n’ignore pas les problèmes de confidentialité et de concurrence : « L’entreprise n’est pas tenue de publier des informations classifiées ou sensibles, même si ces informations sont considérées comme importantes »[23].

 

Dangereuse car elle va écraser les PME sous un fardeau administratif

Les cris d’orfraie sur le soi-disant massacre organisé des PME sont disproportionnés. Seules les PME cotées, soit une très faible part d’entre elles, seront assujetties à la CSRD. Au total, comme on l’a dit, à peine 0,2% des entreprises européennes seraient directement concernées à l’horizon 2027.

Par ailleurs, les délais pour les PME ont été très assouplis : elles bénéficient de deux années supplémentaires pour se préparer, soit une échéance à 2027, avec également la possibilité de repousser à 2028–2029, à condition d’expliquer les raisons du report (mise en œuvre du principe « Comply or explain »).

L’Efrag a en outre lancé une consultation publique, ouverte jusqu’au 21 mai 2024, sur le projet de normes ESRS applicables aux PME cotées et sur le projet de normes de reporting volontaire applicables aux PME non cotées (standard simplifié, VSME).

Si les PME non cotées n’ont aucune obligation directe, il est vrai cependant qu’elles reçoivent des demandes de la part de leurs fournisseurs et clients qui doivent faire l’effort, pour renseigner leur propre rapport de durabilité, de s’intéresser aux informations sur toute leur chaîne de valeur, en amont et en aval. Mais ces demandes n’ont rien de nouveau : elles existaient déjà bien avant la CSRD. Depuis que la notion d’« achats responsables » existe, les grands donneurs d’ordres se préoccupent de la qualité des politiques RSE chez leurs sous-traitants et fournisseurs.

Il y a plus de 10 ans, une étude de l’Insee, sous la plume d’Émilie Ernst, montrait déjà les mécanismes de diffusion de la RSE en France[24]. Parmi les sociétés connaissant la RSE et indiquant mener des actions, 58% mentionnent l’existence de clauses de RSE dans le cahier des charges de certains de leurs clients (contre 24% seulement parmi les sociétés ne connaissant pas la RSE ou ne pensant pas mener d’actions, qui reçoivent donc moins d’incitations de leurs clients). A leur tour, 44% de ces sociétés connaissant la RSE et pensant mener des actions demandent à leurs propres fournisseurs de respecter des clauses de RSE (contre 12% seulement de celles qui ne s’impliquent pas dans la RSE). Autrement dit : la RSE progresse fortement par effets de diffusion au sein des filières, de l’amont vers l’aval, c’est-à-dire des clients vers leurs chaînes de fournisseurs. Ce ruissellement positif continue aujourd’hui à structurer les relations inter-entreprises. La CSRD n’y change rien et cette « obligation de reporting » a pour origine les demandes des partenaires commerciaux de l’entreprise, et non la législation.

On peut penser aussi que la technologie, notamment l’intelligence artificielle, apportera dans un futur proche des solutions peu coûteuses pour les PME. En effet, la numérisation obligatoire, la publication dans un format électronique normalisé xHTML et le balisage de l’information de durabilité codifiés par la CSRD vont rendre le traitement informatisé des données beaucoup plus facile[25]. Quelle sera la première entreprise à produire 90% de son rapport de durabilité aux normes CSRD avec une IA générative ? Bien sûr, ce ne sont pas les versions grand public qui seront mises en œuvre pour cet usage, mais des applications internes ou opérées par des prestataires de services dans de bonnes conditions de confidentialité. Deuxième question : y a-t-il déjà des modèles de langage (LLM) entraînés sur les ESRS et le corpus qui l’accompagne ? Plusieurs startups travaillent activement sur ce domaine.

 

Dangereuse car elle crée un handicap de compétitivité pour les entreprises européennes

Les Européens sont souvent présentés comme « les naïfs du village global », « des ruminants au milieu d’une horde de carnassiers ». Dans son bilan sur le Pacte vert européen, Ophélie Risler met l’accent sur le nouveau contexte dans lequel il s’insère : « Une leçon générale ressort de ce bilan : l’Europe ne progresse plus par la libéralisation ou la dérégulation. L’Europe championne de l’ouverture des marchés a commencé à adopter une logique bien différente. Elle n’entretient plus l’espoir naïf que les pays du monde entier s’aligneront sur l’ambition écologique de l’Union européenne. Elle accepte désormais de lutter contre la déforestation importée, de mettre en place une taxe carbone aux frontières et de parler de politique industrielle communautaire »[26]. Dans cette même logique, la CSRD a retenu le principe d’extra-territorialité, que l’UE a déjà intégré au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

La CSRD va donc s’appliquer à toutes les entreprises non européennes qui détiennent au moins une succursale ou une filiale au sein de l’UE et qui atteignent un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions €, qu’elles aient ou non leur siège social dans l’UE. Ainsi par exemple, le Conference Board, un think tank patronal américain, estime que 3.000 sociétés américaines sont concernées par la CSRD[27].

Par ailleurs, l’UE n’est pas la seule entité politique à élever le niveau d’exigence en matière de reporting de durabilité. On peut signaler la réglementation FCA et les Sustainability disclosure requirements (SDR) au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, certains Etats ont également montré la voie (loi SB 253 en Californie) et, de façon plus générale, les exigences de la SEC (Securities and Exchange Commission) sont croissantes et se structurent avec la publication du guide ISSB (International sustainability standards board, qui dépend de la fondation IFRS). Cet organisme a publié en juin 2023 les IFRS S1 et IFRS S2, deux normes qui ambitionnent de régir le reporting sur la durabilité des entreprises, pour l’instant limitées aux enjeux environnementaux. Elles s’« exportent » dans plusieurs pays dont le Brésil, qui a annoncé début 2024 une application obligatoire des normes de l’ISSB à compter du 1er janvier 2026.

Les bourses chinoises imposent de leur côté un reporting obligatoire basé sur la double matérialité, annoncé début 2024. Les places de Shanghai, de Shenzen et de Pékin ont publié sur leur site les nouvelles lignes directrices que les sociétés cotées devront suivre, notamment en matière d’informations sur les émissions de gaz à effet de serre de leur chaîne d’approvisionnement sur les scopes 1, 2 et 3. Les premiers rapports sont attendus avant la fin du mois d’avril 2026, sur les données de l’année 2025[28]. En inscrivant le principe de double matérialité dans leur référentiel, les autorités de normalisation chinoises semblent se rapprocher de la directive européenne.

Au-delà des Etats, des normes très structurantes de reporting commencent à s’appliquer au niveau transnational. C’est notamment le cas de la TCFD, groupe de travail sur les informations financières liées au climat (Task force on Climate-related Financial Disclosures) créé fin 2015 lors de la COP21 à la demande des dirigeants du G20. Elle est présidée par Michael Bloomberg et lancée par l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney. Son but est de pousser les entreprises et organisations à communiquer de manière transparente sur les risques financiers liés au climat afin de permettre aux investisseurs d’en tenir compte dans leurs décisions.

Deux ans après sa création, la TCFD a diffusé des lignes directrices de reporting sur les risques climat pour les entreprises et le secteur financier et un ensemble de recommandations visant à encourager un reporting financier cohérent, fiable et clair basé sur quatre piliers : la gouvernance, la stratégie, la mesure et les objectifs ainsi que la gestion des risques. Ces recommandations sont désormais largement reconnues par les gouvernements, les investisseurs et les responsables du monde de la finance.

A l’opposé de cette crainte d’une érosion de compétitivité, la CSRD va donner un coup d’avance aux entreprises européennes. En mettant en place son reporting de durabilité, l’Europe bénéficie d’un « vrai effet d’entraînement » pour « exporter les exigences de transparence à travers toute la chaîne de valeur mondiale car, rappelons-le, l’Europe est le premier marché mondial en valeur », souligne Eric Duvaud, directeur des normes de durabilité de l’Autorité des Normes Comptables. Les normes européennes ont déjà fait bouger l’IFRS et donc les normes comptables internationales, constate-t-il, et « le Japon, l’Inde ou la Chine nous regardent : un mouvement mondial a été enclenché sur la transparence ». Or, grâce à une réglementation désormais bien établie sur le sujet, « la France est très en avance sur la fiabilité des données, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne », précise encore Eric Duvaud[29].

 

Non urgente car sa mise en œuvre est étalée

Plus de 11.700 entreprises européennes (déjà soumises à la NFRD) doivent publier début 2025 leur premier reporting de durabilité selon les normes de la CSRD sur des données de l’exercice 2024. Début 2026, ce sera le tour de toutes les entreprises, y compris non cotées, dépassant deux des trois seuils suivants : 250 salariés, 50 millions € de chiffre d’affaires ou 25 millions € de total du bilan.

Donc, effectivement, les entreprises qui vont émettre leur rapport de durabilité selon les prescriptions CSRD en début 2025 sont celles qui maîtrisent déjà une partie substantielle de la démarche puisqu’elles étaient déjà soumises à la DPEF. Cela va sans doute bien se passer pour elles dans l’ensemble.

Les problèmes vont apparaître dans le courant 2025 lorsque les entreprises qui n’ont jamais été confrontées à cette discipline vont devoir s’y atteler pour produire leur premier rapport début 2026. Cette fois, toutes les entreprises, cotées ou non, sont concernées si elles répondent à deux des trois critères cités ci-dessus. Celles qui n’ont pas anticipé en subiront les conséquences, non que la démarche consomme beaucoup de budget temps mais parce qu’elle suppose un dialogue avec les parties prenantes, qui s’installe dans la durée.

Le vrai danger du déploiement de la CSRD relève du manque de préparation des entreprises. D’après une étude de l’ORSE et de l’ANDRH publiée en mars 2024, 34 % des entreprises ne savent pas si elles y sont soumises[30]. Selon la même étude, au sein de la cohorte des entreprises qui identifient déjà le sujet, seuls 24% des professionnels RH estiment avoir un niveau de compréhension élevé des normes sociales et de leurs exigences. En 2022, seules 14% des entreprises présentaient une analyse de double matérialité (d’impact et financière), comme demandé par la CSRD[31].

 

Ce qu’est la CSRD : ses apports pour les entreprises

Après avoir passé en revue ce que n’est pas la CSRD, nous allons maintenant voir ce qu’elle est et ce qu’elle apporte aux entreprises.

 

La marque de l’entrée dans l’économie d’impact

L’économie telle que nous la connaissons aujourd’hui fonctionne sur une fiction : la disponibilité illimitée et la gratuité des ressources ou de la mauvaise utilisation des ressources. Vous étiez un armateur et vous preniez le risque de faire voguer des pétroliers mal entretenus qui ont provoqué des marées noires ? La collectivité payait la réparation des nuisances – pour celles qui étaient réparables. Vous étiez un chef d’entreprise peu soucieux de la santé de ses salariés et vous génériez un climat de travail toxique ? L’assurance maladie prenait en charge les dommages causés à la santé des salariés. Mais les parties prenantes, qui subissent ces impacts – ce que les économistes appellent des externalités négatives – sont de plus en plus intolérantes et demandent désormais aux agents économiques d’être beaucoup plus attentifs aux effets qu’ils génèrent sur la société, leur environnement, leurs écosystèmes.

La notion d’impact se distingue d’ailleurs de celle d’externalité par son intentionnalité : les impacts se construisent. On observe le développement des entreprises dites « à impact » (ou dans la finance, des « fonds à impact »), on salue la création d’un « Impact tank » qui se définit comme « le think tank de l’impact », on voit se multiplier dans les entreprises, les postes de « Chief Impact Officer » et l’appellation « rapport de développement durable » détrôné par le plus moderne « rapport d’impacts ». Un nouvel indice boursier apparaît, l’Impact 40, qui se pose en alternative du CAC 40. Du côté des organisations patronales, le Mouvement Impact France, créé en 2020, revendique 15.000 adhérents, ce qui reste loin des 190.000 du Medef ou des 230.000 de la CPME, mais commence à peser[32]. Bienvenue dans l’économie d’impact !

Terra Nova avait commencé, en préparation de ce qui allait devenir la « loi Pacte », à travailler sur « l’entreprise contributive », une forme d’entreprise attentive à diminuer ses impacts négatifs et à augmenter ses impacts positifs[33]. La CSRD est le système métrique de cette entreprise. Elle lui propose des normes d’indicateurs et des méthodologies de reporting robustes afin de suivre et piloter ses impacts.

L’entrée dans l’économie d’impact traduit l’intégration de la RSE et du Développement durable dans le fonctionnement ordinaire des entreprises. L’ISO 26.000 (norme sur la RSE internationalement reconnue, finalisée en 2010) définit la RSE comme la « Responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement ». La Commission européenne adopte une définition proche : « Responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets (impacts dans la version anglaise) qu’elles exercent sur la société »[34].

La CSRD marque le fait qu’il n’y a plus de séparation entre le « business as usual » d’un côté et la RSE de l’autre, qui en serait le supplément d’âme : business et RSE sont désormais intégrés.

La Plateforme RSE a conduit un travail de fond sur cette notion, qui a fait l’objet d’une publication en février 2023[35]. Elle s’attelle, dans un premier temps, à définir le concept en s’appuyant sur les différents textes officiels le mentionnant. Parmi eux, la norme ISO 26.000 ou encore la directive européenne 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. C’est finalement la définition de l’Efrag qui retient les faveurs de la Plateforme RSE. L’organisme de normalisation européen définit l’impact d’une entreprise comme l’effet que cette dernière a ou peut avoir sur l’économie, l’environnement et les populations. Il faut ensuite qualifier ces impacts, qui peuvent être avérés ou potentiels, négatifs ou positifs, à long ou court terme, intentionnels ou non, réversibles ou irréversibles. On reconnaît ici la matrice méthodologique de la CSRD (qui était encore dans les limbes à cette époque), laquelle s’appuie sur les ESRS… élaborés par l’Efrag.

L’économie d’impact se traduit par une volonté de trouver des consensus larges pour orienter les efforts des entreprises vers des initiatives à fort impact. Une manifestation particulièrement visible en a été donnée par la structuration des 17 objectifs de développement durable (ODD), décidés lors de la conférence de Rio+20 en 2012, puis adoptés par les 193 pays membres des Nations Unies en 2015 et entrés en vigueur en janvier 2016. Ils s’intègrent dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies et représentent les grands enjeux planétaires que la communauté internationale se donne pour objectif d’améliorer à l’horizon de 2030. Les Etats mais aussi les entreprises s’y réfèrent de plus en plus souvent pour orienter les politiques publiques pour les premiers, et leurs stratégies de RSE et Développement durable pour les secondes. Ils visent à mettre fin à l’extrême pauvreté, à combattre les inégalités, l’exclusion et les injustices, à préserver l’environnement et lutter contre le changement climatique, à garantir la paix et la sécurité…

Progressivement, des guides et des outils ont été créés pour aider les entreprises à s’approprier les ODD. Des outils comme le SDG Action Manager ou la GRI permettent à l’entreprise de mesurer la mise en œuvre des ODD au sein de l’entreprise. La GRI et le UN Global Compact proposent un guide qui offre un inventaire complet de cibles et d’indicateurs sur chacun des 17 ODD, en s’appuyant sur les normes et les cadres internationaux[36]. Ces derniers sont définis par les institutions publiques ou privées comme Global Compact, SASB, CDP, GRI, World Bank, WEF…[37] Fort heureusement, l’Efrag n’a pas ignoré ces référentiels internationaux en construisant les ESRS, qui forment la colonne vertébrale de la CSRD. Les entreprises déjà engagées dans les ODD, et il y en a beaucoup, y compris des PME, retrouveront dans la CSRD beaucoup de points de données (indicateurs, cibles, politiques, etc.) qu’elles connaissent déjà.

L’économie d’impact se caractérise aussi par l’intervention de « tiers de confiance » qui agrègent et synthétisent l’information pour lui donner sens. Ainsi les indicateurs conformes aux exigences de la CSRD fournis par les entreprises seront progressivement intégrés par

  • les fournisseurs de labels RSE comme Lucie ou l’Afnor, qui octroient ou non leur label sur la base d’indicateurs d’impact[38] ;
  • les agences de notation, qui délivrent des notes par thématiques ;
  • les investisseurs qui en nourrissent leurs analyses et leurs algorithmes ;
  • plus largement, le « point d’accès unique européen aux informations financières et non financières des entités européennes » (issu du règlement ESAP) collectera l’ensemble des données pour les mettre à disposition de toutes les parties intéressées[39].

 

Alors que bon nombre d’entreprises protestent contre la charge administrative liée à la construction de leurs indicateurs CSRD, il n’est pas inutile de faire remarquer l’intérêt de cette production unique, qui couvrira la plus grande partie des besoins, plutôt que de s’épuiser à remplir les questionnaires différents adressés par chacun de ces acteurs.

Dans une tribune au quotidien Le Monde, Pascal Demurger, Directeur général du groupe MAIF et Philippe Zaouati, Directeur général de Mirova, deux chefs d’entreprise déjà engagés dans la transition écologique et sociale, reconnaissent que l’approche de la CSRD « représente un défi technique majeur », notamment parce que « la méthodologie d’évaluation des impacts n’est pas encore stabilisée », mais considèrent que « la contrainte de transparence sur les impacts environnementaux est stimulante » et va aider les chefs d’entreprise à « faire les bons choix » [40].

De nombreux dirigeants ont compris l’intérêt de cette démarche comme facilitatrice de la transition. C’est le cas de la coalition Business for a Better Tomorrow, fondée en janvier 2024 et rassemblant 15 réseaux d’entreprises européennes (parmi lesquels en France, le Mouvement Impact France, la Communauté des Entreprises à Mission)[41]. Dans son manifeste européen, la coalition prend parti en faveur de la CSRD tout en regrettant que les institutions de l’UE n’aillent pas plus loin. Elle affirme d’abord la contribution de la transparence à l’intérêt général : « Le chemin vers une économie inclusive, juste et verte passera par une plus grande transparence de l’impact des entreprises aux yeux des pouvoirs publics, des investisseurs et des consommateurs : la mise à disposition publique du niveau d’engagement des entreprises permettra ainsi de distinguer les entreprises réellement engagées dans la transition des moins performantes, et contribuera à compenser le désavantage compétitif subi par les acteurs économiques qui contribuent positivement à la transition »[42].

Mais elle fait valoir que malgré le point d’accès unique européen (voir ci-dessus), à défaut d’être traitées et valorisées correctement, les données CSRD sont trop complexes et dispersées pour les investisseurs, et plus encore pour les consommateurs, les candidats en recherche d’emploi et les pouvoirs publics. De ce fait, les entreprises, qui mobilisent des moyens humains et financiers pour répondre aux nouvelles normes européennes, ne perçoivent pas les avantages concurrentiels que la mise en œuvre de la CSRD pourrait leur procurer. C’est pourquoi la Coalition propose « la création d’un outil accessible, utilisant les données collectées dans le cadre de la mise en œuvre de la CSRD, qui permettrait d’accroître la visibilité sur les performances ESG des entreprises auprès des investisseurs et des consommateurs grâce à un mécanisme de notation ».

Pour notre part, nous avions proposé la création d’une agence européenne spécialisée dans ce domaine afin de préserver la souveraineté européenne[43]. Notre constat est simple : alors que la notation ESG était un savoir-faire européen (et français en particulier) du fait de l’avance prise dans ce domaine par les réglementations de l’UE et des pays membres, la convergence entre le financier et l’« extra-financier » a fait son office : les acteurs nord-américains ont rattrapé leur retard sur la notation ESG en utilisant leur atout maître, la force de frappe de leurs agences de notation financière (les trois « poids lourds » que sont Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s, auxquels s’ajoutent deux autres agences américaines importantes, MSCI et Morningstar) dont la rentabilité est artificiellement gonflée par leur situation de quasi-monopole.

Ils ont méthodiquement racheté la quasi-totalité des agences de notation ESG européennes, dont la première, Vigeo-Eiris, en avril 2019, dans une belle indifférence des États et des établissements bancaires et financiers européens. Comme le remarque un rapport du Sénat, « alors que l’Europe est pionnière en matière d’ESG, on a assisté à la mainmise progressive de groupes américains sur un marché fragmenté entre petits acteurs indépendants »[44]. Olivia Grégoire, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, l’a très justement souligné : « Nous avons affaire à une compétition internationale sur l’indicateur de la performance extra-financière. Ce n’est pas un sujet technique, mais bien de souveraineté européenne sur le plan économique. Nous avons déjà délégué les normes comptables IFRS aux Américains. Si nous ne définissons pas nos propres critères, les États-Unis pourraient être en mesure de nous imposer les leurs »[45].

Or les indicateurs ESG, comme les normes financières, ne sont pas neutres. Ils sont le reflet du système de pensée qui leur a donné naissance[46]. C’est pourquoi la création d’une agence européenne de notation nous semble indispensable pour imposer les standards européens (économie sociale de marché, performance globale, double matérialité…). Cette proposition issue des travaux menés avec Metis et Terra Nova a été reprise et soutenue par la Plateforme RSE dans son avis préparatoire à la présidence française du Conseil de l’Union européenne (octobre 2021)[47]. Celui-ci met en perspective le projet : « La CSRD pourrait être l’occasion de relancer cette initiative [la création d’une agence d’évaluation européenne], en s’appuyant sur la BCE, les agences ESG encore indépendantes en Europe et un acteur européen des technologies. Cette agence européenne pourrait prendre un leadership dans l’intégration des données financières et non financières, dans la création de référentiels sectoriels mis à la disposition des PME et dans la création de nouvelles offres d’intelligence économique »[48].

Un temps envisagé par la Commission, qui avait bien perçu, après la crise financière de 2008, la responsabilité des agences de notation financière américaines dans le déclenchement de la crise des « subprimes », cette initiative a malheureusement été abandonnée au profit d’un projet de réforme du contrôle des agences de notation existantes par l’ESMA[49]. Le 5 février 2024, la Commission européenne, le Parlement et le Conseil se sont accordés sur un texte établissant l’ESMA, le gendarme européen des marchés, comme superviseur des agences de notation ESG, comme il l’est déjà pour les agences qui notent la qualité de crédit des Etats et des entreprises. Le régulateur délivrera les agréments, contrôlera et sanctionnera, si besoin, les entités qui ne se conformeraient pas au règlement européen. L’Union européenne est ainsi la première région du monde à encadrer ce secteur, mais il s’agit seulement d’une régulation, comme le souligne l’hebdomadaire Challenges : « L’ESMA veut réguler la notation sociale pour rendre les méthodologies plus transparentes mais ne va pas jusqu’à imposer un standard comme par exemple, obliger que le E [E pour environnement, dans l’acronyme ESG] soit fondé sur l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Seule la France avec son label d’Etat ISR impose des règles strictes »[50].

Cet abandon est regrettable car d’ici quelques années, la valeur ajoutée ne sera plus dans les données, mais dans leur traitement. Ce pour quoi les investisseurs et les entreprises sont prêts à payer, ce sont moins les données que l’intelligence des données, c’est-à-dire la façon dont les indicateurs interagissent pour expliquer comment la valeur est créée. La question n’est donc plus la normalisation des données, mais leur traitement. L’UE a fait tous les efforts pour inventer la discipline de notation ESG, elle a pris le risque politique de l’imposer aux entreprises actives dans l’Union par deux directives successives… Mais elle va laisser les agences américaines déjà monopolistiques en tirer les fruits et imposer progressivement leur propre cadre d’analyse et de compréhension.

A l’heure où le besoin de souveraineté européenne se fait partout sentir, il est temps de prendre conscience que ceux qui abandonnent aux autres la maîtrise de la détermination des critères de performance des entreprises se placent en situation de dépendance et d’infériorité. Rappelons-nous les débuts d’Internet : par analogie avec la conquête de l’Ouest, ce ne sont pas ceux qui ont placé les câbles au fond des océans qui en ont récolté les fruits mais ceux qui ont fourni les pelles, les pioches et la toile de jean, c’est-à-dire ceux qui ont su apporter des traitements attractifs des données, ceux que l’on appelle aujourd’hui les GAFAM.

Enfin, une dernière caractéristique de la CSRD va faire progresser les entreprises : sa dimension prospective. En effet, elles doivent désormais communiquer sur l’impact de leur activité mais aussi sur ses impacts futurs : les risques et les opportunités associés sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, en amont comme en aval. Et comme l’économie d’impact ne peut fonctionner correctement sans diffuser de la confiance, ces indicateurs sont standardisés, audités, discutés et publiés.

 

Une nouvelle approche de la pertinence : le concept de double matérialité

Comme évoqué ci-dessus, la double matérialité (que la CSRD préfère appeler la « double importance ») est un filtre qui permet à l’entreprise de ne retenir que les indicateurs pertinents pour elle, sans avoir à se disperser dans des domaines qui ne sont pas sensibles pour elle, compte tenu de son activité et de sa stratégie.

Comme l’indique justement l’AMF dans sa brochure de février 2024, « le principe de double matérialité est la pierre angulaire de la CSRD ». Ainsi la CSRD précise : « les ESRS n’exigent pas d’une entreprise qu’elle publie des informations sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance couvertes par les ESRS lorsqu’elle considère, après évaluation, que le thème en question n’est pas important »[51].

Mais la CSRD exige effectivement que l’entreprise considère l’ensemble des enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance modélisés par les 12 ESRS listés plus haut, auxquels s’ajoutent :

  • Les ESRS sectoriels qui, pour l’instant, ne sont pas à considérer faute d’être disponibles. Ces normes sectorielles ont en effet été repoussées (en février 2024) de juin 2024 à juin 2026.
  • Les normes spécifiques à l’entreprise, dites « entity-specific », pour traiter les enjeux de durabilité matériels non couverts (ou non suffisamment couverts) par les ESRS si elles en ont identifié.

 

Ces deux aspects illustrent la volonté des concepteurs de la CSRD de mettre à disposition un reporting qui reflète étroitement les spécificités, l’ADN, de chacune des entreprises[52]. Ainsi par exemple, le groupe audiovisuel TF1 a présenté une matrice de matérialité dans laquelle les deux enjeux les plus matériels, pour TF1 comme pour ses parties prenantes, sont :

  • L’indépendance des rédactions et le pluralisme de l’information ;
  • L’éthique et la déontologie dans les programmes.

 

Autre exemple, cette fois dans l’industrie : la matrice de matérialité du groupe COFEL, le leader de la literie en France, fait ressortir comme enjeu le plus matériel l’innovation pour améliorer la qualité du sommeil. Celle-ci apparaît en effet comme un enjeu majeur en termes de santé et de bien-être.

Les adversaires de la CSRD, prompts à mettre en avant le carcan normatif et les horribles « 1.178 datapoints », passent sous silence ce fait essentiel : l’entreprise est libre de définir elle-même, parmi ces 1.178 points de données théoriques et selon ses propres critères d’évaluation, ce qui est important ou pertinent pour elle et ce qui ne l’est pas.

Mais dans la conception libérale de la CSRD, cette liberté se double d’une transparence : le processus d’analyse de matérialité doit être documenté pour pouvoir en rendre compte à la gouvernance de l’entreprise et en prévision de la certification[53]. « En matière de transparence, la description claire par les entreprises de leur démarche d’analyse de matérialité – structurante dans le reporting de durabilité – et de leurs hypothèses et arbitrages, sera importante en particulier pour les premiers exercices de reporting »[54].

Le concept de matérialité, poussé par l’Europe et pierre angulaire de la CSRD, est ainsi un allié considérable des opposants au reporting unique. Il permet aux entreprises de se libérer du carcan (véritable celui-ci) d’une liste d’indicateurs imposée à toutes les entreprises, quelles que soient leurs activités et leur stratégie. Or il est bien évident qu’un indicateur pertinent pour évaluer une entreprise ne l’est pas forcément pour une autre. Cette conception bureaucratique du reporting de durabilité était pourtant celle de la France. La loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) de 2001 exigeait un rapport fondé sur 32 indicateurs sociaux, environnementaux et de gouvernance, y compris les chiffres relatifs à l’emploi, à la gestion des déchets et aux pratiques anti-corruption. Les plus anciens se souviennent du célèbre article 225 de la loi Grenelle II (juillet 2010), qui imposait une liste standard d’indicateurs (42 thématiques), qui verra le jour après des mois de déchirements sous la forme d’un décret finalement publié… en avril 2012[55]. Cette liste incluait déjà, à côté des indicateurs plus classiques déjà présents dans la loi NRE, les émissions de gaz à effet de serre, les mesures d’adaptation aux impacts du changement climatique et celles destinées à préserver ou améliorer la biodiversité.

Il a fallu la sagesse de l’UE, d’abord avec la NFRD, puis avec la CSRD qui parachève cette construction, pour sortir notre pays de cet obscurantisme étrange, qui réclamait qu’un indicateur soit homogène avant d’être pertinent.

Il est ainsi très paradoxal de voir les mêmes organisations qui tempêtaient hier contre le carcan de la liste unique s’opposer aujourd’hui à la CSRD qui y met fin.

La double matérialité a deux dimensions : ​la matérialité d’impact et la matérialité financière.

  • Un enjeu de durabilité est matériel d’un point de vue financier s’il génère ou pourrait générer des effets financiers sur l’entreprise, c’est-à-dire lorsqu’il génère ou pourrait générer des risques ou des opportunités qui influencent (ou sont susceptibles d’avoir une influence sur) la valeur de l’entreprise, sa position financière, ses résultats financiers, ses flux de trésorerie, son accès au financement ou le coût du capital, à court, moyen ou long terme.
  • Un enjeu de durabilité est matériel du point de vue de l’impact lorsqu’il fait partie des impacts matériels réels ou potentiels, positifs ou négatifs de l’entreprise sur les personnes ou l’environnement à court, moyen et long terme. Cela comprend les impacts causés par l’entreprise ou auxquels l’entreprise a contribué et les impacts directement liés aux opérations, produits, services de ses relations d’affaires.

 

Un enjeu de durabilité répond au critère de double matérialité s’il est matériel du point de vue de l’impact ou du point de vue financier ou les deux[56]. L’application obligatoire de ce principe de double matérialité est une innovation de la CSRD, qui déroute beaucoup d’entreprises de par sa nouveauté. Ainsi, très peu d’entreprises en ont déjà l’expérience pour l’avoir pratiquée dans le cadre de la directive précédente (la NFRD) : Hermès, Capgemini et Crédit Agricole sont des exceptions notables.

Simple Matérialité vs. Double Matérialité, Une Guerre Culturelle sur le Reporting de Durabilité ?

Djellil Bouzidi, Responsable du pôle économie de Terra Nova

Le 10 octobre 2023, Emmanuel Faber a publié une tribune dans Le Monde critiquant l’approche de la double matérialité, qu’il juge « séduisante mais trompeuse ». Cette publication a suscité un vif débat entre deux visions du reporting de durabilité.

L’ISSB (International Sustainability Standards Board), dirigé par E. Faber, a publié deux normes inaugurales au 26 juin 2023 : les IFRS S1 et IFRS S2, marquant le début des divulgations liées à la durabilité dans les marchés de capitaux à l’échelle mondiale.

Les normes de l’ISSB se concentrent sur l’impact des risques environnementaux et sociaux sur la performance financière des entreprises et, par extension, sur leurs actionnaires. Elles privilégient l’approche de matérialité unique, également désignée « matérialité financière » : selon cette méthode, les entreprises doivent divulguer les informations liées à la durabilité de leur activité, qui sont financièrement matérielles pour les investisseurs et les autres participants du marché des capitaux.

Ces normes mettent l’accent sur les risques financiers : leur objectif est d’assurer que les actionnaires sont conscients des risques de durabilité susceptibles d’affecter leurs investissements et la valeur future des entreprises. Cette approche est clairement moins coûteuse et plus simple pour les entreprises.

De son côté, la Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) exige des divulgations détaillées dans 12 nouveaux standards européens de reporting (les ESRS définis par l’Efrag) et intègre, tel que démontré dans ce rapport, un éventail plus large d’intérêts, incluant les impacts sociétaux et environnementaux, au-delà des seuls retours financiers pour les actionnaires.

Les approches de l’ISSB et de la CSRD reflètent des priorités et des visions du monde différentes concernant la responsabilité et les risques d’entreprise. En résumé, l’approche de matérialité simple est centrée sur le risque financier, l’idée clé étant de considérer que les investisseurs doivent être conscients des risques de durabilité car cela les aidera à créer plus de valeur. A l’inverse, l’approche de double matérialité considère que les investisseurs et les entreprises doivent révéler comment ils impactent le monde, de la pollution aux droits humains.

Ces différences d’approche reflètent aussi une divergence quant à la finalité du reporting. Dans l’approche américaine, les utilisateurs du reporting se résument aux investisseurs, donc seule la matérialité financière importe, alors que l’approche européenne mise sur une utilisation par l’ensemble des parties prenantes, y compris les investisseurs, mais aussi ceux qui se préoccupent de l’impact de l’entreprise sur son environnement (clients, pouvoirs publics, ONGs…).

Les entreprises européennes soumises à la CSRD qui sont cotées aux Etats-Unis ou sur une place financière recommandant les standards de l’ISSB n’auront normalement pas à réaliser un double reporting. En effet, l’Efrag s’est attaché à construire les normes ESRS en englobant les standards ISSB déjà connus. Par ailleurs, respecter la double matérialité, c’est a fortiori respecter la matérialité financière.

Enfin, les entreprises inquiètes de la charge de travail nécessaire pour réaliser cette démarche de matérialité peuvent se rassurer en examinant les avis des autorités comptables qui se sont penchées sur la question. L’autorité des normes comptables recommande la mesure dans son guide sur la CSRD : « L’analyse de double matérialité ne doit pas mobiliser des efforts disproportionnés par rapport aux politiques, actions et cibles liées aux enjeux durabilité que l’entreprise a décidé de mettre en œuvre »[57].

 

Une nouvelle approche de la performance : la performance globale

Le système d’évaluation des performances dans les entreprises, patiemment construit par les directions financières, le contrôle de gestion et le risk management, est bâti sur un concept totalement obsolète d’une comptabilité borgne qui, depuis son invention au XVe siècle sur la base des travaux du moine italien Luca Pacioli, se révèle incapable de traquer les coûts qui n’ont pas d’incidence en trésorerie. La majeure partie des coûts sociaux et environnementaux continuent à lui échapper. L’industriel Henry Ford, qui faisait remarquer dans les années 1920 que « les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes » ne serait pas contredit aujourd’hui.

Dans un mode volatile, incertain, complexe et ambigu, les données financières ne suffisent pas à rendre compte de la situation d’une entreprise. L’infatigable défenseure des actionnaires individuels, Colette Neuville affirmait récemment : « les naufrages d’Orpea, de Casino ou d’Atos laissent penser que leurs comptes ne donnaient pas une image fidèle de leur situation réelle bien avant qu’elle ne soit révélée au public »[58]. Elle aurait pu ajouter que quelques données sur les mouvements de personnel ou la santé au travail demandées par la CSRD auraient permis d’éveiller l’attention. Dès 1997, une étude du Commissariat général au Plan affirmait : « Évaluer la performance globale d’une entreprise, c’est considérer que sa performance économique sans prise en compte des externalités négatives de son activité sur son environnement (social et écologique) ne constitue pas une « juste évaluation » de la performance »[59].

Or, qu’est-ce que la performance ? Tout simplement, nous disent les dictionnaires Robert et Larousse, la « capacité d’une organisation à atteindre ses objectifs ». Rien ne dit que la performance devrait être examinée au seul prisme de l’économique et du financier. La CSRD va contribuer à faire éclater ce carcan de la performance, en mettant en lumière la nécessité fortement ressentie aujourd’hui, de concilier performances financières, environnementales et sociales. C’est d’autant plus important que les deux dernières sont au centre des politiques publiques mais invisibilisées par les systèmes de gestion des performances des entreprises.

Cette invisibilisation est le frein majeur au développement des politiques RSE dans les entreprises. Le manque de visibilité sur le ROI (retour sur investissement) est le principal frein au développement des politiques RSE. Pour la France, le Baromètre des Enjeux RSE réalisé par BDO et Malakoff Médéric l’a bien montré : le retour sur investissement (ROI) est l’enjeu n°1 des responsables RSE. Le peu de visibilité du ROI est en effet le frein principal aux projets RSE pour 68% des grandes entreprises, 45% des entreprises de taille moyenne et 40% des petites entreprises. Ce manque de visibilité constitue donc un obstacle d’autant plus puissant que l’entreprise est grande. 

La France n’est pas une exception. L’étude d’Accenture et de Global Compact auprès de 1.000 CEOs (directeurs généraux) de 99 pays (« CEO Study on Sustainability ») aboutit à deux conclusions sur ce thème :

  • Le frein qui se situe en tête est le manque de lien entre développement durable et création de valeur (« business value »).
  • Ce frein n’était cité que par 18% des PDG en 2007 mais 30% en 2010, 37% en 2013 et revient à des niveaux plus modérés : 31% en 2016 et 26% lors de la dernière enquête (2019).


En incitant les entreprises à construire des indicateurs sociaux et environnementaux robustes, la CSRD va permettre d’accroître la visibilité sur les bénéfices obtenus. Elle va éclairer les liens entre l’activité de l’entreprise et cette « business value » et par conséquent la contribution des initiatives RSE à la performance, c’est-à-dire leur ROI.

De ce point de vue, la CSRD est le couronnement de la Performance globale, un concept né en 2002 au sein du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), qui ouvre la focale de la performance sur ses trois dimensions : économique, sociale (et sociétale), environnementale. Ce concept reprend les « 3P » chers aux anglo-saxons : People, Planet, Profit, dans la lignée de l’auteur et entrepreneur John Elkington en 1994, qui déplorait l’existence d’une seule ligne de résultats et appelait de ses vœux la « triple bottom line » (TBL), également connue sous le nom de « triple performance ». Cette triple performance faisait également référence aux trois piliers du développement durable issus du rapport Brundtland de 1987[60].

Dans ses ouvrages, Elkington propose un cadre complet qui encourage les entreprises à prendre en compte non seulement leur performance financière, mais aussi leurs impacts environnementaux et sociaux[61]. Il soutient que les modèles d’entreprise traditionnels axés uniquement sur la rentabilité financière sont insuffisants pour relever les défis complexes auxquels la société est confrontée, et explicite la manière dont la TBL peut améliorer la réputation d’une entreprise, attirer des investisseurs soucieux de responsabilité sociale et favoriser l’innovation. Cependant, il reconnaît les difficultés de mesure et de quantification des impacts environnementaux et sociaux, de manque de normalisation des indicateurs ainsi que les éventuels conflits entre les objectifs financiers et les objectifs de durabilité. La CSRD apporte des solutions à quelques-uns de ces obstacles.

Les contempteurs de la CSRD sont souvent bloqués dans une logique d’opposition entre le financier et le non financier. Ils considèrent que les politiques sociales, sociétales, environnementales ou de gouvernance sont menées au détriment de l’efficacité économique et de la rentabilité financière. Or la CSRD (tout comme le concept de performance globale) prend le contrepied de cette opposition en fonctionnant sur le « ET ».

Ainsi parmi les inspirateurs historiques de la performance globale, on peut citer :

  • Aux Etats-Unis, l’industriel Henry Ford (1863–1947), personnage très controversé, qui disait dans les années 1920 : « L’entreprise doit faire des profits sinon elle mourra. Mais si on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi, car elle n’aura plus de raison d’être ».
  • Plus près de nous en France, Antoine Riboud (1918–2002), PDG de BSN (futur Danone), et son double projet, illustré par son célèbre discours aux Assises du CNPF à Marseille en octobre 1972 : « Le rôle et la responsabilité du Chef d’Entreprise prend dès lors une nouvelle dimension. Il sera soumis lui aussi à deux critères d’appréciation : la réalisation des objectifs économiques vis-à-vis de ses actionnaires et de l’environnement et la réalisation des objectifs humains et sociaux vis-à-vis de son personnel »[62].

 

Parmi les chefs d’entreprise contemporains, beaucoup citent également le « ET » :

  • Florent Menegaux, PDG de Michelin : « Il faut réconcilier le fait de générer des profits, de faire des choses pour les gens et le fait de le faire d’une manière compatible avec la société et la planète. Le développement durable, c’est la capacité à gérer ce ‘et’, à ne plus opposer ces dimensions mais à les réconcilier. (…) Le plus gros défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est d’ordre culturel : nos équipes doivent apprendre à accepter les paradoxes, à vivre dans la complexité de notre monde et à faire converger des objectifs qui pourraient paraître contradictoires »[63].
  • Xavier Huillard, PDG de Vinci : « Nous ne raisonnons plus en termes de performance technique et financière d’un côté, et de performance sociale et environnementale de l’autre, mais bien en termes de performance globale »[64].  
  • Veolia a mis en pratique la performance globale sous le nom de « performance plurielle », qui met au même niveau d’attention et d’exigence cinq niveaux de performance : économique et financière, commerciale, sociale, sociétale, environnementale. Comme l’explique Pierre Victoria, à l’époque directeur du Développement durable de Veolia, à chaque dimension de performance est associée une partie prenante prioritaire : actionnaires, clients, salariés, société, planète. Sous l’impulsion de son PDG, Antoine Frérot, un lien fort a été construit entre la raison d’être du Groupe et ces objectifs de moyen terme, intégrés dans le plan stratégique, matérialisés par dix-huit indicateurs. Ces indicateurs sont audités par des organismes indépendants et font partie du calcul de la rémunération variable des cadres supérieurs et des objectifs de performance plurielle sont fixés à tous les collaborateurs au cours de leur entretien annuel d’évaluation[65]. Estelle Brachlianoff, qui a pris la suite d’Antoine Frérot à la Direction générale du Groupe poursuit la démarche en approfondissant l’ancrage de la raison d’être et du programme stratégique GreenUp 2027 dans le fonctionnement de Veolia[66].

 

La vision holistique de la CSRD a parfois du mal à convaincre malgré sa pertinence, parce qu’elle fait entrer managers et dirigeants dans la complexité. Mais nous n’avons plus le choix : le dépassement des limites planétaires et la formation de bulles d’éruptions sociales nous obligent à mettre en place les moyens de réconcilier :

  • l’économique et le social (Antoine Riboud),
  • le social et l’écologique (« fin du mois et fin du monde »),
  • l’économique et l’écologique.

 

Le C3D (club des directeurs du Développement durable) met lui aussi l’accent sur cette conciliation : « Le C3D considère la régulation CSRD comme un cadre de référence, à ajuster en tant que de besoin pour éviter les excès, pour accompagner la transformation des entreprises, afin qu’elles puissent continuer à créer de la valeur économique sans détruire la valeur écologique. C’est un enjeu de pérennité »[67]. L’IFA (Institut Français des Administrateurs) a publié un rapport sur « Le conseil d’administration et l’information extra-financière » (avril 2021), qui commence par poser ainsi le cadre : « L’entreprise devra adapter son modèle d’affaires aux conditions d’une économie durable, qui associe rentabilité à long terme, justice sociale et protection de l’environnement ainsi qu’aux contraintes qu’engendrent les transitions écologique, sociale et numérique ». De son côté, l’Efrag, qui est à l’origine des ESRS, définit ainsi la notion d’impact : « l’impact vise la contribution de l’entreprise, négative ou positive, au développement durable »[68]. Les trois piliers du développement durable sont à nouveau mis au centre.

La CSRD permet d’outiller l’approche de performance globale pour rendre son avancement et ses résultats dans les entreprises visibles par les investisseurs, les partenaires d’affaires et plus largement les parties prenantes. Au même titre que ces acteurs se procurent les états financiers, ils examinent le rapport de durabilité pour apprécier la situation de l’entreprise.

De ce point de vue, on peut aussi analyser la CSRD non comme une contrainte nouvelle qui s’impose aux entreprises mais comme un moyen de poursuivre la loi Pacte de mai 2019 en l’équipant du tableau de bord qui lui faisait défaut. La loi Pacte a réécrit l’article 1833 du Code civil, qui dispose que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Les entreprises ont donc désormais besoin d’indicateurs solides et standardisés pour mesurer cette prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux.

La loi Pacte (article 169) introduit également le concept innovant de Raison d’être en réécrivant l’article 1835 du Code civil, complété par une phrase ainsi rédigée : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Beaucoup d’entreprises, pour éviter que leur raison d’être ne soit qu’un instrument de communication ont créé des axes d’engagement qui la transcrivent dans la réalité de leur fonctionnement. Elles ont donc désormais besoin d’indicateurs solides et standardisés pour étayer la réalisation de ces engagements.

Enfin, la loi Pacte introduit une nouvelle approche de management et de gouvernance de l’entreprise contributive en créant la société à mission. La réécriture de l’article L 210–10 du Code du commerce dispose que « une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque plusieurs conditions sont respectées ». Ces conditions consistent principalement à décliner la raison d’être en objectifs sociaux et environnementaux intégrés aux statuts, à créer un Comité de mission qui en suivra l’exécution et à faire appel à un OTI qui contrôlera ce processus. Ces entreprises ont besoin d’un appareil permettant à ces différents acteurs de suivre l’exécution des missions qu’elle s’est données.

Stéphanie Dupuy‑Lyon, Directrice de l’engagement sociétal du groupe La Poste, qui est la plus grande société à mission, met en avant l’adaptation anticipée à la CSRD : « La CSRD impulse une vraie dynamique de transformation et met la performance globale au cœur du système de l’entreprise. C’est un vrai changement de paradigme pour beaucoup d’entreprises. En faisant le choix de devenir entreprise à mission, La Poste a devancé la CSRD. C’est en effet un atout pour notre groupe d’avoir mis au cœur de notre modèle d’entreprise une gouvernance associant nos parties prenantes, une raison d’être, 4 engagements au service de la société et 14 indicateurs d’impact »[69].

La Plateforme RSE a bien résumé les liens entre impact, performance globale, gouvernance et apports de la loi Pacte : « L’impact permet effectivement de penser la performance globale de l’entreprise afin de développer un modèle d’affaires plus durable. (…) Intégrer l’impact au cœur de la stratégie de l’entreprise nécessite notamment d’ancrer cette notion au cœur de sa gouvernance, afin de permettre sa prise en compte au plus haut niveau de l’entreprise. (…) Cet ancrage de la notion d’impact dans la stratégie de l’entreprise peut être porté par la définition d’une raison d’être ou par l’adoption de la qualité de ‘société à mission’. (…) L’intérêt premier de la notion d’impact est de permettre aux entreprises de penser leur activité en tenant compte de ses conséquences sur leurs parties prenantes dans un temps long »[70].

Pour mieux irriguer le tissu économique de l’UE, il fallait abaisser des seuils d’applicabilité de la directive sur le reporting de durabilité, notamment pour le seuil d’effectifs. C’est ce que fait la CSRD en baissant à 250 salariés le seuil qui se situait à 500 salariés pour la DPEF, si bien que le nombre d’entreprises assujetties va passer pour l’UE de 11.700 (DPEF) à 55.000 (CSRD) et plus particulièrement pour la France, de 2.500 à 6.000[71].

 

La fin de l’opposition stérile entre les enjeux financiers et extra-financiers

L’un des apports essentiels de la CSRD, pourtant peu mis en avant, est de mettre fin à l’opposition stérile entre le financier et le non-financier, entre les indicateurs financiers et extra-financiers. Cette opposition sous-entend qu’il y aurait d’un côté les choses sérieuses, fiables, pertinentes, solides, à savoir les informations financières, et de l’autre côté, celles qui ne le sont pas, c’est-à-dire les informations « extra-financières », toujours un peu… « extra-ordinaires ». La directive précédente (novembre 2014) baignait dans cette immaturité, comme en témoigne son titre : NFRD pour « Non-Financial Reporting Directive ». La CSRD prend un tournant et promeut une vision holistique de l’entreprise.

Pour obtenir l’« image fidèle », chère aux financiers, et au-delà pour comprendre une entreprise et se prononcer sur ses perspectives, il est indispensable de connecter les informations financières et non financières, qui se complètent et s’articulent dans une perspective stratégique et cohérente. Comment la rotation des effectifs et les taux d’absentéisme interagissent avec la valeur ajoutée ; comment la performance non financière des entreprises alimente la performance financière ; comment les ruptures dans la chaîne logistique influent-elles sur la rotation des capitaux investis ; comment l’optimisation du rendement des capitaux immatériels de l’entreprise assure la pérennité de l’entreprise : voilà quelques exemples d’informations structurelles et véritablement stratégiques… qui dépendent de la capacité à mettre en relation les données financières et non financières.

La CSRD émet un signal fort : le rapport de durabilité doit désormais être publié dans une section dédiée du rapport de gestion[72]. Devenu partie constituante du rapport de gestion, il en acquiert ainsi toutes les caractéristiques (vérification par un professionnel, CAC ou OTI, approbation par le Conseil d’administration, communication aux actionnaires, dépôt au greffe du tribunal de commerce, publication sur le site internet de la société…). Il en devient partie intégrante. Ce besoin d’intégrer le financier et le non financier est à l’origine du succès du rapport intégré, poussé notamment par l’IIRC (International Integrated Reporting Council). En France, les premiers rapports intégrés, qui visent à fournir une communication concise sur la manière dont la stratégie, la gouvernance, la performance et les perspectives d’une organisation contribuent à créer de la valeur, ont été publiés à partir de 2015, à l’initiative des groupes Engie et Danone.

A quoi bon persévérer à éditer un rapport financier d’un côté et un rapport RSE ou Développement durable de l’autre, alors que la problématique de la performance est désormais globale ? Avec la CSRD, l’entreprise rapporte son état de durabilité et conduit son analyse de matérialité sur le même périmètre que ses états financiers.

Il est d’ailleurs de plus en plus évident que les données dites « extra-financières » sont des inducteurs de phénomènes financiers. Par exemple, les impacts économiques du déclin de la biodiversité sont considérables, à tel point qu’ils auront un impact macro-économique et génèreront des actifs échoués (stranded assets). Les stress-tests climatiques montrent qu’il en est de même pour les actifs menacés par le réchauffement. Plus de 100 milliards USD d’actifs ont été dépréciés dans le secteur Oil & Gas lors de la seule année 2020[73]. Le péril écologique s’invite d’ores et déjà dans le bilan des entreprises, comme en témoignent les dépréciations d’actifs considérables constatées par les sociétés pétrolières. Mais cette évolution prendra de l’ampleur. Dans un rapport publié le 23 novembre 2023, l’Agence internationale de l’énergie estime que la valorisation actuelle des sociétés pétrolières et gazières privées pourrait chuter de 25% si tous les objectifs nationaux en matière d’énergie et de climat étaient atteints, et jusqu’à 60% si le monde s’efforçait vraiment de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

Cette notion d’intégration renoue avec les origines de la RSE, définie initialement par la Commission européenne dans son Livre vert de 2001 comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ».

La CSRD va jusqu’au bout de cette démarche, de façon très explicite, dans son paragraphe 8 : « De nombreuses parties prenantes considèrent que le terme « non financier » est inexact, notamment parce qu’il implique que les informations en question sont dénuées de pertinence financière. Toutefois, ces informations sont de plus en plus importantes sur le plan financier. Nombre d’organisations, d’initiatives et de praticiens dans le domaine de l’information en matière de durabilité font référence aux ‘informations en matière de durabilité’. Il est donc préférable d’utiliser le terme ‘informations en matière de durabilité’ au lieu d’informations non financières’ »[74].

 

De nouveaux critères de compétitivité

En interne, la CSRD va équiper les entreprises pour rendre plus concrète leur contribution à tous les enjeux qui dépassent la satisfaction des actionnaires et des clients et leurs permettent de poser leur responsabilité sociétale et environnementale. Les salariés actuels et les candidats sont très sensibles à cette capacité de leur employeur, actuel ou futur, à affronter les enjeux prioritaires de la société ou de la planète. En cela, la CSRD participe à reconstruire la confiance entre les Français et l’entreprise, fortement atteinte comme le montrent chaque année les études du Cevipof[75]. Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard sur « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », publié en mars 2018, avait identifié ce « maillon faible » dans la « compétitivité hors coûts » de l’économie française[76].

En externe, grâce à un cadre commun robuste, à une approche normative des données (ESRS) et à une meilleure fiabilité des données publiées (en rendant obligatoire la vérification des déclarations par un organisme tiers indépendant), la CSRD va permettre de comparer les entreprises européennes d’un même secteur sur des critères économiques, environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

La CSRD propose un cadre pour se benchmarker. Où en suis-je réellement ? Où sont mes points d’attention ? Quelles sont les meilleures pratiques ? Où ai-je réellement progressé ? Prétendre répondre à ces questions sans adossement à une batterie robuste d’indicateurs serait hasardeux.

Dans ses recommandations aux dirigeants, l’IFA propose une grille de questions articulée en quatre chapitres. « En préparant l’information qui devra être publiée [selon les règles de la CSRD], toute entreprise va être amenée à revisiter quatre questions fondamentales, que les informations désormais obligatoires viennent éclairer de manière plus ou moins précise :

• Quel(s) type(s) de valeur l’entreprise crée-t-elle ? (…)

• Comment cette valeur est-elle créée ? (…)

• Au profit de quelles parties prenantes cette valeur est-elle créée et répartie ?

• À quel point la création de valeur est-elle pérenne ? (…)

L’information de durabilité publiée en conformité avec les nouvelles normes ESRS devient une alliée clé de la réflexion stratégique au cœur du modèle d’affaires et de l’identité de l’entreprise, et un sujet d’intérêt majeur, dont les instances de gouvernance de l’entreprise ne doivent pas manquer de s’emparer »[77].

La CSRD permet de rendre les impacts (externalités) visibles. C’est l’outil qui manque aujourd’hui pour permettre aux parties prenantes (investisseurs, clients, candidats, acteurs des territoires…) de comparer de manière transparente, secteur par secteur, ce que les entreprises font ou ne font pas en matière de durabilité, les impacts qu’elles exercent et les politiques qu’elles mettent en place.

Bien plus qu’un simple exercice de conformité, la CSRD promet donc d’ériger la durabilité au rang de facteur de compétitivité, au même niveau que le prix, la qualité, les fonctions, le délai de livraison ou la réputation. Une meilleure performance en durabilité se traduira alors, à performance économique équivalente, par des gains de parts de marché. A l’inverse, les entreprises qui laisseraient leur performance de durabilité se dégrader verront leurs parts de marché se contracter.

 

De nouvelles régulations avec les parties prenantes

La presse regorge d’enquêtes et de sondages qui affirment que les salariés, les jeunes diplômés, veulent travailler dans des entreprises engagées, qui maîtrisent leurs impacts, qui investissent sur les enjeux sociaux et environnementaux. L’enjeu de marque employeur est bien identifié mais comment distinguer le bon grain de l’ivraie ? Les indicateurs CSRD vont leur permettre de comparer leurs employeurs potentiels. Dans une seconde étape, ils seront appropriés par des agences de notation et des cabinets d’étude spécialisés qui se chargeront de collecter les données, de les trier par secteurs d’activité, territoires d’implantation et tout autre critère pertinent, de les synthétiser et de publier des « palmarès » sur les différentes dimensions (QVCT, climat, biodiversité…). Il en existe d’ailleurs déjà beaucoup mais il est de l’intérêt de tous que la qualité des données qui les alimentent soit améliorée.

Sur le climat par exemple, les entreprises vont devoir documenter leur trajectoire de mise en conformité avec l’objectif d’un réchauffement global limité à +1,5°C, avec les investissements associés (CAPEX et OPEX), en lien avec la taxonomie. Ces indicateurs seront repris par les agences pour noter la progression des entreprises et par les investisseurs pour évaluer la part de leur portefeuille compatible avec la taxonomie verte européenne.

Dans une tribune de soutien à la CSRD publiée par le quotidien Le Monde, dix-neuf dirigeants de grandes entreprises françaises mettaient l’accent sur les nouvelles exigences des parties prenantes : « Au-delà des impératifs financiers, c’est tout l’environnement de l’entreprise qui a évolué, son rôle dans la société, ses parties prenantes, salariés, consommateurs et ONG qui réclament de plus en plus d’informations et de transparence. Le cadre normatif doit en conséquence évoluer pour s’adapter à ce nouvel équilibre entre les nécessités de l’économie de marché, la nécessaire maîtrise des externalités environnementales et la recherche d’une plus grande justice sociale, notamment envers les populations les plus fragiles ou démunies des droits les plus élémentaires »[78].

Actionnaires et investisseurs font d’ailleurs partie des parties prenantes bénéficiaires de la CSRD, comme le rappelle Jean-Florent Rérolle, l’un des fondateurs de l’IFA et co-auteur du fameux « Vade-Mecum de l’administrateur » : « La CSRD permettra d’améliorer considérablement la qualité des décisions des investisseurs et le dialogue actionnarial avec les entreprises en leur donnant davantage d’informations sur les éléments clés de leur valeur à long terme. Les actifs incorporels constituent aujourd’hui l’essentiel de la valeur. La CSRD les rendra enfin plus tangibles ».

La CSRD va ainsi permettre aux entreprises de mieux informer leurs parties prenantes. Mais dans l’autre sens, l’un de ses apports essentiels est d’inciter les entreprises à mieux s’appuyer sur leurs parties prenantes, à les solliciter davantage pour construire leur rapport de durabilité. Elle leur demande d’ailleurs de documenter les modalités de ces échanges : « L’entreprise publie des informations sur la manière dont les intérêts et les points de vue des parties intéressées sont pris en considération par l’entreprise dans sa stratégie et son modèle économique »[79].

La CSRD recommande tout particulièrement (sans en faire une obligation) d’impliquer les parties prenantes dans la phase cruciale d’analyse de double matérialité, comme le souligne l’Autorité des normes comptables (ANC) : « Les préoccupations des parties prenantes, qu’il s’agisse des employés, des clients, des fournisseurs, des représentants des travailleurs, des autorités, des ONG, etc., doivent également alimenter la liste des enjeux identifiés. La consultation formelle des parties prenantes n’est cependant pas obligatoire »[80].

La CSRD contribue ainsi à la professionnalisation d’une discipline qui deviendra de plus en plus stratégique dans les entreprises, le dialogue avec les parties prenantes. Aux Etats-Unis, cette discipline est déjà formalisée sous l’acronyme SRM, pour « Stakeholder Relationship Management »[81].

Les entreprises aujourd’hui sont peu efficaces pour articuler leur transition écologique et sociale avec leur modèle d’affaires. La CSRD va les obliger à progresser et à savoir mieux expliquer son intérêt stratégique à leurs différentes parties prenantes.

En incitant les entreprises à structurer leurs relations avec leurs parties prenantes, la CSRD permet à la RSE de renouer avec l’une de ses intentions essentielles, la redevabilité : être responsable, c’est être en capacité de rendre des comptes à ses parties prenantes.

 

Une implication décuplée des dirigeants et des Conseils d’administration

Robert Ophèle, Président de l’Autorité des Normes Comptables (ANC) a clairement situé le niveau stratégique de la CSRD et sa nécessaire prise en main au plus haut niveau dans les entreprises : « La CSRD va aider les entreprises à piloter et accélérer la transition vers un modèle d’affaires et une stratégie plus durable, à continuer à attirer les investisseurs pour financer cette transition et à prendre en compte des enjeux ESG au niveau de la gouvernance et du management »[82].

La transformation du modèle d’affaires, responsabilité essentielle des dirigeants, fait aussi partie des raisons du soutien de l’IFA à la CSRD : « Nous avons la conviction que les nouvelles exigences de transparence [issues de la CSRD] offrent également aux entreprises l’occasion, voire l’opportunité, de se doter de nouveaux outils d’aide à la décision au service de la réflexion stratégique et de la transformation de leurs modèles d’affaires afin de prendre pleinement en considération les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux. (…) Nous, administratrices et administrateurs, avons un rôle crucial à jouer dans ce contexte du fait de la mission qui nous est confiée d’orienter la stratégie des entreprises dans le respect de l’objet social en prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux »[83].

Pour Bertrand Desmier, Senior Advisor chez Tennaxia et expert du reporting de durabilité, « la CSRD aurait mérité de plutôt s’appeler CSTD pour Corporate Sustainable Transformation Directive ! ». Et il ajoute : « La réduire à un exercice de reporting est tout à fait réducteur, et lui a valu les nombreuses critiques que l’on sait. Certes, la CSRD marque la fin de 20 ans de reporting extra-financier « rétroviseur », pour un reporting de pilotage d’une RSE intégrée dans la stratégie de l’entreprise, revisitée à l’aune des résultats de l’analyse de double matérialité, et corrélée aux résultats financiers. Ce faisant, au-delà de l’exercice de reporting, la CSRD engage les entreprises soumises dans la transformation de leur modèle d’affaires, afin qu’il soit plus résilient et inscrive ainsi les entreprises sur la voie de la performance durable ».

La performance économique et financière n’est pas soutenable si elle ne s’ancre pas dans la volonté de créer aussi de la valeur sociale, sociétale et environnementale. Les dirigeants en sont de plus en plus convaincus. Dans une tribune publiée en mai 2024, quatre dirigeants du CAC 40 – et non des moindres : Christel Heydemann, directrice générale d’Orange, Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, Benoît Bazin, directeur général de Saint-Gobain et Thomas Buberl, directeur général d’AXA – mettent l’accent sur la transition juste : « La transition écologique devrait avant tout nourrir un récit collectif qui rassemble les générations et les projette dans un avenir désirable. Son objectif, en accélérant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, est de trouver une voie pour mieux vivre ensemble dans le monde de demain. Une transition juste, sans menace ni contrainte, qui renforce notre cohésion sociale, car nous savons que, partout, les premières victimes du réchauffement climatique sont les plus précaires. Une transition qui porte la compétitivité des entreprises et la souveraineté de la France et de l’Europe »[84].

Nous pouvons témoigner que le reporting de durabilité a souvent joué le rôle de révélateur aux yeux des dirigeants. Les indicateurs jettent une lumière crue sur les idées reçues, les diagnostics biaisés ou les vérités occultées par « le dernier qui parle a raison ». Ce sera d’autant plus le cas avec la CSRD, compte tenu de la largeur de son angle de vue. Elle va mettre en lumière des vulnérabilités, des dépendances mais aussi des opportunités, d’autant qu’elle s’articule autour de concept de IRO (impacts, risques et opportunités).

La CSRD accroît l’implication des dirigeants et des organes de gouvernance en étendant leur responsabilité : ils doivent veiller collectivement à la conformité du reporting de durabilité à la directive CSRD et aux normes ESRS, améliorer la transparence sur les moyens dont ils se dotent pour y parvenir, définir les responsabilités respectives du COMEX et du CA (Conseil d’administration), définir les modalités d’élaboration du rapport de durabilité et les points de contrôle du CA (ex : rôle du Comité d’Audit et du Comité RSE). Depuis maintenant 10 ans, l’IFA recommande aux administrateurs de « questionner le management sur le reporting RSE effectué à titre obligatoire ou volontaire »[85]. C’est l’occasion, pour les entreprises qui ne l’auraient pas encore fait, de mettre en œuvre cette recommandation.  

De même, nous recommandons de ne pas laisser au Comité d’Audit le monopole des investigations du CA sur la préparation et l’analyse des résultats de la CSRD mais de faire jouer son rôle, pleinement et entièrement, au Comité RSE lorsqu’il existe. La proportion des Conseils des entreprises du SBF 120 dotés d’un Comité RSE est passée de 26% en 2015 à 49% en 2019 puis 80% en 2023[86]. Ceci témoigne de l’élévation stratégique du sujet RSE, que la montée en puissance du rapport de durabilité va accompagner.

Les dirigeants doivent affirmer clairement la volonté de faire du reporting CSRD un outil stratégique au service de la transformation. Ainsi, la CSRD participe à la transition d’une gouvernance centrée sur les contrôles entre décideurs vers une « gouvernance par l’impact », tournée vers les parties prenantes.

Une plus forte implication de la gouvernance dans la stratégie est également préconisée : « L’entreprise publie les informations (…) sur la manière dont les organes d’administration, de direction et de surveillance prennent en considération les incidences, risques et opportunités lorsqu’ils surveillent la stratégie de l’entreprise, ses décisions sur les principales transactions ainsi que ses procédures de gestion des risques, notamment une indication de la prise en considération par lesdits organes des compromis associés à ces incidences, risques et opportunités »[87]. Cette notion de « prise en considération des compromis » nous semble particulièrement fertile à l’heure où diriger se traduit de plus en plus par le savoir-faire en termes de traitement des dilemmes.

Elle va aussi nourrir le dialogue social puisque le rapport de durabilité est partie intégrante du rapport de gestion, sur lequel les employeurs sont tenus de consulter le Comité social et économique (CSE). La directive désigne d’ailleurs les syndicats et représentants du personnel comme quelques-uns des bénéficiaires finaux du texte. La préoccupation pour les sujets environnementaux et la transition écologique a pris un relief essentiel et le dialogue social sur ces questions a été organisé par la loi Climat et Résilience d’aout 2021, qui a élargi les attributions du CSE aux conséquences environnementales des activités de l’entreprise. Cette nouvelle obligation est peu mise en œuvre aujourd’hui, faute de cadre et de compétences suffisantes. La CSRD va outiller ce débat en fournissant aux acteurs du dialogue social des données fiables et comparables avec les autres entreprises de leur secteur.

L’objection souvent entendue de la part des dirigeants est légitime : dans le cadre de l’entreprise, les indicateurs sont fixés en fonction des objectifs stratégiques qu’elle définit alors que la CSRD plaque une liste d’indicateurs trop générale. Cette objection serait juste sans le concept de double matérialité. Lorsqu’une entreprise réalise une démarche de matérialité, elle fait émerger des enjeux qui ont été identifiés par le plan stratégique (ou le projet d’entreprise) : cette approche facilite l’alignement entre les indicateurs choisis et la stratégie de l’entreprise.

Pour réaliser cet alignement, l’implication des dirigeants est essentielle car il s’agit de travailler en mode projets, de façon transversale. L’ensemble des phases d’un projet CSRD (conduire l’analyse de double matérialité, réaliser l’analyse d’écarts…) nécessite la collaboration des différentes fonctions dans l’entreprise : RSE / développement durable, financière, « risk management », stratégie, juridique, opérationnelle, produit, R&D, ressources humaines, communication, affaires publiques…

La CSRD va aider les dirigeants à rendre concrets et expliquer les risques du changement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité sur l’entreprise elle-même et sur ses écosystèmes.

Elle va amener les entreprises à repenser leurs modèles d’affaires, afin de mieux intégrer les impératifs sociaux et environnementaux à leurs processus de création de valeur. En effet elle impose une réflexion sur les impacts, risques et opportunités matériels de l’entreprise sur son modèle d’affaires et sa résilience, sa chaîne de valeur, sa stratégie et son processus de décision, ainsi que les actions ou plans stratégiques pour éventuellement les faire évoluer. Seule l’implication du dirigeant garantit la cohérence entre ces éléments, comme le souligne Jean-Florent Rérolle, co-auteur du « Vade-Mecum de l’administrateur » : « Les investisseurs examineront plus particulièrement l’alignement des initiatives de durabilité avec la stratégie opérationnelle et les avantages concurrentiels de l’entreprise, ses indicateurs de performance et la rémunération des dirigeants. Les dirigeants devront s’assurer que l’articulation de ces éléments est cohérente et compréhensible s’ils veulent être pris au sérieux par leurs actionnaires ».

Enfin, elle va aider les dirigeants à mieux guider les parties prenantes (les analystes financiers et les investisseurs, mais pas seulement) sur leurs perspectives d’avenir. « Dans sa déclaration relative à la durabilité, l’entreprise met en évidence les liens appropriés entre les informations rétrospectives et prospectives, le cas échéant, afin de bien faire comprendre le rapport entre les informations historiques et les informations prospectives » (CSRD para 74). Cette orientation prospective est une innovation majeure de la CSRD, mais elle est peu identifiée aujourd’hui.

 

Conclusion : un projet pour l’Europe et pour les entreprises européennes

Les entreprises européennes vivent depuis quelques années un profond changement de paradigme : elles sont invitées à passer d’une vision unidimensionnelle de la performance à une vision plurielle, qui bouscule fondamentalement le management et le leadership au sein des organisations.

Ce changement de paradigme nécessite son infrastructure de « poids & mesures », c’est-à-dire son système métrique. Car il faut bien se mettre d’accord sur des conventions communes pour pouvoir se comparer et étalonner le progrès. C’est ce qu’ont très vite compris les révolutionnaires français à la fin du XVIIIe siècle : l’égalité ne pourrait être pleinement consacrée sans une profonde réforme des 800 unités de mesure différentes qui étaient en vigueur sur le territoire. Dans le cadre de l’abolition des privilèges, ils ont donc mis fin au droit de la noblesse de contrôler les poids et mesures utilisés dans leurs fiefs et l’Assemblée nationale a demandé à l’Académie des sciences, dirigée par Condorcet, de former une commission pour déterminer une nouvelle unité de mesure de base. Après bien des discussions, le système métrique, guidé par la science et la raison, a été officiellement adopté en France le 7 avril 1795. Il gagnera ensuite une grande partie de l’Europe et du monde. La revue National Geographic qui a étudié la diffusion du système métrique conclut ainsi : « En fin de compte, ce ne sont pas les lois qui installèrent durablement le système métrique en France, mais la généralisation de l’éducation, de l’alphabétisation et de l’apprentissage des sciences et du commerce. Aujourd’hui, deux siècles après sa première mise en œuvre, seuls trois pays ont un système officiel non-métrique : le Myanmar [Birmanie], le Libéria et les États-Unis »[88].

La CSRD est le système métrique de l’entreprise responsable, que la Plateforme RSE définit comme « une entreprise qui se donne pour objectif la performance globale »[89]. Son déploiement à grande échelle nécessitera de la conviction, de la sensibilisation et de la formation mais il procure d’ores et déjà l’ossature qui permet aux entreprises de mesurer leur performance globale et de se comparer aux autres. Ce système aurait pleinement atteint sa cible s’il conduisait au même effet d’unification que celui atteint par le système métrique en son temps.

Ainsi, la CSRD va accompagner la transition du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui vers le « capitalisme des parties prenantes ». L’Union Européenne ne peut se satisfaire ni du capitalisme actionnarial américain ni du capitalisme d’Etat à la chinoise, deux systèmes qui consacrent la domination d’une seule partie prenante, respectivement les actionnaires et l’Etat. C’est à elle de tracer cette troisième voie originale.

Ce mouvement est désormais enclenché : avec la directive NFRD de novembre 2014, le reporting RSE a su effectuer une première transition, d’une approche de communication vers une démarche de preuve et de transparence ; avec la CSRD de décembre 2022, il pourra réaliser la suivante, qui consiste à passer à une mise en mouvement vers l’action, sur la base de la mesure des impacts. Ce passage n’a pas échappé à l’ordonnance de transposition de la CSRD en droit français, qui note : « Les catégories d’informations demandées représentent ainsi une incitation forte pour les sociétés concernées à engager des actions vertueuses dans les domaines concernés »[90].

Les dirigeants européens d’entreprises regroupés dans la coalition Business for a Better Tomorrow définissent ce « nouveau modèle de la performance économique juste » : « La concurrence internationale exige un nouveau modèle de la performance économique juste qui soutient le modèle social européen. Pour éviter le déclin de l’économie européenne, nous devons donner la priorité aux entreprises qui contribuent au bien commun, en en faisant les clés de voûte d’une économie davantage tournée vers l’impact environnemental et social. Il est temps de voir émerger en Europe un système économique dans lequel l’impact positif n’est plus considéré comme une charge, mais comme un avantage pour les entreprises européennes. C’est le seul moyen de restaurer à la fois la souveraineté et la résilience de l’Union européenne, tout en assurant la contribution des entreprises aux principaux défis de notre temps »[91].

La mise en lumière des progrès de la transition aidera à éviter le « backlash écologique et social » et à sauver le Green Deal dans une prochaine mandature du Parlement européen où l’ambition écologique risque fort d’être amoindrie. Car l’UE est à un tournant. Face aux défis sociaux et environnementaux, doit-on inciter les entreprises et les investisseurs à modeler la nature selon leurs critères financiers, comme le suggère l’approche de simple matérialité (ou matérialité financière) ? Ou doit-on accepter que les limites imposées par la nature dictent une double matérialité, où les impacts réciproques des entreprises et de l’environnement sont intégralement considérés ?

C’est à cette question fondamentale de la finalité de l’entreprise que nous confronte la CSRD, qui marque un tournant crucial pour l’Europe, intégrant pour la première fois le concept de double matérialité. Cette approche ne se limite pas à évaluer l’impact des enjeux environnementaux et sociaux sur les entreprises ; elle examine également dans quelle mesure les entreprises affectent la société et l’environnement. Cela constitue une étape fondamentale vers des pratiques d’affaires plus transparentes et responsables.

En cela, la CSRD initie un dialogue crucial sur la nécessité pour les entreprises de contribuer activement à résoudre les défis sociaux et environnementaux, au lieu de simplement limiter leurs impacts négatifs. Malgré certaines critiques, la vraie question soulevée par la CSRD est la redéfinition de l’entreprise. L’UE se trouve au cœur d’une lutte culturelle et normative qui redéfinira la place des entreprises dans la société.

De nombreux dirigeants ont parfaitement compris cette opportunité. Dans une tribune de soutien à la CSRD publiée par le quotidien Le Monde évoquée plus haut, dix-neuf dirigeants de grandes entreprises françaises dont Accor, Blablacar, Crédit Mutuel, Decathlon, Doctolib, la MAIF, OVH, Renault, Veolia, Voyageurs du Monde…, ont plaidé en faveur d’un texte ambitieux : « Le rôle social des entreprises, créatrices de richesses, pourvoyeuses d’emplois mais aussi vectrices et pour une grande part gardiennes de la soutenabilité de l’économie sur le long terme, est fondamental ; l’UE doit maintenant assumer ses spécificités afin de permettre aux futures normes internationales de les intégrer. C’est pourquoi nous, dirigeants d’entreprises, soutenons la proposition de révision de la directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite « CSRD », qui constitue une nouvelle étape de l’évolution de notre modèle économique. La pérennité de notre modèle économique et juridique en dépend. Nous devons conserver la maîtrise des règles qui régissent nos échanges commerciaux, pour y maintenir nos normes et nos valeurs juridiques, concurrentielles, environnementales et sociales et ne pas les voir disparaître ou être absorbées dans des systèmes de règles moins-disants. (…) Une mise en œuvre ambitieuse de l’information extra-financière permettra aux entreprises opérant en Europe d’être à l’avant-garde d’un nouveau modèle économique à la hauteur des enjeux humains, sociaux et environnementaux du XXIe siècle »[92].

Grâce à son poids économique, l’UE a l’occasion unique de définir des standards de durabilité élevés, non seulement pour ses entreprises mais aussi pour celles qui aspirent à entrer sur son marché. Cette initiative pourrait susciter une dynamique de changement mondiale, favorisant l’adoption généralisée de pratiques durables.

Historiquement, l’Europe a privilégié une compétitivité centrée sur les coûts et les prix, à l’avantage des consommateurs mais souvent au détriment de la pérennité de ses entreprises. La CSRD encourage à revisiter cette approche, promouvant une compétition qui valorise l’innovation durable et le bien-être à long terme au lieu de se focaliser uniquement sur les bénéfices immédiats. Ce changement de paradigme qui redéfinit la compétitivité est crucial pour garantir une croissance équilibrée et durable. La vraie efficience ne se réalise que lorsque les ressources, surtout les plus rares, sont judicieusement utilisées. Or, plusieurs facteurs essentiels comme la biodiversité, la rareté de l’eau, et le coût du carbone ne sont pas correctement valorisés.

Les prochaines élections européennes représentent une opportunité pour chaque électeur de réfléchir au rôle qu’il souhaite jouer, et à celui qu’il souhaite voir jouer par les entreprises, dans ce siècle déterminant pour les générations futures. Ces élections sont plus qu’un simple vote ; elles sont une décision sur la direction que nous voulons donner à nos sociétés en matière de responsabilité sociétale et environnementale.

 

 

 


[1] Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022

[2] Voir Ophélie Risler, « Le Pacte vert européen – Un bilan », Rapport Terra Nova, 15 février 2024, https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/le-pacte-vert-europeen-un-bilan/

[3] Dans ce rapport, nous avons pris le parti d’utiliser le terme communément admis de « reporting », plutôt que le terme officiel français de « rapportage ».

[4] La Taxonomie est un outil de classification pour aider les investisseurs et les entreprises à prendre des décisions d’investissements éclairées sur les activités économiques respectueuses de l’environnement. La directive SFDR, qui concerne essentiellement les établissements financiers établit des règles de classement des fonds en différentes nuances de vert. Les 14 indicateurs de la SFDR et les 6 objectifs de la Taxonomie verte (atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, eaux et sources marines, économie circulaire, pollutions et biodiversité et écosystèmes) constituent une base de publication des données exigées par la CSRD pour le niveau d’information « agnostique », c’est-à-dire le niveau général exigé pour toutes les entreprises, quels que soient leur secteur d’activité ou leur taille.

[5] L’ESG (Environnemental, social et gouvernance) est le terme retenu par la communauté financière pour désigner la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

[6] Le backlash se traduit par un retrait des fonds publics des sociétés de gestion qui soutiennent l’ESG (ou qui n’investissent pas suffisamment dans des industries dites brunes) Au total, 22 lois « anti-ESG » ont été introduites en 2022, puis 49 en 2023, principalement dans les Etats Républicains les plus conservateurs, selon le comptage réalisé par le cabinet d’avocats Ropes & Gray. Pour l’essentiel, elles interdisent aux fonds d’épargne de privilégier les facteurs ESG au détriment des retours purement financiers immédiats.

[7] Les ESRS résultent d’un projet adopté par la Commission européenne dans un règlement délégué (EU) 2023/2772 du 31 juillet 2023 et ont été publiées au Journal officiel de l’UE le 22 décembre 2023. La Task Force européenne sur la normalisation du reporting extra-financier de l’Efrag, présidée par Patrick de Cambourg depuis septembre 2020, a mené ce processus délicat.

[8] Nous revenons plus loin sur le concept de double matérialité.

[9] Adoption CSRD en 2022 ; adoption de la NRE en 2001.

[10] Article L.232–6–2 du Code de commerce

[11] Article L.822–40 du Code de commerce

[12] Article L.821–6 du Code de commerce

[13] P. Martin dans « Le Journal des Entreprises », février 2024 https://www.lejournaldesentreprises.com/article/patrick-martin-medef-il-ne-faut-pas-perdre-de-vue-lobjectif-de-competitivite-de-nos-entreprises-2090096

[14] ESRS 2, para 12

[15] Du fait de la loi « Climat et Résilience », issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat et votée le 22 août 2021 par l’Assemblée nationale, la base de données économiques et sociales (BDES) est devenue la BDESE, base de données économiques, sociales et environnementales.

[16] « Première réunion du Club des administrateurs engagés », Ministère de la Transition écologique, 20 mars 2024

[17] « L’entreprise contributive », Cahier d’inspiration Usbek & Rica, 2019

[18] Transposition de la CSRD en droit français : ordonnance du 6 décembre 2023 et décret n° 2023–1394 du 30 décembre 2023 

[19] Organisme Tiers Indépendant : organe de vérification de reporting de durabilité, équivalent du Commissaire aux comptes pour le rapport financier. L’OTI réalise l’audit obligatoire des états de durabilité, avec une assurance limitée initialement, évoluant vers une assurance raisonnable dès 2028. La transposition de la CSRD précise que la Haute Autorité de l’audit (H2A), anciennement H3C, supervisera les commissaires aux comptes et les organismes tiers indépendants accrédités à auditer les informations.

[20] Loi sur les Nouvelles Régulations Economiques

[21] CSRD, para 69

[22] ANC, Décembre 2023 (et ESRS 2, para 62)

[23] CSRD, para 105

[24] Émilie Ernst, « La responsabilité sociétale des entreprises : une démarche déjà répandue », Insee Première, N° 1421, novembre 2012

[25] La CSRD rend obligatoire l’utilisation du « European Single Electronic Format » (ESEF)

[26] Ophélie Risler, « Le Pacte vert européen – Un bilan », op. cit.

[27] “CEO Insights for What’s Ahead ; Weekly insights from The Conference Board”, July 26 2023

[28] Voir Novethic, février 2024

[29] Cité par Béatrice Héraud dans « La CSRD, un outil de transformation durable avant tout », YouMatter, 11 mars 2024

[30] Source : étude Deloitte, Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises et Association Nationale des DRH, mars 2024

[31] Source : « 5e Bilan annuel du reporting ESG des grandes entreprises françaises », Medef, Octobre 2023

[32] Le Mouvement Impact France se définit comme « le premier mouvement des entrepreneurs et dirigeants français qui mettent l’impact écologique et social au cœur de leur entreprise », né en 2020 de la fusion du Mouves (« Mouvement des entrepreneurs sociaux ») et de Tech For Good France.

[33] « L’entreprise contributive : 21 propositions pour une gouvernance responsable », Rapport Terra Nova, 5 mars 2018 https://tnova.fr/economie-social/entreprises-travail-emploi/lentreprise-contributive-21-propositions-pour-une-gouvernance-responsable/

[34] Troisième communication de la Commission européenne, 2011

[35] « Impact(s), responsabilité et performance globale », Avis de la Plateforme RSE, 13 février 2023. Créée en 2013, la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises (Plateforme RSE) est un organisme multi-parties prenantes, qui réunit entreprises, partenaires sociaux, organisations de la société civile, réseaux d’acteurs, chercheurs et institutions publiques dans l’objectif de conseiller le Premier ministre sur les politiques RSE et développement durable de la France.

[36] « Business Reporting on the SDG’s : an analysis of the goals and targets », 2022. SDG, Sustainable Development Goals a donné ODD en français.

[37] Sustainability Accounting Standards Board ; Carbon Disclosure Project; Global Reporting Initiative; Banque Mondiale; Word Economic Forum.

[38] Il sera intéressant d’observer comment B-Corp, un label à l’origine américaine très marquée, va (ou non) se couler dans la CSRD

[39] Ce point d’accès doit être accessible au plus tard à compter du 10 juillet 2027. Voir la note de l’AMF : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/esap-le-point-dacces-unique-europeen-aux-informations-financieres-et-non-financieres-des-entites

[40] « Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la transition écologique et doivent disposer des informations les plus complètes possibles pour faire les bons choix », Le Monde, 8 décembre 2023

[41] La coalition réunit aussi leurs homologues européens, nationaux comme AssoBenefit (Italie), Kaya (Belgique), Sannas (Espagne), ou encore LISVA (Lituanie) ou transnationaux comme la Fédération européenne des entreprises durables (Ecopreneur.eu). Voir le site de la Coalition : https://www.businessforabettertomorrow.eu

[42] « Construire une économie inclusive, juste et verte en Europe ; Manifeste de la coalition Business for a Better Tomorrow », janvier 2024

[43] Voir « Information ‘extra-financière’ : reconquérir la souveraineté européenne », Metis, 7 juin 2021 https://www.metiseurope.eu/2024/04/08/information-%e2%80%89extra-financiere%e2%80%89-reconquerir-la-souverainete-europeenne/

[44] Élisabeth Lamure et Jacques Le Nay, « Comment valoriser les entreprises responsables et engagées ? Rapport d’information fait au nom de la délégation aux entreprises du Sénat », n° 572 (2019–2020), 25 juin 2020

[45] Olivia Grégoire dans la Tribune en avril 2020

[46] On en trouvera des exemples dans l’article de Metis cité plus haut.

[47] « La RSE, un enjeu européen – Contribution aux travaux de la présidence française du Conseil de l’Union européenne », avis de la Plateforme RSE, octobre 2021, page 41. https://www.strategie.gouv.fr/publications/rse-un-enjeu-europeen-contribution-de-plateforme-rse

[48] « La RSE, un enjeu européen », op. cit.

[49] L’Autorité européenne des marchés financiers est une autorité de surveillance européenne indépendante, installée à Paris

[50] Challenges, 23 novembre 2023

[51] CSRD para. 2

[52] Les normes ESRS sont donc basées sur trois catégories d’indicateurs : « agnostiques » c’est-à-dire valables pour toutes les entreprises, sectoriels et spécifiques

[53] Voir le guide de l’Efrag sur l’analyse de matérialité, 2024

[54] Brochure AMF, février 2024

[55] Décret no 2012–557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale

[56] CSRD, para 43 à 51

[57] « Déployer les ESRS : Un outil de pilotage au service de la transition », Guide de l’ANC, décembre 2023

[58] Citée par L’Express du 4 avril 2024

[59] Commissariat général au Plan, « Entreprise et performance globale. Outils, évaluation, pilotage », Economica, janvier 1997

[60] Rapport Our common future (« Notre avenir à tous ») de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies présidée par Gro Harlem Brundtland, 1987

[61] Voir notamment John Elkington, « The Triple Bottom Line : People, Planet, Profit » 1998 et « Cannibals with Forks », Oxford 1997

[62] « Parole de dirigeant : le discours clairvoyant d’Antoine Riboud à ses pairs » https://management-rse.com/parole-de-dirigeant-le-discours-clairvoyant-dantoine-riboud-a-ses-pairs/

[63] Florent Menegaux, PDG de Michelin in « La vague responsable – Le nouveau défi des entreprises françaises », Rapport du BCG, Novembre 2019

[64] Xavier Huillard, PDG de Vinci in « La vague responsable », op. cit.

[65] Pierre Victoria, « Veolia : une raison d’être intégrée à la stratégie », revue « Gouvernance et Raison d’être » de Sociétal, 5 juillet 2021

[66] Voir « Veolia : RSE et performance plurielle » https://www.veolia.com/fr/groupe/rse-performance-plurielle

[67] Fabrice Bonnifet, président du C3D, février 2024

[68] Cité in « Impact(s), responsabilité et performance globale », op. cit. 

[69] Troisième rapport du Comité de mission de La Poste, avril 2024

[70] « Impact(s), responsabilité et performance globale », op. cit.

[71] Chiffres estimés par l’auteur en fonction d’informations éparses, lacunaires et contradictoires

[72] La norme ESRS 1 impose une structure générale du rapport de durabilité en quatre sections d’informations :

générales, environnementales, sociales et de gouvernance.

[73] Chiffre cité par Patrick de Cambourg, Président de la Task Force européenne sur la normalisation du reporting extra-financier lors du séminaire de l’IFA, « Le conseil d’administration et l’information extra financière », 22 avril 2021

[74] Voir : « Pas d’extras pour l’extra-financier » https://management-rse.com/pas-dextras-pour-lextra-financier/

[75] Centre d’étude de la vie politique française, le Cevipof est rattaché à Sciences Po et au CNRS. Voir la « 15e vague du baromètre de la confiance politique », Février 2024

[76] Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », 9 mars 2018 ; rapporteur Jean-Baptiste Barfety https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/entreprise_objet_interet_collectif.pdf

[77] « Durabilité : les nouveaux engagements du conseil », Rapport de l’IFA, Novembre 2023

[78] « Nous, dirigeants d’entreprises, soutenons la proposition de révision de la directive européenne sur la publication d’informations extra-financières, nouvelle étape de l’évolution de notre modèle économique », Le Monde, 16 novembre 2021

[79] ESRS 2, para 43. Rappelons que comme souligné plus haut, le terme « parties intéressées » signifie parties prenantes en langage CSRD.

[80] « Déployer les ESRS », op. cit.

[81] Par analogie, bien sûr, avec le CRM, Customer Relationship Management

[82] Source : « Présentation de la CSRD et des ESRS », Document IFA, 11 mai 2023. Robert Ophèle a également été président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’août 2017 à août 2022.

[83] « Durabilité : les nouveaux engagements du conseil », Rapport de l’IFA, Novembre 2023

[84] « ’Pour une transition écologique juste, sans menace ni contrainte’ : l’appel de patrons du CAC 40 », Le Figaro, 8 mai 2024

[85] « L’IFA présente ses recommandations sur le rôle des administrateurs dans le champ de la RSE », avril 2014

[86] Données IFA et Ethics & Boards, 2024

[87] ESRS 2, para 26

[88] « Le système métrique, fruit de la révolution française », National Geographic, 8 septembre 2021 https://www.nationalgeographic.fr/histoire/le-systeme-metrique-fruit-de-la-revolution-francaise

[89] Actes du colloque de la plateforme RSE, du CESE et de France Stratégie, « La RSE en actes – Vers un plan national d’action pour la RSE », 17 novembre 2014

[90] Ordonnance de transposition, décembre 2023

[91] « L’Europe doit penser la transition avec les entreprises », La Croix, 6 mai 2024

[92] « Nous, dirigeants d’entreprises, soutenons la proposition de révision de la directive européenne », op. cit.

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