Retraites : unifier sans uniformiser, pour réussir une réforme systémique

Retraites : unifier sans uniformiser, pour réussir une réforme systémique
Publié le 7 février 2023

Pour unifier les régimes de retraite le plus rapidement – et ainsi retrouver en clarté, en équité et en efficacité –, il est préférable de partir de l’existant, plaide ici l’économiste Charles Dennery. Le régime général concerne déjà une majorité des actifs, et il est donc plus facile et moins anxiogène de rapprocher les régimes spéciaux (le public et les professions libérales) du régime général que de créer un nouveau système pour tous les actifs. Une telle unification favoriserait l’acceptation des réformes paramétriques et des économies que souhaite l’exécutif.

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Ces positions sont exprimées à titre personnel et ne reflètent pas celles de mes employeurs, présents ou passés. Je remercie chaleureusement fipaddict, Maxime Sbaihi, Anne Lavigne, Jocelyn Boussard, Samuel et Gaston ainsi qu’une relectrice attentive, pour leurs relectures et leurs conseils ainsi que les débats que nous avons pu avoir.

Introduction

L’exécutif souhaite faire d’importantes économies pour le système des retraites, grâce à une réforme paramétrique (âge et durée de cotisation). Bien que certaines projections financières ne prévoient pas un besoin massif de financement pour les prochaines décennies, ces projections ne sont pas pleinement satisfaisantes et sous-estiment ce besoin. Le choix fait en 1981 de réduire fortement la vie active n’est pas compatible avec la démographie actuelle. Face à ces engagements irréalistes, le choix a d’abord été celui de la fuite en avant – avec une augmentation des cotisations sociales ou des subventions – puis de réformes successives mais réduites, toujours tardives, en maintenant des dépenses toujours élevées. Un retour à la normale impose à la fois une augmentation de la durée de cotisation, mais également une certaine baisse des pensions – ou du moins une sous-indexation – pour les retraités actuels, pour rétablir l’équité intergénérationnelle. Les différences entre les régimes publics et privés compliquent néanmoins les réformes paramétriques, qui n’ont pas le même effet d’un régime à l’autre. Tout l’enjeu est donc de rapprocher suffisamment ces régimes, d’une façon acceptable politiquement, sans s’étaler sur 20 ou 40 ans. En ce sens, la réforme de 2020 n’était pas pleinement satisfaisante, car la longue période de transition et les mesures de compensation inévitables risquaient de compromettre fortement son équilibre financier à moyen terme.

Après un retour sur la situation de notre système de retraite, cette note propose d’intégrer les régimes publics (fonctionnaires et régimes spéciaux) ainsi que les professions libérales au régime général actuel. Ces différentes professions cotiseraient au même régime de base, mais avec une assiette de cotisation adaptée à leurs réalités économiques, tout en conservant des régimes complémentaires différents. Contrairement à la réforme avortée de 2020, l’accent serait mis sur l’équité plutôt que l’égalité : un même salaire peut générer des droits différents, mais une même cotisation génère les mêmes droits. De cette façon, il est possible de transférer presqu’immédiatement les actifs actuels dans ce nouveau système, en évitant une longue période de transition et des mesures de compensation trop coûteuses. Sans être mis en œuvre dans le cadre de la réforme actuelle, un tel changement peut néanmoins être préparé dès aujourd’hui, avec des conséquences déjà notables en termes de lisibilité et d’économies.

1. Le système actuel est complexe, coûteux et difficile à piloter

1.1. La complexité et le coût du système actuel

Le système de retraites français est complexe : y coexistent plusieurs dizaines de régimes, de base ou complémentaires. On peut néanmoins classifier ces régimes dans trois grandes catégories : les régimes des salariés du privé et assimilés, les régimes publics et les régimes des professions libérales.

Un système complexe

Le régime général concerne les salariés du secteur privé mais également les agents non titulaires (contractuels) de la fonction publique. Dans la limite du plafond de la sécurité sociale (PSS, 43 992 €/an ou 3 666 €/mois en 2023), ils cotisent surtout pour leur retraite de base, à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et en partie pour les retraites complémentaires. Au-dessus de ce plafond, ils cotisent très peu à la CNAV (sans générer de droits), et principalement au régime complémentaire (Agirc-Arrco pour les salariés, Ircantec pour les contractuels). Le régime de base est à prestation définie : en échange de 43 ans de cotisations (pour la génération 1973), et à partir de 62 ans, il assure 50 % du salaire de référence, calculé comme la moyenne des 25 meilleures années, dans la limite du PSS. Au contraire, les régimes complémentaires du privé sont des systèmes à contribution définie : chaque année l’assuré accumule des points, ces points étant transformés en rente lors de la retraite. Il y a une valeur d’acquisition des points (à l’achat), et une valeur de service (à la retraite), chacune revalorisée chaque année – un peu comme si ces points généraient des intérêts sur un compte bancaire.

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L’âge légal de 62 ans est réduit pour les carrières longues : 58 ans (resp. 60 ans) pour les personnes ayant commencé avant 16 ans (resp. avant 20 ans), sous réserve de 45 (resp. 43) années de cotisations. Les dispositifs de pénibilité (désormais comptes professionnels de prévention ou C2P) permettent de valider gratuitement certains trimestres et d’augmenter ainsi la durée de cotisation. Hors carrières longues, il n’est pas possible de partir en retraite avant 62 ans, même avec une décote. A contrario, une personne ayant atteint 62 ans peut partir en retraite sans avoir cotisé le nombre de trimestres requis. Dans ce cas, la pension est non seulement réduite proportionnellement au nombre de trimestres manquants, mais elle subit également une décote supplémentaire de 1,25 % par trimestre manquant (5 % par an). Les personnes n’ayant pas cotisé suffisamment de trimestres à 62 ans doivent donc retarder leur départ en retraite s’ils veulent éviter cette décote. Néanmoins, à 67 ans la décote est annulée même avec un nombre insuffisant de trimestres : on parle d’âge d’annulation de la décote ou âge du taux plein.

Pour les personnes ayant tous les trimestres requis, mais un salaire de référence très faible du fait de cotisations sur des très petits salaires, la pension ne peut être inférieure au minimum contributif. Enfin, à partir de 65 ans, pour les personnes non éligibles au minimum contributif (par exemple certaines femmes au foyer ou des personnes arrivées en France tardivement et ayant peu travaillé), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) assure un revenu minimum de 950 € mensuels.

Les règles des indépendants sont quasiment les mêmes que celle du privé pour le régime de base, avec néanmoins des cotisations plus faibles pour la retraite complémentaire. Pour les professions libérales, l’architecture est relativement similaire, mais la retraite de base est également à points, dans un régime commun à l’ensemble d’entre elles (sauf les avocats), avec des cotisations plus faibles. Chaque profession libérale a cependant sa propre caisse complémentaire, avec ses propres règles.

Le public – Service des retraites de l’État (SRE) pour la Fonction publique d’Etat (FPE), Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour la Fonction publique territoriale (FPT) et la Fonction publique hospitalière (FPH), régimes spéciaux publics – fonctionne différemment, presque sans complémentaire. La rémunération est divisée entre traitement statutaire (fixé par une grille) et primes. Si la plupart des primes sont automatiques et attachées à chaque corps de la fonction publique, elles restent en théorie variables, et ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite. Au lieu d’être calculée sur un salaire de référence total, la pension dans le public assure 75 % du traitement des 6 derniers mois. Les primes servent à cotiser à un régime complémentaire (le RAFP), mais pour des montants très faibles. Pour les fonctionnaires ayant un bon traitement en fin de carrière, et peu de primes, c’est donc très avantageux, surtout en cas de coups de chapeau. Au contraire, pour les professions avec beaucoup de primes, la différence est plus marquée entre les salaires de départ et les pensions.

L’autre grande spécificité du public tient à la multiplicité des âges dérogatoires de départ. Au nom de la pénibilité de leur métier, les fonctionnaires des catégories actives (aides-soignants, douaniers, etc.) peuvent partir 5 ans avant l’âge normal (10 ans pour les policiers, davantage pour les militaires). Les pensions des catégories actives ne sont pas tout à fait complètes (moins de 75 %) mais restent avantageuses – et coûteuses. Si les règles d’âge et de durée (sauf pour les catégories actives) ont été alignées sur le privé depuis les réformes de 2003–2008, les différences restent marquées et nourrissent de nombreuses polémiques.

Se pose aussi la question des mobilités professionnelles, alors que les carrières sont de moins en moins linéaires. En France, le système de retraite les facilite à condition de rester dans le même régime. Un fonctionnaire passe sans difficulté d’une administration à une autre, souvent sous la forme d’un détachement, sans changer de régime de retraite. Un salarié du privé change d’employeur sans quitter la CNAV et l’Agirc-Arrco. Mais avec les règles actuelles, il est en général très désavantageux de faire une carrière dans plusieurs régimes. Quelqu’un faisant la moitié de sa carrière dans le public et la moitié dans le privé pourra certes partir au même âge, avec autant de trimestres que s’il avait fait toute sa carrière dans le public ou dans le privé. Mais avec les règles actuelles, sa pension sera plus faible que celle d’une carrière complète dans le public ou dans le privé. Un fonctionnaire peut donc renoncer à une reconversion de peur de perdre trop de droits à la retraite, tandis qu’un salarié peut renoncer à devenir fonctionnaire – c’est notamment le cas des agents publics contractuels éligibles aux concours internes – dès lors qu’il ne profitera pas du tout des mêmes contreparties en termes de retraite que ses collègues ayant fait toute une carrière de fonctionnaires. Dans le régime unique prévu par le projet de 2020, les transitions professionnelles auraient été largement facilitées, mais seulement pour les générations pleinement concernées par la réforme.

Graphique 1 : architecture des différents types de régimes

Un système coûteux

Outre sa complexité, notre système de retraite est coûteux, et les retraites pèsent environ 14 % de la richesse nationale (13,6 % en 2018, avant la pandémie). Après l’Italie et la Grèce (15,6 %), il s’agit du poids le plus lourd en Europe – supérieur de 2 points à la moyenne – alors que la démographie française est plus favorable qu’ailleurs. On peut penser qu’il s’agit d’un choix collectif assumé, et que les Français auraient recours aux fonds de pension et aux retraites privées si le régime public était moins généreux. Pourtant, même si les cotisations retraites sont parfois vues comme du salaire différé, elles ne sont pas neutres pour la capacité de financement des services publics. Quand 14 % du PIB part déjà dans les retraites, il y a un effet d’éviction inévitable pour le reste des dépenses publiques. De plus, un système privé ajuste automatiquement les taux de cotisation ou les rendements pour assurer son équilibre actuariel, génération par génération – sauf crises financières affectant la rentabilité des investissements. Dans un système public, l’État n’est pas soumis aux mêmes contraintes comptables, et a plus de difficultés à ajuster automatiquement les règles pour assurer l’équilibre financier et l’équité intergénérationnelle. De plus, qu’il soit dû à la démographie ou à la générosité du système, le coût des retraites de l’État (cf. infra) a un impact important sur les rémunérations des fonctionnaires. Pour limiter ses dépenses de personnel (salaires et pensions versées) déjà exorbitantes, l’État limite au maximum les revalorisations du point d’indice (gel ou sous indexation sur l’inflation). Chaque ministère, quand il en a les moyens, préfère augmenter les primes que les traitements, pour éviter des cotisations employeurs additionnelles.

Par ailleurs, notre système a la particularité d’assurer aux retraités un niveau de vie plus élevé que celui de l’ensemble de la population (+1,5 %, et même +8,7 % en prenant en compte les loyers imputés – le loyer que le propriétaire n’a pas à débourser). Cette situation est atypique au niveau international, même en incluant les pensions privées. C’est une anomalie historique, qui ne devrait concerner qu’une seule génération de retraités : avant 2000 les retraités vivaient moins bien que l’ensemble de la population, et leur niveau de vie relatif devrait décroître à partir de 2030, selon les projections du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Il y a un problème très net d’équité générationnelle et le poids des cotisations sur les actifs plombe leur coût du travail et grève leur pouvoir d’achat, voire leur capacité à s’installer, devenir eux-mêmes propriétaires et fonder une famille. De nombreux retraités aident certes leurs enfants et petits-enfants grâce à leur pension, mais ces derniers auraient moins besoin d’aide s’ils payaient moins d’impôts et de cotisations sociales.

Focus : coût des retraites publiques, démographie ou générosité ?

Les pensions de la fonction publique de l’État (FPE) représentent aujourd’hui 2 % du PIB, soit environ 14 % des dépenses de retraite alors que la FPE ne représente que 8 % des actifs (et 9 % des actifs en emploi). Ces dépenses sont financées par un taux de cotisation employeur pour la retraite de 74 % dans la FPE – contre 31 % pour la FPT et la FPH à la CNRACL, malgré un calcul identique des pensions. Contrairement aux autres régimes, l’État s’auto-assure : il paie les salaires des agents en activité et les pensions des retraités. Plutôt qu’un vrai coût employeur, la cotisation employeur de l’État est fictive : c’est le ratio entre le besoin de financement et les traitements. Ce n’est donc pas un salaire différé des agents, mais le coût des pensions actuelles, puisque les cotisations équilibrent les dépenses.

On peut donc estimer que si l’État cotisait normalement, le déficit actuel du régime de retraite, plutôt modeste, serait en fait beaucoup plus massif. C’est l’argumentaire développé par Sophie Bouverin (pseudonyme d’un haut-fonctionnaire) dans la revue Commentaire. Elle estime que si l’État cotisait au taux normal sur les traitements, le déficit de son « régime » serait en fait de 30 Mds€. Ce déficit s’ajouterait donc au déficit actuel du système de retraites (calculé sur l’ensemble des autres régimes) pour estimer le vrai besoin de financement du système. Sans pointer du doigt les fonctionnaires, il est donc légitime de se demander quelle part de ce déséquilibre est due à des effets démographiques, et quelle part proviendrait d’un système plus généreux, qui ne serait qu’une compensation différée.

La générosité relative des retraites du public par rapport à celles du privé est très variable d’un corps de fonctionnaires à l’autre (selon les profils de carrière et le taux de primes dans la rémunération). Si en moyenne, les retraites publiques restent probablement un peu plus généreuses que dans le privé, l’effet n’est pas massif – sauf pour les catégories actives –, car les règles du public ont été durcies depuis 20 ans : suppression de la retraite anticipée pour les instituteurs et les mères de familles nombreuses, coups de chapeau mieux encadrés… et stagnation des traitements avec une hausse de la part des primes, qui diminue le taux de remplacement. Néanmoins, l’État doit encore financer un stock important de retraités partis tôt avec de très bonnes pensions. Le coût des retraites de l’État traduit aussi le coût représenté par le départ anticipé des catégories actives. Ce surcoût est financé directement par l’ensemble des fonctionnaires, sans caisse dédiée comme pour les militaires. En toute logique, il serait raisonnable que les fonctionnaires sédentaires (qui n’appartiennent pas aux catégories actives et partent à l’âge normal) ne financent pas les départs anticipés des catégories actives, et que le coût de la générosité passée du système ne pèse pas que sur les fonctionnaires en activité.

Surtout, le régime des fonctionnaires d’État sert de facto de caisse de défaisance avec une démographie défavorable, laissant une meilleure démographie aux autres régimes pour être équilibrés. Lorsqu’un régime transfère des cotisants à un autre régime tout en continuant de payer des pensions, il reçoit normalement une soulte ou une subvention d’équilibre. Pourtant, alors que l’État a transféré des agents aux collectivités territoriales (cotisants à la CNRACL), a privatisé la Poste et France Télécom ou a recruté davantage de contractuels (CNAV et Agirc-Arrco ou Ircantec), il ne reçoit pas de subvention d’équilibre. En ne réclamant pas de soulte d’équilibre, l’État permet à d’autres régimes (CNRACL, CNAV, Agirc-Arrco, Ircantec, etc.) de bénéficier temporairement de nouveaux cotisants sans avoir à payer de pensions. Il y a donc bien un déséquilibre démographique caché dans la FPE, dû à l’absence de compensation.

1.2. Le financement et le pilotage à long terme

Un problème de financement à long terme

Si notre système de retraites coûte cher, sa soutenabilité à long terme n’est pour l’heure pas assurée, car le vieillissement de la population et le ralentissement de la natalité vont dégrader davantage le ratio du nombre d’actifs par retraité. Certes, sous certaines hypothèses, les projections du COR indiquent un redressement des comptes à moyen terme – même sans recul de l’âge de départ à la retraite, augmentation des cotisations ou modification du calcul des droits. Mais il s’agit d’hypothèses techniques, socialement et politiquement peu réalistes. Tout d’abord, la baisse du poids des dépenses de retraite dans le PIB dépend profondément des hypothèses de gains de productivité du travail sur les prochaines décennies. En effet, pour le calcul des pensions du régime général sur les 25 meilleures années, les salaires passés sont revalorisés selon l’inflation et non la progression moyenne des salaires, et n’incluent donc pas les gains de productivité.  Si les salaires réels (corrigés de l’inflation) progressent fortement, la moyenne sur 25 ans – et donc la pension servie – sera plus faible par rapport au dernier salaire. Cela favorise l’équilibre financier du système – puisque les cotisations suivent des salaires instantanés plus dynamiques que les pensions à verser, mais au prix d’un appauvrissement des retraités, relativement à leur dernier salaire et aux actifs. Il est douteux qu’une telle baisse de niveau de vie soit acceptée sans entraîner de tensions sociales – d’autant que les futurs retraités n’auront pas forcément eu le même accès à la propriété que leurs ainés s’ils achètent plus tardivement. De plus, si davantage de retraités deviennent éligibles au minimum vieillesse, les économies seront en partie compensées par des surcoûts pour les dispositifs de solidarité.

Par ailleurs, le retour à l’équilibre du système de retraite dépend d’une hypothèse forte sur l’effort apporté par l’État dans les années à venir. Actuellement les retraites de l’État représentent 2 % du PIB, à cause d’une démographie défavorable et d’une générosité forte par le passé (cf. supra). Ce poids est intégralement pris en charge par l’État qui s’auto-assure, sans soulte des autres régimes. Selon les projections du COR, avec les différentes réformes et la maitrise des effectifs dans la FPE, les pensions de l’État atteindraient 1 % du PIB en 2060. Avec des dépenses en baisse, comment évoluerait la contribution de l’État ? On peut faire l’hypothèse conventionnelle que l’État continuera de fournir 2 % du PIB alors que les dépenses auront baissé, ou qu’il continuera d’appliquer un taux de cotisation très élevé sur les fonctionnaires en activité, en versant le surplus au régime général des retraites. Ces deux hypothèses conventionnelles très favorables du COR servent d’alibi aux partisans du statu quo, mais ne sont pas les plus logiques. Dès lors que l’État s’autoassure, une baisse de ses dépenses se traduirait logiquement par une baisse de sa contribution, pour utiliser ce surplus à d’autres fins.

On peut désirer que ces futures marges de manœuvre soient intégralement affectées à subventionner le régime général de retraites, mais il ne fait aucun doute que l’État aura d’autres priorités à financer : investir dans la transition écologique et la défense, ainsi que l’éducation et la santé – ce qui passe par la revalorisation de certains fonctionnaires en activité. Il faut aussi faire attention à ne pas utiliser cette « cagnotte » vers plusieurs dépenses. On ne peut pas l’utiliser à la fois pour améliorer les marges de manœuvre budgétaires de l’État dans des projections de déficit de l’État, pour contribuer à l’équilibre des comptes sociaux, ou même pour financer la dépendance qui est l’autre coût du vieillissement. On ne peut faire un double ou triple compte des recettes espérées.

Un système difficile à piloter

Enfin, le dernier défaut du système français de retraites, lié à sa complexité, est la difficulté à prévoir l’effet de la productivité, de la démographie et des réformes paramétriques, d’un régime à l’autre. La croissance de la productivité a un effet différent selon les régimes, et il est de plus problématique de faire reposer des scénarios d’économies budgétaires sur ce paramètre que l’on ne maitrise pas.

Dès lors que les cotisations – employeur ou employé – sont plus élevées dans certains régimes qui offrent des pensions plus généreuses, la progression de l’espérance de vie pénalisera davantage ces régimes dont les comptes se dégraderont plus vite, et qui subiront des hausses de cotisations plus massives. A contrario, la démographie varie fortement entre régimes, ce qui nécessite normalement des soultes entre régimes favorisés et défavorisés, mais les différences de règle rendent ces soultes difficiles à calculer, et politiquement toxiques, surtout entre le privé et le public. Et lorsque le changement de statut d’une entreprise ou d’une administration entraîne un changement d’affiliation des nouveaux employés, les compensations sont difficiles à calculer, sans être comprises par les acteurs en question.

Les réformes paramétriques ont aussi un effet hétérogène. Dans le privé, un recul de l’âge légal ou une augmentation de la durée d’assurance change peu la pension servie – si l’assuré ajuste sa date de départ – puisque la pension de base est calculée sur les 25 meilleures années. Dans le public au contraire, cotiser un an de plus peut permettre de partir à un échelon ou un grade supérieur – puisque la pension est calculée sur le dernier traitement. Les économies engendrées par les mesures d’âge peuvent donc être plus faibles dans le public que le privé, si cela entraîne un traitement plus élevé. Globalement, alors que la générosité de chaque régime est différente, les réformes paramétriques ont un effet différencié sur l’évolution de leur générosité – surtout si les mesures de compensation varient entre régimes. Alors qu’une réforme paramétrique impose en théorie le même effort à tous les actifs d’une tranche d’âge, les efforts réellement demandés sont en fait différents, ce qui ne facilite pas leur acceptation.

Pareillement, les mesures d’économies et l’inflation ont des effets différenciés selon les régimes. En effet, si la revalorisation des retraites de base est la même depuis les réformes de 2003 et 2008, ce n’est pas le cas pour les retraites complémentaires. Alors que le législateur a pu ponctuellement sous-indexer la revalorisation annuelle des pensions de base en fonction de l’inflation, l’Agirc-Arrco a procédé à des revalorisations encore moins généreuses depuis bien longtemps, en raison de difficultés financières. Ainsi, pour deux retraités touchant une même pension totale, le retraité du privé verra sa pension moins revalorisée que celle du fonctionnaire car la quasi-totalité de la pension du fonctionnaire provient du régime de base, quand une bonne part de celle du salarié provient d’un régime complémentaire, et est moins revalorisée. Une très bonne pension du public (par exemple celle d’un haut fonctionnaire) peut donc être bien mieux revalorisée qu’une pension plus modeste du privé, ce qui rend plus difficile le ciblage social de toute mesure d’économie. C’est d’autant plus paradoxal que les rémunérations des fonctionnaires en activité sont, elles, gelées ou peu revalorisées. Les revalorisations des fonctionnaires retraités limitent de fait les marges pour revaloriser les actifs et déséquilibrent leur propre financement.

2. Supprimer les régimes spéciaux, sans uniformiser les droits

2.1. Conserver une distinction entre régimes de base et complémentaires

Pour unifier les régimes de retraite le plus rapidement possible, il est préférable de partir de l’existant : le régime général concerne déjà une majorité des actifs, et il est donc plus facile de mener une fusion des régimes en parallèle de mesures paramétriques dès lors que le cadre d’une majorité d’actifs reste inchangé. De plus, la juxtaposition d’un système de base à prestations définies et de complémentaires à contributions définies est une façon efficace d’assurer de la redistribution et des objectifs sociaux, tout en donnant une confiance relative aux retraités modestes sur le rendement de leurs pensions.

Prestations définies ou contributions définies ?

Dans la réforme de 2020, l’ensemble des régimes aurait été fusionné dans un seul système à points. Cela signifiait l’abandon de tout salaire de référence : chaque année le salarié accumule des points, un euro cotisé donnant les mêmes droits, sans distinction entre régime de base et complémentaires. Abandonner le salaire de référence, au profit de comptes notionnels à points, avait l’avantage de créer un outil de pilotage pour assurer l’équilibre financier du système, en ajustant la valeur du point. On passe ainsi d’une logique de prestations définies à une logique de contributions définies. Abandonner la notion de salaire de référence améliorait aussi l’équité actuarielle (offrir le même rendement pour chaque cotisation) en limitant les possibilités de jouer avec les règles pour maximiser la pension servie.

Le fait de pouvoir ajuster automatiquement la valeur du point et donc les pensions servies pour assurer l’équilibre a néanmoins l’inconvénient de faire reposer l’incertitude économique sur les assurés. Les opposants à la réforme de 2020 ont eu beau jeu d’attiser ces craintes, en l’absence de salaire de référence – le flou sur la présence ou non d’un âge pivot de départ n’arrangeant rien. Pour que les assurés puissent se projeter, il est utile de calculer leur pension par rapport à un salaire de référence – quitte à ajuster au fur et à mesure l’âge de départ, ou les modalités de calcul du salaire de référence. Plusieurs études économiques ont montré l’attachement des agents économiques à des normes – même indicatives – d’âge ou de taux de rendement. De plus, le rôle des pensions en France a historiquement été d’assurer une forme de continuité du revenu de remplacement après la retraite par rapport au dernier salaire – même si le contexte économique et démographique était très différent… Le régime du privé, avec un calcul sur les 25 meilleures années pour la retraite de base, est donc un compromis acceptable. On pourrait le rendre encore plus contributif en calculant la moyenne sur 30 ans ou l’ensemble de la carrière, mais cela n’apporterait pas grand-chose, et sa formule de calcul permet déjà des ajustements des prestations, de façon assez indolore. Surtout, cette limite au principe contributif ne compte que pour la pension de base, tandis que la complémentaire à points dépend davantage de la conjoncture.

Les objectifs de redistribution et d’équité

La logique contributive doit aussi se concilier avec des objectifs sociaux d’équité et de redistribution. Cela passe par une pension minimale pour ceux qui ont eu de faibles revenus. Il y a aussi des différences d’espérance de vie entre différentes catégories sociales, ainsi qu’entre hommes et femmes, mais elles seraient difficiles à prendre en compte directement (techniquement ou légalement). Comme elles sont fortement corrélées aux revenus, il est plus facile de les compenser par des mesures sociales.

Il est ainsi plus facile d’opérer une redistribution minimale grâce à un système à plusieurs piliers comme dans le régime général du privé : les actifs cotisent au régime de base dans la limite d’un plafond de salaire, et à un régime complémentaire un peu moins rentable sur la partie qui dépasse ce plafond. L’État peut alors éventuellement garantir la générosité du premier pilier, en l’équilibrant au besoin. C’est une façon simple – et utilisée chez la plupart de nos voisins – d’organiser de la redistribution verticale entre riches et pauvres, en offrant un rendement légèrement dégressif selon les revenus. En unifiant les régimes de base et complémentaires dans un seul système à points – qui assure en théorie le même rendement par point pour les riches et les pauvres – la retraite universelle de 2020 aurait supprimé ce mécanisme redistributif plutôt efficace, en échange d’autres mécanismes redistributifs plus complexes, mal explicités, et probablement moins généreux avec les classes moyennes et populaires.

L’égalité était une des promesses de la réforme de 2020 : à salaire égal, pension égale. Cet objectif était néanmoins irréaliste pour certains métiers. L’unification posait d’abord un problème pour les fonctionnaires et les autres régimes spéciaux. En moyenne, ils ne sont pas très bien payés durant leurs carrières mais ont plutôt une bonne retraite : c’est le deal implicite pour certains fonctionnaires.

Le problème se posait aussi pour les indépendants et professions libérales, pour qui cotiser comme des salariés n’aurait pas de sens. Faire ces métiers, c’est choisir d’être autonome, plus libre et moins protégé qu’un salarié. Ils peuvent travailler longtemps et revendre leur activité pour financer leur retraite. De plus, la fiscalité peut psychologiquement sembler plus lourde pour ces professions, puisque les charges sociales ne sont pas partagées entre employeur et employé comme pour un salarié ou un fonctionnaire. Tous n’auraient pas forcément pu augmenter leurs prix pour pouvoir acquitter de nouvelles charges. Il aurait mieux valu réserver un système unifié de retraite aux seuls salariés, du public et du privé.

En faisant cotiser les indépendants et les professions libérales au régime unique, cette réforme aurait permis à l’État d’utiliser les réserves substantielles accumulées par les caisses de certaines professions, mais elle dégageait également des marges de manœuvre importantes à court et moyen terme, grâce au décalage entre les cotisations versées immédiatement et les droits futurs générés. En cotisant plus aujourd’hui en échange d’une meilleure pension future, les indépendants n’étaient pas directement lésés, mais ils étaient utilisés pour éponger les déficits des autres régimes. Il n’est pas étonnant que la réforme ait suscité une levée de boucliers de la part des indépendants et des professions libérales. Il n’est donc pas réaliste de faire cotiser les indépendants et professions libérales comme des salariés.

2.2. Un régime de base unique, plusieurs régimes complémentaires à points

Dans une logique de suppression des régimes spéciaux, il est possible de faire entrer les fonctionnaires et les professions libérales – à la fois les retraités et les actifs actuels – dans le régime général, à droit constant ou quasi-constant. Cela suppose une assiette de cotisation adaptée, et plusieurs régimes complémentaires.

Unifier les régimes de base, avec une assiette de cotisations adaptée

S’il est irréaliste de vouloir se débarrasser du jour au lendemain de la distinction traitement-primes dans la fonction publique et les régimes spéciaux, cela n’empêche pas d’incorporer les fonctionnaires au régime général : les fonctionnaires actuels et futurs cotiseraient à la CNAV, qui verserait les pensions actuelles et futures. Cela impose de passer d’une logique de dernier salaire à une logique de salaire moyen. Une façon de faire serait que les fonctionnaires cotisent sur un salaire fictif, une assiette de cotisation différente de leur salaire total, mais dont la moyenne sur les 25 meilleures années serait proche du dernier traitement sur lequel leur pension est actuellement calculée. Dès lors que les fonctionnaires cotiseraient au régime général sur la base du traitement du dernier échelon de leur grade, la moyenne des 25 meilleures années sera proche du dernier traitement effectivement perçu. De cette façon, les changements lors du passage au régime général seraient faibles et graduels, ce qui rendrait la transition acceptable et transparente. Cotiser sur une assiette plus élevée que le traitement réel serait bien sûr coûteux pour les fonctionnaires. Mais ces cotisations supplémentaires pourraient être prises en charge par l’État – au moins en début de carrière – avec des primes compensatoires.

On pourrait envisager une double cotisation : une cotisation sur ce traitement fictif au régime général, qui assurerait 50 % de la moyenne des 25 meilleures années, et une autre dans un régime complémentaire public. Selon les cotisations complémentaires, le total pourrait être proche de 75 % du dernier traitement. Il n’y a pas de plafond au régime de base public actuel, mais il y a de facto peu de fonctionnaires dont le traitement dépasse le PSS. Les fonctionnaires cotiseraient donc au régime de base dans la limite du PSS, tandis que les traitements au-dessus de ce plafond seraient soumis uniquement au régime complémentaire, avec un taux de cotisation plus élevé – comme c’est le cas actuellement dans le privé.

Graphique 2 : les cotisations et les droits des fonctionnaires dans le nouveau régime

Pour les indépendants et professions libérales, au contraire, il pourra être utile d’utiliser une assiette de cotisation plus faible que le salaire (ou le revenu) réel. Si certaines professions libérales préfèrent peu cotiser au régime de base, en échange de futures prestations plus faibles, cela n’est pas gênant. Il est tout à fait envisageable que telle ou telle profession ne cotise que sur une fraction de ses revenus, ou sur un revenu forfaitaire – par exemple le SMIC ou la moitié du PSS. De cette façon, ces professions garderaient une part de spécificité et une fiscalité plus supportable, tout en assurant un minimum de cotisations – et de pensions – à leurs membres qui changeraient de métiers en cours de carrière. Utiliser des assiettes de cotisation adaptées permet ainsi de fusionner l’ensemble des régimes, en gardant une logique d’équité – à cotisation égale, pension égale – tout en maintenant les spécificités de certains métiers. Et en ne touchant pas à la distinction traitement-primes, la transition est plus facile.

Différents régimes complémentaires à points

Dès lors que le régime de base est le même pour l’ensemble des assurés, il n’est pas nécessaire de rapprocher les différents régimes complémentaires, au moins pour l’instant. Cela s’approcherait de ce qui existe chez nos voisins, où la retraite de base (le 1er pilier) est en général unique, alors que les retraites complémentaires (2e pilier) peuvent différer entre employeurs. Chacun de ces régimes étant à points, un assuré qui change de métier cumulera simplement des points dans un grand nombre de régimes complémentaires, sans que cela pose de difficultés : dès lors que les mesures sociales sont assurées par le régime général, les rentes versées par les complémentaires peuvent s’additionner simplement. On peut souhaiter rapprocher à terme certains régimes complémentaires – l’Agirc-Arrco avec l’Ircantec, un seul régime complémentaire des professions libérales, un régime complémentaire public commun aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux… Mais pour faciliter la fusion des régimes de base, il est préférable pour l’instant que chacun puisse conserver ses propres règles, et pour certains le « trésor de guerre » accumulé. Il sera toujours temps, plus tard, de calculer des compensations éventuelles entre les régimes sur la base de leurs écarts démographiques et de pousser aux rapprochements entre régimes. 

Dans le public, les fonctionnaires cotisent actuellement à un régime complémentaire (RAFP) sur une partie seulement de leurs primes, à un taux faible. Dans ce nouveau système où le régime de base assurerait la moitié de leur dernier traitement (ou un montant assez proche, dans la limite du plafond), un régime complémentaire public assurerait le quart restant du traitement dans la limite du plafond, et une part plus importante au-dessus de ce plafond. Les fonctionnaires cotiseraient aussi à ce régime complémentaire sur une partie de leurs primes, comme actuellement. On pourrait à terme augmenter le taux de cotisation sur ces primes pour rapprocher public et privé, mais là encore ce n’est pas urgent.

Par soucis d’exemplarité, il serait également utile de réformer le système de retraites des parlementaires et des élus locaux. Si les règles applicables aux parlementaires ont été réformées en 2010 et 2018 – avec notamment la fin de la double cotisation – elles restent encore anormalement généreuses et coûteuses. De nombreux élus exercent une autre activité en parallèle – ou sont déjà à la retraite – et le statut d’un élu local ou national est plus proche de celui d’une profession libérale que d’un salarié. Dans le nouveau système, leur affiliation devrait être optionnelle, et financées uniquement par les cotisations des élus, sans « cotisation employeur » des collectivités – comme pour les professions libérales. Tous les élus – locaux ou nationaux – pourraient donc être affiliés à un même régime complémentaire – avec un opt-out pour les retraités s’ils le souhaitent. L’affiliation au régime général serait réservée aux élus n’étant pas déjà affiliés au titre d’une autre activité. Limiter rétroactivement le cumul de pension de certains élus pourrait sembler équitable, mais soulèverait probablement des difficultés juridiques.

La pénibilité et les catégories actives

Dans le public et le privé, les comptes de pénibilité et les catégories actives seraient à termes remplacés par des systèmes de préretraites assurant la continuité avec l’âge d’ouverture des droits. Certaines professions sont objectivement usantes physiquement – insalubrité, troubles musculosquelettiques, horaires de nuit… Même si cela ne diminue pas toujours l’espérance de vie à la retraite, il n’y a rien de choquant à ce que l’employeur et l’employé cotisent à une préretraite dédiée, sous la forme d’un compte épargne-temps par exemple : une année de métier pénible pourrait donner le droit à un mois de préretraite, ce qui assurerait environ 3 ans de préretraite pour des carrières pénibles complètes – ou son équivalent monétaire si la personne choisit de racheter ces « droits au repos ». Mais cela supposerait une carrière pénible complète, et pas seulement 17 ans comme dans le public actuellement ; la spécificité des métiers serait toujours reconnue, mais la contrepartie serait réduite et provisionnée.

En revanche, être inapte à exercer son métier à partir d’un certain âge n’empêche pas de chercher un nouvel emploi dans un autre métier, sauf exceptions.  Plutôt que de se débarrasser de ses agents en les mettant à la retraite, l’État doit faire l’effort de les reclasser. Certaines professions nécessitent une limite d’âge inférieure à la limite d’âge de droit commun (70 ans dans le privé et 67 ans dans le public) ou à l’âge du taux plein (67 ans actuellement). Mais cela ne justifie ni préretraite ni indemnité compensatoire. Par exemple, une limite d’âge à 62 ans ou même 60 ans pour les aides-soignants ne les empêcherait pas de partir à 60 ou 59 ans, s’ils ont pu accumuler 2 ou 3 ans de « préretraite » avant 62 ans. A contrario, si un cheminot par exemple atteint la limite d’âge de son métier sans avoir assez de préretraite jusqu’à l’âge légal du régime général, il serait éligible au chômage et au reclassement par Pôle Emploi, si l’employeur n’a pas réussi à le reclasser lui-même. De telles règles sont plus strictes que les règles actuelles du public, et leur application devra être négociée graduellement, avec contreparties.

2.3. Une transition rapide pour limiter les mesures de compensation

En intégrant les fonctionnaires et les professions libérales dans le régime général, tout en maintenant leurs droits constants ou quasi-constants – au moins à moyen terme –, une telle réforme évite les longues transitions, favorise les reconversions professionnelles et limite le besoin de mesures compensatoires.

Une transition à droits quasi-constants

Pour les indépendants et les professions libérales, la transition vers le régime général du privé pourrait être quasi instantanée, car ils suivent déjà une distinction entre régime de base et régime complémentaire articulée autour du plafond de la sécurité sociale. Les actifs cotiseraient désormais dans le nouveau régime général unique, toujours dans la limite du plafond. Les droits qu’ils ont déjà accumulés, en points ou en salaire passés, seraient simplement reportés dans le nouveau régime qui prendrait à sa charge les pensions de base servies jusqu’à présent par ces différents régimes. Les droits acquis dans les différents régimes complémentaires seraient maintenus, puisque ces régimes resteraient inchangés.

Dans le public, les fonctionnaires cotiseraient désormais au régime général, au taux normal mais sur la base du dernier traitement de leur grade. Dans le nouveau régime complémentaire, ils cotiseraient aussi sur ce dernier traitement, ou leur traitement actuel, à un taux plus important au-dessus du PSS qu’en-dessous. En contrepartie, le nouveau régime général prendrait en charge les pensions publiques actuelles dans la limite de son maximum – la moitié du PSS. La différence de pension publique serait versée par le nouveau régime complémentaire décrit supra. Si les fonctionnaires « rapportent » moins au régime général en cotisation que ce qu’il verserait aux fonctionnaires retraités, les employeurs publics pourraient contribuer au régime général via une soulte, au moins pendant quelques années. Pour calculer les droits des fonctionnaires actuels dans le nouveau régime, il suffira d’appliquer le traitement du dernier échelon au grade actuellement détenu, ou de reconstituer leur carrière. Les promotions de grades des fonctionnaires seraient en effet plus faciles à reconstituer que les passages d’échelons.

A court terme, les retraités actuels des catégories actives (FPE/FPT/FPH) qui n’ont pas encore 62 ans seraient payés par une caisse de préretraite dédiée, financée par l’employeur, le temps d’atteindre l’âge légal et d’être payés par le régime général et les régimes complémentaires publics. Ce coût serait donc financé à part, plutôt que par les cotisations de l’ensemble des fonctionnaires. A moyen terme, les employeurs publics négocieraient pour relever ou abolir l’âge légal dérogatoire dans certaines catégories actives qui ne le justifient plus, en mettant en place les nouveaux comptes épargne temps de préretraite des métiers pénibles. En épargnant les catégories actives proches de la retraite, le nouveau système s’appliquerait ainsi dans quelques années, avec disparition ensuite du système intermédiaire.

Focus : le danger des « clauses du grand-père » et des mesures de compensation

Il était prévu que la réforme de 2020 ne s’applique pleinement qu’aux assurés liquidant leur pension dans 25 ans. Pour les autres, rien n’aurait changé, ou la transition aurait été très graduelle. On parle de clause d’antériorité, ou clause du grand-père. Une transition aussi longue est certes rassurante pour les actifs âgés mais elle pose un vrai problème d’équité intergénérationnelle. Au lieu de résorber l’inégalité actuelle entre les générations, on alourdit en fait encore davantage cette rupture d’égalité. Une réforme étalée sur 25 ou 40 ans ne fluidifie pas non plus le marché du travail : seuls les actifs concernés par le régime unique auraient eu des transitions professionnelles facilitées entre différents statuts. En fait, le maintien ou le rachat des droits acquis n’a de sens que sur des populations relativement réduites. Si l’on décide par exemple de réformer les métiers de notaire, de taxi ou de pharmacien, il peut être logique de racheter les rentes, ou de laisser leurs titulaires en place. Le coût par bénéficiaire est élevé, mais il y a peu de bénéficiaires, si bien que le coût total reste supportable. Ce n’est pas le cas pour des réformes d’ampleur, car le coût du maintien des privilèges hérités du passé est trop massif.

Dernier inconvénient des clauses de grand-père : en mettant fin à un problème structurel, mais sur un horizon lointain, cela anesthésie largement toute volonté de réforme ultérieure. Après tout, pourquoi se soucier du déficit actuel, même conséquent, s’il est prévu qu’il se résorbe tout seul dans 20 ou 40 ans ? Une fois que les actifs âgés ont obtenu une dérogation à la réforme, il est encore plus difficile de leur demander des efforts – alors qu’ils n’en ont pas consenti. L’Italie est un bon exemple de cet effet délétère : les réformes de 1992–1995 ne devaient s’appliquer pleinement qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail. Mais en dispensant d’efforts les retraités actuels et les actifs proches de la retraite, l’ajustement fut insuffisant, et a nécessité un durcissement d’urgence en 2011 avec la réforme Monti-Fornero. Dans le public et les régimes spéciaux, il n’est pas tenable de faire cohabiter durablement des agents ayant des avantages non salariaux si différents pour exercer exactement le même métier, sans toucher aux salaires.

Enfin, lorsque l’on met en œuvre une réforme d’envergure, il faut faire très attention aux mesures de compensation. Si une réforme est bonne et permet à terme des économies ou des gains d’efficacité, on peut tout à fait lâcher un peu de lest initialement. Mais il faut prendre garde à ne pas donner plus en contreparties que les économies escomptées. Ce problème est encore aggravé pour les réformes les plus lourdes, car l’inquiétude suscitée peut alors dépasser le sacrifice réellement demandé. Dans ce cas, la « compensation » de cette inquiétude peut facilement excéder les économies générées à long terme. Il est donc utile de ne pas changer trop de paramètres à la fois, pour limiter les inquiétudes.

De ce point de vue, on peut penser que la réforme de 2020 aurait nécessité des contreparties parfois exorbitantes. Il y a des fonctionnaires pour qui 75 % du dernier traitement, c’est 60 ou 70 % du dernier salaire (primes inclues), quand pour d’autres c’est à peine 40 ou 50 %. En passant à une pension calculée sur le salaire total, cela aurait fait baisser les droits à la retraite des premiers, au profit des seconds. Pour les enseignants en activité, il aurait fallu compenser cette baisse de pension future par une hausse du salaire actuel. Mais faute de pouvoir baisser les pensions déjà liquidées, il aurait fallu, pendant des décennies, que l’État continue de payer des pensions inchangées, tout en augmentant les salaires versés – non seulement aux agents touchés par la réforme, mais probablement aussi à ceux non touchés… Cela aurait coûté cher, sans forcément satisfaire les enseignants, très attachés à leur retraite. Pour éviter la dérive des mesures de compensation, il vaut mieux limiter les changements systémiques.

Un gain de transparence et d’efficacité économique à court terme

Même en continuant de financer à part la retraite des catégories actives jusqu’à l’âge légal normal, et malgré des cotisations sur une assiette fictive plus élevée que le traitement réel (et en compensant le surcoût de cotisations salariales), la contribution de l’État serait réduite, aux dépens du régime général. En effet, le poids de la démographie défavorable du SRE serait partagé avec l’ensemble du système de retraites, comme cela serait déjà le cas si des compensations adéquates entre régimes étaient prévues. Avec 10 ou 15 Mds€ de déficit supplémentaire, le régime général devra donc durcir ses conditions et retarder les départs – ce que le gouvernement semble souhaiter avec sa réforme paramétrique. Avec la fusion du public dans le régime général, le déficit qui est actuellement caché dans le service des retraites de l’État apparaitrait de façon transparente, ce qui nécessitera sa résorption graduelle.

Si l’on excepte la période de transition pour les fonctionnaires des catégories actives, ce changement à droit constant ou quasi-constant pourrait donc se faire de façon rapide, sans clause de grand-père. Ce serait un gage d’équité et d’efficacité, tout en facilitant immédiatement les reconversions professionnelles : les gens ne souhaitent plus (et souvent ne peuvent plus) faire toute leur carrière dans la même entreprise ou le même type d’activité comme il y a 30 ans, et ils seront sans doute plus disposés à travailler plus longtemps s’ils peuvent se reconvertir.

3. Quelle articulation avec la réforme actuelle ?

3.1. Commencer à clarifier l’équilibre entre les régimes et la constitution des droits

La réforme telle qu’annoncée par le gouvernement ne prévoit pas de fusion générale des régimes, mais uniquement la suppression d’une partie des régimes spéciaux. Néanmoins, si le rapprochement reste un objectif à terme, il est possible de commencer à le préparer dès maintenant, en améliorant la lisibilité des engagements financiers des différents régimes et leurs compensations.

Clarifier la situation du Service des Retraites de l’État

Comme on l’a évoqué supra, la mauvaise situation du Service des Retraites de l’État (SRE) – et le coût que cela représente – est due à la fois à des conditions trop généreuses par le passé, à un nombre important de catégories actives, mais aussi aux transferts massifs d’agents vers les collectivités locales et le privé. Une fusion de tous les régimes de retraite permettrait de « mettre en commun » tous les cotisants et tous les retraités et donc de rééquilibrer une partie des efforts (aujourd’hui invisibilisés) vers le privé, les collectivités territoriales et les professions libérales – sous réserve de décider quelle part l’État continuerait d’assumer en subvention. En l’absence d’une telle fusion, il est néanmoins possible de transformer le SRE en une vraie caisse de retraite – éventuellement fusionnée avec la CNRACL – avec des cotisations correspondant davantage aux droits futurs acquis par les agents qu’aux simples conséquences et coûts des engagements passés.

Pour isoler le coût du passé, une possibilité serait de calculer les cotisations dont l’État aurait besoin pour financer son régime de retraites dans le cas où il aurait le même ratio de cotisants par retraité que la population générale (en ajustant éventuellement ce ratio selon les différences d’âge de départ, et les carrières plus ou moins complètes des poly-pensionnés). Même si un tel calcul ne peut être qu’une estimation dépendant d’hypothèses, il est néanmoins possible d’avoir un ordre de grandeur. De cette façon, une part du surcoût dans le SRE serait correctement identifiée comme un reliquat du passé, et serait financée par une subvention d’équilibre de l’État au SRE – comme s’il s’agissait d’un régime spécial déséquilibré – plutôt que des cotisations artificielles sur la masse salariale. Cela éviterait de donner l’illusion que des cotisations trop élevées sont un salaire différé quand ce n’est pas le cas. De la même façon, si la retraite anticipée des catégories actives est financée séparément, ce coût reposera sur des cotisations dédiées ou une subvention d’équilibre, plutôt que les cotisations retraites du reste des fonctionnaires sédentaires, de façon à garder ce surcoût séparé. On peut aussi essayer d’isoler le coût spécifique de la générosité passée, mais il est probablement beaucoup plus incertain.

Au contraire, dans le régime général – mais aussi la CNRACL et les professions libérales – la démographie est meilleure que dans le SRE et la population dans son ensemble. Si ces régimes avaient le même ratio de cotisants par retraité que la population générale, il leur faudrait dégager davantage de cotisations – ou durcir leur âge de départ. Comme pour le « déficit démographique » du SRE, on peut attribuer une valeur financière au « surplus démographique » de ces régimes. En absence de fusion, il serait politiquement difficile de demander au privé de payer pour le public, et le surplus des uns n’équilibre pas exactement le déficit des autres, si les pensions et cotisations moyennes varient entre ces régimes. Sans organiser de transfert démographique direct, il serait néanmoins légitime de demander à ces régimes de dégager des marges financières correspondant à leur démographie anormalement favorable, pour participer au financement de leurs mesures de solidarité, actuellement financées par l’État. La contribution de l’État aux mesures de solidarité serait réduite, même s’il resterait contributeur net. Cette contribution amoindrie ne suffirait pas à financer le surcoût du régime public, mais y participerait. Sans unifier les modes de calcul, faire du SRE une vraie caisse recevant une soulte d’équilibre améliore la lisibilité et permet d’amorcer un rapprochement ultérieur en préfigurant les transferts que cela impliquera.

La réforme actuelle prévoit de supprimer certains régimes spéciaux en intégrant les nouveaux entrants au régime général – avec une clause de grand-père pour les agents déjà en place. Si une telle réforme a l’avantage de mutualiser le risque démographique des petits régimes, elle risque néanmoins de déstabiliser l’attractivité de ces métiers, surtout s’ils prévoyaient une condition d’âge dérogatoire. Il serait donc préférable de prévoir en parallèle un durcissement marqué s’appliquant aussi aux agents déjà en place. Si l’âge légal augmente d’un trimestre par an pendant 8 ans, l’âge dérogatoire des régimes spéciaux pourrait augmenter de 2 à 3 trimestres par an pendant cette période. De cette façon, les policiers et les cheminots partiraient à terme dès 58 ans (contre 52 actuellement) et les douaniers et aides-soignantes dès 61 ans (contre 57 actuellement). Si l’on ne souhaite pas décupler le risque de grèves dans ces professions, on peut toujours décider de reporter un tel ajustement à une réforme ultérieure, mais il est souhaitable de ne pas conserver un âge de départ aussi précoce pour ces métiers. Si la mise en extinction de ces régimes est effectivement actée, il faudra réfléchir à une rémunération plus avantageuse pour les nouveaux entrants, pour compenser la perte d’avantages non salariaux. Cela pourrait prendre la forme, par exemple, de primes réservées aux agents n’étant plus sous statut.

Mieux refléter les engagements futurs de pensions dans le public

Sans fusionner les caisses de retraite comme évoqué supra, il est possible de rendre plus transparents les engagements des employeurs publics. Dès lors que les droits à retraite sont calculés sur des derniers traitements, il serait préférable que les cotisations employeur dans le public soient calculées sur une assiette plus proche de cet engagement. Même sans fusion, les employeurs publics pourraient dès à présent calculer leurs cotisations retraite employeur sur la base du dernier traitement du grade. L’effet global serait neutre : puisque l’assiette de cotisation serait plus élevée, le taux apparent serait plus faible, mais la masse totale des cotisations serait inchangée. Un tel changement aurait tendance à renchérir le « coût du travail » sur les jeunes fonctionnaires à la mesure des droits à pensions élevées qu’ils acquièrent avec leurs premières années. Mais il est plutôt sain que les décisions d’embauche –sur des décennies – des employeurs publics reflètent mieux le coût réel des engagements futurs pris. De même, le coût du travail sera relativement plus élevé pour les corps de fonctionnaires ayant de fortes progressions de carrière, et un peu plus faible pour ceux avec des carrières peu dynamiques, ce qui limitera cet aspect anti-redistributif présent aujourd’hui avec cette règle de dernier salaire.

De même, il est possible de généraliser le modèle base-complémentaire dans le public, en créant deux tranches dans les pensions publiques. Sans rien changer pour l’instant au mode de calcul des droits acquis, les pensions du SRE, de la CNRACL et des régimes spéciaux pourraient être divisées en deux tranches. La première correspondrait à 50 % du dernier traitement dans la limite du plafond de la sécurité sociale, comme pour les pensions de base du régime général, tandis que la seconde tranche assurerait les 25 % restants dans la limite du plafond, et 75 % de la part de la dernière rémunération au-delà du plafond. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles caisses de retraite, mais de passer d’une ligne à deux sur les relevés de pension, à droits constants, pour donner plus de lisibilité et de comparabilité entre public et privé. Pour les indépendants et professions libérales, il serait aussi relativement aisé d’aligner le plafond de leur régime de base sur celui du régime général, pour favoriser une fusion ultérieure éventuelle.

3.2. Introduire plus d’équité et d’économies dans les pensions existantes

Dès lors que l’ensemble des régimes de base seraient fusionnés dans un seul régime s’appliquant aussi aux retraités actuels, les mesures d’économies et les réformes paramétriques futures seraient facilitées, puisqu’elles toucheraient de façon quasi-identique les fonctionnaires, salariés du privé et professions libérales. Même sans fusion systémique pour l’instant, il est possible de faire déjà des économies sur les retraités actuels, tout en rendant le système plus juste en réformant certains archaïsmes (réversion, fiscalité). Demander des efforts aux retraités actuels est possible et souhaitable ; si le débat n’a pas lieu lors de l’adoption de cette réforme, il reviendra lors d’une future revalorisation des pensions.

L’exécutif a sagement préféré ne pas toucher à l’âge d’annulation de la décote, qui restera à 67 ans. Cela évitera de forcer certains actifs âgés souvent modestes à continuer jusque 68 voire 70 ans, à cause de carrières incomplètes. En réduisant l’écart entre l’âge légal minimal (âge d’ouverture des droits) et l’âge d’annulation de la décote, on se rapproche de la situation chez nos voisins : faire de l’âge la variable la plus déterminante, et non la durée de cotisation, sauf pour certaines carrières longues. Le critère de durée de cotisation peut sembler le plus juste pour favoriser les salariés modestes qui ont en moyenne commencé à cotiser plus tôt, mais la corrélation entre trimestres validés, niveau de vie et espérance de vie est imparfaite. A mesure que la durée d’assurance demandée a augmenté, on a multiplié les validations de trimestres non cotisés (chômage, études, etc) qui sont loin de ne profiter qu’aux plus modestes, et créent souvent de la solidarité inversée. Le recours à la durée d’assurance pénalise par ailleurs les fonctionnaires – qu’ils aient eu une carrière linéaire ou non – puisque les trimestres sont plus difficiles à valider dans le public que le privé (trimestres calendaires plutôt que 150h au SMIC, prise en compte différente de certains temps partiels…) ce qui peut rendre difficile l’obtention du taux plein pour ceux qui ont passé un concours tardivement. Enfin, des personnes ayant eu de longues interruptions atteignent l’âge du taux plein avec une retraite très incomplète faute d’avoir le nombre d’annuités requis à ce moment-là.

A la rigueur, on pourrait permettre à certains actifs de partir avant l’âge légal, en échange de fortes décotes, s’ils ont accumulé suffisamment de droits pour ne pas peser sur la solidarité nationale. Lorsque le conjoint plus âgé est déjà à la retraite, certains peuvent vouloir profiter d’une pension, même faible. De même, certains salariés âgés se reconvertissent comme indépendants, et souhaitent profiter d’un revenu stable minimal, même s’ils poursuivent en partie leur activité ; permettre ce type de départs anticipés ne serait pas absurde. En augmentant l’âge légal mais en permettant des départs anticipés avec décote, on reviendrait en fait à la situation qui prévalait avant 1981. Alternativement, on pourrait laisser les actifs « racheter » une part des points accumulés dans les complémentaires, pour s’assurer un ou deux ans de revenus avant d’atteindre l’âge légal. Une telle possibilité ne serait ouverte que pour certains choix de vie précis de l’assuré, et avec des conditions financières au moins actuariellement neutres.

Par contre, pour les chômeurs ayant déjà l’âge légal mais manquant de trimestres, on pourrait envisager de supprimer le maintien des droits au chômage après l’extinction normale de leurs droits (27 mois maximum depuis la dernière réforme), jusqu’à ce qu’ils atteignent le taux plein. Si l’on peut déjà prendre sa retraite pour s’assurer un revenu de remplacement, le recours au chômage ne devrait pas être le même que pour le reste des actifs, et ne devrait pas servir simplement à attendre une meilleure retraite (avec une allocation chômage supérieure à la future retraite, sans réellement chercher). Avec un âge légal à 64 ans et une annulation de décote à 67 ans, la décote ne sera plus que de 15 % au maximum, et on peut tout à fait la moduler pour les pensions les plus faibles. Rien n’empêche ces personnes de continuer à chercher du travail alors qu’elles ont liquidé leur pension, et elles pourront acquérir de nouveaux droits si elles reprennent un emploi ; mais cela limiterait le recours au chômage comme une coûteuse forme de préretraite accordée par l’entreprise aux salariés du privé.

La réforme annoncée devrait permettre de rendre les régimes complémentaires plus contributifs, en les rendant moins dépendants de la durée de cotisation. Pour encourager la prolongation des carrières, l’État et les partenaires sociaux pourraient créer une vraie incitation dans les régimes complémentaires (qui remplacerait la minoration/majoration temporaire de l’Agirc-Arrco) : les assurés ayant l’âge et les trimestres dans le régime général pourraient liquider leur pension complémentaire, mais avec une décote de 10 % qui serait annulée avec une prolongation de deux ans – mais sans décote avec un départ à 67 ans. De facto, le taux plein dans le régime complémentaire serait obtenu entre 66 et 67 ans – sauf carrières longues : les assurés modestes principalement couverts par le régime de base continueraient à partir à 64 ans – la décote du régime complémentaire ayant un faible impact sur leurs revenus –, tandis que les cadres travailleraient plus longtemps, car la pension complémentaire serait relativement importante pour eux. Cela limiterait aussi l’effet d’aubaine actuel où certains cadres rachètent des trimestres du régime général pour annuler la décote sur leurs pensions complémentaires élevées. Par mimétisme, une telle réforme pourrait concerner le public et tous les régimes, une fois qu’ils auront chacun une partie complémentaire. Les économies que cela génèrerait pourrait alors être réorientées vers le régime général, via un transfert de cotisations sociales, ou être redistribuées aux cotisants via une baisse du taux de cotisations.

L’allongement moyen des carrières doit aussi passer par la facilitation des reconversions ainsi que le renforcement des dispositifs de retraite progressive, de cumul emploi-retraite ou de reprise d’emploi. Ce n’est pas seulement une question de justice ou d’acceptabilité sociale, il en va aussi de l’efficacité économique et d’épanouissement personnel des individus. Jusqu’à présent, l’âge précoce de sortie du marché du travail – et pendant longtemps les préretraites –  ont souvent mis une soupape sur ces questions : puisque l’on part tôt, à quoi bon mettre en place de tels dispositifs ? Les efforts de formation et de reconversion doivent être menés tôt, tant par les employés que par leurs employeurs. Pour les cadres, certaines entreprises devront probablement aussi envisager de fonctionner avec des structures moins verticales, avec plus de rôles d’experts sans forcément de responsabilité managériale. La retraite progressive qui existait dans le privé (à partir de 60 ans) ne sera plus accessible qu’à 62 ans mais sera étendue au public. Pourquoi ne pas garder cette possibilité pour tous, dès 60 ans, quitte à la rendre légèrement moins généreuse au début ? Pour un enseignant de primaire ou une infirmière par exemple, passer à mi-temps peut-être une bonne façon de tenir quelques années supplémentaires. Il faut aussi améliorer les conditions de reprise d’emploi ou de cumul emploi-retraite après liquidation.

Dans la fonction publique, il serait d’ailleurs utile de réformer la prise en compte des temps partiels, car sauf pour les temps partiels de droit (maternité, soins à un proche malade ou handicapé), ces temps partiels ne comptent pas pour 4 trimestres par an et retardent donc grandement l’obtention de la durée d’assurance requise pour une retraite sans décote. Une solution intermédiaire pourrait être d’attribuer 4 trimestres par an aux fonctionnaires à temps partiel pour l’annulation de la décote, mais un nombre plus réduit pour le calcul proportionnel de leur pension. Ainsi une personne qui aurait travaillé 42 ans dont 4 à mi-temps aurait 42 annuités pour annuler la décote, mais sa pension serait légèrement incomplète (car proportionnelle à 40 ans « effectifs » et non 42).

Rationnaliser la solidarité et la fiscalité

Avoir un seul régime de base simplifierait grandement l’organisation de la solidarité pour les retraités. Actuellement, la redistribution envers les retraités se fait dans chaque régime – avec des modalités souvent différentes et qui ne bénéficient pas toujours aux plus modestes – mais aussi grâce à la fiscalité, avec trois taux de CSG différents selon les revenus du foyer. On pourrait envisager un taux de CSG différent entre pension de base et complémentaire, dès lors que le régime de base serait le même pour tous, avec à terme un taux de CSG normal sur les complémentaires, ou des cotisations santé ou dépendance.

De même, la question de supprimer l’abattement pour frais professionnels sur les pensions de retraite pourrait se poser. Supprimer cet abattement (et celui pour les retraités modestes de plus de 65 ans) ne pose pas de difficulté juridique ou constitutionnelle, et serait un effort de solidarité concentré sur les retraités relativement aisés. Si l’on ne souhaite pas le supprimer complètement, il serait possible de le supprimer pour la partie complémentaire des pensions, ou de le limiter au montant maximal de la retraite de base (soit 2 200 € d’abattement pour une retraite de base de 22 000 € annuels maximum). De façon plus diffuse, on pourrait aussi s’attaquer aux différents avantages tarifaires dont bénéficient les retraités, en interdisant une distinction actifs-retraités dans les services publics nationaux et locaux.

Pour les pensions de réversion, on pourrait distinguer plus nettement la retraite de base et les retraites complémentaires. La retraite de base pourrait être le mécanisme redistributif principal pour la réversion, en aidant le conjoint survivant à compléter sa pension de base, dans la limite du maximum prévu. Au contraire, il serait utile de rendre la réversion des pensions complémentaires plus contributive. Les points pourraient être partagés dans un couple : en cas de divorce, les points partagés resteraient acquis. Alternativement, la réversion des pensions complémentaires pourrait être optionnelle, et soumise à une cotisation salariale supplémentaire en fonction de l’âge du conjoint, selon un calcul actuariel.

L’indexation des pensions

Enfin, le fait de revaloriser différemment les pensions de base et complémentaires – comme c’est déjà le cas – sera plus juste, une fois que la répartition sera équivalente entre les assurés. Pour restaurer l’équilibre des retraites, en plus de mesures d’âge, une indexation partielle sur l’inflation n’est pas illégitime : les retraités ont un meilleur niveau de vie que la population générale, et pour une grande majorité ils sont propriétaires d’un logement déjà remboursé. Même avec un emprunt immobilier en cours, les mensualités n’augmentent pas avec l’inflation ; le coût de la vie progresse moins vite que l’inflation, et une sous-indexation ne serait pas forcément injuste, et bien plus indolore qu’une baisse des pensions. Si l’équité actuarielle incite plutôt à revenir à une indexation des rémunérations passées sur les salaires lors du calcul de la pension sur la rémunération moyenne, il n’y a pas de raison de le faire lors de la revalorisation des pensions déjà liquidées, et il serait utile de séparer définitivement ces deux notions.

On pourrait poser comme principe que dans la limite de la moitié de la pension de base maximale (le quart du PSS), les pensions de base soient entièrement indexées sur l’inflation, mais que pour la part des pensions de base supérieure à ce montant, la revalorisation soit décidée par un groupe d’experts. Comme pour le SMIC, ils seraient chargés de faire des recommandations en fonction du niveau de vie relatif des retraités, ou de l’équilibre du système à moyen terme. En particulier, lorsqu’une mesure d’âge serait décidée pour les futurs retraités, cela pourrait s’accompagner d’une sous indexation supplémentaire pour les retraités actuels : un tel automatisme soulignerait le partage intergénérationnel des efforts. Dans tous les cas, il est indispensable que les revalorisations de pensions restent inférieures à la croissance des salaires, en particulier dans la période actuelle où l’inflation rogne le pouvoir d’achat des actifs.

Pour les régimes complémentaires, la revalorisation des pensions dépendrait de leur santé respective. Dans le public, elles pourraient par exemple être indexés sur le point d’indice de la fonction publique, très peu dynamique : puisque les salaires du public sont indexés dessus, il est sain que les pensions ne progressent pas plus vite. À terme, cela générerait d’importantes économies dans les régimes publics. Dans l’Agirc-Arrco et les autres régimes à points, plutôt que geler la valeur de service du point (qui pénalise les retraités actuels et les actifs via la revalorisation des cotisations passées), une alternative serait de revaloriser le point mais de diminuer le nombre de points de chaque retraité, par ex de 1% par an.

Conclusion

Notre système de retraites est malade, et son coût trop élevé n’en est qu’un des symptômes, en plus de son manque d’équité. Iniquité envers les actifs, dont le pouvoir d’achat est détourné pour financer un niveau de vie des retraités supérieur au leur. Iniquité aussi entre différentes générations, certaines ayant réussi à bloquer toute réforme jusqu’à leur propre départ, et reporter les efforts sur les suivants (augmentation de l’âge et de la durée, baisse des rendements). Cette double iniquité est pourtant occultée par les écarts – justifiés ou non – entre les différents régimes, qui freinent toute réforme : pourquoi faire un effort soi-même s’il suffisait de faire rendre gorge à certains ? Rapprocher dès maintenant l’ensemble des régimes permettra de réduire fortement les différences intragénérationnelles, entre professions, et de redonner de la légitimité à des mesures d’économies ou de redistribution entre actifs et retraités. En retrouvant une loi commune plutôt que des statuts particuliers épars (les leges privatae ou privilèges de l’Ancien Régime), le Parlement et le Peuple retrouveront pleine légitimité à décider.

En rapprochant les droits à la retraite des salariés et des fonctionnaires, cela permettra aussi à terme de rapprocher le statut des fonctionnaires et des contractuels, si un futur gouvernement le souhaite. De même, transférer des fonctionnaires sous statut de contractuel, ou les licencier en cas de réduction d’effectifs serait moins traumatisant, dès lors que l’effet sur les pensions serait grandement atténué. Enfin, dans le public, la fin du régime public incitera administration et syndicats à mener de vraies négociations salariales pour l’ensemble des agents, et pas uniquement pour ceux proches de la retraite.

Annexe : l’architecture actuelle du système de retraites

Schéma tiré du PLF 2022, rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique
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Charles Dennery