Comment Terra Nova veut rendre les marchés moins impatients

La finance de court terme a rendu le capitalisme plus inégalitaire, selon le think tank.
Terra Nova émet 5 recommandations pour rendre le capital plus « patient ».

Patience et longueur de temps… Pour les marchés financiers, la maxime de La Fontaine semble bien passée de mode à l’heure de tirer profit de leurs investissements. En cette période de faiblesse des taux d’intérêt (la ruine des épargnants) et de recherche frénétique de rendement (face au vieillissement de la population), le capitalisme impatient semble avoir de beaux jours devant lui. Pour le think tank Terra Nova, ce modèle «  d’un capitalisme court-termiste et peu responsable vis-à-vis des générations futures » n’a que trop duré, alors que le capitalisme ne parvient plus à bien répartir «  les fruits de la création de richesses  ».

Contenter les actionnaires

Dans une étude publiée ce jeudi, Terra Nova appelle à l’émergence du capitalisme patient, en le remettant au service «  du financement des besoins essentiels (infrastructure, innovation et accès aux ressources rares), au bénéfice de tous, sans sacrifier les générations futures  ». En clair : le capital «  comme moyen et non plus comme une fin  ». Pour Djellil Bouzidi, responsable du pôle économie de Terra Nova, «  l’impatience conduit à une mauvaise allocation du capital. Il s’oriente vers les actifs immobiliers plutôt que vers l’investissement productif, les énergies fossiles plutôt que renouvelables et les produits dérivés plutôt que les prêts à l’économie. C’est le coeur du problème », car il pousse les entreprises à contenter les actionnaires plutôt qu’à investir. Un constat partagé par Larry Fink, le patron du numéro un mondial de la gestion d’actifs BlackRock, qui depuis deux ans appelle les grandes entreprises à ne pas négliger la croissance de long terme pour créer de la valeur.

Dans ce contexte, Terra Nova propose cinq réformes clefs dans les champs institutionnels, juridiques et de la gouvernance des entreprises pour rendre le capital plus patient. Ces réformes seraient susceptibles de «  se traduire par un apport en capital supplémentaire de long terme de près de 10 milliards d’euros par an », au service de l’investissement et de l’emploi, selon les auteurs de l’étude. «  Ces capitaux permettraient d’augmenter jusqu’à un demi-point de PIB la croissance tendancielle de la France à moyen terme. » Cela passera par une prise en compte de l’importance de la notion de « capital patient » par l’Etat, mais aussi par les actionnaires, incités à s’engager plus profondément dans l’avenir des entreprises. De ce point de vue, la France a des atouts «  de par son histoire particulière, construite autour d’un Etat organisateur du long terme  », estiment les auteurs. S’il ne s’agit pas de revenir au « Plan », à l’origine des grands programmes industriels français (TGV, Airbus, plan Calcul…), l’Etat doit être moteur, poursuit Djellil Bouzidi : « L’idée est de définir, dans le cadre d’une loi organique, quels sont les secteurs prioritaires, les secteurs d’accélération dans l’économie ou les infrastructures […] pour construire un nouveau modèle de croissance soutenable, financer les enjeux de la transition climatique et du vieillissement, relancer l’investissement dans l’industrie… » Ironie de l’histoire, «  le temps presse, soulignent les auteurs de l’étude, car l’Europe va mal. La croissance sera, dans le meilleur des cas, atone et la concurrence des pays émergents de plus en plus exacerbée  ». Si les capitaux de long terme existent sur le papier, ils sont aujourd’hui bridés par «  les contraintes prudentielles et comptables ». Il faudrait donc les libérer. Le World Economic Forum estimait récemment à seulement 6.500 milliards de dollars les montants réellement dédiés à un horizon de plus de 10 ans sur les 27.000 milliards gérés par les investisseurs de long terme.