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Rapport

Sécurisation des parcours professionnels : pour un compromis social ambitieux

La question de la sécurisation des parcours professionnels n’a cessé de revenir dans le débat public depuis plus de quinze ans, sans faire pour autant l’objet de mesures de grande ampleur. Pourtant, une réforme donnant aux travailleurs le droit de se former, de rester qualifiés et d’avoir ainsi les moyens de maîtriser l’évolution de leur carrière et les épisodes de perte d’emploi doit être au cœur de la politique de compétitivité et de lutte contre le chômage. Terra Nova plaide pour une sécurisation des parcours professionnels ambitieuse, fondée sur de nouveaux droits sociaux : l’assurance qualification, avec la mise en place d’un compte individuel de formation, l’assurance emploi garantissant aux chercheurs d’emploi une indemnisation juste et un accompagnement performant, et le droit collectif à des restructurations négociées assurant un juste partage de l’effort.

Publié le 

La sécurisation des parcours professionnels, cette idée déjà ancienne selon laquelle chaque travailleur doit pouvoir disposer de droits lui donnant une certaine maîtrise sur l’évolution de sa carrière et lui permettant de faire face sans difficultés excessives à un épisode de perte d’emploi, peine à devenir réalité en France.  

Notre modèle social s’est organisé autour de l’emploi à temps plein, en contrat à durée indéterminée, souvent sur des carrières complètes auprès du même employeur. Il s’effrite depuis plus de vingt ans, en parallèle avec la progression de nouvelles formes d’emplois : contrats à durée déterminée, temps partiel, intérim, stages… Ces évolutions vers un monde d’emplois moins stables amènent à ne plus envisager les droits des salariés uniquement dans le cadre du contrat de travail et d’un emploi donné, mais à leur donner des droits les accompagnant tout au long de leur vie professionnelle.  

De nombreuses réformes sont allées dans ce sens ces dix dernières années, apportant de réels acquis. Mais elles se sont exercées à petites touches, sans modifier les grands équilibres, ajoutant de nouvelles strates à un système excessivement complexe. Elles n’ont pas réglé les problèmes structurels du marché du travail : dualisme entre emplois stables et emplois précaires, faible développement des formations qualifiantes, exposition des personnes non qualifiées au chômage de longue durée, faiblesse des mobilités choisies…  

Pour rompre ce cycle, pour faire reculer le chômage, il convient de donner davantage d’ambition à la sécurisation des parcours professionnels : en augmentant le niveau moyen de qualification de la main-d’œuvre, elle permettra de faire monter en gamme la production, de répondre aux besoins créés par le départ à la retraite des générations du baby-boom et par le développement de nouveaux secteurs. Au niveau individuel, elle permet au salarié de réorienter sa carrière, d’accéder à un niveau de qualification supérieur, de rebondir en cas de chômage. Elle relève d’une logique de promotion des personnes, en complément de la protection des emplois, nécessaire notamment lorsque ceux-ci concernent des unités économiques rentables confrontées à des chocs conjoncturels.  

Terra Nova propose de fonder la sécurisation des parcours professionnels sur trois droits nouveaux :

– l’assurance qualification, donnant à chacun le droit d’être qualifié ;

– l’assurance emploi, garantissant aux « chercheurs d’emplois » une indemnisation juste et un accompagnement performant ;

– le droit collectif à ce que les restructurations d’entreprises soient négociées et opèrent un juste partage de l’effort.  

1 – L’assurance qualification

Parce qu’elle condamne fréquemment au chômage de longue durée, la déqualification doit être considérée comme un risque, au même titre que la maladie, la retraite, la naissance d’un enfant ou les accidents du travail. Le présent rapport propose de fonder l’assurance qualification sur trois réformes majeures :  

– La mise en place d’un compte individuel de formation, assurant un droit individuel universel, capitalisable, compensant les inégalités   

Le compte individuel de formation remplacerait les dispositifs existants (congé individuel de formation, droit individuel à la formation, période de professionnalisation), trop complexes, et ne garantissant que des droits limités aux demandeurs d’emplois. Son financement serait intégralement assuré par des redéploiements au sein des dépenses actuelles de formation continue. Il serait alimenté par trois sources : un droit à la formation différée pour les salariés sortis sans diplôme de la scolarité initiale ; un droit capitalisable tout au long de la vie ; des abondements volontaires des différents acteurs (régions, OPCA, Pôle emploi…). Il serait utilisable tout au long de la vie par la personne, qu’elle soit salariée ou au chômage.  

La création d’un véritable service public de l’orientation déployé sur tout le territoire   

Ce service public est le corollaire indispensable du compte individuel de formation. Il permettra à chacun de mobiliser ses droits, pour éviter que les personnes les plus qualifiées soient les seules à se saisir du nouveau dispositif. Afin de simplifier le mille-feuilles administratif existant, le service public de l’orientation pourrait être placé sous la responsabilité de la région, qui devra assurer la coordination avec les autres acteurs (partenaires sociaux, entreprises, Etat, Pôle emploi).

– Une politique de formation des entreprises plus équitable  

Le plan de formation de l’entreprise, aujourd’hui décidé unilatéralement par l’employeur et soumis pour avis au comité d’entreprise, pourrait faire l’objet d’une négociation obligatoire avec les organisations syndicales, afin de veiller notamment à ce que l’effort de formation ne se concentre pas uniquement sur les salariés les plus qualifiés.

2 – L’assurance emploi

La recherche d’emploi est une activité complexe, où le chômeur est bien moins un « demandeur d’emploi » qu’un « chercheur d’emploi ». Cette recherche n’est pas uniquement affaire de volonté, n’en déplaise aux théories « des droits et des devoirs » souvent relayées en France ces dernières années. Elle mobilise des compétences dont les individus sont inégalement dotés. Le rôle du service public de l’emploi, comme tout service public, est de compenser ces inégalités.

  L’ « assurance emploi » doit également pouvoir garantir aux « chercheurs d’emploi » une indemnisation juste. Or le système français laisse de côté plus de la moitié des chômeurs, et en particulier les jeunes. Les parents se trouvent implicitement chargés de leur protection, sans en avoir systématiquement les moyens. La création d’une « aide à l’entrée sur le marché du travail », servie pendant la durée nécessaire à l’obtention du premier emploi, mettrait les jeunes en recherche d’emploi sur un pied d’égalité avec les chômeurs plus âgés.  

Pour décourager le recours abusif aux contrats courts, qui ont explosé depuis les années 2000, le taux de cotisation patronale d’assurance-chômage pourrait être modulé en fonction de l’ancienneté du salarié. Ainsi, les entreprises recourant massivement à ce type de contrats supporteraient une part plus importante du coût d’indemnisation du chômage qu’elles font supporter à la collectivité.  

Enfin, sans changer le plafond de revenus pris en compte pour le calcul des cotisations, l’indemnisation peut être rendue plus redistributive en diminuant le taux de remplacement de l’assurance-chômage pour les hauts revenus, peu concernés par le risque de chômage de longue durée, et bénéficiant souvent d’indemnités de départ élevées.

En matière de conditions de recherche de l’emploi, la connaissance de l’état présent et des perspectives futures du marché du travail est primordiale, pour permettre une meilleure adéquation entre attentes du candidat et besoins de l’employeur. Cette connaissance doit inclure celle des métiers et entreprises qui recrutent, et pouvoir s’appuyer sur des instruments de transparence, par secteur et par entreprise, de la qualité de l’emploi et des pratiques de recrutement. De même, un accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi, à la mesure de celui pratiqué en Allemagne ou au Royaume-Uni, permettrait d’augmenter le taux de retour à l’emploi, en se concentrant sur les chômeurs rencontrant des difficultés particulières.  

L’assurance emploi devrait pouvoir financer un projet professionnel, lorsque celui-ci est jugé réaliste au regard des perspectives du marché du travail. Ce financement pourrait être étendu, sous certaines conditions, à des salariés ayant un projet de mobilité professionnelle. De même, sur validation préalable de leur projet, les salariés démissionnaires pourraient également bénéficier d’une indemnisation.  

La définition de l’offre raisonnable d’emploi issue de la loi sur les droits et les devoir des demandeurs d’emploi du 1er août 2008, en imposant aux chômeurs d’accepter au bout d’un certain temps n’importe quel emploi, doit être abrogée : elle contraint les individus au déclassement et les empêche de mobiliser au mieux leur potentiel. Un système plus équilibré de contrôle de la recherche d’emploi peut être mis en place, utilisant parcimonieusement la suspension complète de l’indemnisation : Pôle emploi pourrait se voir ainsi confier un dispositif de sanctions graduées, les services de l’Etat n’intervenant qu’en cas de recours.  

3 – De nouveaux droits face aux restructurations

Si le droit des licenciements individuels apparaît équilibré entre l’exigence de flexibilité des entreprises et la protection des intérêts des salariés, le droit des restructurations n’est satisfaisant ni pour les employeurs, ni pour les employés. Sources d’insécurité juridique pour l’employeur, peu protectrices des salariés, les restructurations en France illustrent surtout la mauvaise qualité du dialogue social. Or il conviendrait de modifier l’équilibre de notre droit pour faire de la négociation collective le principe, en rendant obligatoire l’ouverture d’une négociation sur le projet de restructuration, les alternatives économiques envisageables et les mesures sociales d’accompagnement : obligation de négocier, mais pas de conclure, même si la conclusion d’un accord doit pouvoir faire l’objet d’incitations publiques, financières et de sécurisation juridique de l’accord.   Le dialogue social sur l’anticipation des mutations économiques doit également être favorisé, en renforçant les outils d’anticipation sectorielle et territoriale, en sanctionnant plus explicitement le non-respect de l’obligation de négocier tous les trois ans sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.  

Sur le fond, les obligations à l’égard des salariés, des sous-traitants et des territoires doivent être renforcées, notamment en faisant financer par les entreprises qui se restructurent un fonds d’accompagnement des sous-traitants, et en accentuant l’obligation de revitalisation du territoire concerné.  

Afin de résoudre les problèmes d’équité interne posés par les restructurations, un principe de juste partage de l’effort entre actionnaires et salariés, et entre catégories de salariés, devrait être mis en œuvre, notamment par une taxation renforcée des dividendes distribués l’année où l’entreprise a procédé à des licenciements collectifs, et par le plafonnement ou l’interdiction des bonus. Les titulaires de contrats précaires devraient pouvoir bénéficier des mesures de reclassement du plan de sauvegarde de l’emploi.  

Enfin, les nouvelles pratiques de gestion des restructurations, telles que les plans de départs volontaires ou les ruptures conventionnelles, doivent faire l’objet d’un encadrement plus rigoureux. Au niveau des groupes d’entreprises, la négociation d’un accord de groupe sur la gestion de l’emploi articulant accord de groupe et accord d’entreprise pourrait être rendue obligatoire.

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