Les jeunes entrepreneurs des quartiers loin des clichés
Les jeunes entrepreneurs des quartiers loin des clichés
Au pied de la grande Tour des 4000, grosse cité HLM de La Courneuve, cette banlieue du nord de Paris, une vingtaine de jeunes entrepreneurs sont hébergés dans la pépinière locale. Les locaux abritent des trentenaires, pleins d’idées et qui « ont faim ». Une agence de com’ solidaire, le créateur d’une application de carte postale numérique, un réparateur de cartes électroniques, une boîte de pédales analogiques, une autre spécialisée dans la puériculture en ligne… Tous ont une qualification 2.0 et une idée de niche commerciale où investir. Mais pas forcément le mode d’emploi pour mener à bien leur activité.
La moitié de ces jeunes créateurs d’entreprise viennent des banlieues alentour. Quand ils arrivent à la pépinière, ils sont souvent très seuls. Ali Celik, directeur de la pépinière d’entreprises de La Courneuve, raconte :
« Toutes nos PME sont confrontées à une absence de réseau pour trouver une aide financière. Ils ne sont pas sortis de grandes écoles commerciales, n’ont pas de “business angel” qui leur permette de rencontrer le directeur des achats d’un grand groupe. Nous les entourons, les accompagnons et les formons. »
Florian Gravier, cofondateur de Flaneurz, une PME fabriquant des rollers sur baskets, est né à Villiers-le-Bel. Sans contact dans les milieux financiers et commerciaux, c’est à la pépinière qu’il a trouvé de l’aide pour établir son modèle économique, ses tableaux financiers et gérer ses recrutements. « C’est un vrai plus quand le directeur passe un coup de fil pour nous aider à passer une période creuse au plan financier ou nous conseille pour nous agrandir », assure le jeune trentenaire. Même sentiment pour Moïse Yousuf-Ali, créateur d’un site de vente de lampes LED américaines : « Nous ne sommes pas tout seuls, livrés à nous-mêmes. Ici, on nous aide même si on n’est pas une start-up. »
Un portrait plutôt flatteur
Sur le terrain, tous ces jeunes sont en effet confrontés à des obstacles propres à leur statut social et à leur domiciliation. Une étude que publient, mardi 20 septembre, Bpifrance Le Lab (Banque publique d’investissement) et le think tank proche du parti socialiste Terra Nova vient utilement le rappeler.
En compilant les données de la base Alteres de Bpifrance, celles d’une évaluation des entreprises soutenues et un sondage réalisé par OpinionWay sur 400 entreprises situées dans les quartiers populaires, les auteurs ont dessiné le profil de ces nouveaux petits patrons.Et dresser un portrait plutôt flatteur des dirigeants d’entreprise issus des zones urbaines sensibles, loin des clichés véhiculés sur la banlieue. Les banlieues sont devenues des territoires de création de PME innovantes et pourvoyeuses d’emploi, plus grosses que la moyenne, majoritairement dirigées par des hommes jeunes, diplômés et issus eux-mêmes des banlieues populaires.
Ce sont à 53 % des hommes, détenteurs d’un diplôme allant du BEP ou bac, voire plus, et qui sont majoritairement âgés de moins de 40 ans (15 % ont même entre 15 et 24 ans). Ils évoluent dans un univers numérique où ils ont grandi et cherchent à « se réaliser » en créant leur propre job. On les retrouve le plus souvent dans les secteurs du service aux entreprises (conseil en informatique, Web, communication ou nettoyage), le bâtiment ou l’e-commerce.
Frédérique Savel, directrice du développement chez Bpifrance, souligne :
« Ce sont des actifs qui quittent leur emploi quand ils ont suffisamment d’argent pour se lancer avec l’aide de leurs proches et qui choisissent de rester dans leur quartier ou d’y revenir. »
Problèmes de trésorerie
Ces entrepreneurs des quartiers réussissent plutôt bien et ils créent de l’emploi, insiste l’étude. Un vrai potentiel donc, mais qui connaît plus fortement des problèmes de trésorerie et de carnet de commandes. L’accès aux financements est en effet la première difficulté mentionnée dans le sondage d’OpinionWay (réalisé par téléphone auprès de 400 entreprises créées dans les zones urbaines sensibles).
Ils ont aussi plus de mal à se faire payer par leurs clients : 37 % avouent souffrir des retards de paiement. Ainsi, remarque Abdeldjellil Bouzidi, coordonnateur du pôle économique à Terra Nova :
« Ces jeunes entrepreneurs n’ont pas le rapport de forces pour exiger de se faire payer en temps et en heure. Et ils ne connaissent pas les produits bancaires spécifiques qui pourraient les aider. »
L’étude suggère donc de développer desproduits d’affacturage spécifiques aux « bassins d’emploi sensibles » et d’aider les associations à la création d’entreprise qui épaulent ces jeunes patrons en herbe.