Les entreprises et l’adaptation au changement climatique
Alors que les besoins d’investissement pour l’adaptation au changement climatique sont considérables, l’adaptation demeure aujourd’hui un sujet émergent, voire inexistant, au sein de nombreuses entreprises. Dans ce contexte, le présent rapport s’interroge sur l’existence d’un « business model » de l’adaptation. Il met en lumière les difficultés concrètes rencontrées par les entreprises pour bâtir et déployer une stratégie adaptée, explore le cadre dans lequel des mesures d’accélération pourraient être mises en place et examine les leviers susceptibles de favoriser le financement et la mise en œuvre, par le secteur privé, d’actions dédiées à l’adaptation.


Prévention des coûts évités et adaptation des entreprises au changement climatique
Les années récentes ont marqué un tournant dans l’appropriation des risques physiques liés au changement climatique dont les impacts sont désormais tangibles et bien documentés. Entre 1980 et 2023, l’Union européenne a subi 738 milliards d’euros de pertes d’actifs et 241 000 décès liés à des événements climatiques, dont près d’un quart (22%) sur les trois dernières années seulement. Moins de 20 % de ces pertes étaient assurées. Les études convergent : l’inaction coûtera beaucoup plus cher que l’action, avec une exposition potentielle de 5 à 25 % de l’EBITDA des entreprises dans un scénario de réchauffement supérieur à 3 °C. Pourtant, s’il apparait clairement que l’économie dans son ensemble souffrira de l’immobilisme, la transformation peine à se faire et l’adaptation reste encore aujourd’hui un sujet émergent, voire inexistant, au sein des entreprises. Une enquête de BPI France menée fin 2024 indique que 68 % des dirigeants de PME et ETI ne considèrent pas l’adaptation comme un enjeu majeur et que seuls 12 % ont défini une stratégie dédiée.
Pour mieux comprendre cet attentisme, il convient de bien distinguer atténuation et adaptation. L’atténuation vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle est fortement conditionnée par la tarification du carbone et d’autres incitations collectives, financières ou règlementaires. L’adaptation consiste à ajuster activités et infrastructures aux effets inévitables du réchauffement, compris à une échelle très locale. Si certaines mesures, comme la rénovation énergétique des bâtiments, contribuent aux deux volets, les logiques économiques divergent. L’atténuation peut relever d’une approche technique et économique collective, tandis que l’adaptation suppose nécessairement des arbitrages « sur-mesure », difficiles à intégrer dans les modèles d’affaires.
Dans ce contexte, plusieurs freins ralentissent la construction des politiques d’adaptation. L’identification des risques émergents liés au changement climatique n’est pas systématique. Lorsqu’elle existe, elle peut rester lacunaire, en raison du manque de scénarios locaux et opérationnels, reposant sur des facteurs de risque hiérarchisés, permettant d’anticiper concrètement les impacts. La valorisation financière de ces risques se heurte quant à elle à la difficulté d’intégrer, dans les modèles d’affaire, des impacts quasi-certains mais non datés ou dont le fait générateur n’est pas encore intervenu, qui ne peuvent être provisionnés ni traduits comptablement. De nombreuses entreprises se concentrent ainsi sur des mesures réactives, ponctuelles, destinées à éviter la répétition des conséquences d’un aléa déjà intervenu, et dont la démonstration revêt ainsi une forme d’évidence.
Si l’analyse coûts-bénéfices est ainsi difficile à construire, la mise en œuvre d’actions d’adaptation rencontre aussi d’autres difficultés, dont la plus importante est certainement la très forte interdépendance entre acteurs locaux. L’adaptation ne peut se concevoir uniquement à l’échelle de l’entreprise. Elle dépend des infrastructures collectives et des acteurs locaux. En l’absence de solution clé en main, le rapport plaide pour une territorialisation du dialogue, animé par les Départements ou les Régions (dotées de la compétence économique), afin de réunir acteurs publics et privés autour de scénarios partagés et de données cohérentes. L’enjeu est de dépasser la simple planification pour instaurer de véritables contrats de territoire public-privé, associant plateforme d’information, analyse socio-économique des investissements et concertation sur le financement.
En matière de financement, il s’agit de s’assurer que les mesures d’adaptation bénéficiant à plusieurs opérateurs (publics ou privés) puissent être financées conjointement par ceux-ci, dans une logique d’anticipation des coûts évités futurs. La priorité est donc de révéler ces coûts évités, afin d’assurer la cohérence entre respect du modèle d’affaires et financement des investissements d’intérêt collectif pouvant relever de tiers. En ce sens, l’adaptation suppose de rendre visibles les coûts évités et d’associer financements publics et privés sur certains projets validés collectivement. Plusieurs pistes sont à creuser pour favoriser cette transparence. L’assurance parait pouvoir jouer un rôle clé, mais les primes restent peu sensibles aux mesures de prévention et les données disponibles sont encore insuffisantes. Les banques, malgré leurs due diligences, restent peu impliquées dans le financement de l’adaptation, ce qui pourrait évoluer si les risques physiques étaient intégrés dans les critères prudentiels. La valorisation des services environnementaux – par exemple la renaturation des sols pour la gestion de l’eau – ou le conditionnement des aides publiques à la mise en œuvre d’actions de prévention et d’adaptation sont également des pistes à approfondir.
Trois priorités se dégagent. La première est la mise à disposition de cartographies climatiques précises et hiérarchisées afin de nourrir la compréhension des risques et de leurs impacts et guider les décisions des dirigeants. La deuxième consiste à déployer des contrats territoriaux d’adaptation intégrant entreprises et collectivités dans un cadre de coopération public-privé, permettant d’identifier les actions prioritaires de maitrise des risques affectant un territoire et de discuter de leur financement. La troisième est l’émergence d’un signal-prix permettant de faire le lien entre modèle d’affaires des entreprises et financement des investissements dédiés à l’adaptation. Ceci suppose de révéler la valeur des coûts évités et des services environnementaux. L’assurance, le financement bancaire ou des mécanismes encadrés de tarification peuvent contribuer à cet objectif.
En définitive, l’existence d’un business model de l’adaptation n’a rien d’évident en raison de la difficulté à quantifier les risques, de l’incertitude inhérente aux prévisions climatiques et de la dimension collective des vulnérabilités. Mais une voie existe : renforcer l’information disponible, contractualiser les efforts à l’échelle des territoires et intégrer progressivement les coûts évités dans les modèles financiers. C’est à cette condition que l’adaptation pourra passer d’une approche réactive et fragmentée à une stratégie structurée, coopérative et financée, capable de renforcer la résilience des entreprises et des territoires face aux chocs climatiques.
Cette note a été rédigée par Amélie Lummaux avec le soutien d’un groupe de travail constitué de Marine Braud, Patrice Goeffron, Pierre Jérémie, Benoît Leguet, Ophélie Risler, Nicolas Saint Bris, Benoît Thirion.
Les années récentes ont marqué un tournant dans l’appropriation des risques physiques liés au changement climatique. En effet, les conséquences du réchauffement climatique sont devenues davantage perceptibles, du fait de la multiplication des épisodes climatiques extrêmes[1], dans le même temps où elles se trouvaient par ailleurs de mieux en mieux documentées sur le plan économique.
Selon l’Agence européenne de l’environnement, les évènements météorologiques et climatiques ont généré des pertes d’actifs de 738 Md€ entre 1980 et 2023 dans l’Union européenne (et 241 000 pertes de vies humaines), dont 162 Md€ (22%) entre 2021 et 2023. L’Agence estime la part assurée de ces pertes à moins de 20%.
Plusieurs études récentes se sont également penchées sur les conséquences de l’inaction climatique : elles ont démontré que celle-ci aurait un coût pour l’économie massivement supérieur à celui de l’action (estimé dans un rapport de 1 à 5 environ selon un rapport du World Economic Forum en partenariat avec le BCG paru en décembre 2024 – étude qui estime également entre 5% et 25% l’EBITDA annuel à risque pour les entreprises dans un scénario où le réchauffement serait supérieur à 3°C).
Pourtant, s’il apparait clairement que l’économie dans son ensemble souffrira de l’immobilisme, la transformation des choix et comportements des agents peine à se faire. Ainsi, une soixantaine de scientifiques, dont d’anciens chercheurs du GIEC, ont publié en juin 2025 une étude[2] démontrant que l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5°C n’était vraisemblablement déjà plus atteignable. Dans un entretien accordé par l’économiste Adrien Bilal à l’Institut Avant-Garde, celui-ci indique que l’impact des variations locales de températures sur l’économie mondiale est plutôt plus fort depuis 1980 qu’il ne l’était auparavant, tendant à montrer que nous ne progressons guère en matière d’adaptation, au contraire.
Cet attentisme des acteurs économiques pourrait paraitre surprenant s’il n’était pas, d’une certaine manière, si rationnel. Les transformations de l’économie sont en effet la somme de décisions d’acteurs individuels – pouvant être influencées, mais rarement imposées, par les pouvoirs publics En outre, si l’atténuation concentre l’essentiel des besoins d’investissement, l’adaptation n’est pas en reste. Les estimations sont peu nombreuses, on peut pourtant relever quelques chiffres : I4CE estime à 2,3 Md€ par an en France les mesures « sans regret » à lancer immédiatement, tandis que la fédération des travaux publics évalue en première instance à 4,5 Md€ les investissements additionnels nécessaires par an entre 2021 et 2050 pour adapter les infrastructures au changement climatique. Ces investissements vont supposer une multitude de décisions individuelles. Or, la rationalité microéconomique, aux bornes du modèle d’affaires de chaque agent, n’est pas calquée sur la rationalité macroéconomique.
Dans ce contexte, le présent rapport vise à poser la question de l’existence, pour les entreprises, d’un « business model » de l’adaptation. Il tente d’exposer les difficultés concrètes auxquelles sont confrontées les sociétés pour bâtir et adopter une politique d’adaptation, discute du cadre dans lequel pourraient être mises en place des mesures d’accélération, et s’interroge sur les leviers favorisant le financement, par le secteur privé, des mesures préventives nécessaires à l’adaptation de l’économie française.
1. Transition et adaptation : deux enjeux distincts ?
Les mesures de transition (ou d’atténuation) et d’adaptation peuvent se rejoindre techniquement, sans pour autant s’inscrire dans un cadre similaire de rationalité microéconomique.
La lutte contre le changement climatique et ses conséquences comprend deux volets : l’atténuation et l’adaptation. Selon le glossaire du GIEC, là où l’atténuation vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ou à renforcer leurs séquestrations ( les puits), l’adaptation sert à s’ajuster au climat actuel et futur, de manière à « en atténuer les effets préjudiciables et en exploiter les effets bénéfiques ».
En pratique, la distinction est parfois subtile. De nombreuses mesures servent en effet les deux objectifs. Le bâtiment en constitue un excellent exemple. Les logements représentent ainsi 30% de l’énergie finale consommée en France, et 10% des émissions de GES. Dans un avis d’expert publié en mai 2024, l’ADEME alerte sur le fait que la rénovation énergétique des logements représente un enjeu essentiel, non seulement pour l’atteinte de nos objectifs nationaux de réduction des émissions de GES (pour atteindre la neutralité carbone en 2050, 80 à 90% du parc devrait être classé A ou B en diagnostic de performance énergétique, contre seulement 6% aujourd’hui), mais aussi pour la préservation de l’habitabilité : un logement mieux isolé protège davantage contre le froid l’hiver et contre la chaleur l’été. Selon le CGDD, tel que cité par l’ADEME dans son avis, la rénovation de l’ensemble des passoires énergétiques d’ici 2028 permettrait d’éviter des coûts de santé de près de 10 Md :€ par an.
Pourtant, si les investissements d’atténuation et d’adaptation se rejoignent dans une large mesure, les deux démarches répondent à des critères de rationalité micro-économique bien distincts.
La question, amplement discutée, du « business model » de l’atténuation s’articule essentiellement autour de celle du prix du carbone. Aucun agent économique individuel ne peut, par son action personnelle de réduction des émissions, prise isolément, enrayer la trajectoire de réchauffement des températures mondiales, et donc réduire, au moyen de cette action, les coûts associés aux conséquences du réchauffement pesant sur son activité. La rationalité microéconomique de l’investissement d’atténuation repose donc essentiellement sur les baisses de charge directes d’une part (baisse de la consommation d’énergie par exemple), et sur la valeur monétaire donnée à la tonne équivalent carbone d’autre part. Ceci est d’autant plus vrai dans une situation comme celle de la France où chaque acteur économique peut légitimement s’attendre à ce que l’État supporte ou mutualise une partie des coûts futurs liés aux impacts du réchauffement. Ainsi, il est probable que seul un mécanisme progressif de tarification du carbone (taxe ou marché) reflétant la réalité des coûts sociétaux des dommages climatiques futurs, et permettant à chaque acteur de les internaliser dès aujourd’hui, est susceptible de changer la donne[3] et de provoquer l’infléchissement massif des émissions. Ce type de mécanisme doit néanmoins etre accompagné de mesures précises de redistribution et d’accompagnement des acteurs de la transition, au risque de créer des chocs majeurs.
De prime abord, le modèle d’affaire de l’adaptation peut paraitre plus évident. La manière dont l’économie souffre des épisodes récents est un révélateur de nos difficultés à venir. Chaque opérateur économique dispose directement d’une partie de la réponse concernant sa propre activité (protection des actifs contre les inondations et les fortes chaleurs, déménagement des sites, etc.), et verra certainement, en cas d’inaction, ses coûts d’exploitation accrus et son activité soumise à davantage d’aléas. Pourtant, l’adaptation reste encore aujourd’hui un sujet émergent, voire inexistant, au sein des entreprises. Selon une enquête de BPI France datée de décembre 2024, 68% des dirigeants de PME et ETI ne considèrent pas l’adaptation au changement climatique comme un enjeu majeur, et seulement 12% d’entre eux ont défini une stratégie d’adaptation. Parmi les acteurs, pourtant engagés en matière de transition écologique, que nous avons rencontrés dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, plusieurs n’ont encore jamais abordé le sujet de l’adaptation au niveau du Conseil d’administration. Le facteur psychologique ou réputationnel joue peut-être ici un rôle : être publiquement proactif en matière d’adaptation risquerait d’être interprété comme un renoncement à s’affirmer comme acteur de la lutte contre le changement climatique. Quel que soit son poids, cet argument d’image ne parait cependant pas suffisant à expliquer la latence de prise en compte du sujet, alors que les conséquences du réchauffement sont désormais inévitables.
2. Les freins objectifs de l’adaptation en entreprise
Le caractère encore largement émergent des politiques d’adaptation au sein des entreprises reflète de réelles difficultés d’appréhension du sujet.
Une stratégie d’adaptation en entreprise peut s’apparenter à une politique de gestion des risques, les risques bruts (c’est-à-dire, avant action de maitrise) étant caractérisés par une probabilité d’occurrence d’un fait générateur dans un horizon de temps défini, et un niveau d’impact des conséquences de celui-ci sur l’activité de l’entreprise et ses actifs. Les risques nets sont les dommages résiduels pesant sur l’entreprise après déploiement des actions de maitrise. Le point de départ d’une politique d’adaptation en entreprise[4] est ainsi la recherche et l’identification des risques physiques liés aux aléas climatiques futurs à laquelle celle-ci sera confrontée. Déjà en 1999, avec les tempêtes Lothar et Martin, et en 2003, avec le premier grand épisode caniculaire du XXIe siècle, les conséquences des phénomènes climatiques extrêmes sur le territoire français sont devenues plus tangibles, engendrant en réaction le déploiement de premières actions de maitrise par les entreprises – actions « sans regret », c’est-à-dire relativement peu coûteuses, à la main de l’opérateur, et immédiatement compatibles avec la poursuite de l’activité. De manière emblématique, EDF a réagi à la canicule de 2003 en mettant en place un plan « Grands chauds », déployé dès 2008, et visant à adapter site par site, pour l’air et pour l’eau, les normes de résistance des centrales aux fortes chaleurs. Des entreprises, plus nombreuses, ont mis en place un plan de continuité d’activité intégrant cette même problématique. Mais ces actions réactives ne suffisent pas à former le socle d’une stratégie d’entreprise. Aller plus loin suppose, de la part de la gouvernance de la société, de s’interroger sur les évolutions climatiques des années à venir, de déterminer les risques associés et leurs impacts sur l’activité, et d’identifier les actions de maîtrise.
La nécessité, pour une entreprise, d’identifier les futurs risques climatiques dépend avant tout de la composition du portefeuille d’actifs, non seulement de l’entreprise elle-même, mais aussi de son actionnaire majoritaire. Les entreprises les plus avancées en matière d’adaptation sont ainsi celles pour lesquelles un actionnaire majoritaire de long terme perçoit une exposition de son portefeuille à des actifs stables et géographiquement concentrés. Les aléas climatiques, dont la fréquence s’accélère, ont des conséquences souvent massives et ultra-localisées. La capacité d’auto-assurance d’un investisseur pourra d’autant plus s’exercer que ses participations sont diversifiées et liquides. Une entreprise dont le modèle d’affaires est fondé sur des revenus de projets (construction d’un ouvrage sans exploitation par exemple) n’est pas nécessairement incitée à agir, sauf à ce que la demande émane de son ou de ses clients (et puisse, dans ce cas, aller jusqu’à constituer une expertise technique et donc un levier commercial). A l’inverse, les entreprises publiques, ou celles dont le revenu est durablement issu d’actifs ou de fonciers non délocalisables (gestionnaires d’infrastructures, agriculteurs, fabricants de matériel dépendant de quelques grosses unités de production, etc.), sont bien plus susceptibles de s’inquiéter spontanément du sujet. Pour ne citer qu’eux, la SNCF, EDF et le groupe La Poste font partie des grands précurseurs en matière de construction d’une politique d’adaptation, avec une impulsion franche donnée au niveau de la gouvernance.
Cependant, vouloir comprendre la probabilité d’occurrence des phénomènes climatiques et leur niveau d’impact sur l’activité ne suffit pas à bâtir une évaluation. Encore faut-il pouvoir accéder à une information pertinente. A ce sujet, il convient de noter que le nombre d’entreprises s’interrogeant de manière plus ou moins ponctuelle sur les risques sur un ou plusieurs sites donnés est bien plus large que celui des entreprises, très rares, ayant entamé la construction d’une véritable politique d’adaptation. Savoir répondre à une demande client, se conformer aux exigences de la CSRD ou se plier à une due diligence bancaire ou assurantielle (nous reviendrons sur ces points), peut impliquer une analyse de risques. La difficulté majeure – sur laquelle des progrès importants sont actuellement en train d’être faits – est alors celle de la disponibilité des données.
Malgré la mise en ligne, dès 2015, des portails DRIAS (projection de données climatiques régionalisées à une maille de 8km sur 8 km à 2030, 2050 et 2100) par Meteo France en lien avec la communauté scientifique du climat, il est frappant de constater que parmi les cahiers d’acteurs déposés par les entreprises et leurs fédérations dans le cadre de la consultation du plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), un grand nombre d’entre eux alertent, avec des mots différents, sur le même point : l’insuffisance – à date – des cartes d’impact. Rares sont les entreprises dotées de la capacité d’ingénierie climatique (ou des moyens de recourir de manière systématique à une ingénierie climatique externe) pour transposer en scénarios d’impacts opérationnels et adaptés à leur activité les trajectoires de réchauffement de référence, qu’il s’agisse de celle préconisée par l’UE dans le cadre de la CSRD (scénario RCP 8.5 2050), ou par la France dans le cadre du PNACC (TRACC). Ainsi, et de manière symptomatique, la première proposition concrète du cahier d’acteur de la Fédération des entreprises de travaux publics est la suivante : « Publier d’ici la fin de l’année 2025 une cartographie actualisée des impacts climatiques en France sur la base de la TRACC ». Plusieurs des acteurs avec lesquels nous avons échangé sont également revenus sur cette difficulté, en mettant l’accent sur un point pratique, celui de la hiérarchie des impacts, ou autrement dit « de la variable limitante » à intégrer en matière d’analyse de vulnérabilité et de stratégie d’adaptation, territoire par territoire. Canicules, sécheresses, inondations, vents violents, sont autant de facteurs alimentant les scénarios climatiques – et sur chacun desquels un nombre croissant de ressources est désormais mis gratuitement à la disposition des particuliers et personnes morales (cf portail georisques). Mais aucun agent économique ne peut optimiser ses décisions sur un nombre infini de variables. Il apparaît donc indispensable, pour accompagner les décideurs, de leur fournir des cartes d’impacts scénarisés (précisant l’articulation entre les différents facteurs), à une maille locale.
La transposition de la double analyse de probabilité et d’impact (ou, dit autrement, d’exposition et de vulnérabilité) en coûts relève d’un degré de maturité supplémentaire. Les coûts directs liés aux aléas climatiques, spontanément intégrables au modèle d’affaires d’une entreprise (c’est-à-dire, n’ayant pas vocation à être couverts par des tiers sans action volontaire de refacturation), sont principalement de deux natures : interruption partielle d’activité et perte de valeur des actifs. Il est utile de noter qu’à l’heure actuelle, ces évaluations de coût, dans les très rares cas où elles existent, servent encore essentiellement à la sensibilisation interne. A titre d’exemple, le Groupe La Poste a ainsi pu bâtir une première évaluation quantitative ayant permis de hisser le changement climatique au rang des principaux risques matériels pour le Groupe. Il s’agit désormais de fiabiliser les impacts et de trouver le cadre pour permettre une traduction dans les documents financiers. En effet, pour les entreprises concernées, dans l’hypothèse même où l’analyse de risques peut être menée et conclut à une probabilité d’occurrence de 100% entre aujourd’hui et 2050 d’un risque pouvant être qualifié d’extrême et impactant l’activité (glissement de terrain entrainant la destruction d’une unité de production, par exemple), les conditions ne sont pas réunies pour le provisionner et l’intégrer au business plan, dès lors que le fait générateur (le glissement de terrain) n’est ni intervenu, ni ne peut être précisément daté, ou a minima précisément attendu à un horizon de temps compris entre 0 et 5 ans, horizon généralement maximal de projection des business plans long-termes. Pour ces mêmes entreprises, une dévalorisation ciblée d’actifs pourrait être plus facile à mettre en place, dans le cadre des normes comptables en vigueur, qu’une provision pour risque d’activité, en ce qu’elle supposerait une évaluation préalable des risques nets (c’est-à-dire après déploiement des actions de maitrise).
L’identification et le déploiement des actions de maîtrise, normalement priorisées selon une analyse coûts-bénéfices, est la brique finale de la mise en place d’une politique d’adaptation, une fois les risques recherchés et connus, et l’intérêt à agir démontré par l’évaluation des impacts. On observe néanmoins que, même en l’absence de chiffrage précis des impacts financiers et économiques, les entreprises et leurs donneurs d’ordre, lorsqu’ils estiment probables certains aléas climatiques à court terme, se mobilisent autour d’un enjeu qui tend à primer sur tous les autres : la continuité d’activité. Ainsi, la certitude documentée de la survenance d’un risque et de son impact sur l’activité dans l’horizon de temps dans lequel se projette la gouvernance parait suffisante à déclencher des actions, même lorsque le chiffrage de l’impact économique et financier n’est pas abouti. Le Groupe Transdev relève que le point de bascule essentiel, dans la prise en compte par les maitres d’ouvrage du risque climat, n’est pas tant le coût que l’horizon de temps. Le Groupe relève d’ailleurs que les contrats de partenariat public/privé ( PPP) plus communs hors de l’Europe, où l’horizon de temps est de 25 ou 30 ans, se révèlent plus propices à cette appropriation que les contrats de délégation de service public (DSP) courts fréquemment en vigueur en France dans le domaine des transports. Plus l’horizon est long, plus la matérialisation du risque est probable.
Pourtant, lorsqu’il s’agit de la mise en place des actions de maîtrise, les entreprises sont, là aussi, souvent confrontées à des difficultés objectives.
Celles-ci sont de trois ordres : la définition du niveau de service minimum garanti ; la disponibilité ou la connaissance des référentiels sectoriels adaptés et de solutions techniques d’adaptation – sur lesquels les fédérations professionnelles ont tout leur rôle à jouer (l’exemple des normes et solutions de construction intégrant la problématique du retrait-gonflement des argiles par exemple, est un cas typique) – et la prise en compte des interdépendances entre acteurs. La BPI relevait en juin 2025 qu’il existe en France moins de 60 Greentech centrées sur l’adaptation, et que la majorité d’entre elles se concentre aujourd’hui sur des solutions numériques – relevant ainsi l’existence probable d’un potentiel d’innovation important en matière de solutions physiques. Mais les entreprises avec lesquelles nous avons échangé ont particulièrement mis l’accent, davantage que sur le manque de solutions, sur la question de l’interdépendance, citant plusieurs exemples, allant de la compréhension des compétitions d’usage pour la ressource sur un territoire donné (ressource en eau notamment), à la prise en compte des vulnérabilités sur la chaine de valeur et les infrastructures locales critiques.
Première recommandation : Mettre à la disposition des acteurs économiques une cartographie scénarisée des impacts du changement climatique, permettant de comprendre la hiérarchie des facteurs à une maille locale.
3. L’adaptation : un enjeu qui suppose de travailler collectivement, entre acteurs publics et privés d’un même territoire.
L’adaptation des entreprises au changement climatique suppose nécessairement une approche partagée entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques au sein d’un même territoire.
La résilience d’une activité économique repose non seulement sur ses actifs, mais aussi sur ses process, c’est-à-dire les mécanismes mis en œuvre pour créer de la valeur. Parmi les process les plus impactés par le changement climatique, se trouvent les achats, les approvisionnements (distincts des achats en ce qu’ils intègrent la dimension opérationnelle, et donc notamment la réception et le stockage), et les ressources humaines. L’ensemble de ces process crée des interdépendances massives, particulièrement prégnantes à l’échelle territoriale. Bien sûr, un opérateur dépendant d’un fournisseur unique à l’autre bout du globe sera vulnérable aux aléas climatiques survenant à cet endroit. Ce cas reste relativement rare et mérite une interrogation sur la révision de la stratégie d’achats. La dépendance locale, en revanche, est multifactorielle, et difficilement remédiable. Un entrepôt protégé des inondations ne sera d’aucune utilité si les salariés et les marchandises ne peuvent y accéder parce que la route elle-même n’est pas sécurisée. Les fournisseurs situés sur le même territoire que le donneur d’ordre seront vraisemblablement affectés comme lui par un aléa climatique, créant ainsi des réactions en chaîne.
Les entreprises rencontrées dans le cadre de la préparation de ce rapport partagent plusieurs points d’alerte de ce point de vue.
Le premier concerne, de nouveau, le manque de disponibilité des données, concernant cette fois les stratégies d’adaptation de leurs parties prenantes : définition du niveau de service, évolutions de pratiques et d’usages susceptibles d’affecter la disponibilité des ressources, vulnérabilités critiques identifiées et impacts économiques des investissements préventifs ou curatifs à venir. A ce titre, on peut noter que l’obligation de transparence imposée par la CSRD sur l’exposition au risque climatique des plus grandes entreprises, si elle permet (selon la version initialement adoptée du texte) de faire avancer les choses (réalisation d’une analyse de risque et publication des principaux résultats), ne répond pas pleinement à ce besoin de coordination des acteurs, en ce qu’elle ne prévoit pas de description détaillée des impacts et actions de remédiation. Il n’y a rien de surprenant à cela. Les entreprises, soumises à des contraintes de financement, n’ont pas d’intérêt à dévoiler les vulnérabilités hors d’un cadre de confiance destiné à les soutenir et les accompagner dans le déploiement des actions de prévention.
Le deuxième point d’alerte concerne les pratiques contractuelles, les opérateurs détenteurs d’un pouvoir de marché étant susceptibles de transférer, par contrat, une part non négligeable du risque d’interruption d’activité à leur fournisseur, en leur imposant une garantie de continuité de service.
Le troisième concerne le caractère encore hésitant, du dialogue, à l’heure actuelle, entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques à l’échelle locale.
L’ensemble de ces éléments plaide pour une territorialisation du dialogue sur l’adaptation au changement climatique (avec quelques grands opérateurs traités au niveau de l’État), animé par les départements ou les régions (dotées de la compétence économique), mais décliné à l’échelle de bassins économiques pertinents.
Cette territorialisation ne peut, au vu de nos échanges, simplement passer par la révision des documents de planification en intégrant l’adaptation au changement climatique, même si cette étape est indispensable (notons sur ce point la proposition I4CE : « Conférer une valeur juridique à la TRACC permettant à différents documents comme les documents d’urbanisme, les schémas de planification ou les plans de prévention des risques d’y faire référence et aux acteurs qui le souhaitent de s’appuyer dessus dans leur prise de décision »).
Elle suppose une relation de forme quasiment contractuelle, par laquelle l’ensemble des acteurs d’un même bassin économique, éclairés par des scénarios cohérents et la mise en commun de données, partagent des engagements en termes d’actions de prévention et de continuité d’activité justement calibrée, et conviennent ensemble du financement des infrastructures critiques d’intérêt collectifs. Il parait en effet clair que la transparence nécessaire à la révélation des vulnérabilités suppose la mise en place préalable d’un cadre de dialogue avec les acteurs locaux pertinents, dont l’objectif premier, au-delà du partage du constat, serait l’identification des solutions et leur financement. Il s’agirait ainsi de déterminer le niveau d’impact d’un jeu de scénarios climatiques, assortis de probabilité d’occurrence, sur la fourniture de certains services essentiels sur le territoire (disponibilité des infrastructures et services de transport, énergie, télécommunications, etc) et sur l’activité ou les actifs des principales entreprises implantées, et d’objectiver l’effet comparé des investissements de remédiation possibles.
Cette approche associant compréhension des risques et identification des actions de maitrise à une échelle multi-acteurs parait indispensable à l’identification d’un business model pour chacun des opérateurs concernés (rapport entre les coûts évités et les investissements consentis), et ainsi, à opérer plus facilement des transferts financiers entre acteurs privés et publics, ou des co-investissements.
L’État jouerait, dans ce processus, un rôle majeur, celui de fournir les cartographies d’impact, garantir la cohérence et la validité des scénarios, établir les normes techniques intégrant l’adaptation au changement climatique, mettre en place les garde-fous en termes de pratiques contractuelles, et contribuer au financement des infrastructures et services d’intérêt national.
Deuxième recommandation : Favoriser le déploiement de contrats de territoire publics-privés, comprenant une plateforme de données (scénarios de risques climatiques, probabilités et impacts), une analyse socio-économique des investissements d’adaptation, et une concertation sur les modes de financement.
4. Le financement privé de l’adaptation suppose de faire apparaître un retour sur investissement aujourd’hui largement invisible.
Le financement des mesures d’adaptation appelle une mobilisation publique et privée.
Comme évoqué dès le début de ce rapport, le meilleur moyen de financer les mesures d’adaptation reste d’anticiper les dommages par des mesures de prévention. L’économiste Adrien Bilal déjà cité plus haut, dans une étude publiée en 2024[5], expose que les investissements d’adaptation seraient bénéfiques à l’échelle mondiale si leurs coûts permettant une adaptation complète se situait sous la barre de… 30 à 50% du PIB. Plus concrètement, la Caisse centrale de réassurance souligne que les mesures de prévention et d’adaptation sont économiquement rentables pour les collectivités : elle estime qu’un euro investi dans la prévention des inondations permet d’éviter trois euros de dommages – et jusqu’à huit euros si l’on intègre l’effet de levier généré par les cofinancements locaux. Cette réflexion en termes de rentabilité ne peut cependant pas s’exonérer du contexte extrêmement tendu des finances locales, qui explique les retards d’investissement d’ores et déjà constatés. Pour rester dans le domaine de l’eau, l’étude réalisée par Maria Salvetti en 2022 pour le compte de l’Union des Industries de l’Eau[6] met en évidence un déficit annuel d’investissement de 4,2 Md€. Selon la Fédération nationale des travaux publics, ¾ du déficit annuel d’investissement dans l’adaptation des infrastructures entre 2021 et 2050 portent sur le domaine de l’eau.
Le déploiement d’une telle capacité d’investissement parait nécessiter la mobilisation de financements publics et privés, et imposer une réflexion quant à la prise en compte de cette « rentabilité » des investissements d’adaptation. Comme cela a déjà été évoqué, l’existence d’une « rentabilité sociétale » n’est pas mécaniquement significative de rentabilité pour les acteurs privés. Le déploiement de financements privés, dans un cadre territorial coopératif favorisant la révélation des vulnérabilités et l’identification des actions de maitrise, suppose que les entreprises puissent valoriser au mieux, dans leur modèle d’affaires, les coûts évités des dommages futurs. Pour cela, finances publiques, banques, assurances, et fonds d’investissement ont un rôle clé à jouer.
Les échanges menés dans le cadre de l’élaboration du présent rapport ont permis d’aborder la question du signal-prix, par lequel les entreprises pourraient monétariser une partie de l’équation évoquée ci-dessus, et ainsi mobiliser des financements dans le respect de leur modèle d’affaires. Il ne s’agirait pas là d’internaliser des coûts sociétaux dans une logique similaire à celle de la taxation du carbone, mais plutôt de révéler des coûts futurs ayant vocation à être portés par les entreprises concernées, aujourd’hui largement invisibles, qui sont ceux liés aux aléas climatiques inévitables. L’enjeu serait ainsi de documenter un bénéfice direct de l’adaptation, et de rendre plus immédiatement accessible le rapport entre les coûts évités et les investissements consentis.
Il ressort de ces échanges les pistes de réflexion suivantes :
- L’assurance est une première piste de financement. Sa mobilisation suppose une très forte réactivité des primes d’assurance, à l’évaluation des risques comme au déploiement de mesures de prévention. A l’heure actuelle, les données publiquement disponibles en termes de sinistralité, comme la capacité des assureurs de prendre en compte les mesures de prévention déployées à titre individuel ou collectif sont sans doute insuffisantes pour favoriser une véritable personnalisation des primes d’assurance. Le rapport récent du Haut-commissariat au plan « repenser la mutualisation des risques climatiques » évoque le premier point de manière très claire : « Les coûts et les enjeux associés à une exposition croissante aux risques climatiques dans les territoires sont difficiles à établir en raison de données publiques indisponibles (sinistralité, couverture assurantielle, etc) et du manque de connaissance fine sur les modèles de projection ». Les ressources du Fonds Barnier alloués à la prévention individuelle ou collective constituent par ailleurs un objet constant de préoccupation, dans un contexte pourtant marqué par l’augmentation de la surprime Catastrophes Naturelles au 1er janvier 2025.
- Les banques contribuent à la connaissance des risques associés aux projets dans le cadre des due diligence qu’elles mettent en place. En revanche, leur contribution au financement des actions d’adaptation est certainement insuffisante. Il est frappant de constater que la Caisse des Dépôts et Consignations est le seul établissement financier à avoir déposé un cahier d’acteur dans le cadre de la consultation du PNACC. Ce cahier d’acteur relève d’ailleurs que « les établissements financiers peinent à établir des critères positifs de contribution à l’adaptation ». L’une des raisons est – d’une manière qui n’est pas sans rappeler le point précédent relatif aux primes d’assurance – le lien insuffisant établi entre l’exposition aux risques physiques d’un portefeuille bancaire, et le déploiement de mesures d’adaptation individuelles ou collectives. Au-delà, il est possible de s’interroger sur la nécessité de passer d’une logique de rapportage sur l’exposition aux risques physiques des portefeuilles bancaires, à une logique d’exposition maximale calculée sur ces seuls risques. De nombreux travaux semblent d’ailleurs s’orienter en ce sens, comme ceux du comité de Bâle visant à intégrer le climat dans le cadre prudentiel bancaire. De telles évolutions seraient susceptible de faciliter la mobilisation de financements privés au service de l’adaptation, voire pourraient s’avérer indispensables.
- L’examen de la rentabilité des projets destinés à renforcer la résilience des territoires pourrait imposer une réflexion sur la prise en compte d’une valeur actuellement non quantifiée pour les services environnementaux. A titre d’exemple, la renaturation d’un foncier favorisant la perméabilité des sols et donc le rechargement des nappes phréatiques n’est aujourd’hui associé à aucune recette durable (même s’il peut faire l’objet d’un subventionnement par l’Agence de l’eau au moment de sa mise en œuvre), comme ne l’est pas non plus l’amélioration de la qualité de cette même ressource. La question du « paiement pour services environnementaux » des acteurs économiques d’un territoire est une question légitime à se poser, dès lors que ce paiement serait associé à des actions de prévention et d’adaptation – par la collectivité ou les entreprises elles-mêmes – permettant de réduire drastiquement les coûts futurs d’exploitation pour ces acteurs. La mise en place d’une rentabilité de ce type pourrait permettre la mobilisation de fonds d’investissement encore aujourd’hui largement absents de ces questions. Cette notion fait partie des pistes de réflexion travaillées par la banque des territoires.
- Enfin, le conditionnement de certaines aides aux entreprises, plus particulièrement celles dédiées à soutenir l’investissement et le développement d’activité, au déploiement d’actions de prévention et d’adaptation aux risques climatiques, de manière à réduire durablement la dette écologique de la France, parait pertinent. Au vu de ce qui précède, un enjeu majeur est d’intégrer à cette réflexion le financement de mesures d’adaptation non seulement individuelles mais aussi collectives, la résilience de l’économie française ne pouvant ni s’appréhender, ni se traiter, au niveau des acteurs économiques individuels.
Troisième recommandation : Favoriser l’émergence d’un signal-prix dans le modèle d’affaires des entreprises, permettant de révéler la valeur des services environnementaux et de favoriser la prise en compte, par anticipation, des coûts futurs liés aux aléas climatiques. Ce signal-prix pourrait notamment s’opérer par l’intermédiaire de l’assurance, du financement bancaire, ou de la mise en place d’un paiement pour services environnementaux. Il pourrait aussi passer par une moindre-valeur liée au conditionnement des aides publiques à l’investissement et au développement de l’activité.
L’existence d’un business model de l’adaptation n’a rien de spontanément évident, compte tenu notamment de la difficulté d’identifier et quantifier les risques et de les provisionner d’une part, et des interdépendances territoriales d’autre part. Rares sont les entreprises qui peuvent, par les seules actions à leur main, se prémunir des impacts des aléas climatiques survenant sur leur bassin d’implantation.
Le chemin pour identifier un tel business model parait pourtant exister. Il suppose non seulement une compréhension des risques partagée à l’échelle d’un territoire et, dans la mesure du possible, la transcription des coûts associés aux aléas et des bénéfices liés aux mesures correctrices dans le modèle d’affaires des acteurs concernés, mais aussi le financement, dans un cadre coopératif public-privé, des actions de maîtrise.
Le présent rapport plaide ainsi pour une accélération des mesures d’adaptation, fondée sur la mise à disposition de cartographie et de scénarios opérationnels d’impacts des risques climatiques, le déploiement de contrats territorialisés d’adaptation intégrant les entreprises au côté des acteurs publics, et la refonte des mécanismes privés et publics permettant de prendre en compte les risques naturels et la valeur des services environnementaux, de manière à faciliter la contribution des acteurs privés au financement de l’adaptation.
[1] On peut citer, pour simples exemples, les inondations de 2021 en Allemagne et de 2024 à Valence, mais il en existe bien d’autres, tels que le cyclone Chido qui a ravagé Mayotte en décembre 2024.
[2] Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence, Piers M. Forster et al.
[3] Une telle mesure pose bien entendu de nombreuses difficultés : coordination internationale et accompagnement des chocs induits par secteur d’activité notamment (transition sociale, dévalorisation des actifs, etc). Le présent papier n’a pas pour ambition de traiter de ce sujet complexe.
[4] Nous visons bien ici une notion différente de celle du déploiement commercial d’un portefeuille de solutions d’adaptation.
[5] Adrien Bilal et Diego R. Känzig, Mai 2024, The Macroeconomic Impact of Climate Change: Global vs. Local Temperature
[6] Maria Salvetti, Octobre 2022, Patrimoine eau potable, assainissement collectif, eaux pluviales en France. Une approche des enjeux financiers de la sécurité hydrique.