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Revue de presse

Un nouveau rapport dynamite le code du travail

La fondation Terra Nova, think tank proche du PS, suggère de permettre aux accords d’entreprise de déroger à la loi, en matière de durée du travail, de rémunération ou de seuils sociaux. Une révolution à gauche qui devrait créer des remous dans la majorité.
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Avis de cyclones dans la majorité! La grenade avait été dégoupillée avant l’été, avec la publication du livre de l’ex-président du conseil constitutionnel Robert Badinter et du professeur d’université en droit du travail Antoine Lyon-Caen. Dans leur court ouvrage intitulé « Le travail et la loi », ces deux figures tutélaires, notamment à gauche, fustigeaient un droit du travail devenu au fil du temps obèse et proposaient de le réformer en profondeur. Une prise de position qui n’était pas passée inaperçue au parti socialiste et avait poussé Manuel Valls à avancer sur une évolution du code du travail, une position que le premier ministre a réaffirmée dimanche à la Rochelle.

Mais la bombe pourrait exploser avec la publication jeudi aux éditions Odile Jacob, par la fondation Terra Nova, le think tank proche du PS, d’un nouveau rapport choc sur le code du Travail cette fois-ci rédigé par l’économiste de gauche Gilbert Cette, l’un des théoriciens dans les années 90 de la réduction du temps de travail, et l’avocat Jacques Barthélémy, fondateur du célèbre cabinet éponyme, l’un des fleurons de la profession dans le domaine du droit social.

Inversion de la hiérarchie des normes

Le binôme Cette/Barthélémy fait le même constat que le duo Badinter/Lyon-Caen: le droit social hexagonal ne parvient plus à concilier efficacité économique et protection des travailleurs. Et ce à cause principalement « de la prolifération et de la complexité des règles d’essence légale (…) qui empêchent la réalisation de compromis locaux à même de favoriser cette conciliation au niveau tant des branches que des entreprises », écrivent-ils.

Pour sortir de cette impasse, il n’y a selon eux qu’une seule voie possible: promouvoir « autant que possible » la négociation collective et l’accord entre partenaires sociaux. Bref, comme on dit dans le jargon, d’inverser la hiérarchie des normes en faisant, dans un premier temps, « de la dérogation conventionnelle la règle » puis, dans un second temps, du droit réglementaire le supplétif du droit conventionnel. Une révolution qui, une fois déclinée en propositions concrètes, va bien au-delà des rêves les plus fous des patrons les plus libéraux.

Dans l’esprit prolifique de Gilbert Cette et Jacques Barthélémy, les partenaires sociaux auraient donc la main, par accord collectif, pour substituer les normes conventionnelles aux normes réglementaires. Bref pour déroger à la loi. Dans chaque entreprise et chaque branche, il serait alors possible d’adapter les normes du code du travail « qui brident l’activité en définissant les contreparties d’un compromis gagnant-gagnant ». Comprenez les institutions représentatives du personnel (IRP), les seuils sociaux, la durée du travail, le niveau de rémunération… tout en fait à l’exception du salaire horaire, des qualifications et des règles du droit supranational (comme, par exemple, la durée de travail maximum fixée par l’Europe à 48 heures par semaine).

Rupture « sui generis »

L’une des conséquences de cette primauté de l’accord collectif par rapport à la loi serait la création d’une « rupture sui generis » du contrat du travail en cas de refus d’un salarié de s’en voir appliquer les termes. Dit autrement, les termes de l’accord d’entreprise ou de branche (majoritaire à 50%) s’imposeraient aux contrats de travail individuels! Une révolution que les syndicats, dans le cadre de leurs négociations depuis 2012 avec le patronat, ont toujours rejeté, avec le soutien du gouvernement.

Dans ce cas de figure, le salarié se verrait donc appliquer les conditions de départ (indemnisation) non pas prévues par la loi ou la convention collective, mais par l’accord d’entreprise ou de branche qui a été négocié. Il aurait un délai de rétractation de 15 jours, comme c’est le cas pour une rupture conventionnelle.

Les deux auteurs vont encore plus loin dans leur rapport, qui est la suite logique de leurs critiques récurrentes depuis dix ans sur la lourdeur du code du travail, en proposant de pouvoir aussi déroger au smic par accord de branche. Une proposition que même Pierre Gattaz, le très libéral patron des patrons, n’avait jamais osé formuler!

Pour voir leurs propositions entrer en application, Cette et Barthélémy reconnaissent que plusieurs conditions préalables doivent être mises en œuvre: l’augmentation du taux de syndicalisation ; le passage du seuil d’audience d’un accord majoritaire à 50% des votants, et la disparition de fait du droit d’opposition ; le transfert du pouvoir de négociation sur le comité d’entreprise ; la définition des règles de la négociation collective avant le début des discussions sur le fond… Autant de critères qui peuvent être modifiés rapidement, selon eux, par la loi.

Débat présidentiel

Cette stratégie ambitieuse qui vise à refondre le droit du travail, développée également par l’institut Montaigne dans son rapport publié jeudi et intitulé « sauver le dialogue social – priorité à la négociation d’entreprise », pourrait être réalisée en moins d’une année, consultation des partenaires sociaux et précisions de l’administration incluses. Selon les deux auteurs, elle ne revient aucunement à « agiter un chiffon rouge », car leurs propositions reposent sur une approche globale de la réforme du fonctionnement du marché du travail et non pas sur une approche thématique, dossier par dossier (IRP, seuils sociaux, accord de maintien dans l’emploi, durée du travail…), comme c’est le cas depuis des décennies en France.

Cette et Barthélémy sont toutefois conscients que la révolution qu’ils proposent ne pourra pas se faire avant 2017. Jamais la majorité en place ne le permettra à l’approche des élections. « Mais Manuel Valls et Emmanuel Macron peuvent en parler », commente l’un des deux auteurs, afin d’en faire un débat de la campagne présidentielle qui va s’ouvrir.

Tous deux savent qu’ils mettent « la barre très haute » avec leurs propositions disruptives. Ils veulent ainsi obliger Jean-Denis Combrexelle, l’ex-directeur général du Travail missionné par Manuel Valls pour lui faire des propositions « audacieuses » pour donner plus d’importance aux accords collectifs par rapport à la loi et dont le rapport est attendu pour la mi-septembre, à se positionner par rapport à eux. Le débat, sur la refonte du code du travail, ne fait que commencer…

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