Les Français travaillent-ils plus ou moins que les autres ?

Les Français travaillent-ils plus ou moins que les autres ?
Publié le 22 novembre 2021
  • économiste et directeur de recherche au CNRS
Peut-on dire que les Français ne travaillent pas assez ? Le débat, récurrent depuis la mise en place des 35 heures, reste confus tant qu’on ne distingue pas, au minimum, temps de travail hebdomadaire, annuel ou tout au long de la vie.

À nouveau le débat sur le temps de travail rebondit à l’occasion des Présidentielles.

Une première fois sous la forme d’une proclamation présidentielle : « Quand on compare, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres, en quantité ». Les Français sont ainsi comparés défavorablement à leurs voisins européens, ce qui réveille les passions jamais éteintes depuis l’adoption des 35 heures.

Une seconde fois avec les propositions des candidats de gauche à la présidentielle qui envisagent d’augmenter les salaires et de réduire la durée du travail à 32 heures. Dans le débat politique, cette dernière proposition illustre la préférence pour les loisirs, ce qui ne manque pas d’exaspérer les Français qui n’apprécient guère d’être décrits comme paresseux alors qu’ils aiment à se représenter comme une avant-garde sociale forçant le capital a un meilleur partage des gains de productivité.

Une troisième fois avec les 35 heures dans la fonction publique territoriale, l’Etat central voulant en imposer l’effectivité et les collectivités locales voulant préserver leur liberté en dérogeant aux politiques nationales.

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Dans ce débat confus où nul juge de paix n’est reconnu, les Français se sentent stigmatisés alors que leurs salaires stagnent depuis longtemps et que les prix de l’énergie ou des biens alimentaires s’envolent.

Peut-on introduire un peu de rationalité statistique dans cet objet politique inflammable ?

La réponse est oui pour peu qu’on définisse la question à laquelle on cherche à répondre.

Une durée hebdomadaire du travail comparable

Si l’on considère la durée hebdomadaire du travail, les travaux d’Eurostat livrent une réponse dénuée de toute ambiguïté : les Français travaillent autant si ce n’est plus que leurs voisins européens. La France est au même niveau que l’Espagne, légèrement derrière l’Allemagne mais elle devance le Royaume-Uni. Les pays nordiques sont en haut du tableau de la durée hebdomadaire du travail.

Le problème est que c’est une durée moyenne qui est comparée. Or, selon les pays, la part des salariés à temps partiel varie fortement. D’où la nécessité, pour comparer ce qui est comparable, soit de raisonner en temps pleins, soit de retraiter les données du temps partiel en équivalent temps plein (ETP). Rappelons que le temps partiel concerne un emploi sur deux aux Pays-Bas, 27% en Allemagne et 18% en France. Tous contrats confondus et compte tenu de la faiblesse relative du temps partiel en France, les Français travaillent plus que leurs voisins européens : 37,4 heures par semaine exactement contre 35 heures pour les Allemands, 37 pour les Italiens, et 36,6 pour les Britanniques.

Sitôt formulé, ce résultat soulève une objection : qu’en est-il de la durée annuelle du travail, toutes populations confondues (y compris les chômeurs, les inactifs, les enfants, les retraités…) et en tenant compte des jours fériés et des congés ? Le calcul est assez simple : il s’agit simplement de diviser le nombre total d’heures travaillées au cours de l’année par le nombre d’habitants. Selon l’OCDE, la France est l’un des plus mauvais élèves compte tenu notamment de la durée des vacances et de la sous-activité de certaines catégories de la population. En moyenne, un Français travaille 630 heures par an contre 692 pour un Espagnol et 722 pour un Allemand.

Une durée annuelle du travail contrastée

Cette donnée est cependant à relativiser car si on raisonne en temps de travail annuel par salarié et non plus par Français en général, la France fait mieux que l’Allemagne (1511h contre 1386) mais moins bien que la moyenne européenne (1590h). Rexecode apporte un complément utile sur la base des mêmes données en distinguant la situation des salariés de celle des non-salariés : « La durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet était en France de 1680 heures en 2019, contre 1955 heures vingt ans plus tôt. Il s’agit de la durée la plus faible de l’Union européenne après la Suède. A l’inverse, la durée du travail des non-salariés à temps complet français est parmi les plus élevées d’Europe. Le temps de travail des salariés à temps partiel, soit 18% des salariés en France, se situe au-dessus de la moyenne européenne. »

De plus, une même durée moyenne du travail dans des pays qui ont des niveaux de chômage très différents ne fait pas sens parce que globalement un fort niveau de chômage structurel signifie que le pays concerné travaille moins que son voisin.

Des données peu probantes sur la productivité horaire

Une autre critique souvent faite à la métrique de la durée hebdomadaire du travail est que celle-ci importe peu dès lors qu’il est établi que la productivité horaire française est bien supérieure à celle de pays développés comparables.

Mais cet argument se retourne aisément car, à supposer que le fait soit bien établi, on peut soutenir qu’un pays qui a un fort taux de chômage sélectionne de fait sa force de travail et améliore mécaniquement la productivité horaire de ceux qui travaillent.

Une vraie différence : La durée du travail sur toute la vie

Alors tout débat est-il vain ? Non, car un autre argument plus décisif peut être mobilisé celui de la durée d’activité sur une vie entière, mesure qui dépend de l’âge moyen du départ à la retraite

Force est de constater que la France fait partie des pays les plus généreux qu’il s’agisse de l’âge d’ouverture des droits, de l’âge de sortie du marché du travail ou de la durée moyenne espérée de retraite.

Source : Conseil d’Orientation des retraites (2020, opus cité).
Note : La durée moyenne espérée de retraite correspond à l’espérance de vie diminuée de l’âge de sortie du marché du travail.

Au total, les données tant d’Eurostat que de l’OCDE ou du COR convergent pour dégager une image contrastée du paysage du travail dans notre pays. Celui-ci est davantage marqué par le chômage structurel, un faible recours au temps partiel, le surtravail des indépendants, le régime de retraite très généreux, que par la durée hebdomadaire du travail des salariés à temps plein. On comprend dès lors que la question de la réforme des retraites redevienne centrale. Voici le vrai débat.

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