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Note

Le débat public au secours du compromis social

Le développement des pratiques participatives et des débats publics permettrait de redynamiser la démocratie sociale, qui souffre en France d’un certain manque de vigueur.

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Dans cette tribune publiée aujourd’hui dans Les Echos, François Chérèque, Daniel Lebègue, Michel Rocard et Pierre Zémor appellent, pour jalonner l’élaboration des politiques publiques et assurer le compromis social, à multiplier les débats publics maîtrisés, et invitent les parlementaires à se saisir des outils de la participation citoyenne, pour que la décision publique se fasse au plus près des citoyens.

L’émergence d’une social-démocratie en France reste balbutiante. Les participants de la dernière Université de Terra Nova ont partagé avec Michel Rocard, dans une fresque de l’histoire de la gauche dont il a le secret, son regard sévère porté sur la trop lente évolution des socialistes vers un clair engagement social-démocrate.

Retenons des avancées pionnières de la Suède et de ses voisins nordiques, comme de la formulation allemande d’une économie sociale de marché à Bad-Godesberg, que le concept essentiel, ou encore le levier opérant, fait appel à  l’aptitude à établir et faire vivre le compromis social.

Mieux que par la loi, souvent incapable des nuances et ajustements pratiques que requièrent l’application des réformes, c’est par la discussion, la négociation, la convention et le contrat que peut s’opérer la transformation sociale. La démarche vaut pour les régulations nationales de l’économie de marché et pour des accords européens, certes plus ardus, voire pour des traités internationaux.

Dans une négociation il faut au moins deux parties, si possible dans un rapport de forces point trop déséquilibré. Or la France souffre d’une certaine asthénie de sa démocratie sociale du fait d’une faible syndicalisation de la population active – 8% à 9% des salariés éparpillés en 6 ou 7 organisations. S’ajoute la mollesse du mouvement patronal assez enclin à n’attendre de l’État que des faveurs.

Cet état des forces sociales organisées et l’engourdissement institutionnel d’une vie associative, pourtant ample et diverse, sont fatales à l’heure de relever les défis de la mondialisation.

Pour que soient adoptées des dispositions sur la sécurisation de l’emploi, le gouvernement a fait prévaloir devant la représentation nationale la force d’un accord interprofessionnel. Celui-ci est qualifié, à juste titre, d’historique pour les relations du travail. Il a été signé par des organisations révélées majoritaires lors des consultations professionnelles.

C’est encourageant, mais on doit aller beaucoup plus loin. L’appétit de dialogue et de concertation est le revers heureux de la médaille de la contestation à la française. Élus, corps intermédiaires et plus largement les groupes qui se mobilisent dans la société civile, doivent être appelés à prendre connaissance des projets et à en discuter.

Ainsi un vaste débat à travers tout le pays aurait peut-être permis, depuis 2001, d’éviter de réformer les retraites par tranches timides, tous les trois ans.

Désormais il va falloir se mettre autour de la table pour imaginer les voies d’une autre croissance mêlant développements et ralentissements, compétitivité et économie solidaire. Que d’informations à partager pour « dire la complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens » !

Questions à instruire, explications patientes, changements à susciter dans les comportements de nos concitoyens : autant de dialogues à provoquer pour ne pas sombrer dans la passivité civique.

Garder le silence sur les finalités et les motifs des choix fait le jeu de ceux qui souscrivent à une idéologie mortifère pour la démocratie. Le contrepoison est bien dans le débat public.

Dans une société fragmentée, voire liquéfiée selon l’expression de Zygmunt Bauman, les pratiques participatives peuvent favoriser des remembrements autour d’éléments de consensus ou des constats de points d’achoppement.

Les concertations offrent des occasions de croiser et d’agréger les opinions qui traversent la société, d’autant que ces échanges sont encouragés et accélérés, dans des ilots de controverses, par les médias numériques et les réseaux sociaux.

Ainsi, « faire grumeaux » dans les opinions est susceptible de pallier l’insuffisance des forces sociales à jalonner l’élaboration des politiques publiques.

Les chances du compromis social sont désormais dans la multiplication de débats publics maitrisés.

L’exécutif est dans ce domaine bien pourvu : Commission nationale du débat public (CNDP) avec des saisines parfois trop larges, sur la régulation des nanotechnologies par exemple; Commissariat général à la stratégie et à la prospective placé auprès du gouvernement et susceptible d’évaluer les pratiques de concertation; imposantes instances ad hoc, tel le Conseil national du débat public sur la transition énergétique… Il faudra bientôt se prémunir du risque de galvauder aux yeux du public la pertinence des consultations. Il faut aussi mieux définir le rôle du CESE (Conseil économique, social et environnemental).

Si la concertation est attendue à tous les niveaux de la démocratie représentative, les parlementaires surtout, représentants du peuple, doivent se saisir des outils, déjà expérimentés, de la participation citoyenne.

Quand la discussion porte sur une question économiquement, socialement, écologiquement complexe ou bien sur un problème de société, l’adhésion est souvent difficile à obtenir sur le projet de loi d’un gouvernement, préoccupé du court terme et de sa crédibilité. Pour assurer la qualité pérenne d’un choix important, il devient nécessaire de s’appuyer sur une majorité, large et éclairée, de la représentation nationale.

Mettre plus à l’ordre du jour, après débat public, des propositions de loi serait un rééquilibrage bienvenu pour l’efficacité de la Vème République.

Les partis politiques, les clubs et think tanks seraient bien inspirés d’adopter eux aussi le principe de toujours accompagner leurs analyses et leurs projets par des propositions de démarches participatives propres à leur mise en œuvre.

Dans les circonstances difficiles que connaissent nos sociétés ouvertes aux vents mondiaux, éclatées et en profonde crise, les gouvernances ne peuvent être celles des supermen. Sont requis une pédagogie proche des gens, le dialogue, voire des expérimentations, en vue de mieux associer les citoyens.

S’ils veulent obtenir la compréhension des opinions et pour partie au moins leur adhésion, les gouvernants doivent montrer une aptitude à vivifier et orienter le débat public. Rencontrer de cette manière le compromis social est l’enjeu d’une démocratie moderne.

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