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Note

Budget de l’Union européenne : un avenir très politique

Le cadre financier 2007–2013, qui encadre le budget de l’Union européenne, limite les dépenses communautaires à 1,05% du RNB européen. Selon Xavier Dutrenit et Joan Colom i Naval, ces limites devront impérativement être revues pour faire face à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Comme l’a démontré la crise grecque, l’Europe doit se donner les moyens de peser sur son propre avenir et de devenir un acteur mondial. A l’heure ou la Commission s’apprête à présenter un document d’orientation qui lancera le débat sur le budget, le Parlement européen devra peser de tout son poids.
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Le « véritable » débat budgétaire européen porte sur le cadre financier pluriannuel (« les perspectives financières ») plutôt que sur le budget annuel. En effet, depuis 1988, et afin de maîtriser l’évolution des dépenses ainsi que d’assurer un certain degré de prévisibilité des investissements, l’Europe s’est dotée d’un instrument qui définit pour chacune des années couvertes un plafond annuel global de dépenses (en « paiements ») et des plafonds annuels de dépenses par grande catégorie de politique (en « engagements »). Le cadre financier pluriannuel repose sur le principe édicté dans les Traités selon lequel le budget européen est un budget en équilibre et que tout déficit budgétaire est proscrit. L’Union européenne ne peut recourir à l’emprunt. Aussi, les dépenses ne peuvent excéder les recettes de l’Union. Les recettes de l’Union sont elles même plafonnées: en 1992, les chefs d’Etat et de gouvernement décidaient que ces recettes dans la perspective d’une Europe à 15 ne devraient aller au delà de 1, 24 % (en paiements) et 1, 31% (en engagements) de la richesse produite par l’ensemble des Etats membres (RNB). Ce plafond n’a pas été modifié depuis, alors même que l’Union européenne comprend désormais 27 Etats membres ! On le voit d’emblée, le budget européen est un budget strictement encadré et planifié dans le temps.

Le cadre financier pluriannuel actuellement en vigueur couvre les années 2007–13. Sa difficile gestation entre 2004 et 2006 a été le produit de positions diverses et contradictoires entre les différents gouvernements de l’Union: offensive de 6 Etats membres (Allemagne, France, Suède, Royaume- Uni, Pays-Bas, Autriche) pour limiter le budget à 1% du RNB; besoin d’assurer le rattrapage économique des pays de l’élargissement de 2004 et 2007 en prévoyant des dépenses au titre de la politique régionale et de cohésion à la hauteur des enjeux sans pour autant nier les besoins existants en la matière dans les pays déjà membres; casus belli de Jacques Chirac pour préserver le niveau des dépenses agricoles tout en acceptant une réforme en profondeur de la politique agricole commune (actée en 2003); propositions de la Commission européenne afin d’augmenter sensiblement les moyens pour financer la stratégie de Lisbonne ainsi que la politique extérieure de l’Union. Au final, la Commission européenne proposait de fixer le niveau des engagements sur l’ensemble de la période à 1, 18 % du RNB et 1, 07 % du RNB en paiements. L’accord final, approuvé par le Parlement européen et la Commission elle même, réduit ces ambitions à, en moyenne, 1, 05 % du RNB en engagements et 1% en paiements. On est loin des 1,24 % et 1,31% théoriquement mobilisables !

A l’heure où la Commission Barroso II entre en fonction, les enjeux politiques autour de l’évolution du Budget de l’Union européenne s’annoncent particulièrement importants. On pourra y tester le niveau d’ambition politique de la Commission européenne même s’il faut bien reconnaitre que la gestion de ce dossier sera difficile – y compris dans le temps – et que la Commission est prise en étau entre un Parlement européen, qui semble assez majoritairement prompt à ouvrir le débat et un Conseil peu enclin à s’y laisser entrainer. On peut schématiquement résumer ces enjeux autour de 3 axes principaux et interdépendants.

1 – L’actuel cadre financier 2007–13 et la mise en œuvre du Traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne accroit les compétences de l’Union dans des domaines aussi importants que la politique spatiale, l’énergie, la lutte contre le changement climatique, le tourisme, le sport mais aussi et surtout le domaine des relations extérieures. Bien que ces modifications fussent prévisibles au moment des négociations de l’actuel cadre financier 2007–13, les chefs d’Etats et de gouvernement ont préféré en ignorer les conséquences d’un point de vue budgétaire. A moins que l’Union européenne ne se contente de se payer de mots ou n’envisage de remettre en cause certains programmes existants, il apparait inévitable, pour mettre en œuvre ces nouvelles politiques, d’adapter les plafonds de dépenses prévus par le cadre financier actuel pour les exercices budgétaires 2011 à 2013. Mais le débat ne sera pas simple.

En effet, depuis son entrée en vigueur, le cadre financier pluriannuel a démontré ses limites à plusieurs reprises. Il a fallu le réviser 4 fois déjà pour trouver des réponses à des besoins urgents: Galileo (budget 2009), la crise alimentaire mondiale (budget 2009), la crise économique et financière (budgets 2009 et –2010). Ces révisions, bien que ne modifiant pas le volume global de dépense sur la période 2007–13 et procédant à des redéploiements entre types de dépenses, n’ont été obtenues qu’au prix de lourdes palabres interinstitutionnelles. Elles ont démontré combien le Conseil était récalcitrant à adapter le cadre adopté en 2006 à des événements politiques imprévus. D’instrument au service d’objectifs politiques communs, le cadre financier pluriannuel semble être devenu, du moins pour certains Etats membres, un outil uniquement comptable et indépassable.

Dés lors, qu’en sera-t-il de l’impact budgétaire des nouvelles compétences introduites dans le Traité de Lisbonne ? Théoriquement, le Parlement européen pourrait porter cette question grâce aux modifications juridiques apportées par le Traité. En effet, le Traité de Lisbonne oblige à transformer l’actuel cadre financier pluriannuel de simple accord interinstitutionnel (entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission) qu’il est aujourd’hui en un règlement spécifique de l’Union, adopté par le Conseil – à l’unanimité ! – après approbation par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Lors de cette transformation, le Parlement européen disposera donc théoriquement d’un droit de veto sur lequel il pourrait s’appuyer pour essayer d’obtenir une révision de l’actuel cadre financier pluriannuel afin que celui-ci prenne en compte non seulement les nouvelles compétences de Lisbonne mais aussi les défis politiques auxquels l’Union doit faire face dans le très court terme.

2 – la nouvelle stratégie économique européenne (UE 2020)

Depuis 2007, le Parlement européen ne cesse de dénoncer les insuffisances de l’actuel cadre financier, non seulement au regard de son manque de flexibilité mais aussi de l’étroitesse des plafonds agrées qui ne permet que très difficilement de financer des initiatives nouvelles par rapport à celles envisagées en 2006 ou d’être à la hauteur de ses ambitions politiques. C’est évident dans le domaine des relations extérieures. La question de l’adaptation et de la lutte contre le changement climatique qui nécessite des investissements considérables, en Europe comme dans le monde mérite également d’être posée. De nombreuses idées fourmillent pour élargir le nombre et le type de personnes qui bénéficient des programmes de type Erasmus mais elles butent sur le manque de moyens financiers.

Parallèlement, tout le monde s’accorde à reconnaitre que la stratégie de Lisbonne, visant à faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde d’ici à 2010, n’a pas abouti aux résultats escomptés. La Commission Barroso II est attendue sur le sujet. D’un point de vue budgétaire, force est de constater que les moyens financiers alloués n’ont sans doute pas été suffisants non plus: l’exemple le plus frappant étant sans doute l’inanité du budget consacré aux réseaux transeuropéens de transport. Pour d’autres projets importants et structurants comme GALILEO et demain peut-être pour ITER et GMES, le cadre financier 2007–13 va sans doute démontrer ses limites rapidement. La Commission européenne s’est engagée à présenter d’ici juillet 2010 un bilan sur le fonctionnement de l’actuel cadre financier 2007–13. Alors qu’elle devrait dévoiler ses propositions sur la stratégie économique future de l’Union (EU 2020), il faut espérer qu’elle ait l’audace et le courage de poser la question des moyens de cette stratégie, y compris, dans le très court terme, avant que l’actuel cadre financier 2007–13 n’arrive à son terme.

Il est en effet frappant de constater que la crise économique que traverse actuellement l’Union européenne ne fait pas l’objet – quoiqu’en dise la Commission européenne – d’une réponse coordonnée au niveau européen. Le budget européen n’a pu être mis que modestement à contribution : 5 milliards d’euros « supplémentaires » (redéployés en réalité de catégories de dépenses où il y avait des marges sous les plafonds, déjà modestes, des perspectives financières) sur les budgets 2009 et 2010 pour des investissements dans le domaine énergétique et de l’internet à large bande. Les efforts bienvenus en matière de fonds structurels et de cohésion européens portent en fait sur un avancement des paiements programmés, ce qui a d’ailleurs du mal à se concrétiser sur le terrain.

Plus fondamentalement, la crise économique révèle de façon criante que le niveau actuel du budget européen est tellement limité qu’il ne peut être un instrument de réponse macroéconomique. Soit, mais ce faisant personne ne veut aborder la question de la plus value européenne ni de la complémentarité/compatibilité entre le budget européen et les budgets nationaux. José Manuel Barroso, dans ses orientations politiques présentées au Parlement européen en juillet 2009, semble également en prendre acte. Et sa réponse tient en deux idées : la promotion du partenariat public-privé et une plus grande participation de la Banque européenne d’investissement. Ce sont sans doute là des pistes de réflexion à approfondir qui devraient s’appuyer sur un large débat et sur un bilan des actions, nationales et européennes, déjà entreprises en la matière.

3 – La définition d’un nouveau cadre financier post-2013

La Commission européenne envisage à l’heure où nous écrivons de mener le débat en deux temps : présenter un document d’orientation politique non chiffré d’ici la fin du 1er semestre 2010 et faire des propositions concrètes et chiffrées sur le nouveau cadre financier post-2013 dans le courant de l’année 2011. Tant Janusz Lewandowski, nouveau commissaire en charge des questions budgétaires, que le président Barroso ont prévenu qu’il faudrait faire preuve, compte tenu du contexte économique actuel, de réalisme.

Pourquoi une telle prudence ? Pourquoi le débat budgétaire européen semble-t-il tellement bloqué ? La question des ressources du budget de l’Union est en réalité centrale. Au fil des années, le système de financement du budget européen a insidieusement changé de nature. Fondé au départ sur des ressources publiques communautaires, c’est à dire des ressources fiscales prélevées par les Etats membres mais affectées automatiquement au financement du budget européen (d’où le nom de « ressources propres ») et intimement liées aux politiques même de la Communauté de l’époque ( droits de douane et prélèvements agricoles), le système repose aujourd’hui à hauteur de 85 % sur des contributions nationales des Etats membres, plus ou moins directement proportionnelles à leur richesse. Devenu extrêmement complexe et peu lisible avec de nombreuses exceptions – le chèque britannique n’en étant que le plus célèbre exemple – ce système s’apparente de plus en plus à celui des organisations internationales traditionnelles comme l’ONU. Parce qu’il est devenu contributif et a perdu de son autonomie par rapport aux budgets nationaux, il présente le fâcheux inconvénient de faire naitre et de généraliser un esprit anti-communautaire, digne du fameux “ I want my money back" de Margaret Thatcher en 1984. La logique du « juste retour » tend à s’imposer politiquement même si cette logique purement comptable ne repose sur aucune rationalité économique et néglige tout les effets positifs induits qui ont lieu lors des transferts financiers, sans parler des bénéfices pour l’économie de l’Union dans son ensemble. Chaque gouvernement tend à voir dans sa contribution au budget de l’Union une variable d’ajustement de son budget national d’autant plus facilement que cette même Europe impose des contraintes budgétaires nationales assez fortes en interdisant des déficits publics supérieurs à 3% du PIB.

Tant que le difficile débat sur les ressources de l’Union ne sera pas posé, les risques d’un « détricotage » du budget européen et donc des politiques de l’Union est réel. Du point du vue communautaire, il s’agit d’une approche suicidaire car c’est celle qui empêche d’aller en avant dans l’intégration européenne. Il apparait nécessaire d’avoir plusieurs vraies ressources propres de façon à ce que les citoyens européens se perçoivent aussi comme contribuables européens : à présent, les seuls contribuables communautaires sont les Etats membres et le citoyen européen ne perçoit pas le poids de l’impôt sur son revenu personnel. Dans un système politique démocratique, le budget est lié au pouvoir de lever l’impôt.

Il suffit de regarder comment l’échiquier de la grande négociation budgétaire post-2013 se met progressivement en place. Les débats sur l’avenir de la politique agricole commune et sur la future politique régionale et de cohésion, c’est à dire des deux postes budgétaires les plus importants (approximativement 80 % à eux deux) ont commencé dans des termes qui ont peu évolué par rapport au débat de 2005. Le risque est réel de voir se rejouer la bataille entre le chèque britannique et la PAC et la bataille sur la re-nationalisation de la politique régionale, pour ne citer que quelques exemples.

4 – Propositions : aligner nos moyens avec nos ambitions

1. Ouvrir dès à présent le débat sur le budget européen – la question de la dimension relative du budget européen à moyen et long terme ne peut pas être reportée indéfiniment et devrait être abordée dés maintenant.

2. Doter l’UE d’une véritable politique économique et fiscale - la crise de ces dernières années (avec les éclats récents du désastre de l’économie grecque – qui, peut-être, préludent ceux d’autres pays) ne fait que souligner l’évidence d’un budget européen tout à fait insuffisant pour faire front aux effets nuisibles des ondes et cycles économiques. Le marché unique et l’Union économique et monétaire – avec une monnaie commune et unique, l’euro, et une banque centrale – donnent lieu à un système boiteux ou manchot sans un instrument pour faire de la politique budgétaire, sans un instrument commun pour contrer la phase négative de l’évolution économique et pour jouer un rôle dans la politique de stabilisation économique. Il faut en conséquence instaurer de façon urgente un vrai gouvernement économique de la zone Euro.

3. Inventer un poste de « ministre européen des finances » – le budget actuel de l’UE est limité à environ 1% du RNB de l’UE, un montant total équivalent à celui du budget danois, soit 230 € par année et par citoyen européen. Il ne suffit pas de créer un Eurogroupe ni un « Mr. Euro ». Il faut un ministre européen des finances – avec un vrai budget à gérer – comme il faut un vrai Ministre des affaires étrangères pour représenter l’UE et pas un simple « Monsieur ou Madame PESC ». Ce ministre, siégeant à la Commission et présidant les Conseils Ecofin, devrait être en mesure de proposer des décisions européennes s’appliquant à tous les Etats membres et des actions dans le cadre d’un budget de l’UE qui devrait être relevé à un niveau suffisant (gagé, le cas échéant, des budgets nationaux).

4. Réinstaurer le principe originel des « ressources propres » et créer un véritable impôt européen – La discussion sur les ressources communautaires devrait occuper une place centrale dans le débat budgétaire au niveau européen… L’issue de cette dernière est directement liée à la décision sur le volume et la destination des dépenses. Il faut que les institutions européennes soient en mesure de lever des impôts et que le Parlement européen soit associé à cette décision. On peut penser à des impôts européens sur l’énergie, sur les mouvements de capitaux ou, même, sur le revenu des sociétés (modalité « cash-flow », par exemple) mais il faut penser surtout à des impôts qui soient reconnaissables par le citoyen et dont il doit s’acquitter. Il faut donc envisager une participation visible dans la TVA ou les accises et dans l’impôt sur le revenu.

5. Augmenter la taille du budget européen – L’accroissement du budget européen est devenu une nécessité. Peut-on aujourd’hui parler de « l’UE acteur mondial » avec un montant annuel d’environ 7 milliards d’euros sans que le sourire ne vienne aux lèvres? Que représente la conservation des ressources naturelles une fois déduits les frais agricoles ? L’augmentation du budget européen est possible sans augmenter le niveau total des dépenses publiques en Europe. Il suffirait simplement de transférer une partie des ressources des Etats membres au niveau européen.

6. Aligner priorités budgétaires et politiques – une fois tranchée la question du volume des dépenses ainsi que celle de l’origine des ressources, nous devons décider où dépenser. C’est là l’objet des prochaines perspectives financières (cadre financier pluriannuel). Le budget actuel est déséquilibré.

- La dépense agricole représente une part trop importante des dépenses . Il serait discutable de réduire de manière trop importante la part de la PAC mais l’on peut songer à introduire un certain niveau de cofinancement, qui pourrait être conçu de façon semblable aux fonds structurels (les régions les moins riches jouissent d’une contribution communautaire supérieure à celles plus développées) et avec une période de transition…

- Les réseaux européens de transport, la Recherche et Développement et l’environnement méritent de ne plus être que des lieux communs et devraient se voir attribués des fonds convenables. Un ministre chinois disait récemment « Vus de Beijing tous les pays européens sont petits », faut-il un autre argument ?

- Il va sans dire, à la vue des ambitions affichées par l’UE sur la scène internationale, que le nouveau service extérieur commun de l’UE et la politique extérieure (coopération et développement inclus) nécessitent des moyens bien plus élevés que ceux qui lui sont alloués pour le moment. L’augmentation du budget européen signifierait, dans ce domaine, des économies évidentes pour les budgets nationaux (même pour les grands Etats membres).

- Il en va de même pour la défense européenne . Il faut avoir le courage de dire qu’il faut une armée européenne pour des raisons de défense et pour que notre politique extérieure soit crédible. Cette vérité de nature politique devrait ainsi être budgétisée.

  1. Les opinions exprimées dans cette fiche le sont à titre personnel et n’engagent aucunement le groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates

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