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Revue de presse

Taxis : « Le système des licences est mort, il faut le supprimer »

Alors que le gouvernement doit rendre prochainement ses arbitrages dans le conflit qui continue d’opposer taxis et VTC, le think tank Terra Nova propose d’indemniser l’ensemble de ses titulaires via une cotisation prélevée sur les deux professions amenées à fusionner.
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Comment sortir du conflit entre les taxis et les VTC et mettre fin au combat des anciens et des modernes qui envenime un secteur potentiellement créateur de nombreux emplois et de croissance ? Alors que Manuel Valls rendra prochainement ses arbitrages sur les propositions, globalement favorables aux taxis, avancés par le député socialiste et médiateur du gouvernement dans cette affaire, Laurent Grandguillaume, le think-tank Terra Nova rend public un rapport audacieux sur le sujet.

Son idée choc pour sortir de l’impasse actuelle ? Mettre fin d’un seul coup à l’antédiluvien système des licences qui bloque toute évolution afin d’abolir la distinction entre VTC et taxis. Une solution viable selon Terra Nova si elle est financée non par l’Etat mais par un mécanisme de cotisations prélevé sur le long terme sur l’activité des deux corps de métier. De quoi donner du grain à moudre au gouvernement qui cherche la parade pour ménager les intérêts des chauffeurs de taxi sans pour autant insulter l’avenir. Le diagnostic et les explications du responsable du pôle économique et financier de Terra Nova, Romain Perez (photo DR).

Tout votre raisonnement part de la nécessité de sortir du système des licences, complètement dépassé selon vous ?

Les licences sont au fondement du système des taxis en France et ont permis jusque récemment à l’Etat d’encadrer strictement cette activité. Mais ce système de tarifs administrés basé sur la rareté et la rente accordée aux taxis en contrepartie de leur investissement pour les acquérir a volé en éclats avec l’arrivée des nouvelles technologies de géolocalisation. Tant que l’on n’aura pas résolu cette question et fait sauter ce verrou obsolète, on sera condamnés à une politique de petits aménagements nuisible à tout un secteur et qui envoie le signal délétère d’un pays incapable de s’adapter à la nouvelle donne de l’économie numérique.

Cette obsolescence se traduit par une forte dévalorisation de cette rente des taxis, dites-vous. Les licences ne vont-elles pas finir par ne plus rien valoir du tout ?

Il existe une relation mécanique entre la libéralisation du secteur intervenu en dépit de toutes les barrières réglementaires et la baisse de la valeur des licences que l’on constate partout. A Paris, leur prix de revente serait déjà descendu en dessous de 200 000 euros contre 250 000 avant l’arrivée des plateformes de réservation comme Uber, même s’il est très difficile de disposer de données précises sur un système qui se nourrit de son opacité. Partout où le système concurrentiel se développe, les taxis voient leur activité reculer et les licences perdre en conséquence de leur valeur. Le système est devenu intenable et l’Etat se retrouve pris dans le piège d’injonctions contradictoires. Il doit à la fois s’adapter à la nouvelle donne du marché et protéger les taxis, ce qui l’amène à retarder l’inéluctable en bridant les possibilités offertes par la technologie. C’est une position qui ne sert qu’à gagner du temps, parfaitement intenable à terme.

La nouvelle réglementation issue de la loi Thévenoud n’aurait donc rien résolu ?

On a créé cette notion de « maraude électronique » qui est une pure fiction. De deux choses l’une, soit les applications sont autorisées, soit elles sont interdites, ce qui dans une économie libre de marché est impossible. Ces histoires du quart d’heure entre la réservation et le début de la course ou encore de retour à la base entre deux courses qui devait s’appliquer également aux taxis n’ont aucun sens et le Conseil constitutionnel a d’ailleurs invalidé un certain nombre de dispositions qui ne tiennent pas en droit. Le résultat, c’est que les taxis continuent de voir leur activité baisser et que les VTC dont l’obtention de licences est pour le moment gelée ne peuvent pas se développer en raison des incertitudes juridiques qui pèsent sur leur avenir. Tout le monde est perdant, y compris les usagers qui continuent d’être pénalisés par une pénurie de l’offre, en particulier les classes peu aisées : en raison de tarifs administrés très élevés, elles sont de fait largement exclues de l’accès au transport particulier. Cela génère de la frustration collective et c’est aussi au final la perpétuation d’une injustice sociale.

En proposant de retirer ces licences du marché contre indemnisation lorsque leurs titulaires partent en retraite, Laurent Grandguillaume ne propose-t-il pas leur extinction progressive ?

Cela va dans le bon sens puisque pour la première fois, on reconnaît le caractère clé des licences et la responsabilité de l’Etat dans ce système et son obligation de trouver une solution pour indemniser ses titulaires. Mais on ignore ce que décidera le gouvernement et surtout le financement de cette mesure reste encore très flou. Si c’est l’Etat qui s’en charge, elle sera forcément superficielle puisqu’il n’en a pas du tout les moyens et donc pas à la hauteur du préjudice financier pour les taxis. Résultat, les pouvoirs publics seront contraints de maintenir la cohabitation déficiente de deux systèmes comme aujourd’hui et le basculement vers un modèle concurrentiel n’aura pas lieu.

En quoi votre proposition diffère-t-elle fondamentalement de celle du médiateur ?

Il faut être plus précis et plus ambitieux et mettre fin dès maintenant à la segmentation du marché entre taxis et VTC. Nous allons plus loin que les propositions de Laurent Grandguillaume en proposant non pas une extinction progressive des licences via les départs en retraite mais leur suppression systématique. Le modèle des taxis est mort, à part pour la maraude de rue qui nécessite que les usagers soient protégés des abus par un système de prix administrés. Mais avec la généralisation d’une connexion permanente au réseau via les smartphones, ce système va devenir de plus en plus marginal et générer de moins en moins de recettes.

Ce qui ne résout pas la question de savoir qui va payer ?

L’Etat n’a clairement pas les moyens d’indemniser correctement les taxis et ce n’est d’ailleurs pas son rôle de rembourser des licences qu’il a délivrées gratuitement et qui ont ensuite été échangées de gré à gré entre professionnels en favorisant au passage une intense spéculation. Notre étude prouve que, pris dans son ensemble, le secteur a les moyens d’indemniser les taxis qui se sont endettés pour les acquérir, pourvu que cela se fasse sur une base raisonnable et ne serve pas à rétribuer la spéculation. Notre proposition est que les titulaires de ces licences qui dans le cas des artisans taxis parisiens peuvent payer au-delà de 1 500 euros mensuels pour le remboursement soient indemnisés sur la base du prix historique d’acquisition augmenté de l’inflation. Et selon nos estimations calculées dans une tranche haute, cette opération représenterait 4,5 milliards d’euros si l’on se réfère au prix auquel elles ont effectivement été acquittées et non les 5 à 8 milliards régulièrement évoqués qui correspondent à leur valeur actuelle.

Mais qui va payer ces 4,5 milliards d’euros ?

Ce rachat des licences serait financé par un fonds dédié qui rembourserait ensuite sur une trentaine d’années avec un taux de 2% ces 4,5 milliards d’euros grâce à un mécanisme de cotisations perçues sur l’ensemble du secteur. Notre calcul est qu’une hausse de 3,5% de ces cotisations permettrait d’y parvenir, ce qui représente, sur la base d’une population passant de 80 000 à 160 000 chauffeurs sur cette période, un total de l’ordre de 200 millions par an. On peut également imaginer une surtaxe pour les chauffeurs qui souhaiteraient bénéficier d’une « licence » pour avoir droit à la maraude de rue. On nous objecte que cette solution collective et solidaire assumée par toute la profession serait certes payée par l’usager en raison de la hausse des prix qu’elle induirait. Mais d’une part, c’est bien plus juste de faire payer l’usager et non le contribuable et d’autre part, cette hausse des prix n’est que théorique. Car la libre concurrence exercera à l’inverse une pression à la baisse sur les prix en raison de la forte hausse de la demande qu’elle générera. Tout le monde sera gagnant : l’Etat qui n’aura pas à s’endetter pour rembourser les licences, les chauffeurs dont l’activité se développera et les usagers qui seront bien plus nombreux à adopter ce type de transport démocratisé avec différents niveaux de prix selon l’étendue des prestations proposées.

Ne risque-t-on pas de se retrouver en définitive avec une offre de transport particulier trop abondante au regard du marché ?

Il y a de la marge. Même en ajoutant les 12 000 chauffeurs de VTC actuels en région parisienne aux 17 700 chauffeurs de taxi, les Franciliens ne disposent aujourd’hui que de 4,6 chauffeurs et 3,9 véhicules pour 1 000 habitants, soit plus de deux fois moins qu’à New York et Londres. La libéralisation quasi-totale du secteur se traduirait au minimum selon nos calculs par un doublement du niveau de l’emploi et des véhicules disponibles et aurait une incidence positive pour l’ensemble de la société. De quoi favoriser l’insertion d’un volant important de personnes souvent désavantagées sur le marché du travail. Comme l’ont démontré bon nombre d’études, un nombre important des nouveaux chauffeurs arrivés récemment sur le marché des VTC sont issus de quartiers défavorisés.

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