Le déploiement de la CSRD : pour un changement de posture plutôt qu’un moratoire
Le maintien et la confirmation de la CSRD ( (Corporate Sustainibility Reporting Directive) doivent être réaffirmés sans équivoque dès que possible, afin de mettre fin aux incertitudes actuelles, préjudiciables à la bonne préparation des entreprises. Le déploiement de la CSRD doit aussi être mieux accompagné par les institutions européennes (Commission, Efrag, …) et celles des pays membres. Ce réengagement constitue une décision cruciale sur la direction que nous voulons donner à nos sociétés.
Michel Barnier a créé la surprise en préconisant un moratoire sur la directive européenne appelée CSRD (Corporate Sustainibility Reporting Directive), qui encadre le « reporting de durabilité » au niveau européen, c’est-à-dire la manière dont les entreprises doivent rendre compte de leurs impacts dans les domaines environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance.
Ce brutal changement de pied, alors que la France a été le premier pays à transposer la directive, percute la démarche des entreprises, qui se préparent depuis de nombreux mois, si bien que certaines, comme Decathlon, Ikea, Patagonia, Accor ou encore Nestlé, ont appelé à soutenir la CSRD et à ne pas pénaliser injustement les entreprises ayant déjà investi pour se conformer à la directive. L’opposition à la CSRD s’est cristallisée autour du Medef, de la Cpme et du Meti (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) mais les autres parties prenantes, investisseurs, donneurs d’ordres, représentants des salariés, y sont favorables, de même que d’autres organisations patronales comme le Centre des Jeunes dirigeants (CJD) ou le Mouvement Impact France (MIF), qui ont dénoncé le projet de moratoire. Enfin, beaucoup d’entreprises ont compris que la CSRD est un levier de compétitivité, si bien que 70% des répondants parmi celles déjà engagées dans sa mise en place estiment que l’arrivée de la CSRD va être un accélérateur de transformation dans l’entreprise et seuls 5% estiment que son impact sera négatif.
La lourdeur prêtée à la CSRD par ses adversaires est en grande partie infondée. Ceux qui, malgré les évidences, continuent à se référer à la cabale des « 1.178 points de données » ou des « 800 indicateurs » n’ont pas compris le concept de « matérialité », qui est au cœur de la CSRD et permet de ne retenir que les enjeux qui sont pertinents et importants pour l’entreprise, compte tenu de son activité et de sa stratégie. Le nombre de données traitées n’est pas dictée par la directive mais est à la main des entreprises. Par ailleurs, il ne faut pas réduire la CSRD à un rôle de tableur : la plupart des données demandées sont qualitatives et ont trait aux grands choix opérés par l’entreprise. Les cris d’orfraies poussés en regard de la situation des PME sont déplacés lorsque l’on sait que la CSRD ne s’applique qu’aux PME cotées en Bourse, qui ne représentent que 0,004 % des PME européennes. Enfin, les PME qui souhaiteront appliquer la CSRD à titre volontaire ou pour répondre aux demandes adressées par leurs clients disposent de délais supplémentaires et d’une norme spécifique très allégée.
Les coûts de la mise en œuvre de la CSRD sont également très exagérés par ses contempteurs, comme nous le montrons à l’aide de données de benchmark et d’enquêtes terrain. La maîtrise des coûts de la CSRD ne dépend pas du contenu de la directive mais de la façon dont les entreprises le mettent en œuvre : réaliser une analyse de matérialité exigeante, maîtriser l’inflation des coûts de consulting, ne pas se soumettre aux injonctions des grands cabinets d’audit.
Si le gouvernement français parvenait à réunir un nombre suffisant d’Etats membres de l’Union Européenne (UE) pour obtenir une majorité autour de l’idée d’un moratoire, il obtiendrait un résultat inverse à celui qu’il recherche. En effet, la suspension de la CSRD conduirait les Etats membres à revenir à la législation précédente sur le reporting de durabilité, c’est-à-dire la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) de 2014, qui s’applique en France depuis 2017 sous le nom de « déclaration de performance extra-financière » (DPEF). Or la France avait effectué une forte surtransposition de la NFRD, c’est-à-dire une application encore plus contraignante que ce que le texte européen prévoyait. Elle a ensuite réussi à convaincre les autres pays membres d’intégrer les éléments qu’elle a surtransposé dans le corps de la CSRD. De ce fait, avec la CSRD, les 27 pays membres sont à égalité de traitement alors qu’un retour à la NFRD mettrait la France en situation de désavantage compétitif par rapport aux autres pays membres… ce que le Premier ministre a indiqué vouloir absolument éviter !
Par ailleurs, un moratoire sur la CSRD serait un merveilleux cadeau en faveur de la norme concurrente, d’inspiration anglo-saxonne, l’ISSB (International Sustainability Standards Board, qui dépend de la fondation IFRS). En effet, l’engouement en faveur du reporting de durabilité n’est pas une lubie européenne comme le prétendent les détracteurs de la CSRD, mais un besoin qui répond à une réelle demande de toutes les parties prenantes des entreprises dans l’ensemble du monde développé : investisseurs, clients, salariés, pouvoirs publics… Entre la CSRD, articulée autour des normes appelées ESRS (European Sustainability Reporting Standards) et l’ISSB, la course est engagée. Ainsi par exemple, la Chine a annoncé début 2024 adopter des standards très fortement inspirés par les ESRS alors qu’au même moment, le Brésil optait pour l’ISSB. Pour l’UE, émettre un signal de défiance envers ses propres normes serait se placer en situation défavorable alors que le choix est loin d’être neutre pour les nations comme pour les entreprises : l’ISSB fonctionne sur le principe de la matérialité financière, qui consacre la primauté des actionnaires sur les autres parties prenantes alors que la CSRD a retenu la double matérialité, qui place toutes ces parties à égalité.
Il est en tout cas très excessif de prétendre que l’UE joue le rôle du bon élève naïf, qui impose à ses entreprises des contraintes que les autres n’ont pas à supporter. Tout d’abord parce que le déploiement du reporting de durabilité est un phénomène mondial que nous décrivons dans le corps de ce rapport : Etats-Unis, Australie, Grande Bretagne, Brésil, Turquie, Japon, Hong-Kong, tous sont engagés dans ce mouvement. Ensuite parce que l’UE a appliqué pour la CSRD le principe d’extra-territorialité, comme précédemment avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Cela signifie qu’une entreprise qui n’a pas son siège dans l’un des 27 Etats membres mais veut commercer avec l’UE doit s’y conformer. Avec la CSRD, la régulation devient un instrument de souveraineté, et même de puissance, permettant à l’UE, premier marché de la planète, d’imposer ses standards au reste du monde.
Face à la régression que représenterait un moratoire ou un « amaigrissement » de la CSRD, nous développons 6 propositions alternatives, qui permettraient plus sûrement de diminuer les coûts et la charge administrative, tout en relevant la valeur qu’apporte la directive aux entreprises :
- Profiter de la simultanéité de l’arrivée de la CSRD et de celle de l’intelligence artificielle pour proposer une évolution professionnelle aux collaborateurs des services comptables et financiers, confrontés à des changements fondamentaux de leurs métiers.
- Mieux soutenir les entreprises dans la mise en œuvre de la CSRD, qui requiert une approche transversale avec laquelle elles ne sont pas toujours préparées, en mobilisant les services de l’Etat, les fédérations professionnelles et les réseaux consulaires.
- S’attaquer vraiment au problème de la lourdeur administrative en rationalisant les multiples obligations de reporting, souvent redondantes, auxquelles les entreprises françaises sont assujetties et en rendant disponible en Français des informations clés qui aident à la mise en œuvre de la directive.
- Desserrer la pression exercée par l’oligopole professionnel du chiffre, composé des quatre grands réseaux américains de l’audit et de quelques cabinets européens, qui exercent une pression inflationniste sur les coûts d’audit et sur le nombre d’enjeux à retenir, à rebours du principe de matérialité.
- Faire enfin la pédagogie de la CSRD comme levier de compétitivité, mobilisable par les entreprises et leurs parties prenantes, qui ont besoin d’un référentiel partagé, standardisé et robuste pour évaluer la performance et la piloter.
- Faire de la CSRD l’ossature du nouveau projet européen, qui doit permettre à l’UE de promouvoir ses valeurs et ses normes pour fonder une voie de développement originale, entre le capitalisme actionnarial promu par les Etats-Unis et le capitalisme d’Etat à la chinoise.
La CSRD n’est pas du reporting. C’est une démarche d’intégration stratégique de la durabilité. La production d’indicateurs et de narratif n’en est que le résultat ultime, mais certainement pas la finalité. En ce sens, on comprend aujourd’hui l’erreur de la Commission d’avoir baptisé cette directive du nom de CSRD alors que le terme adéquat serait plutôt CSTD pour Corporate Sustainable Transformation Directive. Beaucoup d’entreprises, et c’est heureux, ont compris que cette directive joue un rôle précieux pour les accompagner et conduire leur stratégie de transition économique, écologique et sociale.
Michel Barnier a créé la surprise en s’exprimant sur la directive européenne appelée CSRD (Corporate Sustainibility Reporting Directive) dans le Journal du Dimanche du 20 octobre 2024. Le Premier ministre appelle une simplification réglementaire, notamment en matière de normes visant les entreprises, et évoque « un dispositif – une forme de moratoire par exemple – qui puisse reporter de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de réglementations très lourdes ». Pour le Premier ministre, « cela vaut en particulier pour des textes européens comme la directive CSRD dont il convient de réexaminer la portée ». La CSRD est une directive qui vise à encadrer le « reporting de durabilité » au niveau européen, c’est-à-dire la manière dont les entreprises doivent rendre compte de leurs impacts dans les domaines environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance.
Nous montrons dans ce rapport que le moratoire sur la CSRD est une très mauvaise idée, d’abord parce qu’elle se heurterait à la réalité et aboutirait à des résultats contraires à ceux qui sont visés par ses promoteurs (A), ensuite parce qu’elle s’appuie sur un diagnostic erroné (B). Nous développons ensuite nos propositions alternatives, de façon à remettre le déploiement de la CSRD sur les rails qu’elle n’aurait jamais dû quitter ©. Les entreprises et les parties prenantes n’ont pas besoin d’un moratoire sur le déploiement de la CSRD mais d’un changement de posture.
A – Un moratoire sur la CSRD : une solution contreproductive
La proposition de moratoire est contreproductive car elle se heurte à la réalité des faits, à celle des institutions, aux attentes des investisseurs et de la stratégie des entreprises, si bien qu’elle aboutirait à des résultats contraires à ceux qui sont visés par ses promoteurs. Cela est vrai dans le contexte européen (1), dans le contexte national (2) et vis-à-vis des attentes actuelles des entreprises (3).
1 – Des voies étroites au niveau européen : un moratoire mettrait la France en situation de désavantage compétitif
Dans son entretien du 20 octobre, Michel Barnier affirme vouloir « s’attaquer à la surtransposition des règles européennes lorsqu’elle crée pour des agriculteurs, pour des entreprises, un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins ». Dans son discours de politique générale déjà, le Premier ministre avait fait siennes les interrogations du rapport Draghi sur une possible simplification des normes RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Dans son entretien du 20 octobre, il se fait plus précis en réponse à une question sur le chantier de la simplification : « Nous devons mieux détecter ensemble les cas de surtransposition des normes européennes qui pénalisent la compétitivité de nos entreprises ».
Cette obsession d’une possible surtransposition, c’est-à-dire d’une application encore plus contraignante que ce que le texte européen prévoit, vieil argument du Rassemblement national et avant lui du Front national, est étrange car elle ne s’applique justement pas à la CSRD. Certes, une directive européenne sur quatre fait l’objet d’une surtransposition en France, au bénéfice de règles sociales et environnementales[1]. Mais contrairement à ce qui a été fait pour d’autres directives européennes, le gouvernement français s’est engagé dès le début de la gestation de la CSRD à ne pas surtransposer. Il a tenu parole. Alors que la directive précédente, la NFRD (Non Financial Reporting Directive) de 2014 avait effectivement fait l’objet d’une surtransposition conséquente par la France, la CSRD qui la remplace s’en est abstenue.
Des commentateurs ont aussi prétendu, pour soutenir la proposition du moratoire énoncée en octobre 2024, que la France était le seul pays à avoir transposé alors que 10 pays l’avaient fait dont la Suède (29 mai 2024), l’Irlande (6 juillet), l’Italie (30 août)[2]. Ce qui est exact, c’est que la France a joué le bon élève européen en étant, en décembre 2023, le premier des 27 Etats membres à transposer la CSRD[3], grâce à la forte implication des autorités françaises dans la construction de cette directive, très largement inspirée de la longue expérience de la France en matière de reporting de durabilité.
Notons au passage que les pays de l’Union européenne avaient jusqu’au 6 juillet 2024 pour transposer la directive en droit national. Fin septembre, la Commission a rappelé à l’ordre 17 pays (dont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne), qui n’avaient toujours pas transposé la CSRD. Cette situation a-t-elle encouragé l’évocation du moratoire par le Premier ministre ?
Les attaques contre la CSRD et, plus généralement, contre le Pacte vert ne sont pas nouvelles. En 2023, quelques mois avant la transposition française, la Commission avait rehaussé le seuil du nombre de salarié des grandes entreprises concernées par la CSRD. Il s’agissait déjà d’« épargner les PME ». En novembre 2023, le Parlement européen a rejeté l’objectif de réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030 par rapport à la moyenne des années 2013–2017. On peut aussi évoquer les tribulations de la Directive sur le Devoir de Vigilance. Après maints rebondissements et controverses, le parlement européen a finalement adopté la version finale de la directive CSDDD le 24 avril 2024, validée in fine par le Conseil de l’Union européenne le 24 mai, et publiée le 5 juillet au Journal Officiel de l’Union Européenne. Plus récemment, c’est le règlement européen sur la déforestation importée (RDUE) qui a été visé par des pressions de lobbies, toujours sur l’argument de la lourdeur administrative, aboutissant à son report pour un an. Fin septembre 2024, Marco Buschmann, le ministre allemand de la justice issu du Parti libéral-démocrate (FDP), proposait de « renégocier » la directive CSRD, une proposition qui semble bien hasardeuse.
En septembre 2024, c’est le très attendu rapport de Mario Draghi, ancien président de la Commission européenne, sur la compétitivité européenne, qui proposait d’alléger la réglementation visant « la transformation durable des entreprises » pour favoriser la compétitivité. « Le cadre de l’UE en matière de reporting sur la durabilité et de vigilance raisonnable constitue une source majeure de fardeau réglementaire », peut-on lire dans le rapport, qui regrette le « manque d’orientations visant à faciliter l’application de règles complexes et à clarifier l’interaction entre les différents textes législatifs ». Comme certains responsables politiques n’en sont pas à une contradiction près, on remarquera que cette « prolifération de régulations restrictives » est souvent présentée comme un effet du principe de précaution, qui fut édicté par une loi française du 2 février 1995, portée par un jeune ministre RPR du nom de… Michel Barnier.
L’ingénieur et politiste Pierre Musseau-Milesi, montre dans un article d’AOC que dans ce rapport, Mario Draghi a remis à l’agenda le « fardeau réglementaire » pesant sur les entreprises et la croissance économique mais a étonné les observateurs en visant nombre de textes du Pacte vert européen et en particulier la CSRD[4]. On remarque d’ailleurs que ce rapport pose comme objectif l’importance de « réformer les pratiques de gouvernance pour répondre aux attentes croissantes des parties prenantes des entreprises, »… ce qui correspond parfaitement aux objectifs de la CSRD. Comme le remarque la publication financière l’Agefi, « les propositions du rapport incluent une meilleure gestion des risques et une intégration accrue des enjeux environnementaux et sociaux dans la stratégie des entreprises »[5]. C’est encore l’objectif de la CSRD !
Au niveau européen, la Commission se montre à l’écoute du mécontentement d’une partie des organisations patronales et des lobbies et ouverte à des infléchissements. Mais elle n’est pas encore en position de prendre des décisions. En effet, la Commission résultant des élections européennes du mois de juin 2024 ne rentrera en fonction qu’en décembre, tout le mois de novembre étant consacré aux auditions par le Parlement européen des commissaires proposés par les Etats membres.
Que peut faire le gouvernement ? Comme l’écrit Adeline Haverland, « Matignon confirme vouloir revenir sur certaines modalités de l’ordonnance de transposition. Mais l’entourage du Premier ministre est plus flou sur ce que va entreprendre la France auprès des institutions européennes »[6]. On comprend que Matignon a conscience de l’étroitesse du chemin et ménage une position de repli : « l’entourage du Premier ministre rappelle l’engagement de ce dernier sur les sujets RSE « qu’il a toujours soutenus ». C’est notamment lui qui, en tant que commissaire européen au marché intérieur, a poussé pour l’adoption de la directive qui a donné lieu à la Déclaration de Performance Extrafinancière (DPEF) ». Comme le remarque Novethic du 6 novembre, la CSRD a connu « des attaques répétées ces dernières semaines. La dernière en date émane du ministre de l’économie Antoine Armand, qui veut limiter le nombre d’entreprises concernées et d’indicateurs obligatoires »[7].
Dans le Figaro du 24 octobre 2024, Philippe d’Ornano, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti), déclare : « Nous demandons un moratoire de trois ans sur la CSRD, de 2025 à 2028, le temps de réévaluer ce dispositif qui est bien trop lourd et couteux et dont l’efficacité reste à prouver »[8]. Si l’on comprend bien, cette solution laisserait les entreprises de la première vague, qui sont déjà parties en 2024, poursuivre leur chemin avec la CSRD mais les autres pourraient suspendre leurs travaux durant trois ans. C’est une hypothèse soulevée par Matignon, selon la dépêche AEF citée ci-dessus : « Le changement de calendrier pourrait concerner les midcap, ces entreprises de taille intermédiaire qui seront concernées par la directive européenne à partir de 2026 »[9].
Cette hypothèse passe sous silence deux éléments. Premièrement, les délais de mise en conformité pour les PME ont déjà été repoussés[10]. Deuxièmement, cette hypothèse présente l’inconvénient majeur de casser la dynamique des effets d’entraînement, telle qu’elle avait été (intelligemment) conçue par la Commission et le Parlement européen. Dans sa « Restitution de l’enquête sur la CSRD » publiée en juin 2024, le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), qui a examiné le déploiement de la CSRD par les entreprises, écrit : « La mise en place de la CSRD en France apparait comme profondément engagée par les grandes sociétés, ce qui va permettre aux sociétés de plus petites tailles de bénéficier d’un riche retour d’expérience qui devrait leur permettre de faire des raccourcis et des économies pour leur propre mise en place ».
Reste une hypothèse plus large mais aussi plus vague, évoquée par la dépêche AEF : « Parmi les options citées par les experts contactés par AEF info, la France pourrait, par exemple, militer avec ses alliés (dont l’Allemagne et l’Italie) en faveur de l’adoption d’une directive dite « omnibus » qui, à l’image de ce qui a été fait pour amoindrir le verdissement de la PAC [politique agricole commune] en réponse à la crise agricole, pourrait amender des articles dans divers textes législatifs européens ». Cette possibilité réouvrirait une période d’incertitude, occupée par l’activisme des lobbyistes qui se sont déjà fortement exprimés durant toute la période de gestation de la directive.
Elle se heurterait aussi au fait que la CSRD ne peut pas être significativement modifiée sans toucher aussi à plusieurs autres éléments du Pacte Vert dans lequel elle vient s’insérer. Par exemple, la Taxonomie verte, entrée en vigueur en juillet 2020, puis la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) entrée en vigueur en mars 2021, ont pour objectif d’orienter les capitaux vers des entreprises dites « durables ». Mais comment reconnaître une entreprise durable sans la CSRD, sans une batterie d’indicateurs robustes couvrant tous les versants de cette « durabilité » ?
Enfin, l’amoindrissement recherché pourrait théoriquement aller assez loin mais il se heurte à un fait : ce ne serait ni l’intérêt de l’UE ni celui de ses Etats membres. Que se passerait-il en effet si la France parvenait à réunir une majorité qualifiée des Etats membres et du Parlement européen capable de mettre à exécution la proposition d’abroger la CSRD ? L’UE reviendrait, sur le sujet du reporting de durabilité, au socle réglementaire précédent la CSRD, à savoir la NFRD, « Non-Financial Reporting Directive », issue d’une directive de novembre 2014. Alors que la CSRD est vierge de surtranspositions, la NFRD ne l’était pas. De nombreuses dispositions de la NFRD résultaient d’initiatives spécifiques de la France (parfois accompagnée de quelques autres pays). C’est le cas, à titre d’exemple, de la certification par un OTI, Organisme Tiers Indépendant, un organe de vérification du reporting de durabilité, équivalent du Commissaire aux comptes pour le rapport financier. La France (accompagnée seulement par l’Italie et l’Espagne) avait pris de l’avance avec la directive NFRD (transposée en droit français en août 2017), considérant que les données de durabilité doivent procurer un degré de fiabilité équivalent à celle des données financières et doivent donc être elles aussi soumises à un audit externe. Mais elle a ensuite réussi à convaincre les autres pays de l’importance de ramener ces dispositions spécifiques dans le corpus général de la CSRD. Pour résumer : avec la CSRD, les entreprises françaises ne subissent aucun désavantage compétitif vis-à-vis de leurs homologues des 26 autres pays. En revanche, abolir la CSRD comme le préconise le Premier ministre ramènerait la France en situation de désavantage compétitif potentiel.
Par ailleurs, l’objectif de la CSRD, tel qu’affiché par la Commission, est bien d’accélérer la transition écologique et sociale des entreprises. Nous avons collectivement besoin de cette accélération car cette transition tarde trop. Si l’on prend par exemple sa composante climatique, c’est maintenant qu’il faut agir. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié le 24 octobre son 15e « Emissions Gap Report », qui rappelle que sur la trajectoire actuelle, nous allons vers un monde à +3,1° C (nous sommes déjà à au moins +1,2°). Preuve que la situation s’aggrave, l’ONU tablait en 2023 sur une hausse de 2,5 °C à 2,9 °C pour 2100. Une hausse de cette ampleur serait « catastrophique », car elle entraînerait le franchissement de plusieurs points de bascule comme l’effondrement des calottes glaciaires, l’élévation incontrôlable du niveau des mers, la multiplication des événements extrêmes… avec des conséquences environnementales, sociales et économiques potentiellement dramatiques. Pour éviter de sortir des limites fixées par l’accord de Paris, les États et les entreprises doivent collectivement s’engager à réduire de 42 % leurs émissions d’ici 2030 par rapport à 2019 et de 57 % d’ici 2035, estime l’ONU. Mais 2023 a encore marqué un record d’émission avec 55,1 Gt au niveau mondial et, en l’état actuel, les engagements des pays mènent à une baisse de 2,6% des émissions mondiales en 2030 par rapport à 2019, au lieu de la baisse de 42% indispensable, ce qui est évidemment très insuffisant.
Comme l’exprime Fabrice Bonnifet, président du C3D, le collège des directeurs du développement durable : « les polémiques récentes contre la réglementation CSRD sont surréalistes. Ne rien changer dans notre façon de produire et de consommer est-il vraiment la priorité du moment ? (…) Dans la série des idées hors-sol, proposons l’adoption par l’UE d’un « moratoire » sur le changement climatique ! »[11].
Il faut se souvenir aussi que 2030 est une échéance importante pour l’UE. C’est l’échéance d’un objectif majeur que se sont donnés collectivement les Etats membres et le Parlement européen : obtenir une réduction nette des émissions nationales d’au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Nous sommes encore loin aujourd’hui d’atteindre cet objectif. Un moratoire de trois ans, qui nous mènerait à 2028, nous priverait de la plus grande partie des opportunités d’action.
En regard des effets du changement climatique qui se font ressentir en Europe, avec la violence que l’on a pu observer au cours de 2024, un moratoire de trois ans apparaît comme la négation de l’urgence exigée par la situation.
Finalement, il apparaît que derrière la CSRD, la vraie cible est le devoir de vigilance européen. La directive sur le devoir de vigilance (CSDDD, pour Corporate Sustainability Due Diligence Directive) va permettre d’améliorer la transparence et la clarté dans les chaînes de valeur, en responsabilisant les acteurs qui mettent en œuvre des cascades de sous-traitances, parfois pour échapper aux réglementations sociales ou environnementales. « Au-delà de la CSRD, Patrick Martin, président du Medef, vise directement le devoir de vigilance européen qui n’est pas encore transposé en France et pour lequel il s’est largement opposé avec les représentants du patronat européen »[12].
D’où vient cette directive CSDDD ? Elle a été votée en avril 2024 par le Parlement européen. Elle prévoit d’instaurer une obligation de vigilance en matière de droits sociaux et environnementaux pour les multinationales en créant le plus grand espace économique garantissant une protection minimale des droits sociaux et environnementaux sur les chaînes de valeur mondialisées des grands acteurs économiques. Cette préoccupation est issue des réflexions et débats consécutifs au réchauffement climatique mais aussi au drame du Rana Plaza en 2013[13].
Ce vote en faveur de la CSDDD, obtenu in extremis a toutefois un goût amer, car le texte a largement été affaibli par les Etats membres, sous la pression de leurs lobbies économiques, des libéraux et de l’extrême droite. « Les partis de droite européens ainsi que certains représentants patronaux comme le Medef (Mouvement des entreprises de France) ou la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) ont en effet tenté d’empêcher l’adoption du texte. Les gouvernements de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, après avoir pourtant validé le projet de directive en trilogue, ont notamment bloqué plusieurs semaines durant les débats en comité des représentants permanents au Conseil européen, et négocié un affaiblissement significatif de la portée de la CSDDD »[14].
Le seuil d’applicabilité a été drastiquement relevé : les entreprises seront concernées à partir de 1.000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires, si bien que seules 5.300 entreprises européennes (0,02% des entreprises européennes) sont désormais ciblées, alors qu’initialement, cette directive devait concerner 16.000 entreprises dans l’Union européenne[15]. Un bon nombre d’obligations ont disparu du texte final, dont la responsabilité climatique des grands groupes (obligation d’engager les moyens pour faire face aux risques climatiques) et la responsabilité civile obligatoire (responsabilité sur le plan civil des entreprises en cas de non-respect de leurs obligations de vigilance, qui aurait permis aux victimes d’obtenir indemnisations et dommages et intérêts).
Là encore, quel serait l’effet de l’abrogation de la directive CSDDD demandée par les organisations patronales en France et promise par le chancelier Olaf Scholz à l’industrie allemande ? Le parapluie européen serait enlevé et chacun des 27 pays membres reviendrait à son droit national. Or sur le sujet, deux pays seulement parmi eux, ont une loi nationale : la France et l’Allemagne. Pour la France, il s’agit de la loi n° 2017–399 du 27 mars 2017 « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ». Cette loi a créé l’obligation, pour les sociétés par actions employant, en leur sein ou dans leurs filiales, au moins 5.000 salariés en France ou au moins 10.000 salariés dans le monde, d’établir un plan de vigilance, de le mettre en œuvre et de le publier. Certes, le seuil d’applicabilité en effectifs de la loi française est plus important que dans la directive européenne et son contenu est moins ambitieux. Mais elle n’en reste pas moins contraignante. Alors que Michel Barnier explique vouloir éviter des désavantages concurrentiels au détriment des entreprises françaises, sa proposition aurait pour conséquence de créer un désavantage concurrentiel au détriment de l’Allemagne mais aussi de la France, vis-à-vis des 25 autres Etats membres !
2 – Des possibilités restreintes au niveau français : vers un allègement des sanctions
Dans le cadre national, les marges de manœuvre du gouvernement français sont aussi limitées. L’intervention de Michel Barnier a d’autant plus surpris qu’elle suivait de quelques jours le lancement par la Commission européenne d’une procédure contre les 17 Etats européens qui n’avaient pas encore transposé la CSRD, afin de leur rappeler son caractère obligatoire[16]. Or, cette procédure devrait se révéler efficace et ramener ces 17 Etats dans le droit chemin. La Commission européenne précise que dans « 90 % des dossiers d’infraction, les États membres finissent par se conformer aux obligations qui leur incombent, avant que la Cour de justice ne soit saisie »[17].
Par ailleurs, et comme l’explique Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement et de la durabilité, à Novethic : « Juridiquement, un moratoire ça ne veut rien dire dans ce contexte car la France est engagée et, sous le contrôle du juge, elle est obligée de transposer les directives et appliquer les règlements européens »[18]. Un autre juriste confirme ce point de vue dans le Figaro : « aucun retour en arrière pour un pays sur une directive européenne déjà transposée, comme sur son calendrier, ne pourrait se faire sans l’aval ou un changement des règles du jeu de la Commission »[19].
Certains observateurs ont d’ailleurs pensé que cette proposition de moratoire signifiait une volonté du Premier ministre de s’extraire des règles communes de l’UE, rappelant qu’en septembre 2021, quelques mois seulement après son départ de Bruxelles et en pleine course pour l’investiture LR pour la présidentielle, il fustigeait la Cour de justice européenne, estimant qu’il fallait en matière d’immigration « retrouver notre souveraineté juridique ». En évoquant l’entretien de Michel Barnier dans le Journal du Dimanche du 20 octobre 2024, Novethic écrit : « C’est la première fois qu’un chef de gouvernement français remet en cause aussi frontalement le Green Deal européen »[20]. En fait, Emmanuel Macron l’avait fait avant lui en mai 2023, en appelant à « une pause réglementaire européenne » en matière de contraintes environnementales, estimant que l’Union avait fait « plus que tous les voisins » et qu’elle avait désormais « besoin de stabilité » pour son industrie.
La marge de manœuvre dont dispose le gouvernement en agissant dans le cadre national se réduit donc aux éléments sur lesquels les pays membres ont la main, c’est-à-dire aux éléments de la transposition en droit national. Or, comme on l’a vu plus haut, concernant la CSRD, la France n’a pas surtransposé.
C’est pourquoi la principale hypothèse retenue par les observateurs se résume aux sanctions applicables aux entreprises éligibles qui s’abstiendraient de produire leur rapport de durabilité ou s’opposeraient à sa vérification ou à sa diffusion. En effet, la détermination des sanctions est à la main des Etats membres et fait partie de l’ordonnance de transposition. La posture est simple : si vous voulez vider de ses effets une législation que vous ne pouvez pas supprimer, levez les sanctions ! Elle reflète bien la haute opinion que ses adversaires se font de la CSRD : elle est nuisible et la seule raison qui pousse les entreprises à la mettre en œuvre est la crainte des sanctions.
Les sanctions ont été laissées à l’appréciation des Etats membres plutôt que de plaquer une grille unique dans la CSRD elle-même. Cette dernière ne faisait que demander aux Etats de définir cette grille dans leur transposition nationale de la directive, ce qui permet à chacun des Etats de prévoir des montants cohérents avec leur échelle des peines. La France a fait le choix d’harmoniser les sanctions concernant le reporting de durabilité avec celles, déjà existantes qui s’appliquent au reporting financier. C’est le mérite de la cohérence.
L’ordonnance de transposition du 6 décembre 2023 prévoit donc des risques pénaux pour les chefs d’entreprise dans son article 15, qui dispose que la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise sera engagée en cas de défaut de désignation d’un commissaire aux comptes, de désignation de l’auditeur des informations de durabilité et d’obstacle à l’audit de durabilité.
Ainsi, le droit actuel, résultant de l’ordonnance de transposition prévoit que la non-publication de la CSRD est passible de 3.750 € d’amende et d’une injonction sous astreinte par un tiers possible (tribunal de commerce)[21]. Plus grave encore, elle peut entrainer l’impossibilité de répondre à la commande publique (article 25 de la loi sur l’industrie verte). La non-désignation d’un commissaire aux comptes ou d’un organisme tiers indépendant[22] (ou leur non-convocation) est passible pour le dirigeant de l’entreprise de 30.000 € d’amende et 2 ans d’emprisonnement[23]. L’entrave à l’audit est passible de 75.000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement[24].
Ces sanctions, qui sont à la main des législateurs français, pourraient être allégées si on en croit les derniers compromis : « Cette directive a été transposée vite et un peu surtransposée, notamment sur le volet des sanctions pénales », explique Matignon en octobre 2024 au fil environnement Contexte, média spécialisé dans les politiques publiques. Une « surtransposition qui ne convainc cependant pas les juristes spécialisés », ajoute Béatrice Héraud[25]. Cette disposition sur la responsabilité pénale pourrait même être supprimée via l’adoption d’un nouveau texte législatif, par exemple le projet de loi sur la simplification de la vie économique que le Sénat a d’adopté en première lecture le 22 octobre après une pause de plusieurs mois, due à la dissolution de l’Assemblée nationale. « Le gouvernement espère un examen à l’Assemblée nationale fin 2024 ou début 2025 » et « le texte initialement présenté par le gouvernement prévoit, dans son article 10, la suppression de la peine d’emprisonnement lorsqu’il est fait obstacle à la mission de certification des informations de durabilité de la CSRD instaurée dans l’ordonnance de transposition n° 2023–1142 »[26]. A suivre…
Si ce type d’amoindrissement des sanctions permet de donner symboliquement aux adversaires de la CSRD le gage de bonne volonté qu’ils attendent, cela ne met pas en péril l’efficacité de la directive. Il était d’ailleurs déjà dans les projets du gouvernement précédent.
Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie et des Finances, avait annoncé ce projet dans une allocation prononcée après un déjeuner avec des entrepreneurs de l’association Croissance Plus : « Je suis totalement déterminé, parce que la complexité, ça me saoule aussi en tant que ministre » avait-il expliqué avant de promettre de « mettre fin à la pénalisation des entreprises qui ne respecteraient pas la CSRD, cette norme environnementale européenne qui pèse lourd sur les épaules des PME et des ETI françaises »[27].
Après tout, la transposition française de la directive précédente, la NFRD de 2014, ne prévoyait aucune sanction pénale. Seule la loi du 26 juillet 2005 offrait un recours judiciaire à « toute personne intéressée », en référé et sous astreinte. Pourtant, cela n’a pas suscité un grand nombre de défections de la part d’entreprises qui auraient décidé de ne pas respecter la loi. La raison en est simple, et elle est toujours valable aujourd’hui : pour une entreprise qui s’abstiendrait de produire le rapport de durabilité auquel elle est assujettie, la sanction la plus sévère ne proviendrait pas d’un tribunal mais de l’atteinte à sa réputation et des réactions négatives de ses parties prenantes.
3 – Un très mauvais signal envoyé aux entreprises : une prime aux procrastinateurs
L’Etat tient un discours permanent aux entreprises, leur enjoignant d’anticiper les réglementations futures. Il ne peut pas d’une main encourager les anticipations et de l’autre pénaliser les entreprises qui ont joué le jeu. Un moratoire serait un camouflet adressé à toutes les entreprises qui ont investi pour se préparer, parfois depuis plusieurs années, et donnerait raison à celles qui ont moins à cœur de respecter les réglementations. Les déclarations de M Barnier ont fait bondir le député européen Renew Pascal Canfin : « Cela revient à accorder une prime aux mauvais élèves, à ceux qui ne se sont pas préparés à répondre aux exigences du texte, et à l’inverse ceux qui ont joué le jeu ont le sentiment de se faire, à raison, avoir ».
Un moratoire serait très malvenu car les entreprises sont avancées dans la préparation pour la mise en œuvre de la directive et beaucoup sont prêtes[28].
Dans une lettre ouverte, plus de 180 organisations de la société civile et une soixantaine de grandes entreprises, dont Decathlon, Ikea, Patagonia, Accor ou encore Nestlé, ont appelé à soutenir la CSRD et les réglementations européennes. « Nous soutenons fermement le Green Deal européen et sa poursuite [et] nous savons que les normes européennes en matière de nature, de biodiversité et de climat ne sont pas un problème mais une partie essentielle de la solution, » affirment ainsi les signataires, pour qui une remise en cause de la CSRD « risque de pénaliser injustement les entreprises qui ont déjà investi pour se conformer aux normes environnementales »[29].
B – Un moratoire sur la CSRD : une réponse inappropriée à un diagnostic erroné
Le moratoire n’est pas une réponse pertinente car cette proposition s’appuie sur un diagnostic erroné.
1 – Le mythe du tsunami administratif
Les adversaires de la CSRD présentent la directive comme une exigence bureaucratique de produire une batterie de chiffres, boulimique et inutile. Leur critique est donc double :
- Ce ne sont pas les chiffres qui changent le monde ; à quoi bon consacrer tant d’effort à produire des chiffres, plutôt qu’à agir pour améliorer les choses ?
- Les indicateurs demandés sont trop nombreux et en grande partie inutiles.
Ces deux critiques sont infondées.
Ce que la CSRD demande aux entreprises assujetties de produire, ce ne sont pas des chiffres mais ce que la directive appelle les exigences de publication minimales (ou « Minimum Disclosure Requirements » ; MDR), qui portent sur quatre éléments :
- les politiques de l’entreprise en matière de durabilité,
- la gouvernance, stratégie, gestion des incidences, des risques et des opportunités (IRO),
- les plans d’actions et les ressources mises en place et planifiées,
- les cibles à atteindre et les métriques (indicateurs).
La CSRD repose sur deux piliers : les ESRS et le concept de double matérialité.
- Les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) sont les normes de reporting de durabilité (“Normes européennes d’information en matière de durabilité”) préparées par l’Efrag (Groupe consultatif européen sur l’information financière, en anglais European Financial Reporting Advisory Group)[30].
- La double matérialité est un filtre qui permet à l’entreprise de ne retenir que les enjeux pertinents pour elle et partant, les points de données ad-hoc. Elle lui évite de se disperser dans des domaines qui ne sont pas sensibles pour elle, compte tenu de son activité et de sa stratégie. Par exemple, si elle est un industriel du tannage du cuir, la consommation d’eau est un indicateur (ou un enjeu, pour reprendre le terme de la CSRD) matériel alors que si elle est un cabinet de conseil, cet indicateur n’est pas matériel.
Grâce à ces deux piliers, toutes les données demandées (ESRS et double matérialité) sont pertinentes au regard de la situation de l’entreprise, de ses enjeux et de sa stratégie. Les contempteurs de la CSRD qui poussent d’insoutenables lamentos en évoquant « la fourniture imposée de 1.178 datapoints » n’ont pas fait l’effort de lire la CSRD ni même d’assimiler ces deux piliers essentiels. Ils passent sous silence ce fait essentiel : l’entreprise est libre de définir elle-même, parmi ces 1.178 points de données théoriques et selon ses propres critères d’évaluation, ce qui est important ou pertinent pour elle et ce qui ne l’est pas. La légende des 1.178 point de données résulte d’une mauvaise lecture d’un draft publié par l’Efrag, qui faisait le recensement du maximum théorique !
Pourtant, l’argument est répété et asséné et ce, au plus haut niveau de l’administration de Bercy. « Ni les PME, ni les grandes entreprises ne peuvent supporter 800 indicateurs lourds et coûteux à mettre en place, » a déclaré Antoine Armand, ministre des Finances, au quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung début novembre 2024[31]. On retrouve ici la confusion entre « points de données » et « indicateurs » ainsi qu’un chiffre, 800 cette fois, totalement arbitraire et considérablement exagéré surtout lorsqu’il s’agit d’une PME.
Les adversaires de la CSRD accusent l’Efrag, l’organisme qui a élaboré les normes de reporting, d’exiger la fourniture d’un nombre très important de données par ailleurs inutiles. Mais si les entreprises effectuent leur analyse de matérialité de façon sérieuse, elles peuvent retenir un nombre d’indicateurs restreint, dont aucun ne sera inutile, puisqu’ils sont tous matériels ! Dans son rapport publié en juillet 2024 analysant les pratiques mises en place par 28 très grandes entreprises européennes dans le cadre de leur mise en conformité à la CSRD, l’Efrag lui-même regrette que la logique de la matérialité ne soit pas poussée plus loin par les entreprises, ce qui a pour conséquence la prise en compte d’un nombre trop important de points de données, au risque d’un manque de focalisation[32].
La 12ème étude de Tennaxia sur les pratiques de reporting extra-financier publiée en octobre 2024 montre qu’une bonne partie des entreprises traitera en fait un nombre limité de points de données par rapport à celles listées dans les standards de reporting européens (ESRS)[33]. Ainsi, 44% des entreprises déclarent retenir moins de 500 points de données pour leur reporting, et au total 86% étudieront moins de 750 points de données, sur les 1178 possibles. « Des chiffres nettement en dessous de ceux qui avaient été avancés par certaines organisations professionnelles critiques de la CSRD ces derniers mois, » précise l’étude. Surtout, en moyenne, plus de la moitié (56%) des données traitées par les entreprises seront des données qualitatives, et certaines ne seront que des réutilisations de données déjà collectées dans le cadre d’autres reporting obligatoires, notamment sociaux.
Lors de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés organisée par l’IFA le 30 mai 2024, Florence Didier-Noaro, Membre du Club ESG (environnement, social et gouvernance) de l’IFA, Administratrice de Forsee Power et de Wavestone, a mis en avant des points de repère qui confirment ces ordres de grandeur : « Les données quantitatives représentent un tiers des fameux data points, le reste correspondant à du narratif »[34].
Il faut noter aussi, comme relevé par l’étude Tennaxia citée ci-dessus, qu’une partie conséquente des données à publier sont déjà gérées par les entreprises au titre de leur reporting obligatoire ou volontaire. L’enquête terrain menée par le Collège des Directeurs du Développement Durable auprès des premières entreprises éligibles à la CSRD le confirme : 22% des répondants disposent déjà de 60 à 80% des informations par rapport à ce qui est attendu dans le cadre de la CSRD et 30% disposent déjà de 40 à 60%.
L’inflation du reporting reproché à la CSRD résulte en fait des choix que feront les entreprises. Ainsi, ce directeur de la Communication d’un groupe du CAC 40 a bien fait de demander l’anonymat lorsqu’il a déclaré au Figaro en se référant à l’impact prévu de la CSRD : « Pour mon prochain rapport annuel, j’en ai pour 150 pages supplémentaires »[35]. Les rapports annuels des entreprises, surtout depuis qu’ils sont à la main des directions de la communication, n’ont pas cessé d’enfler, de se remplir de formules creuses et politiquement correctes, écrites en langue de coton, parfois pire que la langue de bois. Ils n’ont pas attendu la CSRD…
Dans une étude présentée le 4 juin 2024, le cabinet Segalen + Associés met en évidence l’inflation des documents demandés aux entreprises pour leur bonne gouvernance, bien avant la mise en œuvre de la CSRD[36]. Basé sur 14 sociétés qui représentent 56 % de la capitalisation du CAC 40, elle montre que le nombre de pages exigé est passé en moyenne de 340 en 2013 à 382 en 2018, puis 540 en 2023. Cette étude sous-entend que l’inflation des pages des reportings officiels est due aux exigences administratives, alors qu’une partie très conséquente provient tout simplement des stratégies de communication des grands groupes, parfois très bavardes. A l’inverse, la CSRD aidera la communication des entreprises à revenir à des éléments plus concrets et plus factuels.
Le concept de matérialité, poussé par l’Europe et pierre angulaire de la CSRD, est d’ailleurs la concrétisation d’une revendication ancienne des entreprises et de BusinessEurope, qui se sont toujours opposées au reporting homogène. Ce concept permet aux entreprises de se libérer du carcan (véritable celui-ci) d’une liste unique d’indicateurs imposée à toutes les entreprises, quelles que soient leurs activités et leur stratégie. Or il est bien évident qu’un indicateur pertinent pour évaluer une entreprise ne l’est pas forcément pour une autre.
Cette conception bureaucratique du reporting de durabilité était pourtant celle de la France. La loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) de 2001 exigeait un rapport fondé sur 32 indicateurs sociaux, environnementaux et de gouvernance, y compris les chiffres relatifs à l’emploi, à la gestion des déchets et aux pratiques anti-corruption. Les plus anciens se souviennent du célèbre article 225 de la loi Grenelle II (juillet 2010), qui imposait une liste standard d’indicateurs (42 thématiques), qui verra le jour après des mois de déchirements sous la forme d’un décret finalement publié… en avril 2012[37]. Cette liste incluait déjà, à côté des indicateurs plus classiques déjà présents dans la loi NRE, les émissions de gaz à effet de serre, les mesures d’adaptation aux impacts du changement climatique et celles destinées à préserver ou améliorer la biodiversité.
Il a fallu la sagesse de l’UE, d’abord avec la NFRD, puis avec la CSRD qui parachève cette construction, pour sortir notre pays de cet obscurantisme étrange, qui réclamait qu’un indicateur soit homogène avant d’être pertinent.
Il est ainsi très paradoxal de voir les mêmes organisations qui tempêtaient hier contre le carcan de la liste unique s’opposer aujourd’hui au concept de matérialité qui y met fin et l’accuser d’accroître la complexité de la démarche.
Ces mêmes organisations ne pratiqueraient-elles pas le « deux poids – deux mesures » ? Face à l’intention du Premier ministre de reporter la mise en oeuvre de la CSRD, Alexandra Palt, présidente de WWF France, qui fut directrice RSE du Groupe Loreal de février 2012 à l’été 2024 écrit dans une tribune intitulée « On ne peut pas mettre en pause la transition écologique ! » publiée par Les Echos du 4 novembre 2024 : « Soyons honnêtes : a-t-on déjà entendu une entreprise se plaindre de la complexité du reporting financier, de la multitude d’indicateurs exigés par les investisseurs et les financiers ? Non, car tout le monde s’accorde à dire que, pour la quête du profit, cela est justifié et accepté. Alors pourquoi cette résistance quand il s’agit d’une question bien plus cruciale : la vie ? ».
L’accusation d’autoritarisme bureaucratique est elle aussi infondée. Tout d’abord, la CSRD ne contribue pas à la prolifération normative car elle n’est pas véritablement un nouveau texte. Elle s’insère dans le corpus juridique de l’UE en modifiant quatre textes européens existants : la directive Comptable, la directive Transparence, la directive Audit et le règlement Audit. Ensuite, elle n’est pas « jusqu’au boutiste ». Au contraire, elle affirme la nécessité de proportionner les efforts mis en œuvre pour se conformer au mieux aux prescriptions de la norme sans engendrer de coûts inconsidérés. Voici par exemple, ce que préconise l’Autorité des normes comptables (ANC) à propos de la matérialité : « L’analyse de double matérialité ne doit pas mobiliser des efforts disproportionnés par rapport aux politiques, actions et cibles liées aux enjeux durabilité que l’entreprise a décidé de mettre en œuvre »[38]. L’objectif est bien d’améliorer la maîtrise des entreprises sur leurs impacts, pas de produire du papier…
De même, ses détracteurs présentent la CSRD comme un coup de tonnerre dans un ciel d’azur. Ce n’est pas le cas : la CSRD ne fait que remplacer une directive précédente, la NFRD (Non-Financial Reporting Directive) de novembre 2014, transposée en droit français par le Décret n° 2017–1265 du 9 août 2017. C’est cette dernière qui a créé la déclaration de performance extra-financière (DPEF), qui constituait la première incursion de l’UE dans le domaine du reporting de durabilité, 21 ans après la France[39]. Il est vrai cependant que la CSRD qui s’appliquera à 6.000 entreprises en France élargit la base des entreprises qui étaient éligibles à la NFRD, soit 2.500 entreprises en France, en baissant les seuils de taille d’applicabilité. Mais il est malhonnête de présenter la CSRD comme une initiative fondamentalement nouvelle. En France, la première réglementation concernant le reporting de durabilité, la loi sur les Nouvelles régulations économiques (NRE), qui s’appliquait déjà aux 700 entreprises françaises cotées les plus importantes, date de… 2001.
Ensuite, tout au long de son processus d’élaboration, les concepteurs de la CSRD ont cherché à capter et intégrer les attentes de ses futurs utilisateurs et des entreprises qui y seront soumises. Elle repose intégralement quant à son contenu sur les normes ESRS, élaborées par l’Efrag, organe consultatif indépendant et pluripartite, en étroite association avec les investisseurs, les entreprises, les organes des auditeurs et commissaires aux comptes, les universitaires, les organismes de normalisation nationaux, la société civile (associations, ONGs) et les syndicats. Ces normes ont fait l’objet de deux consultations publiques, l’une en 2022 pour l’avant-projet, l’autre à l’été 2023 avant leur adoption définitive. Les représentants des entreprises ont donc été associés à leur élaboration.
Les critiques sur la lourdeur réputée de la CSRD ont accompagné toute la gestation de la directive… et celle-ci en a largement tenu compte. Elle est ainsi mitée par les exceptions, les possibilités offertes aux entreprises, notamment les plus petites, d’échapper à tel ou tel domaine du reporting, les souplesses permettant de différer tel autre domaine, parfois d’un an parfois de trois ans. Il en résulte qu’une part très significative de la complexité prêtée à la CSRD résulte… de la multiplication de ces exceptions !
De même, les critiques à l’égard de la CSRD formulées par le Medef en France ou par BusinessEurope vis-à-vis de Bruxelles ont beaucoup porté sur la difficulté de réunir les données permettant de rendre compte de sa chaîne de valeur, en amont et en aval. Pourtant, cette demande était déjà présente dans les normes précédentes (notamment Grenelle II de 2010 et la NFRD de 2014), même si effectivement la CSRD la renforce. Mais surtout, ces difficultés affrontées par les entreprises ne sont pas occultées par la CSRD, qui dispose avec pragmatisme : « Dans certaines circonstances, l’entreprise peut ne pas être en mesure de collecter des informations concernant sa chaîne de valeur en amont et en aval, tel que l’exige [la CSRD], après avoir raisonnablement essayé de le faire. En pareils cas, l’entreprise estime quelles informations doivent être publiées concernant sa chaîne de valeur en amont et en aval, en utilisant toutes les informations raisonnables et justifiables, telles que les données relatives aux moyennes sectorielles et autres approximations »[40].
Par ailleurs, l’extension vers la chaîne de valeur est essentielle pour inciter les entreprises à maîtriser leurs impacts, ce qui est l’objectif de la CSRD. Dans une interview à l’hebdomadaire Challenges du 29 juin 2023, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, donne les chiffres suivants : le coût total de fabrication d’une automobile se décompose en 5 % pour les coûts logistiques, 10 % pour les coûts incorporés par le constructeur dans ses opérations d’assemblage et 85 % de coûts d’achat des pièces auprès des fournisseurs. Si Stellantis ne rendait compte que de ses impacts propres, l’entreprise ne considérerait que 10% de sa structure de coûts, ce qui ne représenterait aucunement son empreinte réelle. La demande de la CSRD de se pencher sur la chaîne de valeur est une exigence qui découle du fractionnement de ces chaînes de valeur ces dernières décennies.
On a aussi entendu que la CSRD obligerait à dévoiler des informations précises sur des politiques encore en gestation ou trop sensibles. Or, « lorsqu’une information est exigée concernant les politiques, les actions et les cibles liés aux enjeux de durabilité, l’entreprise doit publier ce qu’elle fait ou a l’intention de faire dans ce domaine conformément aux ESRS, mais elle a également la possibilité de déclarer qu’elle n’en a pas adopté »[41].
L’accusation d’ingérence des bureaucrates de Bruxelles dans le fonctionnement des entreprises européennes ne tient pas davantage. La CSRD ne prétend pas régenter le fonctionnement des entreprises, comme on l’a beaucoup entendu. Elle n’est pas un corpus autoritaire qui exigerait des entreprises de se comporter de la manière jugée la plus adéquate ou « politiquement correcte » par un aréopage de technocrates. Ceux qui propagent cette conception n’ont pas compris sa philosophie qui est très libérale. Elle ne comporte pas des obligations d’agir de la part des entreprises et de leurs dirigeants, ni d’atteindre un niveau donné de résultats ou d’amélioration. Elle demande simplement la transparence, de façon à permettre aux parties prenantes de disposer d’une vue plus pertinente sur leur trajectoire. Comme le dit Thierry Philipponnat, chef économiste de Finance Watch et membre du Sustainability Reporting Board de l’Efrag, elle est « une obligation de dire, et non de faire ».
La CSRD n’est pas une « obligation de faire », mais elle n’est pas non plus une démarche administrative inutile, qui viserait à « produire des données pour produire des données ». Elle est une « incitation à faire », et ce rôle est parfaitement assumé par le législateur français, comme le montre l’ordonnance de transposition de la CSRD en droit français, qui relève : « Les catégories d’informations demandées représentent ainsi une incitation forte pour les sociétés concernées à engager des actions vertueuses dans les domaines concernés »[42]. Ecoutons Fabrice Bonnifet, président du C3D, le collège des directeurs du développement durable : « Non, la CSRD n’est pas une énième injonction d’un reporting sans finalité, c’est juste une assurance-vie pour continuer d’évoluer dans un monde fini, n’en déplaise à ceux qui sont incapables de raisonner plus loin que le trimestre en cours »[43].
Dans une tribune publiée par L’Opinion, Frédéric Coirier et Philippe d’Ornano, co-présidents du Meti font une proposition choc : « mettre un moratoire immédiat sur les normes excessives et mal évaluées, comme CSRD, CS3D, c’est inviter les entreprises à investir dans les projets plutôt que dans la paperasse »[44]. Le sous-entendu est clair : la CSRD consiste à produire du papier mais pas du progrès. Or, contrairement à ce qu’affirment ses adversaires, la CSRD n’est pas une batterie autoritaire et boulimique de données et d’indicateurs. C’est une démarche : les entreprises doivent donner des informations claires sur leurs enjeux les plus matériels, leurs projets et plans d’actions pour les prendre en compte, leurs trajectoires phasées dans le temps et leurs objectifs. Elles sont incitées à établir une feuille de route, à poser la question de la priorisation des investissements, et à mettre en place des mesures d’impact. Celles qui souhaitent montrer leur implication seront poussées à les étayer. La logique de la CSRD est celle de la boucle d’amélioration continue au travers des étapes Plan / Do / Check qui permettent d’étalonner les progrès[45].
De même, contrairement à ce qui a été souvent répété, la CSRD n’ignore pas les problèmes de confidentialité et de concurrence : « L’entreprise n’est pas tenue de publier des informations classifiées ou sensibles, même si ces informations sont considérées comme importantes »[46].
Après l’annonce du moratoire souhaité par Michel Barnier, les quatre organisations patronales, Medef, CPME, METI et ANSA ont publié le 25 octobre 2024 un communiqué commun pour l’encourager à confirmer, en saluant le moratoire au nom de la compétitivité[47]. « Nous alertons depuis de longs mois sur le choc de complexité porté par ces textes sur la compétitivité, la croissance et l’emploi », soulignent-elles dénonçant « les coûts supplémentaires colossaux que ces réglementations mal conçues font porter sur nos entreprises pour produire des centaines d’indicateurs et des rapports à l’efficacité très contestable ». Selon elles, ce type de réglementation, qualifiée de « folie normative », nuirait aux « très lourds investissements » que la transition écologique nécessite pourtant. Reprenons leurs arguments :
- « Nous alertons depuis de longs mois » : certes mais ces alertes ont été entendues et des accords et arbitrages ont été faits. On ne peut pas constamment les remettre en cause… surtout de la part d’organisations qui ne cessent de rappeler (avec raison) que les entreprises ont besoin de stabilité juridique.
- « Les coûts supplémentaires colossaux » : voir sur ce point la section ci-après : « Des coûts largement surestimés »
- « Ces réglementations mal conçues » : comme on l’a vu plus haut, les entreprises et leur écosystème (notamment les auditeurs) ont été impliquées dans la conception de la CSRD.
- « Des centaines d’indicateurs » : voir la CSRD comme une batterie d’indicateurs est une profonde erreur, alors qu’il s’agit avant tout d’expliquer ses impacts, risques et opportunités. Le nombre d’indicateurs publiés est en très large partie à la main des entreprises, résultant de leur analyse de double matérialité.
- « Un effet négatif sur les investissements pour la transition écologique » : la CSRD permet justement de suivre la mise en œuvre et le déploiement de cette transition. En imposant aux entreprises d’expliciter leur transition, ses impacts, ses objectifs et son financement, elle les incite à être plus ambitieuses pour démontrer leur engagement.
Ecoutons Brune Poirson, Directrice du développement durable du groupe Accor qui a fait part de ses interrogations lors de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés organisée par l’IFA le 30 mai 2024 : « Je m’inquiète d’entendre certains grands patrons rabâcher le fait que la CSRD est un horrible outil. C’est symptomatique d’entreprises qui ne souhaitent pas se transformer. Un écueil risque d’advenir : utiliser une partie de la régulation pour prendre une posture politique. Par exemple, aux États-Unis, des entreprises assument pleinement de ne pas respecter les normes ESG. Je sens cette tendance poindre en France. Certains claironneront haut et fort leur opposition »[48].
Les réticences vis-à-vis de la CSRD cachent peut-être d’autres motivations moins avouables : la peur du changement, le confort de ne pas toucher à son modèle d’affaires et de laisser les autres entreprises s’engager dans les efforts de maîtrise des impacts.
A l’inverse, les bénéfices de la CSRD sont tangibles et beaucoup d’entreprises souhaitent les engranger. C’est ce qui apparaît dans l’enquête Workiva 2024 auprès de 2.000 praticiens ESG, professionnels de la finance, du développement durable et du risque, interrogés sur leurs points de vue sur l’ESG : 81% des entreprises non soumises à la CSRD ont tout de même l’intention de s’y conformer[49].
2 – L’hypocrisie du lamento sur les PME
Les cris d’orfraie sur le soi-disant massacre organisé des PME sont disproportionnés. Commençons par ramener les choses à de justes proportions. Premièrement, la CSRD va s’appliquer à environ 46.000 entreprises européennes à la fin de la décennie… soit à peine 0,2% de l’ensemble des entreprises de l’Union européenne (23 millions en 2020). Deuxièmement, les PME non cotées en bourse ne sont pas soumises à la CSRD alors qu’elles constituent l’essentiel du tissu de PME de l’UE. A tel point que pour la France, la délégation sénatoriale aux Entreprises estime à seulement 100 le nombre de PME cotées sur un marché réglementé de l’UE, correspondant aux critères d’éligibilité de la CSRD[50] ! De son côté, Thierry Philipponnat, chef économiste de Finance Watch et membre du Sustainability Reporting Board de l’Efrag, a fait les comptes : les PME cotées représentent seulement 0,004 % des PME européennes[51]…
Les adversaires de la CSRD n’ont pourtant pas pratiqué la nuance. « Le reporting extra-financier des entreprises, la fameuse CSRD, va se traduire par un véritable tsunami administratif », a prévenu, fin novembre 2023, le président de la CPME, François Asselin.
Le Medef est allé plus loin encore, par la voix de son président Patrick Martin en février 2024 : « La réglementation CSRD est particulièrement traumatisante pour les chefs d’entreprise de PME, avec un effet de sidération quand on voit les 1 168 critères auxquels il faudrait répondre… Mais c’est vrai pour toutes les entreprises. Dans la mienne, qui est une ETI, cela va occasionner deux ou trois créations de postes, « improductifs », pour dire les choses »[52]. Inutile de revenir ici sur la légende des 1.178 critères ou datapoints, qui relève d’une simple méconnaissance du texte comme on l’a vu plus haut.
Guillaume de Bodard, président de la Commission développement durable de la CPME prétend que « les PME sont mises par la CSRD sur le même plan que les grands groupes employant des dizaines de milliers de personnes, comme si elles disposaient des mêmes moyens »[53]. C’est une contre-vérité. Le législateur européen et l’Efrag ont justement voulu prendre en compte les spécificités des PME, qui disposent de moins de moyens que les grandes entreprises. L’Efrag travaille sur deux normes ESRS visant spécifiquement les PME.
1) La norme ESRS LSME (Listed Small and Medium Enterprises ou en français, PME cotées)
Elle s’applique aux PME cotées pour lesquelles le reporting de durabilité aux normes ESRS sera obligatoire en 2027 sur l’exercice comptable de 2026. Le projet est en cours. Comme pour les autres ESRS, il a été précédé d’une large consultation publique menée par l’Efrag (clôturée en mai 2024) et du recueil des avis et des retours d’expérience des entreprises afin d’affiner la future norme.
L’ESRS LSME est subdivisé en six sections :
- Exigences générales ;
- Informations générales ;
- Mesures, actions et objectifs ;
- Informations environnementales ;
- Informations sociales ;
- Conduite des affaires.
On retrouve ici la structure des ESRS génériques mais le contenu est fortement allégé.
2) La norme ESRS VSME (Very Small and Medium Enterprises)
Il s’agit cette fois d’une norme facultative et volontaire, contrairement aux autres ESRS, destinée à aider les petites et moyennes entreprises qui ne sont pas directement concernées par la CSRD (du fait de leur petite taille ou parce qu’elles ne sont pas cotées), mais qui doivent contribuer par leurs informations au reporting de leurs grands clients sur leur chaîne de valeur. Plus généralement, elle s’applique aux entreprises volontaires qui ne sont pas concernées par l’obligation mais qui souhaitent néanmoins publier un rapport de durabilité. Par exemple pour répondre à un appel d’offre public, s’intégrer plus facilement dans la chaîne de valeur vertueuse d’un grand groupe ou tout simplement par désir de transparence, d’impact positif et d’amélioration continue.
Pourquoi cette norme VSME est-elle importante ? Si les PME non cotées n’ont aucune obligation directe, il est vrai cependant qu’elles reçoivent des demandes de la part de leurs fournisseurs et clients qui doivent faire l’effort, pour renseigner leur propre rapport de durabilité, de s’intéresser aux informations sur toute leur chaîne de valeur, en amont et en aval. Mais ces demandes n’ont rien de nouveau : elles existaient déjà bien avant la CSRD. Depuis que la notion d’« achats responsables » existe, les grands donneurs d’ordres se préoccupent de la qualité des politiques RSE chez leurs sous-traitants et fournisseurs.
Il y a plus de 10 ans, une étude de l’Insee, sous la plume d’Émilie Ernst, montrait déjà les mécanismes de diffusion de la RSE en France[54]. Parmi les sociétés connaissant la RSE et indiquant mener des actions, 58% mentionnent l’existence de clauses de RSE dans le cahier des charges de certains de leurs clients (contre 24% seulement parmi les sociétés ne connaissant pas la RSE ou ne pensant pas mener d’actions, qui reçoivent donc moins d’incitations de leurs clients). A leur tour, 44% de ces sociétés connaissant la RSE et pensant mener des actions demandent à leurs propres fournisseurs de respecter des clauses de RSE (contre 12% seulement de celles qui ne s’impliquent pas dans la RSE). Autrement dit : la RSE progresse fortement par effets de diffusion au sein des filières, de l’amont vers l’aval, c’est-à-dire des clients vers leurs chaînes de fournisseurs. Ce ruissellement positif continue aujourd’hui à structurer les relations inter-entreprises. La CSRD n’y change rien et cette « obligation de reporting » a pour origine les demandes des partenaires commerciaux de l’entreprise, et non la législation.
Cependant, la CSRD, grâce à la future norme ESRS VSME va apporter un plus significatif à ces entreprises. Au lieu de constamment ré-inventer, recalculer, rechercher et mettre en forme les données demandées un jour par un client, un autre jour par l’émetteur d’un appel d’offres, une agence de notation ou un fournisseur de label et le jour suivant par une collectivité territoriale, les PME pourront réaliser leur reporting VSME, qui devrait leur permettre de répondre à 80% des demandes qui leurs sont adressées. Leurs donneurs d’ordres s’abstiendront de leur faire des demandes spécifiques. Ce qui est présenté par les adversaires de la CSRD comme une contrainte administrative supplémentaire est en fait un facteur d’allègement, de rationalisation et de fiabilisation. Ce point est relevé par la délégation sénatoriale aux Entreprises qui précise dans son rapport : « Faute d’harmonisation suffisante, les entreprises sont assaillies de questionnaires à remplir qui demandent les mêmes informations sans être coordonnés. La directive plafonne le nombre de données qu’une entreprise doit publier »[55].
La VSME ESRS est constituée de 3 modules : basique, narratif et partenaires commerciaux. Elle offre un grand niveau de souplesse permettant à une PME de choisir de répondre soit uniquement au module basique, soit aux modules basique et narratif, soit aux modules basique et partenaires commerciaux, soit enfin à l’ensemble des modules.
Le module basique “Basic” définit les informations essentielles de la norme. Le module narratif “Narrative-PAT” (Policies, actions and targets) concerne les PME qui ont déjà mis en place une politique RSE, des actions et des objectifs et souhaitent communiquer et les valoriser plus fortement. Le module Partenaires Commerciaux (“Business Partners”) permet aux PME de consolider les données quantitatives pour les fournir à leurs clients qui veulent quantifier l’impact de leur chaîne de valeur. Ceux-ci pourront alors les utiliser pour produire leur propre rapport.
L’Efrag a lancé une consultation publique sur la VSME en janvier 2024, qui s’est terminée au mois de mai. Un test terrain pour confronter la norme à des cas réels et la bonifier a suivi cette consultation. Cette démarche a conduit l’Efrag, soucieuse de répondre aux préoccupations des PME, à annoncer en octobre 2024 une forte réduction des ambitions et un recentrage de la VSME, au moins pour une période temporaire.
Dans le projet initial, la norme VSME avait une double ambition, comme indiqué ci-dessus :
- donner aux PME le set de données suffisantes pour répondre aux demandes adressées par les entreprises soumises à la CSRD qui sont leurs clients ou fournisseurs ;
- mais aussi donner aux PME les moyens de se lancer dans le management de leurs enjeux de durabilité avec des normes adaptées à leur échelle.
Le projet révisé se recentre complètement sur le premier objectif.
Cela permet un allègement notable de la norme en supprimant :
- l’identification des parties prenantes et l’analyse de double matérialité (au moins jusqu’à la publication de listes d’enjeux matériels PME par secteur, prévue pour juin 2026) ;
- les analyses de chaîne de valeur ;
- et certains points de données spécifiques (par exemple les éléments relatifs à l’équilibre vie personnelle /vie professionnelle ou le nombre d’apprentis).
Le nouveau projet devrait conduire à une version définitive de la norme VSME annoncée pour le 20 décembre 2024 avec des bases de conclusions à publier en janvier 2025.
Il est donc difficile de prétendre que la CSRD ne tient pas compte des spécificités des PME et que ses concepteurs sont restés sourds à leurs contraintes. Par ailleurs, l’UE a accepté, à la demande des organisations patronales européennes (BusinessEurope) de repousser la mise en œuvre obligatoire. Pendant une période transitoire de deux ans, jusqu’en 2028 (publication début 2029 au lieu de 2027 comme prévu initialement), les PME cotées sur les marchés règlementés européens ont la possibilité de ne pas appliquer les exigences de reporting de la CSRD, pour autant qu’elles indiquent brièvement dans leur rapport de gestion les raisons pour lesquelles elles s’en abstiennent (mise en œuvre du principe de gouvernance Comply or explain).
Enfin, comme le rappelle La Tribune, « dans le passé, une fois la CSRD adoptée, la Commission elle-même a déjà recouru à une directive déléguée pour abaisser les seuils de bilan et de chiffre d’affaires et ainsi exclure certaines entreprises, les plus petites, qui avaient exprimé leur inquiétude »[56].
3 – Les PME et ETI ne sont pas laissées seules
Contrairement à ce que prétendent les partisans d’un moratoire sur la CSRD, les dirigeants de PME et d’ETI ne sont pas laissés seuls face à la complexité de la directive. Le Portail RSE développé par la Direction Générale des Entreprises (DGE) de Bercy en lien avec BetaGouv et la Direction Interministérielle du Numérique (DINUM) offre aux dirigeants de PME et ETI un environnement fiable leur permettant de prendre la mesure de la nouvelle réglementation et de les guider sur son appropriation, de manière rigoureuse et pragmatique[57]. L’inscription sur ce portail donne accès à des ressources dédiées aux PME et ETI, par exemple pour réaliser son analyse de double matérialité gratuitement ou structurer un reporting clair et conforme sans alourdir la charge des équipes ou encore obtenir des conseils spécifiques et des outils pratiques. Ce portail illustre le fait que l’impératif de la simplification, souvent maintenu à l’état d’incantations, est parfois pris au sérieux.
Des efforts restent à faire, qui se révéleraient plus utiles que la proposition de moratoire. Par exemple, l’Autorité des normes comptables (ANC) a publié en décembre 2023 un guide « officiel » pédagogique, réédité et complété en juin, puis en octobre 2024[58]. Organisé comme un jeu de fiches sur chacune des 12 ESRS, le contenu est rigoureux et pragmatique mais reste encore difficile à s’approprier pour des non-spécialistes. De même, l’Efrag a mis en consultation en février 2024 des guides d’interprétation, le premier sur l’analyse de matérialité, le second sur le traitement de la chaîne de valeur, le troisième recensant l’ensemble des points de données. Nous soutenons la proposition de la délégation sénatoriale aux Entreprises du Sénat consistant à « traduire les éléments clés de la CSRD et des normes d’application ESRS en un langage clair, accessible et compréhensible par tous les dirigeants d’entreprises, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives patronales »[59].
4 – Des coûts largement surestimés
Les adversaires de la CSRD ne la voient que comme une source de coûts et de bureaucratie. La CSRD, « ce summum de bureaucratie inutilement coûteux pousse les entreprises vers la paperasse, pas vers l’investissement ! », s’exclamaient dans une tribune publiée par Les Echos les co-présidents du mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti), Philippe d’Ornano, par ailleurs président de Sisley, et Frédéric Coirier, président du Groupe Poujoulat[60].
Les évaluations de coûts maniées par ceux qui veulent obtenir un moratoire de la CSRD nous semblent d’ailleurs artificiellement gonflées. Dans le Figaro du 24 octobre 2024, Philippe d’Ornano déclare avoir calculé que pour l’ensemble des ETI, le coût de mise en place de la CSRD sur 2 ans est de 4 milliards €[61]. Il est dommage que les éléments de calcul n’aient pas été versés au débat public.
Rappelons d’abord ce qu’est une ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire). L’Insee les définit ainsi : « Une ETI est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés, et soit un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 Md€, soit un total de bilan n’excédant pas 2Mds€ ». D’après le site du Meti, les ETI sont au nombre de 6.200 en France[62]. Les 2 milliards € annuels évoqués se traduisent donc par une moyenne de 323.000 € annuels, ce qui semble disproportionné. Il est vrai que pour sa propre ETI, Philippe d’Ornano, patron de Sisley, a évalué le coût « entre 200 et 250.000 euros, puis 100.000 euros par an pour le suivi »[63].
Quelles sont les évaluations macro-économiques disponibles ? Selon l’analyse d’impact de la CSRD réalisée par la Commission européenne en avril 2021, le coût de mise en œuvre de la directive CSRD par les entreprises a été chiffré à 4,6 milliards € pour toutes les entreprises européennes, dont 1,2 milliard € de coûts non récurrents (pour la mise en place) et 3,6 milliards € de coûts récurrents annuels[64]. Cette analyse s’appuie sur les montants estimés des informations collectées dans le cadre de la directive NFRD. En revanche, aucune étude d’impact n’a été présentée au Parlement français, en amont de la transposition de la directive par voie d’ordonnance.
A un niveau plus micro-économique, le coût moyen de la préparation de l’entreprise à la directive CSRD pourrait évoluer entre 40.000 € et 320.000 €, auxquels s’ajoutent des coûts moyens annuels d’audit qui pourraient s’élever entre 67.000 € et 540.000 €, selon une étude conjointe du CEPS et de Milieu, qui fait référence[65]. Ces montants ont été calculés en novembre 2022 sur la base de la première proposition de l’Efrag et sont donc vraisemblablement surévalués car depuis cette date, la consultation de l’Efrag et l’acte délégué du 31 juillet 2023 ont conduit à réduire le nombre d’exigences d’informations de 40 % et le nombre de points de données d’environ 50 %, diminuant de ce fait les coûts de mise en œuvre. La fourchette est très large, reflétant les différences selon les tailles d’entreprises.
Ainsi pour une PME, le coût de mise en œuvre de la directive CSRD est évalué entre 5 et 10.000 €, selon le rapport du Sénat cité plus haut.
Revenons à des considérations plus concrètes. Le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) a publié en juin 2024 une enquête auprès des premières entreprises éligibles, qui devront publier leur reporting de l’exercice 2024 début 2025 (53% de l’échantillon) et de la seconde vague qui va publier début 2026 (40% de l’échantillon)[66]. Cette enquête permet d’avoir une vue relativement précise issue des premiers retours d’expérience.
Au chapitre des coûts, pour près de la moitié des répondants, le budget externe nécessaire à une mise en conformité avec la directive CSRD se situe entre 50 et 200 K€, ce qui est cohérent avec l’étude CEPS/Milieu citée plus haut. Et ils ne sont que 11 % à déclarer un budget supérieur à 600 K€. Or, il s’agit par nature d’entreprises de grande taille (la première vague qui va publier début 2025 est constituée des plus grandes entreprises) : 65% des répondants ont un CA supérieur à 1 milliard €. Si on se concentre sur les moyennes, 50 à 200 K€ de budget externe pour 1 milliard de CA, nous ne nous situons pas du tout dans des sommes faramineuses comme le prétendent les adversaires de la CSRD.
- D’autant plus que le C3D pointe le fait que ce budget est fortement gonflé par « l’accompagnement par différents tiers ». En effet, 82% des répondants ont choisi de se faire accompagner par un partenaire externe. Ces coûts de consulting ont effectivement connu des abus et il est de la responsabilité des entreprises d’en reprendre le contrôle, comme nous le proposons plus loin.
- Une autre partie conséquente est constituée par les honoraires de l’audit. Nous avons observé de nombreux cas où ces honoraires atteignent 3 à 4 fois celui de la DPEF précédente (et jusqu’à 9 fois pour une entreprise internationale). Là encore, une reprise en main est souvent nécessaire.
- Enfin, une partie conséquente – et parfois même dominante – est constituée de coûts informatiques pour des systèmes de gestion des données environnementales et/ou sociales, qui auraient dû de toutes façons être mis en place, avec ou sans CSRD. A notre sens, ces systèmes ne devraient pas être comptabilisés dans les coûts de mise en place de la CSRD, dont ils gonflent artificiellement la note.
Si on regarde maintenant le coût en ressources humaines, pour 40% des répondants à l’enquête du C3D, la surcharge de travail générée par la CSRD s’élève à 1 personne en équivalent temps plein (ETP) et 26% estiment cette charge à 2 ETP. Ces chiffres, somme toute modestes, sont à mettre en regard de l’effectif des entreprises répondantes : 48% viennent de sociétés de plus 10 000 personnes.
Au total, le coût de mise en place est jugé « important » pour 57% des répondants – ce qui n’est pas surprenant, s’agissant d’un sujet stratégique – mais 33% le trouvent cependant acceptable.
En fait, il apparaît que les coûts de mise en œuvre de la CSRD varient principalement selon un facteur : les décisions prises par les entreprises elles-mêmes. Selon qu’elles appliquent la double matérialité de façon plus ou moins pertinente, selon qu’elles choisissent de travailler de façon pragmatique ou de se livrer à l’un des cabinets Big Four, les coûts sont très différents.
Parmi les diverses options évoquées par le gouvernement français, pour limiter les coûts de la mise en œuvre, celle dite « de la directive omnibus » nous paraît la plus baroque. Elle consiste à rassembler d’autres pays, parmi lesquels l’Allemagne et l’Italie pour demander une directive qui ferait « maigrir » une autre directive, à savoir la CSRD. L’idée est d’amoindrir les exigences de reporting en limitant le nombre d’indicateurs qualifiés d’obligatoires. C’est à ne rien comprendre à la CSRD ! Tout d’abord, à l’exception des données sur le climat, il y a peu d’indicateurs obligatoires. Les indicateurs à publier résultent des enjeux que l’entreprise a jugés comme matériels, en fonction de ses spécificités. En d’autres termes, l’amaigrissement demandé n’a pas à être opéré par une directive européenne mais par la démarche appliquée par chaque entreprise qui va retenir uniquement les enjeux matériels pour elle. Anne-Hélène Monsellato, qui bénéficie d’une grande expérience d’administratrice indépendante dans des boards européens l’a parfaitement résumé dans un séminaire sur la gouvernance en Europe : « L’idée d’un omnibus qui couperait arbitrairement les données à considérer occulte totalement le principe de matérialité, qui permet justement de se concentrer sur les enjeux essentiels et d’amener le nombre d’enjeux là où il doit être, à juste proportion »[67].
D’autres sources d’économies nous semblent beaucoup plus prometteuses. En particulier, l’explosion de certaines prestations de conseil pose vraiment question et on se demande parfois pourquoi les entreprises sensibles aux coûts de la CSRD acceptent de payer un consultant junior au prix d’un confirmé issu d’un cabinet moins prestigieux. Dans un article de février 2024 consacré à la mise en œuvre de la CSRD, Anne Bodescot mentionne une fourchette des coûts pratiqués par les cabinets de conseil « entre 50.000 et 300.000 euros ». Une ETI n’est pas obligée de se situer en haut de cette fourchette…[68]
On peut penser aussi que la technologie, notamment les logiciels dédiés, en mode SAAS, vont contribuer à une baisse des coûts de mise en œuvre. Progressivement, ils intègrent des couches d’intelligence artificielle (IA), qui apportera dans le futur, des solutions peu coûteuses pour aider les entreprises à préparer leur rapport de durabilité.
En effet, la numérisation obligatoire, la publication dans un format électronique normalisé xHTML et le balisage de l’information de durabilité codifiés par la CSRD vont rendre le traitement informatisé des données beaucoup plus aisé[69]. Quelle sera la première entreprise à préparer 90% de son rapport de durabilité aux normes CSRD avec une IA générative ? Bien sûr, ce ne sont pas les versions grand public des moteurs d’IA générative qui seront mises en œuvre pour cet usage mais des applications internes ou opérées par des prestataires de services dans de bonnes conditions de confidentialité. En particulier, l’IA générative apportera des gains de temps aussi bien sur les données chiffrées que sur le narratif.
Deuxième question : y a-t-il déjà des modèles de langage (LLM) entraînés sur les ESRS et le corpus qui les accompagne ? Plusieurs startups travaillent activement sur ce domaine. Bien que prometteuses, ces solutions demanderont toutefois du temps de mûrissement, ne serait-ce que pour l’apprentissage des algorithmes aux procédures de vérification déployées par les auditeurs (CAC et OTI)… qui sont encore à découvrir.
Ensuite, il faut relever que les coûts prétendument astronomiques et la soi-disant perte de compétitivité trouvent leur ancrage dans la mise en œuvre du processus de reporting, sans jamais évoquer les gains de performance obtenus, par exemple via l’analyse de double matérialité, la formalisation du partenariat avec les parties prenantes ou l’évolution des modèles d’affaires. Parce que la mise en œuvre de la CSRD est un projet de transformation et en tant que tel, raisonner sur les coûts en occultant les gains n’a pas de sens ; c’est une logique de retour sur investissements (ROI) qu’il faut adopter.
Dans cette logique de ROI, on peut se demander si la CSRD est un coût net, alors qu’elle peut constituer une réponse à l’ensemble des demandes concernant des informations de durabilité adressées aux entreprises par tous les acteurs : services de l’Etat, collectivités territoriales, agences de notation, banques, investisseurs, clients, partenaires, … Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l’Efrag a bien résumé cette approche lors de son audition au Sénat : « On parle de coûts, mais il est un coût que l’on ignore. Nous avons réalisé une analyse coûts/bénéfices à l’EFRAG. Aujourd’hui, les entreprises sont soumises à une rafale de questionnaires qui viennent des ONG, des investisseurs… Le but de la normalisation est de créer une plateforme reconnue par tout le monde. Cela diminuera le risque de questionnaires partant dans tous les sens »[70].
Enfin, il faut poser une question naïve : pourquoi des entreprises qui trouvent tout à fait normal de supporter les coûts d’un reporting financier qu’elles maîtrisent parfois depuis cinquante ans s’offusquent-elles de ceux qui permettent de maîtriser les impacts sociaux, sociétaux et environnementaux ?
5 – La prétention du « seul contre tous »
Pour reprendre les mots de Michel Barnier, la réglementation française ou européenne créerait « un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins ». Ce point de vue un peu condescendant suppose que nos voisins sont attentistes. Il est cohérent avec la conviction des adversaires de la CSRD : comme elle est coûteuse et inutile, seuls les Européens sont assez stupides (lisez : bureaucrates) pour se l’imposer, à la grande satisfaction de nos concurrents internationaux.
Il faut oublier les idées préconçues et regarder le monde tel qu’il est. Car l’UE n’est pas la seule entité politique à élever le niveau d’exigence en matière de reporting de durabilité. Les bourses chinoises imposent un reporting obligatoire basé sur la double matérialité, annoncé début 2024. Les places de Shanghai, de Shenzen et de Pékin ont publié sur leur site les nouvelles lignes directrices que les sociétés cotées devront suivre, notamment en matière d’informations sur les émissions de gaz à effet de serre de leur chaîne d’approvisionnement sur les scopes 1, 2 et 3. Les premiers rapports sont attendus avant la fin du mois d’avril 2026, sur les données de l’année 2025[71]. En inscrivant le principe de double matérialité dans leur référentiel, les autorités de normalisation chinoises semblent se rapprocher de la directive européenne.
Selon le discours d´ouverture de la 5e conférence de l´ASIFMA sur la finance durable appelée « Enabling Transition Finance in Asia », donnée par la secrétaire permanente pour les services financiers et le Trésor de Hong Kong, une première édition de la taxonomie de Hong Kong pour la finance durable a été publiée en mai 2024, alignée sur les deux principales taxonomies de la Chine continentale et de l’Union européenne. Cette initiative précède l’engagement des autorités de lancer une feuille de route sur l’adoption complète des normes de l’ISSB (International sustainability standards board) sur la divulgation des informations relatives au développement durable au cours de l’année 2024[72].
On peut signaler la réglementation FCA et les Sustainability disclosure requirements (SDR) au Royaume-Uni.
Aux Etats-Unis, certains Etats ont montré la voie et de façon plus générale, les exigences de la SEC (Securities and Exchange Commission) sont croissantes et se structurent avec la publication du guide ISSB (International sustainability standards board, qui dépend de la fondation IFRS). Cet organisme a publié en juin 2023 les IFRS S1 et IFRS S2, deux normes qui ambitionnent de régir le reporting sur la durabilité des entreprises. Certes, ces normes ne sont pas à la hauteur des ESRS de l’UE, d’abord parce qu’elles ne retiennent que la matérialité financière et non la double matérialité (comme on le verra plus loin), ensuite parce qu’elles sont pour l’instant limitées aux enjeux environnementaux. Mais elles font entrer les entreprises américaines dans la logique réglementaire de publier des informations de durabilité.
En 2023, l’État américain de Californie a mis en place d’ambitieuses mesures afin de préserver le climat, marquant un tournant pour les grandes entreprises. La loi SB 253 exige que les entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel supérieur à un milliard de dollars divulguent leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), sous peine d’amendes pouvant atteindre 500.000 dollars. De plus, la loi SB 261 oblige les entreprises générant plus de 500 millions de dollars à rendre publics les risques financiers liés au climat, avec des pénalités de 50.000 dollars par infraction. La Californie, l’Illinois et l’Etat de New York travaillent sur des lois imposant aux grandes entreprises de divulguer notamment leurs émissions de gaz à effet de serre sur les trois scopes. Etant donné le poids économique de ces Etats, et la forte présence de sièges sociaux de grands groupes, ces lois auront une portée significative. Elles concerneront plusieurs milliers d’entreprises, selon une analyse de Sustainable Fitch. Comme le fait remarquer Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008 dans le New York Times, le fameux Inflation Reduction Act (IRA), voté en 2022 et qui a tant occupé l’attention des Européens « n’a pas grand-chose à voir avec l’inflation ; c’est une loi climatique ». Il prévoit en effet une décennie de subventions pour les projets d’économie verte et d’énergie solaire et éolienne.
Les normes ISSB s’« exportent » dans plusieurs pays dont le Brésil, qui a annoncé début 2024 une application obligatoire des normes de l’ISSB à compter du 1er janvier 2026 (Brazil Resolution 153). La Turquie l’a annoncé lors de la COP 28 pour 2024 et le Japon a annoncé des normes intégrant l’ISSB en 2025.
En août 2024, l’Australie a franchi une étape majeure dans la lutte contre le changement climatique en adoptant une loi qui impose un reporting climatique obligatoire aux entreprises (Climate-related financial disclosures). Ce texte législatif marque un tournant décisif dans la gestion des risques environnementaux et la transparence des entreprises face aux défis climatiques. A partir de 2025, toutes les grandes entreprises australiennes devront fournir des rapports détaillés sur leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs stratégies de gestion des risques climatiques. Cette nouvelle législation vise non seulement à renforcer la responsabilité des entreprises envers leurs impacts environnementaux, mais aussi à aligner les pratiques australiennes avec les standards internationaux en matière de développement durable. « En introduisant ces obligations, l’Australie envoie un signal fort à la communauté internationale sur l’importance d’une action concertée pour un avenir plus durable »[73].
Au-delà des Etats, des normes très structurantes de reporting commencent à s’appliquer au niveau transnational. C’est notamment le cas de la TCFD, groupe de travail sur les informations financières liées au climat (Task force on Climate-related Financial Disclosures) créé fin 2015 lors de la COP21 à la demande des dirigeants du G20. Elle est présidée par Michael Bloomberg et lancée par l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney. Son but est de pousser les entreprises et organisations à communiquer de manière transparente sur les risques financiers liés au climat afin de permettre aux investisseurs d’en tenir compte dans leurs décisions.
Deux ans après sa création, la TCFD a diffusé des lignes directrices de reporting sur les risques climat pour les entreprises et le secteur financier et un ensemble de recommandations visant à encourager un reporting financier cohérent, fiable et clair basé sur quatre piliers : la gouvernance, la stratégie, la mesure et les objectifs ainsi que la gestion des risques. Ces recommandations sont désormais largement reconnues par les gouvernements, les investisseurs et les responsables du monde de la finance.
A l’opposé de cette crainte d’une érosion de compétitivité, la CSRD va donner un coup d’avance aux entreprises européennes. En mettant en place son reporting de durabilité, l’Europe bénéficie d’un « vrai effet d’entraînement » pour « exporter les exigences de transparence à travers toute la chaîne de valeur mondiale car, rappelons-le, l’Europe est le premier marché mondial en valeur », souligne Éric Duvaud, directeur des normes de durabilité de l’Autorité des Normes Comptables. Les normes européennes ont déjà fait bouger l’IFRS et donc les normes comptables internationales, constate-t-il, et « le Japon, l’Inde ou la Chine nous regardent : un mouvement mondial a été enclenché sur la transparence ». Or, grâce à une réglementation désormais bien établie sur le sujet, « la France est très en avance sur la fiabilité des données, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne », précise encore Éric Duvaud[74].
6 – La croyance en une Europe naïve
Les adversaires de la CSRD ne manquent pas de rappeler à quel point l’Europe est naïve d’imposer des contraintes administratives à ses entreprises tout en laissant ses frontières ouvertes à des concurrents internationaux qui ne sont pas handicapés par les mêmes obligations. Les Européens seraient donc « les naïfs du village global », « des ruminants au milieu d’une horde de carnassiers ».
Dans son bilan sur le Pacte vert européen, Ophélie Risler met l’accent sur le nouveau contexte dans lequel il s’insère : « Une leçon générale ressort de ce bilan : l’Europe ne progresse plus par la libéralisation ou la dérégulation. L’Europe championne de l’ouverture des marchés a commencé à adopter une logique bien différente. Elle n’entretient plus l’espoir naïf que les pays du monde entier s’aligneront sur l’ambition écologique de l’Union européenne. Elle accepte désormais de lutter contre la déforestation importée, de mettre en place une taxe carbone aux frontières et de parler de politique industrielle communautaire »[75]. Dans cette même logique, la CSRD a retenu le principe d’extra-territorialité, que l’UE a déjà intégré au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).
La CSRD va donc s’appliquer à toutes les entreprises non européennes qui détiennent au moins une succursale ou une filiale au sein de l’UE et qui atteignent un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions €, qu’elles aient ou non leur siège social dans l’UE. Ainsi par exemple, le Conference Board, un think tank patronal américain, estime que 3.000 sociétés américaines sont concernées par la CSRD[76].
Le gouvernement américain a fait part de son mécontentement vis-à-vis des prétentions européennes concernant l’extra-territorialité, principe qu’il pratique pourtant depuis plus longtemps. Bob Eccles, l’un des grands spécialistes de la RSE, professeur à la Saïd Business School d’Oxford University, raconte dans une tribune publiée par Forbes, que les Américains voudraient infliger des contreparties aux entreprises européennes, à titre de rétorsion[77]. Lesquelles ? Aux Etats-Unis, la Section 404 de la loi Sarbanes-Oxley tient les directeurs généraux et les directeurs financiers d’entreprises cotées personnellement responsables de la qualité des systèmes de contrôle interne des sociétés. Ils souhaiteraient infliger la même obligation aux entreprises européennes actives sur le marché américain. Il semblerait que BusinessEurope n’apprécie guère l’idée. Mais on voit concrètement ici que les champions de la réglementation ne sont pas toujours de ce côté-ci de l’Atlantique…
La naïveté qui est prêtée à l’UE est en fait celle qui caractérise les adversaires de la CSRD. En effet, qu’arriverait-il si l’idée du moratoire parvenait à s’imposer comme le souhaite le Premier ministre ? Tout simplement, ce sont d’autres normes qui s’imposeraient : celles des puissances en position de définir des standards et, bien sûr, à leur avantage. En réalité, nous n’avons pas le choix entre les normes européennes ou rien, mais entre les normes européennes et celles des autres.
Bref, nous sommes au cœur d’une concurrence normative, une bataille pour poser le cadre de ce que doit être une entreprise responsable. Si l’UE venait à abandonner la CSRD, honnie par certaines organisations patronales françaises et européennes, il n’y a aucun doute : c’est la norme internationale ISSB[78], d’inspiration et de management américains qui s’imposerait immédiatement. Or, celle-ci met l’accent uniquement sur les risques financiers, son objectif étant d’assurer que les actionnaires sont conscients des risques de durabilité susceptibles d’affecter leurs investissements et la valeur future des entreprises. Au contraire, les normes européennes portées par la CSRD s’intéressent également aux impacts que les entreprises font subir à leurs écosystèmes et apportent des informations utiles à toutes les parties prenantes, pas seulement aux actionnaires. L’abrogation de la CSRD que réclame le Premier ministre accroîtrait donc la financiarisation de notre économie et rapprocherait les entreprises européennes du dogme de la valeur actionnariale.
Olivia Grégoire, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, l’a très justement souligné : « Nous avons affaire à une compétition internationale sur l’indicateur de la performance extra-financière. Ce n’est pas un sujet technique, mais bien de souveraineté européenne sur le plan économique. Nous avons déjà délégué les normes comptables IFRS aux Américains. Si nous ne définissons pas nos propres critères, les États-Unis pourraient être en mesure de nous imposer les leurs »[79]. De son côté, Bertrand Badré, ancien directeur de la banque mondiale, PDG et fondateur de Blue like an Orange affirme : « Pour éviter la concurrence entre les normes, il faudrait des normes mondiales. L’Europe est en avance et ne doit pas abdiquer »[80].
Au même titre que la comptabilité est le langage des flux financiers, l’information de durabilité est le langage de la performance. Or, les indicateurs ESG, comme les normes financières, ne sont pas neutres. Ils sont le reflet du système de pensée qui leur a donné naissance. Le court-termisme américain produit la « fair value » et les normes IFRS, qui ensuite s’imposent à la planète entière si les régulateurs européens n’y prennent pas garde.
Les adversaires de la CSRD ne cessent de brandir le danger que ferait courir la régulation, et la CSRD en particulier, à la compétitivité des entreprises européennes. C’était vrai dans le passé. Mais avec la CSRD, l’Union européenne renverse le rapport de force : la régulation est un instrument de souveraineté, et même de puissance, permettant à l’UE, premier marché de la planète, d’imposer ses standards au reste du monde.
7 – Une opposition indûment gonflée
Dans son entretien du 20 octobre 2024, Michel Barnier justifie l’idée du moratoire de la CSRD par « la période actuelle que nous traversons » et précise : « j’ai conscience des efforts que nous demandons à ceux qui travaillent et qui produisent sans que, en plus, on leur impose des normes et des contraintes déraisonnables ». La « période que nous traversons », c’est évidemment la difficile élaboration du budget 2025, qui passe par des efforts demandés notamment aux entreprises. La CSRD est ainsi réduite à une sorte de monnaie d’échange, dans une sorte de « deal », destiné à apaiser les protestations patronales.
Comme nous ne sommes pas à une contradiction près, nous en relèverons une autre : ce « deal » n’est pas équilibré puisque d’un côté Matignon insiste sur le fait que ces efforts fiscaux seront concentrés sur les grandes, voire les très grandes entreprises alors que le moratoire ne pourrait pas les concerner puisqu’elles sont déjà très engagées dans la production de leur premier rapport aux normes CSRD, attendu pour début 2025[81].
Cette opposition frontale des organisations patronales doit être mise en balance avec quatre facteurs.
1) Les entreprises, leurs dirigeants et leurs représentants syndicaux ne sont que l’une des parties prenantes impliquées par la CSRD. Pourquoi Matignon ne nous parle que de leur point de vue et ne met jamais en avant les attentes des salariés, qui souhaitent sélectionner leur employeur en tenant compte d’indicateurs fiables sur leur politique sociale et environnementale, celles des clients qui veulent sélectionner leurs fournisseurs parmi les entreprises les plus responsables, celles des ONG qui veulent suivre les engagements et les impacts des acteurs de leur domaine, celles des investisseurs, qui ont besoin d’indicateurs robustes pour orienter leurs prises de risque ? On s’apercevrait alors que les syndicats patronaux sont bien seuls, face aux autres acteurs, qui sont aussi leurs parties prenantes !
2) Ces organisations ne représentent pas tout le patronat. Or, les entreprises sont divisées sur un potentiel moratoire sur la CSRD. Comme l’écrit Béatrice Héraud, « si le patronat ‘classique’, représenté par le Medef (Mouvement des entreprises de France), la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises), le METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et l’ANSA (Association nationale des sociétés par actions) salue la démarche, l’écosystème de la RSE et de l’impact est vent debout contre ce qu’ils considèrent une hérésie »[82]. En particulier, le Centre des Jeunes dirigeants (CJD) comme le Mouvement Impact France (MIF) dénoncent le moratoire sur un outil qu’ils considèrent comme « essentiel pour structurer cette transformation ».
En France, le MIF, organisation patronale qui rassemble des entreprises engagées dans la transition écologique et sociale, estime que « repousser des réglementations comme la CSRD reviendrait ainsi à déstabiliser les stratégies longuement construites, au moment même où une stabilité est cruciale pour avancer »[83]. De son côté, Mélanie Tisserand-Berger, présidente du CJD affirme : « En tant qu’entreprises nous devons assumer nos responsabilités. Certes, il existe une complexité administrative qui pèse sur les entreprises et notamment les plus petites. Mais ne nous trompons pas de combat : il y a des réglementations qui sont essentielles pour transformer les entreprises face aux défis environnementaux et sociaux. Le fait d’avoir des règles de transparence sur la durabilité en fait partie »[84].
3) Ces organisations ne représentent pas toutes leurs parties constituantes. Malgré les déclarations très hostiles de leurs dirigeants, les organisations sectorielles (fédérations et unions) et territoriales ont souvent une approche beaucoup plus positive de la CSRD et certaines d’entre elles se sont fortement investies aux côtés de leurs entreprises pour les aider à s’y préparer. En particulier certains Medef territoriaux ont développé des démarches d’accompagnement des dirigeants dans la mise en œuvre de la CSRD.
Clément Fournier a bien montré la schizophrénie des prises de position au sein de ces organisations : « D’un côté, des représentants du Medef défendent la CSRD comme Jean-Baptiste Baroni, directeur adjoint à la transition écologique de l’organisation patronale qui déclarait lors d’une conférence : « Les entreprises ont envie d’y aller : aidons-les à aller de l’avant. (…) Le technique tend à déclencher l’angoisse mais demain le retour d’expérience permettra de faire de la CSRD une langue commune, » ajoutait-il, conscient que la CSRD est une opportunité pour « transformer les modèles d’affaires »/ D’un autre côté, le Medef s’oppose régulièrement aux réglementations européennes sur la durabilité dans ses communications institutionnelles »[85].
4) Ces organisations ne représentent pas toutes les entreprises adhérentes. Le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) a mené une étude terrain auprès des entreprises qui se sont réellement confrontées à la CSRD, à savoir les premières entreprises éligibles, qui devront publier leur reporting de l’exercice 2024 début 2025 (53% de l’échantillon) et la seconde vague qui va publier début 2026 (40% de l’échantillon)[86]. Une bonne part de ces entreprises, compte tenu de leur configuration, figurent parmi les adhérents du Medef. Leur retour sur le rapport coût / bénéfice de la CSRD est clair : 70% des répondants pensent que cette nouvelle réglementation va faire avancer les choses dans le bon sens et seuls 10% sont d’un avis contraire. Plus important encore, 70% des répondants estiment que l’arrivée de la CSRD va être un accélérateur de transformation dans l’entreprise ; ils ne sont que 5% à estimer que l’impact sera négatif.
C – Nos propositions alternatives
Ce dont la directive CSRD a besoin, ce n’est pas d’un moratoire mais d’un changement de posture. Il s’agit de remettre le déploiement de la CSRD sur les rails qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Le maintien et la confirmation de la CSRD doivent être réaffirmés sans équivoque dès que possible, afin de mettre fin aux incertitudes actuelles, préjudiciables à la bonne préparation des entreprises. Le déploiement de la CSRD doit aussi être mieux accompagné par les institutions européennes (Commission, Efrag…) et celles des pays membres. Ce réengagement constitue une décision cruciale sur la direction que nous voulons donner à nos sociétés.
1 – Offrir un meilleur avenir professionnel aux salariés de la comptabilité, du contrôle de gestion et de l’audit
Les professionnels de la comptabilité, du contrôle de gestion et de l’audit connaîtront des bouleversements de leurs métiers dus à l’extension de l’intelligence artificielle (IA). En automatisant de façon intelligente le traitement des données (saisies, enregistrements, imputations, validations, traitement des litiges, classement, recherche…) et leur interprétation, elle va contribuer à générer des gains de productivité importants au sein des services comptables et financiers.
L’arrivée de la CSRD donne aux entreprises l’opportunité de former ces personnels dont l’emploi pourrait être menacé, à la performance globale, à l’ESG et au reporting de durabilité, dans une optique de Gestion Prévisionnelle des Emplois et Parcours Professionnels[87]. Cette évolution permet, grâce au « reskilling » du personnel comptable, d’éviter des suppressions d’emplois tout en limitant les coûts encourus par la mise en place de la CSRD.
De surcroit, cette évolution permettrait de donner aux collaborateurs concernés une évolution de carrière correspondant aux évolutions à venir des professions comptables et financières. Le système d’évaluation des performances dans les entreprises, patiemment construit par les directions financières, le contrôle de gestion et le risk management, est bâti sur un concept totalement obsolète d’une comptabilité borgne qui, depuis son invention au XVe siècle sur la base des travaux du moine italien Luca Pacioli, se révèle incapable de traquer les coûts qui n’ont pas d’incidence en trésorerie. La majeure partie des coûts sociaux et environnementaux continuent à lui échapper. L’industriel Henry Ford, qui faisait remarquer dans les années 1920 que « les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes » ne serait pas contredit aujourd’hui.
Cela se traduit concrètement, par exemple, par le fait que 75 % des faillites des grandes sociétés britanniques depuis 2010 n’ont été précédées d’aucune alerte des sociétés d’audit[88]. Bertrand Badré, ancien directeur de la banque mondiale, résume l’enjeu : « Il faut passer d’une notion de profit à une notion de performance globale »[89]. Pour obtenir l’« image fidèle », chère aux financiers, et au-delà pour comprendre une entreprise et se prononcer sur ses perspectives, il est indispensable de connecter les informations financières et non financières, qui se complètent et s’articulent dans une perspective stratégique et cohérente.
La CSRD met fin à l’opposition désormais artificielle entre données financières d’un côté et extra-financières de l’autre. Elle émet un signal fort : le rapport de durabilité doit désormais être publié dans une section dédiée du rapport de gestion[90]. Certes, c’était déjà le cas en France, pays qui avait choisi cette option dans le cadre de la directive précédente (NFRD, 2014 transposée en 2017) mais ce n’est plus une option avec la CSRD, qui généralise cette obligation pour l’ensemble des Etats membres.
Devenu partie constituante du rapport de gestion, le rapport de durabilité en acquiert ainsi toutes les caractéristiques : vérification par un professionnel, CAC ou OTI, approbation par le Conseil d’administration, communication aux actionnaires, dépôt au greffe du tribunal de commerce, publication sur le site internet de la société, etc. Il en devient partie intégrante.
Guillaume Réjou décrit l’évolution de la mission des directions administratives et financières (DAF) : « Pour le directeur administratif et financier, l’application de la directive CSRD est l’opportunité d’une évolution conséquente de son rôle et de sa place dans l’entreprise. Jusqu’alors, seule la responsabilité de la santé financière de l’entreprise lui était dévolue. Avec la directive CSRD, il doit mettre en place les garde-fous indispensables face à presque tous les risques (financiers, RGPD, CSRD), avec la maîtrise de l’intégralité des données produites »[91].
Il entrevoit dans cette évolution, un futur positif pour les DAF : « Adresser des sujets humains et de responsabilité environnementale est tout nouveau pour le directeur administratif et financier mais, cela permet à ce spécialiste des chiffres de disposer d’un atout de taille. En effet, il devient le pilote d’une stratégie plus étendue de l’organisation de l’entreprise, en termes de sujets et de responsabilités, et joue un rôle plus important dans la direction générale de l’entreprise. Il peut être le sponsor d’hyper-spécialistes dans la RSE, la cybersécurité… ou encore, le manager d’une équipe plus polyvalente, promise à de nouveaux horizons, avec le traitement de sujets au coeur de la transition climatique ».
Cette évolution se mettra en place dans la durée mais elle est déjà perceptible dans les initiatives des entreprises engagées dans la CSRD. La 12e étude de Tennaxia sur les pratiques de reporting extra-financier, basée sur les réponses de 208 Directeurs et Responsables RSE et DAF d’entreprises françaises soumises à la CSRD dès cette année ou les suivantes, montre que la DAF s’impose comme un acteur clé de la mise en œuvre de la CSRD[92]. En 2024, 89% des entreprises rapportent l’implication de leur DAF dans ce processus, marquant une progression spectaculaire de 15 points par rapport à 2023. Cette progression de 15 points, c’est clairement l’effet CSRD !
L’enquête terrain menée par le Collège des Directeurs du Développement Durable auprès des premières entreprises éligibles à la CSRD montre que 75% des répondants indiquent que la collecte des données extra-financières devrait être prise en charge par un autre département que le département RSE (sachant que la majorité des répondants, 53%, appartiennent à la direction RSE) et 53% pensent que cela devrait être fait par la Finance (et 11% par l’informatique).
Hélène Valade, Présidente de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprise (ORSE), Administratrice de l’Ademe et Directrice du développement environnemental du groupe LVMH, met également l’accent sur ces ponts tracés entre DAF et RSE, qui trouvent un prolongement dans le fonctionnement des Conseils d’administration : « Un rapprochement entre les Directions financières et les Directions RSE est constaté dans différentes entreprises. Dans la conduite de cette transformation, de plus en plus de passerelles sont constatées entre les comités d’audit et les comités RSE, avec un travail commun finance/ sustainability »[93].
Ce travail commun se matérialise aussi par une extension du métier de DAF, comme en témoigne Virginie Dupérat, Group CFO chez Arcadis : « Je m’appelle directeur financier mais en fait je m’occupe de l’information financière et non financière ! (…) L’intérêt de la CSRD, c’est de nous donner un langage commun, comme dans la finance, avec sa grammaire, ses mots clés. Il faut intégrer ces éléments non financiers, qui ne sont plus ‘à côté’ mais ‘dedans’ »[94].
Pour Catherine Saire (Deloitte), « certaines entreprises, comme Bel, Danone, Kering, L’Oréal, Orange, Schneider Electric ou Veolia ont fait le pari de créer des postes de direction de finance durable ou direction impact. Ces profils expérimentés, qui sont souvent issus de promotions internes, n’ont pas nécessairement d’expérience en finance ou en durabilité, mais ils sont capables de connecter les différentes personnes et services, car ils connaissent les rouages de l’organisation. Ils réussissent à fédérer et à mener le changement »[95].
2 – Soutenir les entreprises dans leur projet CSRD
La proposition de moratoire sur la CSRD déstabilise les entreprises. Elle fait comme si elles ne s’étaient pas préparées et comme si un retour arrière était encore possible.
Certes, c’était encore le cas jusque fin 2023. « À un mois de l’entrée en vigueur de la directive CSRD en décembre 2023, 88 % des entreprises sondées par le cabinet de conseil Baker Tilly estimaient ne pas être prêtes »[96]. Mais la situation a connu une forte accélération dès le début 2024.
La 12e étude de Tennaxia sur les pratiques de reporting extra-financier intitulée « CSRD : où en sont les entreprises » permet de faire le point[97] :
- Pour les entreprises auditées en 2026, 88% des entreprises concernées déclarent être bien informées (soit 69% qui pensent être relativement bien informées et 18% se disant très bien informées).
- Concernant les entreprises qui seront auditées en 2025, 78% déclarent être bien informées (soit 54% qui pensent être relativement bien informées et 24% se disant très bien informées).
Les plus grandes entreprises sont encore mieux préparées. En janvier 2024, un tiers des grands groupes du CAC40 s’étaient déjà attaqués à la question, selon le cabinet BCG[98] : « Certains avaient déjà publié leurs analyses de double matérialité, la plupart multiplient les formations et séminaires sur le sujet. Des « chief sustainable finance officers » (directeurs de la finance durable) commencent à être nommés, symboles de l’émergence de cette nouvelle approche financière des enjeux de durabilité ». Concernant le SBF120, dont le cabinet BL évolution a analysé les documents d’enregistrement universel (URD) 2024, la « prise de conscience est là »[99]. Cela se traduit par une mention de la CSRD dans 90% des près de 90 rapports étudiés. 17% ont déjà pris les devants et publient un rapport structuré selon les exigences de la CSRD et certains vont même plus loin en citant explicitement les ESRS.
C’est vrai également à l’échelle européenne : le « Baromètre RSE » de Forvis Mazars publié en septembre 2024, qui analyse le contenu des rapports extra-financiers de 255 sociétés cotées parmi les plus grandes de 15 pays européens, dont celles qui composent le CAC 40 et le SBF 120 en France, montre que 25% des entreprises du panel ont publié, en avance de phase, une analyse de double matérialité en référence aux ESRS couvrant les volets environnementaux, sociaux et de gouvernance. L’étude de PwC de juin 2024 auprès de 547 dirigeants d’entreprises soumises à la CSRD opérant en Europe montre qu’environ 95% des entreprises européennes disent être confiantes sur le fait qu’elles seront prêtes dans les temps[100]. 80% ont d’ailleurs déjà complété (ou sont en voie de le faire) leur analyse de double matérialité, et près des deux tiers sont déjà engagées dans la récolte des données. Plus de 75% des entreprises interrogées ont déjà engagé leurs équipes de durabilité, leur direction financière et leurs comités exécutifs dans la démarche, dans le cadre d’un pilotage partagé du reporting.
L’étude terrain mené par le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) auprès des premières entreprises éligibles qui devront publier leur reporting de l’exercice 2024 début 2025 (53% de l’échantillon) et la seconde vague qui va publier début 2026 (40% de l’échantillon) montre que cette préparation s’applique jusqu’au plus haut des sphères décisionnelles des entreprises, à la fois du côté de l’exécutif (67% des répondants indiquent que la Direction générale suit directement les travaux de mise en place de la CSRD) et du côté de la gouvernance (53% des répondants indiquent que les Conseils d’Administration ont demandé un point d’avancement sur la CSRD)[101].
Plutôt qu’un combat d’arrière-garde contre la CSRD, le gouvernement et les organisations patronales seraient mieux inspirés d’offrir aux entreprises un appui à la mise en œuvre de la CSRD. C’est d’autant plus nécessaire qu’un projet CSRD se gère de façon horizontale et non pas en silos selon les bonnes vieilles habitudes. L’étude de Tennaxia citée plus haut (208 Directeurs/Responsables RSE et DAF d’entreprises françaises soumises à la CSRD) montre quels sont les services fonctionnels impliqués dans ces projets. La Direction Administrative et Financière (DAF) s’impose comme un acteur clé de la mise en œuvre de la CSRD, avec 89% des entreprises qui rapportent leur implication dans ce processus. Elle est suivie de près par le service RH avec 81% et la direction RSE (74%). Curieusement, les autres directions sont impliquées à moins de 50%, ce qui n’est pas très bon signe…
Source : Tennaxia, « CSRD : où en sont les entreprises », octobre 2024
Il s’agit de travailler en mode projets, de façon transversale. L’ensemble des phases d’un projet CSRD (conduire l’analyse de double matérialité, réaliser l’analyse d’écarts…) nécessite la collaboration des différentes fonctions dans l’entreprise : RSE / développement durable, financière, « risk management », stratégie, juridique, opérationnelle, produit, R&D, éthique, ressources humaines, communication, affaires publiques… Or, beaucoup d’entreprises ne sont pas habituées à ce mode de conduite du changement.
C’est pourquoi nous soutenons une proposition formulée par la délégation aux entreprises du Sénat : « Sans même attendre les normes sectorielles que l’EFRAG proposera, qui ont été repoussées [NdA : en février 2024, de juin 2024 à juin 2026], les fédérations professionnelles ont un rôle de premier plan à jouer, tout comme les réseaux consulaires, pour s’approprier les nouvelles obligations de transparence. Or, à ce jour, elles ne sont pas assez mobilisées, comme l’on fait ressortir les auditions. (…) Elles doivent entreprendre rapidement une campagne de sensibilisation à destination des PME et TPE afin d’expliquer en quoi l’utilisation volontaire des normes simplifiées est un atout au service d’une démarche durable et un outil de compétitivité. La délégation recommande de mobiliser les fédérations professionnelles afin de permettre l’appropriation des enjeux de la directive CSRD par toutes les entreprises et de préparer les normes sectorielles »[102].
L’Etat pourrait faire beaucoup pour aider concrètement les entreprises à s’emparer plus facilement de la CSRD. Ainsi par exemple, il n’a pas réussi à convaincre l’Efrag que le Français est l’une des langues officielles de l’UE, si bien qu’une partie conséquente des documents n’est disponible qu’en Anglais. Pourquoi l’Etat ne prend-il pas en charge une traduction « officielle », ce qui éviterait à chacune des entreprises de faire ce travail et de se confronter aux subtilités de certains termes et concepts ?
De même, comme le dit pudiquement le rapport sénatorial cité plus haut, l’Efrag « est constitué de beaucoup d’experts de l’audit, mais pas assez de représentants des entreprises »[103]. Le résultat est un corpus normatif volumineux tout en manquant parfois de clarté et de pragmatisme. Or, « aucun accompagnement public pour financer la pédagogie en direction des entreprises n’est pour l’instant prévu, les laissant seules face aux marchands de la complexité. L’accompagnement devrait cibler en priorité les ETI nouvellement concernées par la directive pour lesquelles celle-ci représente un ‘saut quantique’ selon un dirigeant auditionné »[104].
3 – S’attaquer vraiment au problème de la lourdeur administrative
Oui, les entreprises sont étouffées par la prolifération des normes, en Europe et spécifiquement en France. Oui, BusinessEurope et le Medef ont raison d’attirer l’attention sur ce poids qui, dans de nombreuses situations, pénalise la compétitivité. C’est d’ailleurs l’ancienne présidente de BusinessEurope qui a inventé le slogan “Les Américains innovent, les Chinois copient et les Européens réglementent…”, qui a fait flores et résume les dilemmes de l’Europe et de la France, même s’il est en grande partie injuste.
Injuste parce que la Chine n’est plus simplement « l’atelier mimétique du monde » et investit fortement en R&D. Mais injuste aussi parce que l’Europe n’a pas le monopole de la bureaucratie et des lourdeurs administratives. En juin 2014, le magazine The Economist, réputé pour la ferveur de son libéralisme, estimait le coût de la bureaucratie aux Etats-Unis à 1.860 milliards de dollars pour 2013, soit 15.000 dollars par ménage et rappelait qu’aux Etats-Unis, les entreprises font face à « des réglementations qui se superposent au niveau fédéral, à celui des Etats et enfin des localités ». A chacun son millefeuille…
Dans son rapport évoqué en introduction du présent document, Mario Draghi constate que le flux de réglementations européennes augmente plus vite que dans toute autre économie comparable. Il estime à 13.000 le nombre d’actes législatifs (directives, actes délégués, règlements, etc.) adoptés entre 2019 et 2024. La nouvelle Commission européenne a d’ores et déjà décidé de réagir. Elle a désigné un commissaire à la simplification, Valdis Dombrovskis, placé sous la responsabilité du vice-président Stéphane Séjourné, pour conduire une politique dont l’objectif, affirmé par les chefs d’État européens au sommet de Budapest début novembre 2024, est de réduire, au premier semestre 2025, les obligations de reporting des entreprises de 25 % et de 35 % pour les PME[105].
Mais considérons aussi les propos d’un autre ancien président du Conseil italien, Enrico Letta, qui a remis un rapport à la Commission quelques semaines avant Mario Draghi. Voici ce que nous dit celui qui préside aujourd’hui l’Institut Jacques Delors : « En Europe, il existe 27 droits des affaires et 27 régimes fiscaux différents. D’un point de vue juridique, c’est incroyablement complexe. Mon idée est de créer un 28e Etat, doté d’un droit des affaires européens unique. Cela simplifierait considérablement les choses pour les entreprises »[106]. La CSRD est le règlement intérieur de ce 28e Etat. Il y a des normes qui étouffent et inhibent. Au contraire, la CSRD est une norme qui unifie.
De même, s’il y a des normes peu pertinentes, il y a aussi des bonnes normes. « Les temps sont au ‘normes-bashing’, pourtant, toutes les normes ne sont pas délétères et certaines sont même des appuis », a justement affirmé Olivia Grégoire, à l’époque ministre déléguée aux PME, en soutien de la CSRD[107].
C’est tout aussi vrai à l’échelle internationale. S’appuyant sur une enquête menée auprès de 2.152 cadres issus de 727 grandes organisations dans le monde (chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard de dollars), l’étude du Capgemini Research Institute montre que 69% des cadres affirment en 2024 (contre 57% en 2023) que la capacité à anticiper des réglementations plus strictes est un déterminant essentiel des politiques de développement durable. Plus spécifiquement, 75% disent que les réglementations dans le domaine du développement durable sont nécessaires pour atteindre les objectifs globaux de lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, 65% reconnaissent que « sans les réglementations, mon organisation n’aurait pas lancé autant d’initiatives environnementales »[108].
Le domaine adressé par la CSRD est par nature demandeur de normalisation : il s’agit de créer un langage commun, des méthodologies robustes et la confiance autour d’une grammaire partagée. Les concepteurs de la CSRD ont essayé avec, nous semble-t-il une certaine réussite, de créer un ensemble de normes souple et adaptable. La norme permet aussi de mettre toutes les entreprises à égalité de contraintes et d’éviter les comportements de passager clandestin.
Les dangers qui menacent le monde (creusement des inégalités, raréfaction des matières, déclin de la biodiversité, changement climatique, pollution de l’air, tensions sur les ressources en eau…) menacent aussi les entreprises. « Finalement, est-ce qu’une entreprise peut vraiment se déclarer profitable si c’est une bombe à retardement sociale ou une poubelle environnementale ? » s’interrogeait justement Geneviève Creuzet Férone, Cofondatrice et associée chez Prophil[109]. Comme le disait Claude Fussler, fondateur du concept d’éco-innovation, lors de la Conférence de Johannesburg (2002), « il n’est pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd ».
Un article du Figaro nous apprend que « les équipes de Bercy » cherchent à réduite la charge administrative que fait peser la CSRD : « Nous sommes très attentifs aux craintes exprimées par les ETI et les PME sur la charge que représente son application, explique-t-on au ministère des Finances. Nous travaillons aujourd’hui à trouver le bon équilibre pour l’application de la directive, en limitant la charge qu’elle peut porter sur les plus petites entreprises »[110]. Cette approche nous paraît bien meilleure que celle du moratoire, d’autant que l’Etat peut beaucoup dans ce domaine.
En effet, s’il est souhaitable de diminuer le fardeau administratif qui pèse sur les entreprises, une approche de mise en cohérence serait préférable aux tentatives d’entraver le déploiement de la CSRD. Pour la France, par exemple, l’exercice reste à faire, consistant à cartographier les informations CSRD déjà exigées par
- la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), réceptacle de statistiques et d’indicateurs nourrissant le dialogue social, qui s’applique aux entreprises de plus de 50 salariés[111],
- le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP),
- le bilan social (qui s’applique aux entreprises de plus de 300 salariés),
- l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, créé par la loi du 5 septembre 2018,
- le rapport annuel de situation comparée des hommes et des femmes,
- le bilan carbone, obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés (ou 250 dans les DOM) depuis la loi Grenelle II,
- …
Le fameux principe « Dites-le-nous une fois » devrait s’appliquer ici[112].
Ce type d’approche permettrait de simplifier le travail des entreprises qui, dans leur projet de mise en place de la CSRD, doivent réaliser une cartographie des différents systèmes d’information existants (ERP, SIRH, logiciels comptables, supply chain et achats…) afin d’identifier les systèmes manquants pour construire un dispositif de reporting robuste. De même, l’Etat doit demander à toutes ses administrations (y compris Bpifrance et la Banque de France) d’harmoniser leur propre questionnaire sur la durabilité avec la CSRD, afin que le rapport de durabilité serve pour toutes les demandes.
Cette approche de la simplification consiste finalement à s’approprier un concept qui s’épanouit dans le domaine du développement durable, celui de sobriété.
Bien sûr, la démarche de cohérence que nous proposons ici est plus exigeante et difficile que de se contenter de demander un moratoire, mais elle serait plus profitable pour les entreprises et permettrait de donner un contenu à la notion de simplification, brandie depuis dix ans, qui manque de réalisations concrètes. Il s’agit pour l’Etat de sortir du cadre et de changer radicalement de posture : au lieu de demander un moratoire de la CSRD à des fins de simplification, il faut pérenniser la CSRD en tant qu’outil de simplification.
4 – Desserrer la pression de l’oligopole professionnel du chiffre
L’Organisme Tiers Indépendant (OTI) ou le commissaire aux comptes (CAC) désigné réalise l’audit obligatoire des états de durabilité. La transposition de la CSRD précise que la Haute Autorité de l’audit (H2A), anciennement H3C, supervisera les OTI et les CAC accrédités à auditer les informations.
Les résultats de l’étude Tennaxia citée plus haut mettent en évidence la victoire (à ce stade) des seconds sur les premiers : « Seulement 14% des entreprises répondantes envisagent de se faire auditer par un OTI. En revanche, 51% préfèrent se faire auditer par le même commissaire aux comptes que pour leurs données financières. La facilité est l’une des premières raisons évoquées ». Cela augure mal d’une sortie de l’oligopole professionnel du chiffre, c’est-à-dire de la domination du marché exercés par les « Big Four » de l’audit. Et c’est dommage, car ces choix opérés par les entreprises ont une incidence sur les prix pratiqués d’une part et sur les capacités d’innovation d’autre part. C’est en effet se priver de professionnels qui maitrisent bien la chose environnementale comme la chose sociale, qui proviennent d’une diversité d’origines professionnelles : avocats, organismes certificateurs, cabinets spécialisés en études d’impact ou en RSE et développement durable.
En termes de compétences, les forces sont inégales :
- Quelques OTI validés par le Cofrac « contre » 21.600 experts-comptables et plus de 7.400 stagiaires, 11.200 commissaires aux comptes, 19.400 cabinets d’expertise comptable employant 170.000 collaborateurs…
- 90 heures de formation requises pour le vérificateur du rapport de durabilité « contre » 7 ans d’études pour l’auditeur du rapport financier.
Nous recommandons donc de ne pas choisir un CAC par « quasi-automatisme », mais de considérer aussi le vivier des OTI, qui apportent des compétences et de l’expérience dans le domaine de la RSE, du développement durable et de l’analyse d’impact. Les Big Four ont porté le terme « CAC de durabilité » qu’ils ont réussi à imposer pour désigner l’OTI, de façon à exprimer leur volonté de préempter cette nouvelle activité, qu’ils ont vu d’abord comme une voie de diversification de leurs activités, puis comme un espace naturel faisant partie intégrante de leur métier.
De même, nous recommandons aux administrateurs de ne pas se reposer uniquement sur le comité d’audit. C’est une donnée peu connue mais les missions du comité d’audit relatives au processus d’élaboration des informations de durabilité et à la mission de certification de ces informations peuvent être confiées à un autre comité spécialisé du conseil d’administration. La France a choisi de lever cette option prévue par la CSRD. Ainsi, les missions concernant le suivi des questions relatives à l’élaboration et au contrôle des informations en matière de durabilité peuvent être exercées par un comité spécialisé distinct de celui assurant le suivi des questions relatives à l’élaboration et au contrôle des informations comptables et financières.
Bien entendu, on pense ici au comité RSE, dont les entreprises françaises sont désormais bien dotées. D’après les chiffres de l’IFA et d’Ethics&Boards, la proportion des Conseils d’administration au sein du SBF120 qui se sont dotés d’un comité RSE était de 26% en 2015 et 49% en 2019, mais est passée à 70% en 2021 et 86% en 2024[113]. La CSRD doit être l’occasion d’articuler un partenariat entre le comité d’audit et le comité RSE.
Les entreprises sont manifestement challengées par les auditeurs, tant sur le nombre d’enjeux identifiés comme matériels, que sur les raisons les ayant conduits à ne pas juger matériel tel ou tel thème. En effet, contrairement aux vérifications des DPEF, les justifications à « dire d’expert » semblent désormais bien moins accueillies. Fabrice Bonnifet, président du C3D, le collège des directeurs du développement durable, l’affirme : « il convient de calmer d’entrée de jeu les velléités d’exhaustivité d’application des organismes vérificateurs »[114].
Un exemple parmi beaucoup : Vincent Frambourt, commissaire aux comptes chez Grant Thornton : « Ce n’est pas insurmontable. Sur le millier d’indicateurs listé dans le questionnaire, on en retient en général entre 400 et 500 de prioritaires pour une ETI »[115]. Une analyse de matérialité bien menée peut parfaitement aboutir à un nombre de points de données beaucoup plus modeste.
Un deuxième reproche est bien résumé par Dominique Pialot dans un article de La Tribune qui rappelle que toutes les entreprises ne souhaitent pas le moratoire : les auditeurs « mandatés pour auditer les rapports de durabilité des entreprises (…) auraient tendance à faire du zèle en allant au-delà des exigences de la H2A (Haute autorité de l’audit) qui les encadre. (…) Des auditeurs manquant d’expérience auraient tendance à compenser leur maîtrise approximative du sujet par une trop grande sévérité »[116].
Il faut en conséquence affirmer officiellement une souplesse sur les audits de conformité pendant 3 ans. Nous soutenons cette proposition énoncée par Alan Fustec, président du cabinet Goodwill, dans sa lettre ouverte à Michel Barnier diffusée sur LinkedIn : « Voici une recommandation : ne changez pas le calendrier mais accordez officiellement de la souplesse sur les audits de conformité pendant 3 ans. Nous passons beaucoup de temps sur le terrain à discuter de risques de non-conformité à un niveau de détail excessif. Les normes sont jeunes et vont murir, s’épurer, se bonifier, etc. Ne changeons rien à la dynamique générale qui est vitale mais évitons des pertes de temps énormes à ergoter sur des détails »[117].
C’est ce que la H2A a entériné à sa manière, en précisant que l’audit obligatoire des états de durabilité sera mené avec une assurance limitée initialement, évoluant vers une assurance raisonnable à partir de 2028. Ainsi, la H2A va dans le sens de la progressivité, ce qui laisse jusqu’en 2028, une véritable marge de manœuvre pour les entreprises nouvellement soumises. Cette posture de progressivité a d’ailleurs été confirmée par les commissaires aux comptes Emmanuel Thierry (associé chez Forbis-Mazars), Olivier Arthaud (fondateur d’Arthaud et associés), et Patricia Savin (associée chez DS Avocats) lors de la Table Ronde « Audit de la CSRD et des plans de transition », organisée par Tennaxia au salon Produrable en octobre 2024.
5 – Faire (enfin) la pédagogie de la CSRD comme levier de compétitivité
Si certaines entreprises et certaines organisations patronales se font bruyamment entendre dans leurs critiques de la CSRD, ce n’est pas le cas des autres parties prenantes.
Prenons le cas des investisseurs. Les banques et les investisseurs intègrent déjà les critères ESG dans leurs prises de décision, notamment parce que la directive SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) les y incite depuis 2021 avec le « green asset ratio ». Fin 2022, 57 % des entreprises du SBF 120 interrogées par Redbridge Debt & Treasury Advisory avaient déjà mis en place des financements intégrant des indicateurs de performance durable (contre 35 % un an auparavant)[118]. L’économiste Alex Edmans et deux de ses collègues ont étudié les choix d’investissements opérés par 509 gestionnaires de portefeuilles de fonds et montrent que 77% d’entre eux sont influencés par les performances environnementale et sociale dans leurs décisions d’investissement[119].
En 2022, les prêts conditionnés, pour tout ou partie, à des mesures de performances extra-financière ont représenté 36% du volume total des nouveaux prêts accordés à des entreprise en Europe, selon le BCG[120]. De ce fait, les entreprises les plus engagées en matière de développement durable ont obtenu un taux de financement inférieur (pour 50 à 100 points de base) à ceux de leurs concurrents les moins avancés sur le sujet.
Conclusion : les investisseurs et établissements financiers ont besoin des données CSRD pour orienter leurs investissements et leurs prêts ; les entreprises ont intérêt à leur fournir pour rester dans la course.
Qu’en est-il des clients ? Une enquête du Capgemini Research Institute menée auprès de 6.500 consommateurs dans 13 pays met en évidence un scepticisme croissant parmi les consommateurs, avec 52 % d’entre eux convaincus que les entreprises pratiquent l’écoblanchiment, une augmentation très significative par rapport aux 33 % observés en 2023[121]. Dans ce contexte, la transparence et la responsabilité sont devenues des éléments essentiels pour regagner la confiance du public.
Qu’attendent les collaborateurs ? La presse regorge d’enquêtes et de sondages qui affirment que les salariés, les jeunes diplômés, veulent travailler dans des entreprises engagées, qui maîtrisent leurs impacts, qui investissent sur les enjeux sociaux et environnementaux. L’enjeu de marque employeur est bien identifié, mais comment distinguer le bon grain de l’ivraie ? Les indicateurs CSRD vont leur permettre de comparer leurs employeurs potentiels. Dans une seconde étape, ils seront appropriés par des agences de notation et des cabinets d’étude spécialisés qui se chargeront de collecter les données, de les trier par secteurs d’activité, territoires d’implantation et tout autre critère pertinent, de les synthétiser et de publier des « palmarès » sur les différentes dimensions (QVCT, climat, biodiversité…). Il en existe d’ailleurs déjà beaucoup mais il est de l’intérêt de tous que la qualité des données qui les alimentent soit améliorée.
La question montante du sens au travail, qui génère de nombreux débats dans les entreprises, n’est rien d’autre qu’une manifestation de l’insuffisante prise en compte de la performance globale par les entreprises, c’est-à-dire des données de durabilité. Comment, en effet, trouver du sens à son travail lorsqu’il se réduit à une exigence de production de valeur pour les seuls actionnaires ? Comment trouver du sens à son travail si sa dimension sociale, ce que l’on appelait autrefois son « utilité sociale » n’est pas affirmée, si sa contribution aux grands enjeux du monde n’apparaît pas comme une évidence ?
Et les organes de gouvernance ? Ils ne peuvent plus se contenter d’une position de surplomb. La CSRD va les aider à rentrer dans le vif du sujet. La norme ESRS2 demande une description de la composition, des rôles et responsabilités, de l’expertise et des compétences des membres des organes d’administration, de direction et de surveillance, définis comme les organes de gouvernance investis de la plus haute autorité décisionnelle dans l’entreprise, y compris leurs comités, en lien avec les enjeux de durabilité. Elle demande une description de la manière dont ces organes sont informés des enjeux de durabilité (s’ils le sont, par qui et à quelle fréquence) et de la manière dont ces enjeux ont été traitées au cours de la période de référence. Elle demande enfin des informations sur la prise en compte des résultats en matière de durabilité dans les systèmes d’incitation de leurs membres (indicateurs de résultats utilisés, part dans la rémunération variable, etc.).
Malgré les intérêts évidents des parties prenantes, beaucoup de responsables politiques français et européens ont peu à peu abandonné la défense du Pacte Vert : très peu d’entre eux ont essayé d’enclencher un débat public à ce sujet dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de 2024, de présenter les mesures environnementales ou sociales comme des investissements sur le long terme, riches de solutions et de progrès. Ils ont au contraire laissé la transition écologique et sociale apparaître progressivement comme un ensemble de limitations, d’interdictions, de sanctions ou de coûts. Ils ont ainsi validé l’idée principale des nationalistes et des populistes en la matière : la transition écologique et sociale est essentiellement « punitive », et parce qu’elle affecte nos modes de vie, elle s’en prend à notre identité.
Or, la CSRD est justement l’outil qui va mettre en lumière les bénéfices de cette transition. Mais elle souffre du même déficit de pédagogie. Ses concepteurs ne se sont guère préoccupés du « service après-vente »… et encore moins de son avant-vente. Où est le texte expliquant de façon rigoureuse pourquoi cette directive a été créée et les progrès concrets qu’elle va apporter aux entreprises ? Il est temps de faire un effort que les responsables de l’Union Européenne (UE) ont cru devoir s’éviter : comprendre et expliquer comment la CSRD apporte aux entreprises l’indispensable outil de management de la performance dont elles ont cruellement besoin[122].
Soyons clairs, la dénomination même de CSRD est une erreur stratégique. Elle ancre la directive dans le reporting, terme ô combien repoussoir. Dans « l’inconscient collectif » des dirigeants et des managers, le reporting, quel qu’il soit, est perçu d’emblée comme une source de perte de temps, à l’efficacité douteuse. Elle présente le reporting comme une fin en soi, ce qu’il n’est bien évidemment pas. La CSRD, dans la logique du Pacte vert, est un levier de création de valeur et de transformation durable des modèles d’affaires des entreprises. C’est ce qu’il fallait montrer et expliquer aux entreprises, notamment aux PME.
Les entreprises les plus avancées dans la mise en œuvre l’ont déjà compris : selon l’étude de Tennaxia citée plus haut, « la CSRD marque la fin du reporting rétroviseur ! Alors que la remontée annuelle des indicateurs aux instances de direction de l’entreprise était plébiscitée en 2022 avec 55% des entreprises répondantes, elles ne sont plus que 1% aujourd’hui ». Les remontées semestrielles (15%), trimestrielles (21%), voire mensuelles (19%) sont plus nombreuses.
Cette évolution marque l’entrée du reporting de durabilité dans l’ère du pilotage de la performance durable des entreprises. En ce sens, il eut été bien préférable de mettre en avant l’idée de transformation et de l’appeler CSTD pour Corporate Sustainable Transformation Directive. Son orientation prospective est une innovation majeure de la CSRD, qui va aider les dirigeants à mieux guider les parties prenantes (les analystes financiers et les investisseurs, mais pas seulement) sur leurs perspectives d’avenir. « Dans sa déclaration relative à la durabilité, l’entreprise met en évidence les liens appropriés entre les informations rétrospectives et prospectives, le cas échéant, afin de bien faire comprendre le rapport entre les informations historiques et les informations prospectives »[123]. Cependant, cette orientation prospective de la CSRD est peu identifiée aujourd’hui par les dirigeants.
Alors que l’idée du moratoire a été poussée par des organisations patronales, les entreprises elles-mêmes n’ont pas la même vision lorsqu’on prend la peine de les interroger. C’est ce qu’a fait l’institut de recherche de Capgemini en interrogeant 2.152 cadres dirigeants dans 13 pays dans le monde[124]. Ils ont répondu à 73% que la CSRD aide à améliorer la mesure des impacts. Et les Français (75%) sont même un peu au-dessus de la moyenne, ce qui est très rare, s’agissant d’une réglementation. C’est aussi le cas des Italiens (85%), présentés comme des alliés de la France dans la demande de moratoire (mais pas des Allemands, eux aussi alliés : 60%). Cette vision positive est confirmée par les résultats de l’étude menée par le C3D, citée précédemment.
N’oublions pas que la CSRD va concerner non seulement les entreprises européennes mais aussi les entreprises opérant en Europe. Le cabinet PwC s’est intéressé à ces deux types de grandes entreprises. Son étude auprès de 547 dirigeants d’entreprises soumises à la CSRD opérant en Europe, dont 60% ont leur siège dans l’Union Européenne, montre que beaucoup voient dans la CSRD une opportunité à saisir pour améliorer leurs processus internes[125]. Parmi les dirigeants dont l’entreprise doit publier un reporting en 2025, 57% voient ainsi dans la CSRD un levier pour améliorer leur performance environnementale et 52% y voient une manière de mieux engager leurs parties prenantes externes et internes. Pour la moitié d’entre eux, la CSRD est même un outil utile pour mieux gérer et atténuer les risques pour les entreprises. D’autres encore citent parmi les bénéfices de la mise en œuvre de la CSRD l’accès à un capital à moindre coût, dans un contexte où de plus en plus d’investisseurs sont attentifs aux données ESG fournies par les entreprises. La majorité des entreprises européennes voient dans la CSRD une opportunité pour rester en avance sur les entreprises chinoises ou américaines en matière de planification durable notamment. En résumé, près d’une entreprise sur deux identifie dans la CSRD un réel avantage compétitif.
Un deuxième apport de cette étude de PwC est qu’elle montre que plus les entreprises sont engagées dans la CSRD, plus elles en constatent les bénéfices. Sur tous les aspects testés par l’étude en matière d’avantages, tels que meilleure performance environnementale, meilleure gouvernance d’entreprise, accès au capital, ou avantage concurrentiel, les entreprises qui feront leur premier reporting en 2025 sont toujours plus positives que celles qui commenceront en 2026. C’est à notre sens un effet de ce déficit de pédagogie : les bénéfices de la réforment ne se conçoivent pas de façon abstraite, ils se matérialisent par l’expérience.
Dans la même veine, lors du salon Produrable (octobre 2024), des entreprises soumises ont parlé de la CSRD comme une véritable opportunité business. Pour ces entreprises qui ont pris la CSRD par le bon bout, pour celles qui sont largement engagées dans sa mise en œuvre, l’annonce inattendue d’un possible moratoire a jeté un voile d’incertitude, non seulement sur la directive, mais aussi sur sa finalité, la durabilité des entreprises.
Dans un précédent rapport de Terra Nova consacré à la CSRD, nous détaillons les avantages tangibles apportés par la CSRD au développement des entreprises françaises et européennes[126]. La directive les accompagne dans leur entrée dans l’économie d’impact, elle leur procure une démarche stratégique et innovante avec le concept de double matérialité, elle leur apporte un cadre d’actions soutenable avec la performance globale, elle met fin à l’opposition stérile entre les enjeux financiers et « extra-financiers », elle leur permet de se différencier sur de nouveaux critères de compétitivité, elle favorise de nouvelles régulations avec leurs parties prenantes, elle promeut une implication décuplée des dirigeants et des Conseils d’administration.
Car oui, la CSRD fait entrer la RSE dans une nouvelle ère, celle de la durabilité et c’est tout sauf neutre. Une RSE enfin assumée par la gouvernance, incarnée par la DG et les lignes managériales, une RSE véritablement intégrée dans la stratégie et pilotée en mode projet par des plans d’action et des indicateurs clés de performance pour en mesurer l’efficacité.
6 – Faire de la CSRD et du Pacte vert l’ossature du nouveau projet européen
La CSRD est un chaînon essentiel du Pacte vert (« Green Deal ») européen, adopté en 2020 et mis en place par l’Union européenne pour atteindre ses objectifs ambitieux à l’horizon 2050. On a souvent tendance, du fait de son nom et de son objectif ultime (faire de l’UE le premier continent neutre en carbone d’ici 2050) à réduire le Pacte vert à son versant climatique. Il est en fait beaucoup plus large puisqu’il se veut une feuille de route vers « une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 et dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources ».
Cet objectif résume la stratégie de développement de l’UE, dont on espère qu’elle sera réaffirmée par sa présidente reconduite, Ursula von der Leyen, qui en présentant le Pacte vert en décembre 2019, comparait ce moment européen « à celui de l’homme qui marche sur la Lune », pour bien situer la hauteur des enjeux.
Après une première phase de déploiement relativement consensuelle, le Pacte a rencontré des oppositions de plus en plus fortes, notamment à l’encontre d’un supposé excès de normes environnementales, à la suite des protestations du milieu agricole mais aussi, plus généralement, des milieux patronaux, dans de nombreux pays de l’Union[127]. Les résultats des élections européennes de juin 2024 permettent de préserver la coalition qui a construit le Pacte Vert mais renforcent les partis qui s’y opposent. L’UE doit trouver la force de donner au Pacte vert le second souffle dont elle a besoin pour se positionner favorablement dans le nouvel « ordre » mondial qui se dessine, notamment avec la réélection de Donald Trump aux Etats-Unis et la rupture de la coalition gouvernementale en Allemagne[128].
D’autant plus que le Pacte vert fonctionne. Dans un rapport publié le 31 octobre 2024, l’Agence européenne pour l’environnement a publié les indicateurs clés sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. Elles ont diminué en 2023 de 8,3 % et représentent en cumul depuis 1990 une baisse de 37 %. L’Union européenne représente 6,1 % des émissions mondiales, pour 5,8 % de la population mondiale.
La CSRD doit être conçue comme l’outil qui va permettre d’accompagner la transition du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui vers le « capitalisme des parties prenantes ». L’Union Européenne ne peut se satisfaire ni du capitalisme actionnarial américain ni du capitalisme d’Etat à la chinoise, deux systèmes qui consacrent la domination d’une seule partie prenante, respectivement les actionnaires et l’Etat. C’est à elle de tracer cette troisième voie originale.
La CSRD va contribuer au déploiement du Pacte vert et à son acceptabilité sociale et économique car elle va mettre en lumière des progrès de la transition réalisés par les entreprises. Car l’UE est à un tournant. Face aux défis sociaux et environnementaux, doit-on inciter les entreprises et les investisseurs à modeler la nature selon leurs critères financiers, comme le suggère l’approche de simple matérialité (ou matérialité financière), poussée par les anglo-saxons ? Ou doit-on accepter que les limites imposées par la nature dictent une double matérialité, où les impacts réciproques des entreprises et de l’environnement sont intégralement considérés ?
C’est à cette question fondamentale de la finalité de l’entreprise que nous confronte la CSRD, qui marque un tournant crucial pour l’Europe, intégrant pour la première fois le concept de double matérialité. Cette approche ne se limite pas à évaluer l’impact des enjeux environnementaux et sociaux sur les entreprises ; elle examine également dans quelle mesure les entreprises affectent la société et l’environnement. Cela constitue une étape fondamentale vers des pratiques d’affaires plus transparentes et responsables.
En cela, la CSRD initie un dialogue crucial sur la nécessité pour les entreprises de contribuer activement à résoudre les défis sociaux et environnementaux, au lieu de simplement limiter leurs impacts négatifs. Malgré certaines critiques, la vraie question soulevée par la CSRD est la redéfinition de l’entreprise. L’UE se trouve au cœur d’une lutte culturelle et normative qui redéfinira la place des entreprises dans la société.
De nombreux dirigeants ont parfaitement compris cette opportunité. Dans une tribune de soutien à la CSRD publiée par le quotidien Le Monde, dix-neuf dirigeants de grandes entreprises françaises dont Accor, Blablacar, Crédit Mutuel, Decathlon, Doctolib, la MAIF, OVH, Renault, Veolia, Voyageurs du Monde…, ont plaidé en faveur d’un texte ambitieux : « Le rôle social des entreprises, créatrices de richesses, pourvoyeuses d’emplois mais aussi vectrices et pour une grande part gardiennes de la soutenabilité de l’économie sur le long terme, est fondamental ; l’UE doit maintenant assumer ses spécificités afin de permettre aux futures normes internationales de les intégrer. (…) La pérennité de notre modèle économique et juridique en dépend. Nous devons conserver la maîtrise des règles qui régissent nos échanges commerciaux, pour y maintenir nos normes et nos valeurs juridiques, concurrentielles, environnementales et sociales et ne pas les voir disparaître ou être absorbées dans des systèmes de règles moins-disants. (…) Une mise en œuvre ambitieuse de l’information extra-financière permettra aux entreprises opérant en Europe d’être à l’avant-garde d’un nouveau modèle économique à la hauteur des enjeux humains, sociaux et environnementaux du XXIe siècle »[129].
Brune Poirson, Directrice du développement durable du groupe Accor (et ancienne Secrétaire d’Etat à la transition écologique) a bien résumé les enjeux lors de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés organisée par l’IFA en mai 2024 : « Les Chinois sont très pragmatiques et font [du reporting de durabilité] un outil de puissance. Tel était d’ailleurs l’esprit de la CSRD. Le régulateur européen s’est emparé de la question de la transition écologique pour faire de l’Europe une puissance verte, sociale et environnementale. Il s’agit de toute la logique derrière le Pacte vert. L’Europe est leader sur les questions environnementales. Certaines places financières chinoises adoptent la double matérialité, pour avoir un temps d’avance vis-à-vis des Américains et compte tenu des enjeux industriels et de puissance »[130].
Grâce à son poids économique, l’UE a l’occasion unique de définir des standards de durabilité élevés, non seulement pour ses entreprises mais aussi pour celles qui aspirent à entrer sur son marché. Cette initiative pourrait susciter une dynamique de changement mondiale, favorisant l’adoption généralisée de pratiques durables.
Historiquement, l’Europe a privilégié une compétitivité centrée sur les coûts et les prix, à l’avantage des consommateurs mais souvent au détriment de la pérennité de ses entreprises. La CSRD encourage à revisiter cette approche, promouvant une compétition qui valorise l’innovation durable et le bien-être à long terme au lieu de se focaliser uniquement sur les bénéfices immédiats. Ce changement de paradigme qui redéfinit la compétitivité est crucial pour garantir une croissance équilibrée et durable. La vraie efficience ne se réalise que lorsque les ressources, surtout les plus rares, sont judicieusement utilisées. Or, plusieurs facteurs essentiels comme la biodiversité, la rareté de l’eau, et le coût du carbone ne sont pas correctement valorisés aujourd’hui.
[1] Selon Challenges, 29 février 2024
[2] Voir le statut de chaque pays sur le site du cabinet d’avocat Linklaters https://www.linklaters.com/en/insights/thought-leadership/corporate-sustainability-transposition-tracker/corporate-sustainability-transposition-tracker
[3] Transposition de la CSRD en droit français : ordonnance du 6 décembre 2023 et décret n° 2023–1394 du 30 décembre 2023
[4] Pierre Musseau-Milesi, « Qu’attendre des données de durabilité ? », AOC, 16 octobre 2024
[5] « Rapport Draghi : la priorité ira aux mesures sans coût budgétaire », L’Agefi, 20 septembre 2024
[6] Adeline Haverland, « Les pistes envisagées pour concrétiser le « moratoire » sur la CSRD voulu par Michel Barnier », Dépêche AEF n° 720170, 24 octobre 2024
[7] Clément Fournier, « Ces acteurs économiques qui veulent sauver la CSRD face aux menaces d’un retour en arrière », Novethic, 6 novembre 2024
[8] Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[9] Adeline Haverland, « Les pistes envisagées pour concrétiser le « moratoire » sur la CSRD voulu par Michel Barnier », op. cit.
[10] Voir plus loin la section consacrée aux PME.
[11] « Environnement : pourquoi les polémiques sur la réglementation CSRD dans les entreprises sont surréalistes », LCI (site web réf.), 5 novembre 2024
[12] Béatrice Héraud, « Moratoire sur la CSRD : les entreprises en ordre dispersé », YouMatter, 28 octobre 2024
[13] Le 24 avril 2013, dans la périphérie de Dacca, la capitale du Bangladesh, l’effondrement d’un immeuble de huit étages abritant des ateliers textiles a tué 1.138 personnes et blessé plus de 2.000 autres. Des étiquettes Zara, H&M, Mango, Primark ou encore Auchan ont été retrouvées dans les décombres.
[14] Novethic, avril 2024.
[15] Le Figaro, 25 avril 2024. Ces 5.300 entreprises éligibles à la CSDD en Europe peuvent être comparées au nombre d’entreprises éligibles à la CSRD : 46.000.
[16] La directive CSRD est entrée en vigueur le 5 janvier 2023 et les États membres disposaient d’un délai de 18 mois pour la transposer dans leur législation nationale, soit au plus tard le 6 juillet 2024.
[17] Cité par Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[18] Clément Fournier, « Michel Barnier veut un moratoire sur la CSRD et les réglementations environnementales », Novethic, 21 octobre 2024
[19] Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[20] Clément Fournier, « Michel Barnier veut un moratoire sur la CSRD et les réglementations environnementales », op. cit. Green Deal = Pacte vert.
[21] Article L.232–6–2 du Code de commerce. Toute personne n’ayant pu obtenir la production, la communication ou la transmission des informations en matière de durabilité peut demander au président du tribunal statuant en référé soit d’enjoindre sous astreinte à la personne ou à l’organe compétent pour la production, la communication ou la transmission des documents ou informations de les communiquer, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication.
[22] Organisme Tiers Indépendant (OTI) : organe de vérification de reporting de durabilité, équivalent du Commissaire aux comptes pour le rapport financier.
[23] Article L.822–40 du Code de commerce
[24] Article L.821–6 du Code de commerce. Il s’agit du fait, pour tout dirigeant d’une personne morale ou entité ou toute personne ou entité au service d’une personne ou entité ayant un CAC (ou un OTI), de faire obstacle aux vérifications ou contrôles des CAC (ou des auditeurs de l’OTI), ou de leur refuser la communication sur place de toutes les pièces utiles à l’exercice de leur mission et, notamment, de tous contrats, livres, documents comptables et registres de procès-verbaux.
[25] Béatrice Héraud, « Moratoire sur la CSRD : les entreprises en ordre dispersé », YouMatter, 28 octobre 2024
[26] « Les sénateurs approuvent l’ensemble du projet de loi sur la simplification de la vie économique », AEF Info, 22 octobre 2024
[27] « Parce qu’on est chef d’entreprise, on est vu comme des profiteurs, voire des escrocs », Le Figaro, 5 avril 2024
[28] Voir sur ce point la section « Soutenir les entreprises dans leur projet CSRD », plus loin dans ce document
[29] Clément Fournier, « Ces acteurs économiques qui veulent sauver la CSRD face aux menaces d’un retour en arrière », Novethic, 6 novembre 2024
[30] Les ESRS résultent d’un projet adopté par la Commission européenne dans un règlement délégué (EU) 2023/2772 du 31 juillet 2023 et ont été publiées au Journal officiel de l’UE le 22 décembre 2023. La Task Force européenne sur la normalisation du reporting extra-financier de l’Efrag, présidée par Patrick de Cambourg depuis septembre 2020, a mené ce processus délicat.
[31] Rapporté par Bertille Bayart, « L’Europe, continent du reporting », Le Figaro, 9 novembre 2024, page 23
[32] « State of play as of Q2 2024 – Implementation of European Sustainability Reporting Standards : Initial Practices from Selected Companies », EFRAG report, July 2024 : “Many undertakings have not yet integrated the outcomes of the Double Materiality Assessment in their gap analysis of datapoints to be reported, possibly leading to the inclusion in the gap analysis of more datapoints than the standards require, with the risk of taking focus away from the relevant information that needs to be reported.”
[33]« CSRD : où en sont les entreprises », octobre 2024, étude basée sur les réponses de 208 Directeurs et Responsables RSE et DAF d’entreprises françaises soumises à la CSRD, dont 18% sont des grandes entreprises, 72% des ETI et 10% des PME.
[34] « Les Actes de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés du 30 mai 2024, Rapport de l’IFA, juillet 2024
[35] Rapporté par Bertille Bayart, « L’Europe, continent du reporting », Le Figaro, 9 novembre 2024, page 23
[36] Challenges, 13 juin 2024
[37] Décret no 2012–557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale
[38] « Déployer les ESRS : Un outil de pilotage au service de la transition », Guide de l’ANC, décembre 2023
[39] Adoption CSRD en 2022 ; adoption de la NRE en 2001.
[40] CSRD, para 69
[41] ANC, Décembre 2023 (et ESRS 2, para 62)
[42] Ordonnance de transposition, décembre 2023
[43] « Environnement : pourquoi les polémiques sur la réglementation CSRD dans les entreprises sont surréalistes », LCI (site web réf.), 5 novembre 2024
[44] Frédéric Coirier et Philippe d’Ornano, « Si tu veux la prospérité, prépare la compétitivité », L’Opinion, 10 octobre 2024
[45] Voir « La CSRD marque l’entrée dans l’économie d’impact », 30 mai 2024 https://management-rse.com/la-csrd-marque-lentree-dans-leconomie-dimpact/
[46] CSRD, para 105. Rappelons qu’en langage CSRD, « importante » signifie « matérielle ».
[47] Voir le communiqué : https://m-eti.fr/wp-content/uploads/2024/10/CP-OP_MORATOIRE-CSRD_PM_VDEF.pdf
[48] « Les Actes de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés du 30 mai 2024, Rapport de l’IFA, juillet 2024
[49] Voir https://www.workiva.com/resources/2024-esg-survey
[50] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024, page 7
[51] Voir son audition dans Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage », op. cit.
[52] P. Martin dans « Le Journal des Entreprises », février 2024 https://www.lejournaldesentreprises.com/article/patrick-martin-medef-il-ne-faut-pas-perdre-de-vue-lobjectif-de-competitivite-de-nos-entreprises-2090096
[53] Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[54] Émilie Ernst, « La responsabilité sociétale des entreprises : une démarche déjà répandue », Insee Première, N° 1421, novembre 2012
[55] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024
[56] Dominique Pialot, « Moratoire sur le reporting extra-financier (CSRD) : toutes les entreprises ne le souhaitent pas », La Tribune, 25 octobre 2024
[57] Voir : https://portail-rse.beta.gouv.fr/
[58] « Déployer les ESRS : Un outil de pilotage au service de la transition ; Version octobre 2024 », Guide de l’ANC
[59] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024
[60] « Ce n’est pas le moment d’oublier les ETI », Les Echos, février 2024
[61] Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[62] Voir : https://m-eti.fr/
[63] Cristelle Albaric, « Reporting extra-financier : Point sur la Directive Corporate Sustainability Reporting », Simon Associés, 17 juin 2024 https://simonassocies.com/reporting-extra-financier-point-sur-la-directive-corporate-sustainability-reporting-csrd/
[64] {COM(2021) 189 final} – {SEC(2021) 164 final} – {SWD(2021) 151 final du 21 avril 2021
[65] Ces évaluations résultent d’une étude conjointe du think tank Centre for European Policy Studies (CEPS) et du cabinet de conseil en politique publiques Milieu, commanditée par l’Efrag, publiée en novembre 2022. Elles ont été reprises par la Cour des comptes (« Accompagner l’adaptation de l’économie au changement climatique : le rôle des institutions financières et bancaires ») et par le rapport du Sénat (Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024).
[66] « Restitution de l’enquête sur la CSRD », Rapport du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), juin 2024
[67] « Corporate Reporting and Corporate Governance”, ecoDa & Forvis Mazars seminar, November 13, 2024
[68] Anne Bodescot, « Une nouvelle réglementation pour mesurer l’impact des entreprises », Le Figaro, 5 février 2024
[69] La CSRD rend obligatoire l’utilisation du « European Single Electronic Format » (ESEF)
[70] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024, page 93
[71] Voir Novethic, février 2024
[72] Pour plus de précisions, voir le post de Francois Villatte sur Linkedin du 5 novembre 2024
[73] Dépêche AEF du 28 août 2024
[74] Cité par Béatrice Héraud dans « La CSRD, un outil de transformation durable avant tout », YouMatter, 11 mars 2024
[75] Ophélie Risler, « Le Pacte vert européen – Un bilan », Rapport Terra Nova, 15 février 2024, https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/le-pacte-vert-europeen-un-bilan/
[76] ”CEO Insights for What’s Ahead ; Weekly insights from The Conference Board”, July 26 2023
[77] Robert G. Eccles, “The EU Green Deal And Taxonomy Nurtured The Nature Of The CSRD”, November 3, 2024
[78] International sustainability standards board, qui dépend de la fondation IFRS.
[79] Olivia Grégoire dans la Tribune en avril 2020
[80] Bertrand Badré cité dans « Un nécessaire modèle d’entreprise durable européenne », Rapport de MR21 et de la Master Class 21, septembre 2021
[81] C’est la première vague des entreprises soumises à la CSRD : publication début 2025 sur les données de l’exercice 2024.
[82] Béatrice Héraud, « Moratoire sur la CSRD : les entreprises en ordre dispersé », YouMatter, 28 octobre 2024
[83] Clément Fournier, « Ces acteurs économiques qui veulent sauver la CSRD face aux menaces d’un retour en arrière », Novethic, 6 novembre 2024
[84] « Nous avons besoin de nouveaux récits économiques », Youmatter, 22 mars 2024
[85] Clément Fournier, « Ces acteurs économiques qui veulent sauver la CSRD face aux menaces d’un retour en arrière », op. cit.
[86] « Restitution de l’enquête sur la CSRD », Rapport du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), juin 2024
[87] En 2022, la GPEC, devenue la GEPP (Gestion des Emplois et Parcours Professionnels), régulée par trois lois successives, la loi Borloo (2005), la loi Rebsamen (2015), et les ordonnances Macron (2017), vise une sécurisation des parcours professionnels, une plus grande attention à la qualité de vie au travail, et enfin une approche stratégique de l’ajustement entre les compétences et les besoins de l’entreprise.
[88] Challenges, 23 mai 2024
[89] Bertrand Badré cité dans « Un nécessaire modèle d’entreprise durable européenne », Rapport de MR21 et de la Master Class 21, septembre 2021
« Il faut passer d’une notion de profit à une notion de performance globale. »
[90] La norme ESRS 1 impose une structure générale du rapport de durabilité en quatre sections d’informations : générales, environnementales, sociales et de gouvernance.
[91] Guillaume Réjou, « Directive CSRD : une réglementation difficile à appliquer », Les Echos, 29 janvier 2024
[92] « CSRD : où en sont les entreprises », Rapport de Tennaxia, octobre 2024
[93] « Les Actes de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés du 30 mai 2024, Rapport de l’IFA, juillet 2024
[94] « L’administrateur.trice face à la CSRD », Webinaire Chapter Zero France, 22 octobre 2024. Arcadis est une société néerlandaise spécialisée dans le conseil et l’ingénierie, qui accompagne les entreprises sur la gestion de leurs actifs, bâtis ou non.
[95] Catherine Saire, « Directive CSRD : le défi est autant organisationnel que stratégique », Les Echos, 21 mai 2024
[96] Guillaume Réjou, « Directive CSRD : une réglementation difficile à appliquer », Les Echos, 29 janvier 2024
[97] 12ème étude de Tennaxia sur les pratiques de reporting extra-financier, « CSRD : où en sont les entreprises », octobre 2024. L’étude est basée sur les réponses de 208 Directeurs et Responsables RSE et DAF d’entreprises françaises soumises à la CSRD dès cette année ou les suivantes, dont 18% sont des grandes entreprises, 72% des ETI et 10% des PME.
[98] « CSRD, une véritable prise de conscience des directions financières », AEF, janvier 2024
[99] « CSRD : 2024, l’année test du reporting de durabilité », YouMatter, 3 juillet 2024
[100] « PwC’s Global CSRD Survey 2024 ; The promise and reality of CSRD reporting”, June 2024
[101] « Restitution de l’enquête sur la CSRD », Rapport du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), juin 2024
[102] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024
[103] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage : Rapport d’information du Sénat No 327 fait au nom de la délégation aux entreprises relatif à la mise en œuvre de la directive CSRD dans les entreprises », février 2024
[104] Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, « Du décryptage à l’avantage », op. cit.
[105] Voir Bertille Bayart, « L’Europe, continent du reporting », Le Figaro, 9 novembre 2024, page 23
[106] La Tribune Dimanche, 15 septembre 2024
[107] « Première réunion du Club des administrateurs engagés », Ministère de la Transition écologique, 20 mars 2024
[108] Capgemini Research Institute, troisième édition du rapport « A world in balance », octobre 2024
[109] « L’entreprise contributive », Cahier d’inspiration Usbek & Rica, 2019
[110] Claudia Cohen et Louise Darbon, « Reporting environnemental : la France veut un moratoire », Le Figaro du 24 octobre 2024
[111] Du fait de la loi « Climat et Résilience », issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat et votée le 22 août 2021 par l’Assemblée nationale, la base de données économiques et sociales (BDES) est devenue la BDESE, base de données économiques, sociales et environnementales.
[112] Principe introduit en 2018 par la loi pour un État au service d’une société de confiance.
[113] « Baromètre IFA – Ethics&Boards de la gouvernance responsable 2024 », 8ème édition, septembre 2024
[114] « Environnement : pourquoi les polémiques sur la réglementation CSRD dans les entreprises sont surréalistes », LCI (site web réf.), 5 novembre 2024
[115] Cristelle Albaric, « Reporting extra-financier : Point sur la Directive Corporate Sustainability Reporting », Simon Associés, 17 juin 2024 https://simonassocies.com/reporting-extra-financier-point-sur-la-directive-corporate-sustainability-reporting-csrd/
[116] Dominique Pialot, « Moratoire sur le reporting extra-financier (CSRD) : toutes les entreprises ne le souhaitent pas », La Tribune, 25 octobre 2024
[117] Clément Fournier, « Michel Barnier veut un moratoire sur la CSRD et les réglementations environnementales », Novethic, 21 octobre 2024
[118] « Étude annuelle sur le financement des corporates du SBF 120 », Redbridge France, octobre 2022
[119] Alex Edmans, Tom Gosling and Dirk Jenter, “Sustainable Investing: Evidence From the Field”, September 20, 2024
[120] « Les annonces ESG impactent elles le cours de bourse des entreprises cotées ? », Rapport du BCG, avril 2023
[121] Capgemini Research Institute, troisième édition du rapport « A world in balance », octobre 2024
[122] Voir « La CSRD est un outil de management de la performance globale », 25 septembre 2024
https://management-rse.com/la-csrd-est-un-outil-de-management-de-la-performance-globale/
[123] CSRD para 74
[124] Capgemini Research Institute, troisième édition du rapport « A world in balance », octobre 2024
[125] « PwC’s Global CSRD Survey 2024 ; The promise and reality of CSRD reporting”, June 2024 ; voir aussi : « La majorité des entreprises européennes voient dans la CSRD une opportunité », Novethic, 19 juin 2024
[126] « La CSRD : le système métrique de l’entreprise responsable », Rapport Terra Nova, 30 mai 2024
[127] Voir : « L’Europe à un tournant : le Pacte vert menacé » https://management-rse.com/leurope-a-un-tournant-le-pacte-vert-menace/
[128] Limogeage par Olaf Scholz de son ministre des Finances, Christian Lindner, qui est aussi président du parti libéral FDP, parti qui a annoncé le jour même (6 novembre 2024) son départ du gouvernement, scellant la fin de la coalition.
[129] « Nous, dirigeants d’entreprises, soutenons la proposition de révision de la directive européenne sur la publication d’informations extra-financières, nouvelle étape de l’évolution de notre modèle économique », Le Monde, 16 novembre 2021
[130] « Les Actes de la Journée des Administratrices et des Administrateurs engagés du 30 mai 2024, Rapport de l’IFA, juillet 2024