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Note

Mixité des métiers : une condition de l’égalité femmes-hommes

Bien que présents à parts égales dans la population active depuis près de trois décennies, les hommes et les femmes continuent de se répartir de façon différenciée dans les différents métiers et secteurs d’activité. En analysant précisément de quelle manière les hommes et les femmes se répartissent sur le marché du travail, cette note de Kenza Tahri pour Terra Nova a vocation à revenir sur l’éventail de politiques publiques déployé depuis le début des années 2000 et à en questionner la portée limitée. En effet, force est de constater qu’en dépit des efforts réalisés par les gouvernements successifs, grâce à la mobilisation des différents acteurs de l’école et du marché du travail (branches professionnelles, entreprises, service public de l’emploi et de la formation professionnelle), les stéréotypes sexués continuent d’influencer très fortement les trajectoires professionnelles des hommes et des femmes. L’enjeu est crucial, car agir en faveur de la mixité des métiers, c’est agir pour l’égalité des chances, des mérites et des opportunités, conditions nécessaires pour parvenir à l’égalité réelle entre les hommes et les femmes.
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Introduction

La proposition de loi « visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle » portée par la députée Marie-Pierre Rixain a été adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale. Ce texte prévoit plusieurs mesures pour agir en faveur de la réduction des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes : quotas du sexe sous-représenté dans les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1 000 salariés, transparence accrue sur les disparités salariales, index d’égalité dans l’enseignement supérieur… Autant de mesures qui permettront d’aller vers davantage d’égalité, dont on sait qu’elle n’est pas une « pente naturelle [1]  ».

En effet, dans un rapport publié le 13 avril 2021, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pointait les avancées « réelles mais lentes » en matière de parité dans le secteur public [2] , faisant état de progressions « contrastées selon les secteurs [3]  ». Malgré une prédominance des femmes dans les effectifs (62,5 % de femmes toutes fonctions publiques et catégories confondues), elles ne sont que 37,5 % dans les postes d’encadrement. La situation n’est toutefois pas la même dans les trois fonctions publiques : la parité est atteinte dans la fonction publique hospitalière (49,1 %), mais pas dans la fonction publique d’État (34,5 %) ni dans la fonction publique territoriale (32,6 %), même si les dispositifs paritaires ont permis d’augmenter la proportion de femmes « primo-nommées » au sein des postes d’encadrement, passant de 31 % avant l’adoption de la loi en 2012 à 37 % en 2018. Si l’évolution est réelle, les objectifs de parité, malgré les obligations, ne sont pas encore atteints. Ce que révèlent ces chiffres, c’est que, en dépit de l’arsenal législatif déployé depuis une décennie (loi Copé-Zimmermann de 2011, loi Sauvadet de 2012, loi Vallaud-Belkacem de 2014, loi Recherche de 2013, loi Modernisation du système de santé de 2016, etc.), la culture de la parité peine à s’imposer dans le secteur public, et ce constat peut se généraliser à l’ensemble du marché du travail.

D’ailleurs, les résultats de l’Index égalité professionnelle publiés en mars 2021 pour l’année 2020 révèlent que 43 % des entreprises de plus de 1 000 salariés comptent moins de deux femmes dans leurs dix plus hautes rémunérations. Ainsi, bien qu’à parts égales dans la population active depuis près de trois décennies, hommes et femmes se répartissent toujours de façon différenciée dans les différents métiers, n’exercent pas aux mêmes postes, ni aux mêmes niveaux hiérarchiques. Ils n’exercent pas non plus dans les mêmes secteurs d’activité : un rapport du Centre d’information et de documentation jeunesse publié en 2018 [4] révélait que seuls 17 % des métiers étaient mixtes, c’est-à-dire comptant dans leurs effectifs une proportion équilibrée d’hommes et de femmes (entre 40 % et 60 %). L’examen des statistiques de la population active confirme cette partition sexuée des emplois [5]  : l’enseignement, la santé, l’hébergement médico-social, l’action sociale et les services aux ménages emploient, à eux seuls, 41,8 % des femmes actives françaises en 2018. Les femmes représentent d’ailleurs 90 % des salariés des services à la personne et 90 % des aides-soignants/agents de services hospitaliers. A contrario, les hommes représentent près de 70 % des ingénieurs de l’informatique et des professionnels de la R&D, et 88 % des salariés du BTP. En amont du marché du travail, les choix d’orientation restent fortement différenciés entre les filles et les garçons, en dépit de nombreuses politiques publiques destinées à permettre la diversification de leurs choix d’orientation. Les efforts réalisés par les gouvernements successifs, par la mobilisation des différents acteurs de l’école et du marché du travail (branches professionnelles, entreprises, service public de l’emploi et de la formation professionnelle) pour permettre l’accès des femmes à des métiers traditionnellement occupés par des hommes, ont eux aussi été nombreux. Pourtant, rien ne bouge (ou presque). En 2016, d’après les chiffres de l’INSEE, sur 87 familles professionnelles, 8 seulement présentent une répartition équilibrée d’hommes et de femmes, tandis que 51 sont peu, voire très peu féminisées, et une vingtaine d’entre elles présentent un déséquilibre « extrême », c’est-à-dire qu’elles comptent, dans leurs effectifs, moins de 10 % d’hommes ou de femmes.

Cette situation, on le sait, est particulièrement défavorable aux femmes, qui continuent de se concentrer dans un nombre limité de métiers, le plus souvent faiblement rémunérés (métiers du soin, de la propreté, de l’aide à la personne) avec les conséquences que l’on connaît : temps partiel « subi » dans certains secteurs d’activité, maintien des inégalités de salaire entre les hommes et les femmes, faible accès des femmes à des fonctions d’encadrement et de direction. Ce phénomène de « ségrégation professionnelle » doit nous interroger, dès lors que l’on s’intéresse à la fabrique des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, qui s’élèvent, en France, rappelons-le, à 9 % à poste égal et à 18,5 % tous postes confondus. En analysant précisément de quelle manière les hommes et les femmes se répartissent sur le marché du travail, la présente note a vocation à revenir sur l’éventail de politiques publiques déployées depuis le début des années 2000, pour en questionner la portée limitée, tenter de comprendre pourquoi, en dépit de nombreux efforts, les stéréotypes de sexe continuent d’influencer très fortement les trajectoires professionnelles des femmes et des hommes et chercher à savoir de quelle manière il serait possible d’aller vers davantage de mixité dans les différentes filières, secteurs, métiers, et ce à tous les niveaux hiérarchiques. Si cet enjeu est crucial, c’est parce que, agir en faveur de la mixité des métiers, c’est agir pour l’égalité des chances, des mérites et des opportunités, conditions nécessaires pour parvenir à l’égalité réelle entre les hommes et les femmes.

1. Une mixitÉ qui ne progresse pas : ni À l’École ni au travail

En amont du marché du travail, les choix d’orientation des filles et des garçons demeurent fortement différenciés. Cette division sexuée de l’orientation influence fortement leurs trajectoires professionnelles respectives. Au lycée, en filière professionnelle et technologique comme en filière générale, les filles et les garçons n’investissent pas les mêmes parcours ou spécialités [6]  : les filles sont surreprésentées dans les filières sanitaires et sociales et de l’habillement (féminisées à 91 %), dans les spécialités linguistiques et d’histoire-géographie (à 72 %). Les garçons, quant à eux, sont surreprésentés dans celles de l’électronique (98 %), de l’industrie et du développement durable (92 %), du transport (89 %). Les filières commerce, vente, management et gestion s’approchent en revanche de la parité. La différenciation des orientations se poursuit dans le supérieur : les formations paramédicales et sociales, les classes préparatoires littéraires et les formations universitaires en langues, lettres et sciences humaines sont féminisées à plus de 70 %, et celles de médecine et pharmacie à 65 %. Les filières de droit, d’économie, les classes préparatoires (CPGE) économiques et les écoles de commerce, de gestion et de comptabilité sont en revanche mixtes. Les parcours universitaires STAPS (activités physiques et sportives), les classes préparatoires (CPGE) scientifiques, les formations d’ingénieurs et les licences professionnelles en production industrielle comptent entre 60 % et 70 % d’hommes.

Une fois sur le marché du travail, cette ségrégation dite « horizontale » (différences entre secteurs et postes occupés) vient se doubler d’une ségrégation « verticale » puisque les hommes et les femmes n’accèdent pas aux mêmes postes, et ce dès le début de la vie active : l’insertion dans l’emploi est plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Trente mois après la sortie de formation, elles occupent, à diplôme équivalent, moins d’emplois stables que les hommes : 70 % pour les diplômées d’un DUT, 80 % pour les titulaires d’une licence professionnelle, et 74 % pour le grade de master (contre respectivement 81 %, 87 % et 82 % pour les hommes [7] ). Ensuite, hommes et femmes se répartissent différemment au niveau des différentes catégories socioprofessionnelles : les femmes représentent 77 % des employés contre 42 % des cadres et à peine 16 % des chefs d’entreprise. C’est un paradoxe car l’édition 2021 du rapport « Filles, garçons, sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur [8]  » publié chaque année par le ministère de l’Éducation nationale vient confirmer une tendance ancienne : les filles réussissent mieux que les garçons à l’école. Elles sont en effet plus nombreuses à obtenir leur diplôme national du brevet, en série générale comme en série professionnelle (respectivement 91 % et 76 % de taux de réussite pour les filles, 84 % et 71 % pour les garçons) ; plus nombreuses également à obtenir le baccalauréat [9] (90 % contre 86 %) et à y obtenir une mention « Bien » ou « Très bien » (27 % contre 22 %) ; plus nombreuses enfin à décrocher une licence ou un diplôme du supérieur à la sortie du système éducatif (35 % contre 25 %). Au lycée, elles s’orientent plus fréquemment vers l’enseignement général et technologique, filière préparant le mieux aux études supérieures longues (71 % des filles, 57 % des garçons). Une étude réalisée par le CEREQ [10] en 2019 rappelle que les filles sont aussi de moins en moins nombreuses à sortir du système scolaire sans aucun diplôme : elles étaient 25 % en 1990 et ne sont plus que 10 % en 2016. Le chiffre a moins baissé pour les hommes sur la même période (28 % en 1990 et 15 % en 2016).

Pour comprendre ce paradoxe, il faut s’intéresser à la « structure » de l’emploi des femmes, qui diffère de celle des hommes [11] . Rappelons que l’entrée des femmes sur le marché du travail, concomitante avec la croissance du secteur tertiaire, « a conduit beaucoup de femmes à effectuer sur le registre salarié des tâches auparavant réalisées dans la sphère familiale [12]  », mettant ainsi en œuvre des qualités ou capacités considérées comme « féminines » : nourrir, prendre soin et éduquer (dans le prolongement de leur rôle de mère et d’épouse), mais aussi des tâches administratives et de comptabilité, auparavant effectuées pour le conjoint ou la famille. Ainsi, les femmes, dès leur entrée sur le marché du travail, vont se concentrer dans un nombre restreint de métiers (ou de familles professionnelles). Les dernières données disponibles (DARES 2015) indiquent que près de la moitié des femmes se concentrent toujours dans une dizaine de métiers. En comparaison, la répartition des hommes est plus dispersée : les dix professions qui concentrent le plus d’hommes n’emploient que 31 % d’entre eux [13] . Certes, cette concentration des femmes dans un nombre restreint de métiers tend à baisser depuis trente ans, mais elle reste forte. D’après les chiffres de la DARES [14] , dix métiers concentraient 53 % de l’emploi des femmes en 1983 contre 47 % en 2011. Mais la proportion d’hommes dans les dix métiers rassemblant le plus d’hommes est passée de 35 % en 1983 à 31 % en 2011.

Les professions les plus féminisées sont bien connues : il s’agit des aides à domicile et aides-ménagères, secrétaires de direction, employées de maison, aides-soignantes, infirmières, sages-femmes, métiers qui comptent tous dans leurs effectifs plus de 90 % de femmes. Viennent ensuite les employés de la comptabilité, les employés administratifs en entreprise et de la fonction publique, les vendeurs, les enseignants et les agents d’entretien, métiers féminisés à plus de 70 %. Ces métiers sont pour l’essentiel faiblement rémunérés et offrent, on le verra, peu de perspectives d’augmentation et de promotion dans la carrière, des contrats plus précaires et du travail à temps partiel, souvent en horaire discontinu. C’est l’héritage du « salaire d’appoint » décrit par l’économiste Rachel Silvera [15]  : historiquement, c’est aux hommes qu’il incombait de faire vivre le foyer. Les femmes, quant à elles, étaient censées n’apporter qu’un « salaire d’appoint » et exerçaient pour cela des activités se situant dans le prolongement des activités familiales et domestiques. Ce point est particulièrement préoccupant dans la mesure où continuer de supposer la mise en commun des ressources du ménage ne va pas de soi : un rapport d’Oxfam de 2017 pointe que plus d’un quart des femmes en situation de monoparentalité sont des travailleuses pauvres (1 million de personnes) et, plus généralement, le nombre de travailleuses pauvres est en progression en France (5,6 % en 2006 contre 7,3 % en 2017 [16] ), avec une tendance similaire en Europe, où le taux de femmes en situation de pauvreté laborieuse est passé de 8 % en 2008 à 9 % en 2016 (chiffres Eurostat). Ainsi, malgré un accès de plus en plus important aux postes de cadres et aux professions intellectuelles supérieures, et malgré la féminisation croissante de nombreux métiers jusqu’ici occupés en majorité par des hommes, les femmes occupent 80 % des temps partiels – que ceux-ci soient « choisis » ou « subis » – et 70 % des emplois précaires (CDD et interim), contribuant à maintenir les écarts de rémunération que l’on connaît.

Dans le secteur des services à la personne, féminisé à plus de 90 %, elles occupent une large proportion d’emplois à temps partiel (37,4 % [17] ). On note également que le taux de recours aux CDD est élevé dans ce secteur, qui comporte par ailleurs une faible proportion de cadres (8,7 % selon la même étude) et une part plus importante d’employés (50 %) et d’intermédiaires (31 %). D’ailleurs, bien que majoritaires dans ce secteur dont le poids dans l’économie est important (1,3 million de salariés en 2019 et 20,3 milliards d’euros en 2019 [18] ), les femmes y occupent rarement des postes de cadres (7 %), ce qui représente une part plus faible que dans des secteurs à prédominance masculine comme les transports et la métallurgie, dans lesquels elles comptent respectivement pour 10 % et 27 % des cadres. Le secteur de la propreté reste lui aussi très féminisé (65 % de femmes), et l’étude CIDJ précise que, là encore, les femmes sont « largement majoritaires » sur les postes d’agents de service (73 %), d’employées (67 %) et minoritaires sur les postes de cadres (32 %). Dans ce même secteur, 41 % des femmes sont concernées par le phénomène de « multi-emplois » contre 27 % des hommes. Notons toutefois que, dans le secteur de l’aide à la personne, hommes et femmes connaissent tous deux le sous-emploi et le temps partiel, même si ces dernières y sont surreprésentées (40,8 % contre 25,9 % selon l’étude Syndex).

Dans l’enseignement, autre secteur très féminisé, on observe que la part des femmes dans les effectifs tend à diminuer à mesure que le niveau de qualification augmente. C’est ce que révèle l’étude du CIDJ [19]  : les femmes représentent 84 % des professeurs d’école, 59 % des professeurs du secondaire et à peine 39 % des professeurs du supérieur.

Ainsi, la faible mixité se mesure aussi bien d’un secteur d’activité à l’autre, que du point de vue de la nature des activités exercées par l’un ou l’autre des sexes. Cela affecte leur répartition au sein de chaque catégorie socioprofessionnelle et contribue aux écarts de rémunération.

Pourtant, une dynamique de plus grande mixité est en marche, mais celle-ci semble limitée aux métiers les plus qualifiés : chez les cadres des services administratifs comptables et financiers, de la fonction publique, des secteurs de la banque et de l’assurance, chez les médecins et les professionnels des arts et du spectacle, les proportions de femmes sont passées de 20 % à plus de 60 % entre le début des années 1980 et l’année 2014 [20] . Cependant, malgré ces évolutions, des tendances lourdes demeurent. Même lorsque les femmes investissent des secteurs d’activité ou des métiers auparavant occupés par les hommes, il n’est pas rare que des différences perdurent. Par exemple, si un médecin sur deux est une femme, les spécialités restent très différenciées : si 69 % des pédiatres sont des femmes, les femmes ne représentent que 30 % des chirurgiens. Chez les cadres, le phénomène de ségrégation professionnelle horizontale et verticale se maintient, et ces différenciations conduisent, là aussi, à un moindre accès pour les femmes aux plus hautes fonctions.

Rappelons en effet que, en 2011, avant l’imposition par la loi Copé-Zimmermann d’un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 salariés, le taux de féminisation des CA était seulement de 15 % [21] (contre 46 % aujourd’hui). Notons d’ailleurs que, pour les entreprises de moins de 500 salariés qui n’étaient pas soumises à cette obligation, le pourcentage de femmes dans ces instances ne dépasse pas 25 %, ce qui, du reste, montre bien les limites de la seule dynamique d’engagements volontaires [22] .

Ainsi, les femmes sont pour l’essentiel soumises à la fois au « plafond de verre » (moindre accès à des postes et à des salaires élevés) et au « plancher collant » (concentration dans des métiers faiblement rémunérés).

Michel Ferrary [23] , qui a étudié les 50 plus grandes entreprises françaises qui constituent le segment primaire du marché du travail [24] parle de « bipolarisation sexuelle des entreprises » pour décrire cette répartition très genrée des secteurs et des emplois. Son analyse permet de distinguer, parmi ces entreprises, deux groupes : celles à prédominance féminine (dont le pourcentage de femmes dans les effectifs est supérieur à la moyenne de ces 50 entreprises) – il s’agit des entreprises des services financiers (Axa, BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale), de l’industrie du luxe (Hermès, LVMH, L’Oréal, PPR), de la communication et des médias (Havas, Lagardère, France Telecom, M6, TF1, Vivendi), du tourisme (Accor, Air France), des secteurs de services (Casino, Sodexo) et de la santé (Sanofi) ; et celles qui comptent majoritairement des hommes dans leurs effectifs – soit les entreprises industrielles de l’automobile (Renault, Peugeot, Michelin, Valéo), de l’énergie (Areva, Alstom, EDF, GDF Suez, Technip, Total, Vallourec), de la chimie (Air Liquide, Arkema, Rhodia), de la construction et des services aux collectivités (Bouygues, Eiffage, Lafarge, Saint Gobain, Suez Environnement, Veolia, Vinci) et enfin des secteurs technologiques (Alcatel, France Télécom, Safran, Schneider Electric et Legrand).

Ces travaux confirment ainsi un constat établi par de nombreux travaux de recherche : les « préférences » professionnelles et les choix d’orientation qui poussent les hommes comme les femmes à s’orienter vers tel ou tel secteur d’activité ou métier demeurent sexués, en raison de la persistance de stéréotypes qui viennent influencer, en amont du marché du travail, les choix d’orientation à l’école. De même, les perceptions relatives aux qualités « naturelles » des hommes et des femmes, elles aussi puissamment intériorisées par les travailleurs et travailleuses ainsi que par les employeurs, influencent à la fois les trajectoires professionnelles et les évolutions au sein de l’entreprise. Ce point est particulièrement bien illustré par Michel Ferrary : « Le marché du travail est lui aussi encastré dans […] des stéréotypes concernant les capacités, les intérêts et les comportements “naturels” des femmes et des hommes. Ainsi, l’ensemble de ces croyances influencent aussi les décisions des employeurs au même titre que les choix des travailleurs eux-mêmes, qui intériorisent puissamment les stéréotypes concernant les caractéristiques traditionnellement attribuées aux hommes (force, assurance, pragmatisme) et aux femmes (douceur, empathie, aptitude à communiquer) [25]  » avec la conséquence que l’on connaît : puisque les femmes et les hommes disposeraient de compétences différenciées, les unes et les autres seraient donc « naturellement » plus aptes à exercer certains types d’activité. Les hommes seraient naturellement plus aptes à faire preuve « d’assertivité, d’indépendance et de leadership [26]  » tandis que les femmes restent perçues comme moins aptes à décider, à diriger et, au contraire, plus douées pour la coopération. Disposant supposément de compétences supérieures pour l’éducation et le soin porté aux enfants, les femmes restent plus nombreuses à ajuster leurs temps de travail aux exigences de leur vie domestique et familiale (80 % des salariés à temps partiel sont des femmes contre 7,7 % des hommes), légitimant ainsi les préjugés des employeurs sur leur moindre disponibilité réelle ou supposée et limitant leur accès aux postes d’encadrement et de direction. D’après Françoise Vouillot, les jeunes filles, en raison de l’intériorisation de ces stéréotypes, anticipent, dans leurs choix d’orientation, cette répartition des tâches familiales et domestiques, quel que soit leur niveau de qualification, participant ainsi de cette division sexuée du travail. Ainsi, la famille, l’école, et l’entreprise sont des vecteurs de diffusion et de maintien des stéréotypes de sexe, particulièrement tenaces car solidement ancrés. Les entreprises ne sont donc pas productrices, mais bien reproductrices [27] de ces différents stéréotypes sur les qualités, compétences et préférences présumées des hommes et des femmes.

En somme, les écarts de rémunération et les différences d’insertion sur le marché du travail entre les femmes et les hommes sont le résultat d’un processus complexe. La faible mixité des métiers et des filières d’orientation constitue un enjeu important, dont les politiques publiques se sont emparées dès le début des années 1980. Pourtant, la portée des actions menées semble limitée. Nous avons formulé quelques hypothèses pour tenter d’en expliquer les raisons et proposer des pistes de réflexion.

2. La portÉe limitÉe des diffÉrentes politiques publiques menÉes depuis les annÉes 2000

Françoise Vouillot rappelle que « ce phénomène de séparation des sexes tout au long de la scolarité a plus ou moins préoccupé les politiques de l’éducation depuis le début des années 1980 [28]  ». Et pourtant, là encore, rien ne bouge, malgré la signature de conventions ministérielles successives destinées à favoriser la diversification de l’orientation des filles et des garçons, par les ministres chargés des droits des femmes avec les ministres de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et, à partir de 2000, le ministère en charge de l’emploi de la formation professionnelle,

Un rapport de l’IGAS de 2016 [29] recense l’ensemble des initiatives menées par les pouvoirs publics depuis les années 1980 et qui s’inscrivent dans le cadre de la politique d’égalité professionnelle menée par les différents gouvernements en place. Le rapport explique que la croissance du taux de l’emploi féminin depuis les années 1960 s’est accompagnée d’une concentration de femmes dans un nombre restreint de métiers et de secteurs d’activité – du reste peu valorisés et faiblement rémunérés. Il a donc pu apparaître légitime que l’objectif progressivement imposé ait été de permettre la diversification des choix d’orientation des filles (une fois levées les interdictions pour les femmes d’accéder à certains emplois) et de leur permettre, dès l’école, d’ouvrir leur « champ des possibles ». Ainsi, dès le début des années 2000, certaines branches professionnelles (les moins féminisées, comme le bâtiment et l’industrie) et des grandes entreprises ont déployé diverses actions pour attirer des femmes dans leurs effectifs. En 2004, un accord interprofessionnel relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est signé, mettant l’accent sur l’orientation, l’égalité salariale, la déconstruction des stéréotypes et la lutte contre les violences sexistes au travail, témoignant de l’engagement des partenaires sociaux sur le sujet. L’objectif est réaffirmé par la signature d’une Charte de l’égalité, le 8 mars 2004, qui introduit le concept de « mixité des emplois ». Pourtant, si l’objectif affirmé est d’élargir à la fois les choix d’orientation des filles et ceux des garçons, les initiatives mises en place sont destinées à attirer les femmes dans des filières et des métiers à prédominance masculine, alors même que la charte de 2004 définit la « mixité » de manière symétrique, c’est-à-dire, nous dit le rapport de l’IGAS, « concernant aussi bien l’accès des femmes au métiers où elles sont peu présentes que l’accès des hommes au métiers exercés principalement par les femmes ». Néanmoins, dans les faits, peu d’actions sont menées pour attirer les hommes dans les métiers féminisés, dont on a vu plus haut qu’ils étaient globalement moins bien rémunérés et plus précaires.

Entre le début des années 2000 et 2012, toujours selon ce même rapport, plusieurs actions sont menées. De 2000 à 2006, l’AFPA (l’Agence pour la formation professionnelle des adultes) développe un plan d’action national pour attirer les femmes dans ses formations (électricité, second œuvre équipement-froid-climatisation et bois-construction métallique) et se dote d’objectifs quantifiés pour chacun de ses centres régionaux. En 2011, la Semaine de l’industrie est créée, sous l’impulsion de la Direction générale des entreprises pour développer des actions destinées à encourager la place des filles dans les formations scientifiques et les métiers de l’industrie. S’agissant de l’école, la loi de 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école dispose que « les écoles, les collèges, les établissements d’enseignement supérieur […] contribuent à favoriser la mixité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation [30]  ».

À partir de 2013, sous le quinquennat de François Hollande, les initiatives se renforcent avec la signature d’une nouvelle convention interministérielle. Est également lancée une « Plateforme d’actions pour la mixité des métiers » (2014) qui formule plusieurs objectifs ambitieux : intégration des enjeux de la mixité dans les politiques d’orientation, dans le secondaire, le supérieur et la formation continue, et mise en œuvre d’actions en faveur de la mixité dans les secteurs contribuant le plus à la ségrégation professionnelle (petite enfance, services à la personne, sécurité civile, énergie, transports, etc.). En 2013, la loi sur la refondation de l’école crée les Écoles supérieures du professorat (ESPE) désormais en charge de la formation de l’ensemble des professionnels de l’éducation et tenues d’organiser des formations de sensibilisation à l’égalité filles/garçons. Le contenu de ces formations et le nombre d’heures dispensées ne sont toutefois pas précisés. Une expérimentation destinée à déconstruire les stéréotypes dès l’enfance à l’école (ABCD de l’égalité) est lancée mais abandonnée. Nous y reviendrons. Des accords-cadres sont également signés avec Pôle emploi pour sensibiliser les conseillers à cette thématique, et des plans sectoriels sont signés avec les branches professionnelles du transport, du bâtiment et des services à la personne. Un projet de révision des classifications professionnelles au niveau des branches dans les métiers les plus féminisés et les plus faiblement rémunérés est également discuté, dans un objectif de revalorisation des grilles de salaire. Cette fois-ci, l’affirmation de l’objectif de mixité est clarifiée : il s’agit bien d’un « rééquilibrage entre filles et garçons, hommes et femmes, dans l’ensemble des filières de formation et des métiers ». Toutefois, dans l’esprit des acteurs mobilisés, « la politique de développement de la mixité reste encore largement assimilée à la promotion de l’accès aux femmes aux emplois (et aux filières) traditionnellement masculins [31]  ». Peu d’actions visant à attirer les hommes dans les métiers féminisés sont mises en œuvre dans les faits.

Au vu de la lenteur des évolutions en matière de mixité dans les filières d’orientation et sur le marché du travail, il est légitime de questionner le prisme de ces politiques publiques. En effet, les parcours d’orientation différenciés sont autant le fait des hommes que des femmes, et, à l’école comme dans l’enseignement supérieur, ce sont à la fois des garçons et des filles qui « désertent de manière spécifique, des champs entiers de connaissances et de compétences [32]  ». Ainsi, puisqu’aucun des deux sexes ne semble échapper à ce déterminisme, le choix de chercher uniquement à orienter les jeunes filles vers des filières à prédominance masculine ne doit-il pas nous interpeller ? Il est fréquent d’entendre parler de « l’autocensure des filles » notamment dans le domaine des sciences, mais force est de constater que l’on observe exactement le même phénomène chez les garçons, qui délaissent, eux aussi, toute une panoplie de métiers. Pourquoi le mouvement inverse est-il si difficile ? Serait-il possible d’imaginer d’autres pistes de réflexion ? Ne peut-on pas faire l’hypothèse de la sous-évaluation des compétences réellement mises à l’œuvre pour l’exercice de certains métiers exercés majoritairement par des femmes ? Cette dévalorisation aurait pour conséquence leur faible rétribution et donc leur faible attractivité, notamment pour les hommes. Que traduit cette vision ? Des alternatives sont-elles envisageables ? Que se passe-t-il lorsque l’on choisit de « chausser les lunettes du genre [33]  » pour examiner le prisme de ces politiques publiques destinées à favoriser la mixité des métiers ?

Une telle approche permettrait en tout cas de tenir compte de la hiérarchisation socialement construite entre les deux sexes résultant de l’assignation des hommes et des femmes à des rôles spécifiques, sur la base de différences biologiques, dont on sait qu’elles produisent des inégalités. Pour Françoise Vouillot [34] , qui nous invite à sortir de « l’impensé du genre », ces choix sont la traduction de la « valence différentielle des sexes [35]  », selon la formule de Françoise Héritier. Autrement dit, le masculin l’emporte sur le féminin. Ainsi, ces choix sont-ils la manifestation d’un système hiérarchisé et hiérarchisant de normes de masculinité/féminité. Pourrait-on en effet considérer que certains métiers exercés en majorité par des femmes sont trop fréquemment considérés comme moins techniques qu’ils ne le sont réellement ? Le cas des sages-femmes est particulièrement éclairant de ce point de vue. La profession est restée longtemps assimilée à une profession paramédicale. Il a fallu attendre 2014 pour qu’elles obtiennent le statut de profession médicale à l’hôpital. Pourtant, l’élargissement de leur champ de compétences n’est pas nouveau. Elles exercent au quotidien et en toute autonomie, après l’obtention d’un diplôme d’État à la suite de cinq années d’études : l’examen prénatal, le dépistage éventuel des pathologies, la préparation à la naissance et à la parentalité, l’accouchement des parturientes à l’hôpital ainsi que la rééducation périnéale. Néanmoins, la reconnaissance de leur profession a tardé. D’ailleurs, les sages-femmes n’ont guère bénéficié des mesures de revalorisation des métiers des établissements de santé et des EHPAD dans le cadre du Ségur de la santé, qui prévoyait 8,2 milliards d’euros par an pour reconnaître l’engagement des soignants au service de la santé des Français pendant la crise sanitaire. En effet, alors que le code de la santé publique place la profession de sage-femme parmi les professions médicales, ce sont les mesures de soutien aux professions paramédicales qui se sont appliquées à la profession. Cela a donc fortement limité la revalorisation de leur métier. Ce point illustre bien les ambiguïtés de la reconnaissance de la profession.

De même, de nombreux questionnements avaient émergé au sujet de la sous-évaluation de la pénibilité de certaines professions à prédominance féminine au moment du projet de réforme des retraites entamé par le gouvernement Édouard Philippe. C’est ce que rappelle un dossier consacré à « l’invisible pénibilité du travail féminine » publié en 2017 dans Le Monde Diplomatique [36] . Ce travail s’appuie sur plusieurs témoignages de travailleuses et sur les travaux de Florence Chappert, responsable du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l’ANACT (Agence nationale d’amélioration des conditions de travail). L’Agence souligne que les accidents du travail ont augmenté de 28 % entre 2000 et 2015, tandis qu’ils ont baissé de 28,6 % pour les hommes sur la même période. Pour l’autrice, Cécile Andrzejewski, ce phénomène illustre bien la recomposition des emplois en France, en particulier le net recul des emplois industriels, traditionnellement plus dangereux et occupés par des hommes, et la concentration des femmes dans des secteurs à dominance féminine dont la pénibilité semble sous-estimée. Elle rappelle que la notion de pénibilité « s’est construite dans des branches comme le bâtiment, la chimie ou la métallurgie » et donc d’abord en fonction de critères masculins. Elle donne plusieurs exemples : le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) créé en 2015, par les critères retenus, révèle bien ceci. Les principaux facteurs de pénibilité retenus étaient les suivants : températures extrêmes, bruit, travail de nuit, travail en milieu hyperbare, travail répétitif, port de charges lourdes, etc. Si le critère de pénibilité relatif au port de charges lourdes a été supprimé en 2017, notons que les hôtes et hôtesses de caisse (majoritairement des femmes), qui pourtant scannent « environ une tonne de marchandises par jour » n’étaient pas éligibles à ce critère. En effet, selon les critères définis en 2015, à savoir porter 15 kilogrammes au moins 600 heures par an en charge unitaire plutôt qu’en poids cumulé, elles ne pouvaient atteindre le seuil requis pour le cumul de points. Dans la même veine, Florence Chappert rappelle qu’il « aura fallu la révolte des infirmières dans les années 1990 pour que l’on prenne conscience qu’elles portent des patients, donc des charges lourdes » plutôt que de s’intéresser uniquement à l’aspect « compassionnel » du métier.

Dans le secteur de l’aide à domicile, un rapport sur les risques professionnels réalisé par l’Assurance maladie [37] sur un échantillon réduit de 4 660 entreprises compte 48 accidents du travail pour 1 000 salariés (dont 33 % dus à l’aide au déplacement de personnes dépendantes). Une étude de la Carsat de 2014 [38] ciblée sur un échantillon de 458 structures pour les régions Nord-Pas de Calais et Picardie chiffre le nombre d’accidents du travail de ce secteur à un niveau plus élevé encore : 88 accidents pour 1 000 salariés (en 2011 et 2012), soit 2,3 fois plus fréquents qu’en moyenne (l’indice de fréquence des accidents du travail est de 39, tous secteurs d’activité confondus). Le secteur de l’aide à domicile affiche donc des indicateurs de sinistralité proches, voire supérieurs, à ceux du BTP (57 accidents du travail pour 1 000 salariés recensés pour le secteur du BTP en 2019 selon l’Assurance maladie [39] ). La même étude, du reste, indique que ce chiffre a baissé (- 29,5 %) depuis le début des années 2000 [40] . Là encore, si les dispositifs d’assistance physique pour prévenir les troubles musculo-squelettiques (exosquelettes) commencent à émerger, c’est surtout vrai dans des branches professionnelles comme l’industrie et le transport, dont on a vu qu’elles étaient peu féminisées. Peu d’initiatives de ce type se développent en revanche dans le secteur du soin aux personnes.

Ainsi, on s’aperçoit, à la lumière de ces exemples, que la difficulté des emplois occupés en majorité par des femmes a pu être grandement sous-évaluée. Or, admettre la difficulté et la pénibilité de certains métiers féminisés, et par là reconnaître que les compétences requises pour les exercer relèvent de savoir-faire métiers à proprement parler, permettrait de revaloriser bon nombre de métiers occupés par des femmes. Cela ouvre des pistes intéressantes pour agir en faveur de l’égalité professionnelle et promouvoir la mixité des métiers. En effet, il ne suffit pas, pour agir en faveur de la mixité des métiers, d’œuvrer grâce à des actions de communication destinées à attirer l’un ou l’autre des sexes dans les métiers qu’ils ou elles désertent. Ces actions ponctuelles peinent à créer un effet systémique, comme le montrent les faibles évolutions en matière de mixité dans les différents métiers depuis plus de vingt ans. Il s’agit d’abord, et surtout, de créer un environnement favorable à la mixité, afin que les hommes comme les femmes puissent diversifier leurs choix d’orientation. Pour cela, les compétences professionnelles mises en œuvre par les femmes dans les métiers qu’elles occupent doivent être mieux reconnues – et les outils utilisés pour les évaluer, modifiés. Toutefois, si revaloriser ces métiers permettrait peut-être, in fine , d’y attirer davantage d’hommes, cela supposerait bien entendu de ne pas disqualifier les hommes d’entrée de jeu, et donc de déconstruire les stéréotypes en amont sur les qualités, compétences et préférences présumées des hommes et des femmes.

Ainsi, la déconstruction des stéréotypes constitue un préalable essentiel (bien que non suffisant). Reconnaître les compétences professionnelles mises en œuvre par les femmes dans les métiers qu’elles occupent majoritairement, ce n’est pas considérer qu’elles feraient preuve de compétences innées, prétendument féminines. Ce point est important car si, au sein des entreprises, l’enjeu de promotion des femmes aux postes de direction et d’encadrement s’est véritablement imposé (en dépit des résultats mitigé révélés par l’Index égalité professionnelle en 2021), les enquêtes Great Place to Work montrent à quel point le « leadership féminin » reste perçu comme différent du « leadership masculin ». D’après ce sondage, 71 % des Français considèrent que certaines qualités seraient typiquement « féminines » (écoute, communication, empathie). Les femmes auraient un style de leadership plus participatif, plus doux, tandis que celui des hommes serait plus assertif, plus brutal. De ce point de vue, la réussite de ces équipes « mixtes » serait liée à la « complémentarité » entre les deux sexes. Ne s’agit-il pas là de représentations schématiques et globalisantes, qui viennent figer dans l’essentialisme des rapports sociaux de sexe ? Il serait dommage de faire entrer par la fenêtre ce que l’on veut faire sortir par la porte.

De même, dans les sciences et le numérique, dont on sait qu’ils peinent à attirer des femmes (les femmes représentent moins de 30 % des ingénieurs en informatique), les différentes campagnes du type «  Science : it’s a girl’s thing [41]  ! » lancé par la Commission européenne en 2012 montrent que les stéréotypes ont la vie dure. Ce clip (fortement décrié par les associations de femmes scientifiques car jugé sexiste, puis retiré) mettant en scène un homme en blouse blanche étonné de voir arriver dans son laboratoire trois femmes vêtues de robes rose consacrant leur activité scientifique à la fabrication de rouge à lèvres, en voulant lutter contre les stéréotypes, véhicule d’autres clichés. Ce message, qui vise à montrer aux filles que la science peut être «  girly  » n’essentialise-t-il pas, une nouvelle fois, les compétences et les préférences ? Ne limite-t-il pas ainsi l’ambition des filles [42]  ?

Pour agir efficacement en faveur de la mixité des métiers, il semble que des pratiques nouvelles doivent être impulsées, pour faire bouger progressivement ces représentations, et c’est en ce sens que nous formulons nos préconisations.

3. Nos propositions pour agir en faveur de la mixitÉ des mÉtiers afin d’accÉlérer l’Égalité Économique et professionnelle

PREMIERE RECOMMANDATION : CONSTRUIRE UNE CULTURE COMMUNE DE L’EGALITE FILLES-GARCONS DES L’ECOLE

Pour avancer sur le sujet de la mixité, qui est l’une des conditions de l’égalité entre les sexes, il faut, nous dit Françoise Vouillot, « se préoccuper de ce qui produit la réalité que l’on veut changer [43]  ». Les hommes sont, comme les femmes, sous l’emprise des représentations genrées et guidés dans leurs choix par les stéréotypes concernant ce que doivent être et faire les hommes et les femmes. On sait que les choix d’orientation des garçons et des filles à la fin de la classe de troisième interviennent à un moment de la vie où les deux sexes vont avoir besoin de se prouver à eux-mêmes et aux autres qu’ils sont « normaux », qu’ils sont de « vraies filles » et de « vrais garçons ». Ainsi, les choix d’orientation vont demeurer extrêmement sexués, notamment sous l’effet des groupes de pairs, dont on sait qu’ils sont, particulièrement à l’adolescence, extrêmement puissants. La conformité aux attentes sociales du groupe auquel on appartient est importante, car si transgression il y a, elle pourra entraîner la stigmatisation, la marginalisation ou encore l’exclusion.

On sait de plus que les filles et les garçons vivent, à l’école, une socialisation différenciée. La théorie des « trois curricula de l’école », bien connue en sciences de l’éducation, illustre bien ce phénomène. Isabelle Collet [44] la décrit comme suit : à l’école, le premier, le «  curriculum formel » est constitué du programme scolaire officiel ; le deuxième, le «  curriculum réel » correspond à ce que les enseignants font dans leur classe au quotidien, et donc la manière dont ils suivent le programme ou choisissent de s’en écarter ; enfin, le troisième curriculum est le «  curriculum caché » qu’Isabelle Collet définit comme « toute une série de savoirs, de compétences, de représentations, de rôles, de valeurs et normes que personne n’avoue enseigner mais qui s’acquiert tout de même à l’école ».

Un rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE) de 2017 [45] sur les actions à mettre en œuvre pour améliorer l’apprentissage de l’égalité filles/garçons confirme ce point : « Les personnels enseignants et d’éducation sont aux prises, comme l’ensemble de la société, avec les stéréotypes sexistes et reproduisent des attentes différenciées vis-à-vis des filles et des garçons. »

Le rapport relève par exemple que :

les enseignants et enseignantes interagissent en moyenne plus fréquemment en classe avec les garçons (56 %) qu’avec les filles (44 %) ;

l’importance des femmes est minorée dans les programmes et dans les manuels scolaires – elles y restent cantonnées à des rôles traditionnels. Par exemple, le rapport pointe que, dans les manuels de CP, « les femmes représentent 40 % des personnages et 70 % de ceux qui font la cuisine et le ménage, et seulement 3 % des personnages occupant un métier scientifique [46]  ».

Ce point rejoint les analyses de Sabrina Sinigaglia Amadio [47] , qui a étudié la place et la représentation des femmes dans les manuels scolaires, dans lesquels règne la surreprésentation des femmes dans l’espace domestique et où sont perpétués les stéréotypes de la « femme exception » (Marie Curie, etc.) et, en art, les femmes sublimées ou femmes-objets.

La géographie des cours de récréation est fortement sexuée. Ce phénomène a été étudié par Edith Maruejouls [48]  : « Les filles utilisent les marges de la cour et leurs jeux impliquent peu de mobilité tandis que les garçons se positionnent au centre, occupant la majorité de l’espace. »

Les cours de récréation sont donc l’une des scènes sur lesquelles se joue l’apprentissage des normes et des rôles de sexe.

La correction de ces pratiques en amont de l’orientation, et ce dès l’école primaire, est cruciale pour impulser des transformations. Dans un rapport publié en 2019 intitulé « Viser plus haut : de nouvelles ambitions pour démocratiser l’enseignement supérieur [49]  », nous rappelions à quel point la massification de notre système d’enseignement supérieur n’avait pas ou peu contribué à diminuer les inégalités sociales. Ce constat s’applique aussi aux inégalités liées aux différences de parcours entre les filles et les garçons, surtout dans le contexte français, où le diplôme obtenu conditionne très fortement l’accès aux professions les plus qualifiées. Nous défendions la nécessité de mettre en œuvre des mesures fortes pour que le système de formation puisse contribuer à endiguer ces inégalités, rappelant à quel point celui-ci devait prendre sa part dans la correction des mécanismes inégalitaires, et ce dès l’école primaire. Il est ici question d’égalité des chances et des mérites, et il est urgent que l’école puisse contribuer à réduire ces inégalités au lieu de les renforcer.

Il est donc essentiel d’impulser, dès le primaire, des pratiques nouvelles qui permettront de favoriser la mixité des rôles et des activités professionnelles. Si des mesures ont été mises en place pour déconstruire les stéréotypes dès l’école, là encore elles peinent à produire un effet systémique. D’abord, la formation des personnels de l’éducation en matière d’égalité filles-garçons est insuffisamment formalisée. Or, comme le souligne le rapport du HCE, « la formation initiale et continue des personnels enseignants et d’éducation apparaît cruciale pour que l’égalité soit intégrée aux enseignements et aux pratiques pédagogiques, en premier lieu des enseignants, personnels de direction, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation et personnels d’inspection ». Cela est essentiel pour permettre, progressivement, la construction et la diffusion d’une culture commune de l’égalité. Nous évoquions plus haut la loi sur la refondation de l’école et la mise en place de formations à l’égalité filles-garçons pour les enseignants, dont on a vu que ni le contenu ni le nombre d’heures n’étaient précisés. Le même rapport du HCE confirme ce point : « L’offre de formation est aujourd’hui incomplète et disparate sur l’ensemble du territoire. » D’ailleurs, seule la moitié des ESPE (12 sur 24) considère avoir formé la totalité de leurs étudiants. Le volume horaire, quant à lui, varie entre 2 heures et 57 heures annuelles, et à peine la moitié des ESPE propose un module dédié à l’égalité filles-garçons. Outre l’absence de définition d’un cadre clair (heures, contenu), ces variations s’expliquent aussi, d’après les conclusions du rapport du HCE, par un manque de prise de conscience des inégalités persistantes, par un manque de formateurs ou formatrices spécialistes de ces questions dans certains territoires, et aussi par la priorité donnée à d’autres sujets (laïcité par exemple).

La dernière Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui fixe la feuille de route pour 2019–2024 [50] prévoit un renforcement de la formation des enseignants à l’égalité filles-garçons. Ce point constitue une priorité : il faudra donc en définir précisément le contenu, le volume d’heures attendues et les modalités, afin que les stéréotypes de sexe cessent progressivement d’influencer les pratiques pédagogiques, les évaluations, les programmes et les manuels scolaires et, in fine , les orientations des garçons et des filles.

Il apparaît crucial d’apprendre aux enfants à comprendre les stéréotypes de sexe, à développer leur regard critique afin que les stéréotypes ne limitent pas leurs champs d’exploration. L’initiative « Chouette pas chouette » impulsée par Make.org Foundation consistant en de courts dessins animés diffusés dans les écoles à l’initiative des professeurs constitue une piste intéressante [51] .

Ce travail doit démarrer bien en amont de l’orientation, dès l’école primaire, et se poursuivre tout au long du collège. Là encore, nos travaux de 2019 précédemment cités rappelaient que l’application d’une politique volontariste visant à réduire les mécanismes inégalitaires de notre système de formation devait démarrer dès l’école primaire et mobiliser l’ensemble des parties prenantes concernées : « le gouvernement, les collectivités locales et les communautés éducatives, dont la culture doit évoluer pour prendre en compte l’objectif de démocratisation, établissements d’enseignement supérieur, associations, partenaires sociaux ». L’exemple du programme Aimhigher (« viser plus haut ») développé en Angleterre à partir de 2004 (mais supprimé en 2011) constitue un exemple intéressant de ce point de vue. Il s’agit d’un programme national coordonné par l’État et les régions et piloté par les universités, fondé sur une logique « d’allers vers » (les élèves, mais aussi leurs parents) pour construire, tout au long de la scolarité des rencontres, du tutorat académique et du tutorat professionnel, avec une implication forte des parents (par le biais d’ateliers et de conférences). Ce programme a permis de contribuer directement à une baisse de cinq points en dix ans de l’écart de participation à l’enseignement supérieur entre catégories socioprofessionnelles. L’élaboration d’un diagnostic préalable des besoins spécifiques des élèves (codifiés au sein d’un « Learning Progression Framework »), la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes (État, région, établissements d’enseignement supérieur, entreprises, monde académique et parents d’élèves) et l’organisation de rencontres avec le monde professionnel, le monde de l’enseignement supérieur semblent avoir permis concrètement aux élèves et à leurs parents de se projeter concrètement dans la suite de leur parcours et d’élargir leur champ des possibles. Le développement d’une politique structurée de promotion de l’égalité de l’école primaire jusqu’au baccalauréat mobilisant l’ensemble des parties prenantes avec des actions spécifiques en direction des familles constitue une piste à privilégier.

Cet exemple montre aussi à quel point l’implication des parents semble avoir été déterminante dans le dispositif. En effet, bâtir une culture de l’égalité à l’école suppose également d’impliquer les parents et les familles des élèves et d’expliciter clairement les enjeux. Il est difficile d’évoquer ce point sans faire référence à l’ABCD de l’égalité, programme d’enseignement proposé par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes. Il s’agit d’un dispositif testé de manière expérimentale à la rentrée 2013 dans 600 classes maternelles et élémentaires, avec pour objectif de lutter contre le sexisme et les stéréotypes de sexe à l’école grâce à des outils de formation pour les enseignants. On se souvient de la polémique autour de ce dispositif expérimental ayant conduit à des « journées de retrait de l’école ». L’Inspection générale de l’Éducation nationale, qui avait alors rédigé un rapport d’évaluation remis à la ministre en juin 2014 [52] , insistait sur « les leçons à tirer » de cet épisode. L’appropriation inégale des outils pédagogiques par les établissements concernés a considérablement affaibli l’expérimentation, d’autre part l’insuffisante implication des parents a également pu susciter de l’incompréhension et des craintes sur une question alors perçue comme « socialement vive », déclenchant des polémiques contre une prétendue « théorie du genre » relayée dans divers médias. Sans remettre toutefois en cause la pertinence d’un tel dispositif, il semble que ses modalités de déploiement auraient pu faire l’objet d’une coordination plus forte au niveau national et d’un travail préalable de construction d’un discours clair sur l’égalité filles-garçons (qui est une affaire de droits et une condition nécessaire pour imposer l’égalité des chances et des opportunités) afin que l’ensemble des personnels éducatifs puissent se saisir efficacement des outils pédagogiques, en coopération avec les parents d’élèves. En effet, la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes aurait été pertinente. D’ailleurs, plus généralement, comme l’indique le rapport, et c’est un point que nous soutenons, ces enjeux sont à intégrer pleinement au quotidien des professionnels de l’éducation, et c’est en ce sens que nous insistons sur la nécessité de renforcer la formation à l’égalité filles-garçons de l’ensemble de ces acteurs.

DEUXIÈME RECOMMANDATION : REVALORISER LES MÉTIERS FÉMINISÉS

On a vu plus haut que les emplois à prédominance féminine étaient globalement sous-valorisés. Or, la non-reconnaissance de la qualification des femmes dans les métiers qu’elles occupent (parce que les compétences mises en œuvre dans l’éducation, la santé, l’aide à domicile, le nettoyage, l’assistanat ou la vente sont des compétences acquises dans la sphère privée et donc présumées naturelles) est un facteur de sous-valorisation. D’ailleurs, dans un rapport du Défenseur des droits de 2015 [53] , Rachel Silvera et Séverine Lemière rappellent que l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur l’égalité professionnelle du 1 er mars 2004 soulignait ce risque de dévalorisation: « Si l’on examine ce qui est souvent invoqué comme étant les aptitudes innées des femmes (méticulosité, dextérité, douceur, capacité d’écoute et de conciliation des contraintes…), on observe qu’elles servent souvent de prétexte pour ne pas ouvrir largement aux femmes l’accès à des métiers dont l’image est plus valorisante en termes de représentation sociale ou ne pas leur reconnaître certaines compétences en particulier dans les professions où l’emploi féminin est largement majoritaire [54] . » Ainsi, il apparaît légitime de faire l’hypothèse que revaloriser les métiers féminisés, tout en déconstruisant les stéréotypes autour des qualités naturelles présumées des hommes et des femmes, constitue une piste pour y attirer davantage d’hommes. De plus, si des hommes investissent les métiers du care , la reconnaissance de leurs capacités à « prendre soin » peut facilement infuser dans la sphère privée et contribuer à une meilleure répartition des tâches domestiques et familiales. Cette question a déjà été évoquée dans notre précédent travail sur l’Index égalité professionnelle. Nous y évoquions le fait que les méthodes d’évaluation et de classification des emplois aujourd’hui utilisées n’étaient guère neutres du point de vue du genre. Or, cela pose la question du prix du travail dont Rachel Silvera et Séverine Lemière nous disent que « quel que soit le caractère objectif et neutre de la méthode d’évaluation utilisée, elle traduit souvent la simple transposition d’un rapport social inégalitaire qui puise sa permanence dans des représentations d’organisation générale de société ». Nous avions déjà souligné que réfléchir en termes de « valeur égale » des emplois, conformément à l’esprit de la loi de 1972 permettrait de parvenir à l’application effective du principe d’égalité de rémunération [55] . Promouvoir la mixité des emplois en modifiant leur conception traditionnelle nous semble une piste intéressante.

Des mesures ont récemment été prises dans ce sens. En effet, dans le cadre des accords du Ségur de la Santé, une augmentation de 183 euros nets par mois a été accordée à 1,5 million de professionnels des établissements de santé et des EHPAD [56] afin de reconnaître et valoriser l’engagement des soignants au service de la santé des français dans le contexte de l’épidémie de Covid-19. C’est une avancée significative. Toutefois, si cette mesure de revalorisation salariale illustre bien la reconnaissance du travail des femmes dans la santé dans le contexte de la crise sanitaire, bien des métiers à prédominance féminine restent à revaloriser. Une démarche de plus grande ampleur d’évaluation des emplois dans les branches professionnelles les plus féminisées, à travers une méthodologie dépourvue de biais de genre, telle que préconisée par l’Organisation internationale du travail est nécessaire pour aller plus loin. L’article 6 bis de la proposition de loi visant à accélérer l’égalité professionnelle, qui entre en discussion au Sénat, prévoit la remise au Parlement par le gouvernement d’un rapport sur l’équité salariale [57] . Il est, dans ce cadre, prévu un exercice de comparaison de différents emplois, à l’aune de plusieurs critères : le niveau de diplôme, de responsabilité, d’expérience, d’autonomie, d’initiative et de pénibilité requis pour exercer ces emplois [58] . S’il est prévu que la méthodologie précise de ces évaluations des emplois soit définie ultérieurement par décret, nous préconisons de prendre appui sur l’exemple québécois des «  jobs evaluations  » précédemment discutés dans nos travaux sur l’Index de l’égalité professionnelle [59] . La mise en place d’une telle expérimentation ne pourra en effet constituer une piste intéressante qu’à condition d’être à la hauteur des enjeux identifiés.

TROISIÈME RECOMMANDATION : POUR MIEUX LUTTER CONTRE LE PLAFOND DE VERRE, ÉTENDRE ET ACCÉLERER LA CULTURE DE LA PARITÉ

Nous le disions en introduction, accélérer la mixité des métiers, c’est aussi agir en faveur d’une plus grande représentation des femmes dans les plus hautes fonctions, tant dans le privé que dans le secteur public. Elles y restent nettement sous-représentées, et ce malgré l’imposition d’obligations en la matière, notamment dans l’administration. Pourtant, l’imposition de la parité de la gouvernance constitue un outil puissant d’accélération de l’égalité professionnelle, à condition que les obligations soient claires, les dispositifs harmonisés et des actions de suivi mises en place.

Dans la fonction publique, le Haut Conseil à l’égalité pointe une « grande diversité d’obligations » ainsi qu’une « complexité trop grande de certaines dispositions ». En effet, la multiplicité des dispositions applicables rend difficile la compréhension et l’appropriation de ces règles en raison d’objectifs parfois différenciés : « Plusieurs types de dispositifs se côtoient, concernant les nominations des membres des conseils d’administration et de surveillance, les élections au sein des organismes consultatifs […] ou encore les primo-nominations. » En leur sein, « les objectifs sont parfois différents, à hauteur de 40 % ou 50 % et visent tous les membres d’un collège ou seulement certains ».  Une harmonisation de ces règles est donc nécessaire, d’autant plus qu’il semble que, dans la grande majorité des cas, là où l’obligation existe, la parité est atteinte (cas des conseils d’administration des universités par exemple : 46 % de femmes en 2020).

Dans le privé, on a vu à quel point l’imposition de quotas dans les conseils d’administration avait permis de produire des effets tangibles de féminisation de ces instances [60] . Pourtant, en amont, au niveau des directions et de l’encadrement (Comex/Codir) en l’absence d’obligations, la parité peine à s’imposer d’elle-même. Les récents débats relatifs à l’imposition de quotas dans les comités exécutifs ou de direction (ces derniers ne relevant pas d’un cadre juridique commun à l’ensemble des entreprises) ont posé la question des « viviers » de femmes existants (ou plutôt non existants). L’ascension des femmes dans ces comités serait freinée par leur absence aux postes d’encadrement. C’est en partie vrai, notamment dans les entreprises peu féminisées. Le texte actuellement porté par Marie-Pierre Rixain [61] se prononce en faveur de l’instauration d’une proportion d’au moins 30 % de femmes parmi les « cadres dirigeants et membres des instances dirigeantes » dans toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés d’ici 2027 et 40 % en 2030, sous peine de pénalités financières, plaçant ainsi les entreprises devant une obligation de résultats. Il aurait été possible, dans le cas de toutes les entreprises de plus de 50 salariés soumises à l’obligation de calculer leur index de l’égalité professionnelle, d’instaurer, en s’inspirant des travaux de Michel Ferrary précédemment cités, l’obligation de viser une proportion du sexe sous-représenté dans les Comex/Codir au moins équivalente au pourcentage de ce même sexe dans l’encadrement. Autrement dit, dans une entreprise comptant 30 % de femmes dans ses effectifs, on pourrait viser a minima 30 % de femmes parmi les cadres dirigeants et 30 % de femmes dans les Comex/Codir. Une telle disposition permettrait d’accélérer l’accès des femmes aux postes les plus rémunérateurs en tenant compte de la situation initiale de l’entreprise. La formation continue pourrait en ce sens constituer un levier pour permettre l’ascension des femmes aux plus hautes fonctions, à condition que des fonds spécifiques puissent être fléchés vers cet objectif.

Ainsi, pour accélérer la culture de la parité, l’harmonisation des dispositifs dans la fonction publique et des incitations claires, plaçant l’ensemble des employeurs devant une obligation de résultats est nécessaire.

En conclusion, nous avons pu constater, à la lumière de ces recherches, que la faible mixité dans les parcours d’orientation, et plus tard dans le monde du travail, est le fruit de facteurs nombreux et complexes, de représentations profondément ancrées et largement partagées. Ainsi, aller plus loin pour agir en faveur de davantage de mixité à l’école et sur le marché du travail suppose de mettre en œuvre des outils pour favoriser plus d’opportunités pour les femmes, de façon à éroder, à remettre en cause des représentations très ancrées et bâtir ainsi, progressivement, une culture commune de l’égalité.

  1. L’expression est de la sociologue Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS et directrice de la revue Travail, genre et société .

  2. La parité au sein du secteur public dans les instances concernées par les lois Copé-Zimmermann de 2011, Sauvadet de 2012, Vallaud-Belkacem de 2014, loi Recherche de 2013, loi Modernisation du système de santé de 2016, loi Autorités administratives et publiques indépendantes de 2017.

  3. « Parité dans le secteur public : des avancées réelles mais lentes, un levier de transformation publique à saisir », Haut Conseil à l’égalité, avril 2021.

  4. « Ces secteurs qui recrutent », Centre d’information et de documentation jeunesse, 2018.

  5. « Tableaux de l’économie française », édition 2020, INSEE.

  6. L’ensemble des données chiffrées s’appuient sur l’édition 2021 du guide publié chaque année par le ministère de l’Éducation nationale : « Filles et garçons, sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur » .

  7. « Filles, garçons, sur le chemin de l’égalité de l’école à l’enseignement supérieur », op. cit.

  8. Ibid.

  9. Ibid. Ce chiffre correspond au taux de réussite au baccalauréat des filles et des garçons, tous baccalauréats confondus

  10. Thomas Couppié, Arnaud Dupray, Dominique Epiphane, Virginie Mora, Vingt ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions, Céreq Essentiels, 2018.

  11. Cette notion est théorisée par l’économiste Hélène Périvier dans le cadre de sa conférence à l’ENS Lyon dans le cadre du cycle «  Regards sur les inégalités d’aujourd’hui », mai 2019.

  12. Geneviève Cresson et Nicole Gadrey, « Entre famille et métier : le travail du care », dans Nouvelles Questions féministes, n° 15, 2004.

  13. Séverine Lemière, Rachel Silvera, «  Où en est-on de la ségrégation professionnelle ? », Regards croisés sur l’économie , 2014.

  14. Ségrégation professionnelle et écarts de salaires femmes-hommes , DARES, 2015.

  15. Rachel Silvera, Un Quart en moins , La Découverte, 2014.

  16. « Travailler et être pauvre, les femmes en première ligne », Oxfam, 2017.

  17. « Santé-social : la face inattendue de l’iceberg inégalités femmes-hommes », Syndex, 2019.

  18. Livre blanc de la FESP https://www.fesp.fr/sites/default/files/fesp-livreblanc-contemporaneite-juin-2019.pdf

  19. « Ces secteurs qui recrutent », op. cit .

  20. « Agir pour la mixité des métiers », rapport du CESE, 2014.

  21. Martin Richer, « Pour un quota de femmes dans les COMEX  » , Terra Nova, 2021.

  22. Ibid.

  23. Michel Ferrary, «  Bipolarisation sexuelle des entreprises : une étude des 50 plus grandes firmes françaises », Management & Avenir , 2013.

  24. C’est-à-dire « celui ou les entreprises offrent à leurs salariés la plus grande sécurité de l’emploi et les meilleures conditions de travail et de rémunération » (ce segment se définit par opposition au segment secondaire principalement constitué des TPE et des PME).

  25. Citation traduite de l’anglais et issue de l’ouvrage de Michel Ferrary : s .

  26. Joann Acker, 2006.

  27. L’expression est de Michel Ferrary.

  28. Françoise Vouillot « L’orientation, le butoir de la mixité », Revue française de pédagogie , 2010.

  29. « Evaluation des actions publiques en faveur de la mixité des métiers », IGAS, 2016.

  30. Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (2005) – article 5.

  31. « Evaluation des actions publiques en faveur de la mixité des métiers », op. cit.

  32. Ce paragraphe s’appuie sur l’audition de Françoise Vouillot réalisée le 19 mars 2021.

  33. L’expression est de Séverine Lemière.

  34. Françoise Vouillot, Les métiers ont-ils un sexe ?, Belin, 2014.

  35. Françoise Héritier, La Différence des sexes , Bayard, 2019.

  36. Cécile Andrzejewski, « L’invisible pénibilité du travail féminin », Le Monde Diplomatique, 2017.

  37. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/sinistraliteSASAD.pdf

  38. https://www.entreprendre-ensemble.carsat-nordpicardie.fr/index.php?page=des-statistiques-a-domicile-2

  39. https://www.ameli.fr/entreprise/sante-travail/votre-secteur/batiment-travaux-publics/chiffres-cles

  40. Cet indicateur correspond à l’indice de fréquence, c’est-à-dire le nombre d’accidents du travail avec arrêt pour 1 000 salariés.

  41. https://www.youtube.com/watch?v=iuJ1zp-QT8o

  42. Cet exemple est développé dans l’ouvrage d’Isabelle Collet, Les Oubliées du numérique , Le Passeur, 2019.

  43. L’analyse qui suit se fonde également sur l’audition de Françoise Vouillot réalisée le 19 mars 2021.

  44. Isabelle Collet, op. cit .

  45. « Formation à l’égalité filles-garçons : Faire des personnels enseignants et d’éducation les moteurs de l’apprentissage et de l’expérience de l’égalité », Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2017.

  46. Centre Hubertine-Auclert.

  47. Sabrina Sinigaglia-Amadio, « Place et représentation des femmes dans les manuels scolaires en France : la persistance des stéréotypes sexistes », Nouvelles questions féministes , 2010.

  48. https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/09/16/dans-les-cours-de-recreation-les-filles-sont-invisibilisees_5355861_3224.html

  49. Martin Andler, Daniel Bloch, Jules Donzelot, Constance Hammond, Guillaume Miquelard-Garnier, Martin Richer, Arnaud Thauvron, Viser plus haut : de nouvelles ambitions pour démocratiser l’enseignement supérieur , Terra Nova, 2019.

  50. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/MDE/11/6/VFinale_Convention_Interminis_Egalite_Nov2019_1211116.pdf

  51. https://about.make.org/post/violences-faites-aux-femmes-chouette-pas-chouette-une-serie-tv-animee-pour-lutter-contre-les-stereotypes-sexistes

  52. « Evaluation du dispositif expérimental ABCD de l’égalité », Inspection générale de l’Education nationale, 2014.

  53. « Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine », Défenseur des droits, 2015.

  54. Accord national interprofessionnel (ANI) sur l’égalité professionnelle du 1 er mars 2004 (Titre I – Évolution des mentalités, art. 1).

  55. Voir Kenza Tahri, « L’index égalité professionnelle : occasion manquée ou outil prometteur ? », Terra Nova, janvier 2021,

    https://tnova.fr/notes/l-index-egalite-professionnelle-occasion-manquee-ou-outil-prometteur

  56. https://www.gouvernement.fr/segur-de-la-sante-revaloriser-les-salaires-des-soignants

  57. https://www.senat.fr/leg/ppl20–592.html

  58. Idem (article 6bis de la proposition de loi)

  59. Kenza Tahri, op. cit.

  60. Loi Copé-Zimmermann, 2011.

  61. Proposition de loi « visant à accélérer l’égalité professionnelle et économique », article 7 (2021).

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