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Note

Les étrangers dans l’entreprise : les pensées cachées du RN

Le RN prétend qu’il critique les étrangers qui ne manifestent pas l’intention de s’intégrer. Or, par des amendements parlementaires récents, il dévoile une stratégie beaucoup plus générale, visant les étrangers extra-européens occupant des emplois salariés. Plusieurs propositions d’amendements portant sur le monde du travail expriment la volonté de réduire les droits des travailleurs étrangers en ce qui concerne l’indemnisation du chômage, la participation aux instances représentatives du personnel et l’accès aux élections professionnelles.

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Il y a deux façons d’examiner un projet politique : décortiquer son programme officiel ou analyser les choix concrets qu’ont fait ses partisans dans l’exercice de leurs mandats électoraux dans un passé récent. Cette seconde option est d’autant plus intéressante qu’il peut arriver que des parlementaires défendent, en commission ou dans l’Hémicycle, des positions qui ne figuraient pas – ou pas encore – dans le programme de leur formation d’origine. C’est le cas avec les élus du Rassemblement national à l’Assemblée nationale qui, par leurs initiatives ou leurs amendements, ont parfois soutenu des propositions absentes du programme de Marine Le Pen en 2022 et encore invisibles dans celui de Jordan Bardella aujourd’hui.

Si l’on s’intéresse, par exemple, à leurs idées concernant le fonctionnement du marché du travail et des entreprises, les contributions des députés RN aux débats relatifs à la loi sur le fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (loi dite « assurance chômage » votée en novembre 2022) sont ici du plus haut intérêt.

Les députés RN ont ainsi déposé, en octobre 2022, un amendement visant à réserver le principe de solidarité et d’allocation chômage aux citoyens français. S’il avait été adopté, les étrangers non ressortissants de l’Union européenne n’auraient pu prétendre qu’à l’équivalent d’une année pleine de droit au chômage, année pendant laquelle ils auraient dû « trouver un nouvel emploi afin de renouveler leur titre de séjour ».

Habituellement, dans ses programmes, l’extrême-droite concentre ses attaques sur les prestations sociales non contributives (allocations familiales, etc.) dont elle souhaite exclure les étrangers au titre de la « préférence nationale ». Ici, il s’agit bien d’une prestation contributive : « l’assurance chômage » est en effet une assurance sociale où les prestations sont par définition liées aux cotisations. Les élus Rassemblement national envisagent donc un monde où certains cotisent comme tout le monde sur la valeur créée par leur travail mais reçoivent moins que les autres en cas de réalisation du risque (en l’occurrence, le chômage). Autrement dit, ces salariés sont priés de payer pour les autres.

Dans un autre amendement, les élus RN ont proposé d’interdire la présence d’étrangers extra-communautaires au sein des instances représentatives des entreprises au motif que celles-ci sont « des acteurs structurants du corps social au sein desquels se jouent des enjeux fondamentaux, non seulement pour les affaires économiques propres aux entreprises, mais de manière générale pour l’ensemble tissu économique national ». Alors que la condition de nationalité pour les élections professionnelles avait été supprimée de la législation par la loi n° 72–517 du 27 juin 1972, les élus RN ont jugé indispensable que seules les personnes disposant de la nationalité française puissent participer aux élections désignant les salariés qui siègent dans les instances représentatives du personnel. Ils y voient un impératif de « souveraineté nationale » dans un contexte « de tensions géopolitiques et commerciales ».

De même, ils ont encore plaidé pour limiter l’accès aux élections professionnelles aux seuls salariés parlant le français au motif que « les instances représentatives des entreprises sont amenées à négocier avec les pouvoirs publics d’une part, les salariés d’autre part » ; ou encore pour que ce droit soit limité aux titulaires d’un CDI (aujourd’hui, les élections professionnelles sont ouvertes à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté et un contrat à durée déterminée est renouvelable deux fois dans la limite de dix-huit mois). Sur le premier point, le rapporteur de la loi, M. Marc Ferracci, a fait observer en séance que cet amendement aurait conduit « à exclure, non pas uniquement de l’éligibilité mais du vote aux élections professionnelles, près de 1,2 million de salariés qui sont en situation d’illettrisme en France. (…) Tous ne sont évidemment pas de nationalité étrangère ». Quant au second, il est surprenant qu’un parti qui prétend s’exprimer au nom des « petits », propose de priver les plus précaires de leurs droits de représentation dans l’entreprise : ce serait proprement mettre en place une politique exclusivement en faveur des insiders.

L’idée sous-jacente à ces amendements est toujours la même : fractionner le collectif de travail entre ceux qui ont le droit d’y être représentés et de désigner leurs représentants, d’une part, et, de l’autre, ceux qui en sont privés alors même qu’ils travaillent dans le même cadre et réalisent les mêmes fonctions que les autres.

Bien que ces questions touchent étroitement au monde du travail, à aucun moment les élus RN n’envisagent un échange à ce sujet avec les partenaires sociaux. Obsédés par le désir de reléguer la main d’œuvre immigrée dans un statut de seconde zone, ils semblent ignorer la situation d’entreprises florissantes qui, comme Airbus, font travailler, sur leurs sites de production ou dans leurs services de R&D, des salariés de nationalités diverses dans une large gamme de fonctions et qui communiquent parfois en anglais entre eux. Les dispositions défendues ici par les élus RN seraient de nature à désorganiser ces structures.

Par ailleurs, il est surprenant que les élus RN qui dénoncent sans cesse les assistés et ceux qui « ne veulent pas s’intégrer », s’en prennent de cette façon à ceux qui précisément s’intègrent par le travail, paient des impôts et des cotisations et contribuent à la fois à l’effort de production de richesses de notre pays et à ses dispositifs de solidarité.

Les amendements soutenus ici par les députés RN sont en outre contraires à la Constitution. Le Préambule de la Constitution de 1946, inscrit dans le bloc de constitutionnalité, précise en effet dans son article 8 que « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. » Le texte de 1946 ne connaît, sous ce registre, que des « travailleurs ».

L’ensemble de ces amendements ont été heureusement repoussés par le rapporteur et le gouvernement et finalement rejetés. Mais ils montrent bien que les programmes seuls ne suffisent pas à rendre compte du projet xénophobe de l’extrême-droite. Au moment où elle risque d’avoir un nombre d’élus plus important encore, cette leçon mérite d’être méditée. Les mêmes, sur les mêmes bancs du Palais Bourbon, risquent de promouvoir les mêmes idées.

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