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Note

Compétitivité de la France : les juges accusés

Dans une tribune publiée aujourd’hui dans Les Échos, Juliette Méadel revient sur une étude de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo présentant les juges français comme mal formés à l’économie, particulièrement méfiants à l’égard de la concurrence et du marché, incompétents en matière de vie des entreprises.

Publié le 

Cette note des pôles Affaires sociales et Justice de Terra Nova décrypte les faiblesses de cette étude, en analysant notamment la jurisprudence de la cour de Cassation, en revenant sur la comparaison faite entre la France et les autres pays européens, ainsi que sur la méthodologie du sondage réalisé pour cette étude auprès de magistrats. S’y dessine en filigrane un modèle, dangereux, de relations de travail sans juge.

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Dans une étude intitulée « Les juges et l’économie : une défiance française », publiée en décembre 2012[1], les économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo mènent un véritable procès à charge contre les juges français. Mal formés à l’économie, ces derniers seraient encore plus méfiants que leurs compatriotes à l’égard de la concurrence et du marché, et imposeraient aux entreprises un contrôle particulièrement tatillon de leurs licenciements pour motifs économiques, sans commune mesure avec celui existant chez nos partenaires européens. Les juges feraient ainsi obstacle aux nécessaires adaptations des entreprises à la situation économique.

L’étude de P. Cahuc et S. Carcillo repose sur deux éléments : une analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation et un sondage d’opinion auprès d’un échantillon de magistrats. Ces deux temps de la démonstration appellent de sérieuses critiques :

  • Si le droit français exige, pour que le licenciement économique soit justifié, un motif économique réel et sérieux, l’absence de toute possibilité de reclassement, ou l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi proportionnel aux moyens de l’entreprise, la loi et la jurisprudence visent également à protéger la liberté de l’employeur, en lui permettant de procéder à un licenciement économique dans de nombreux cas, notamment par anticipation de difficultés économiques futures (arrêt Pages Jaunes de 2006).
  • Selon l’étude, la France serait en la matière un des rares pays à contrôle juridictionnel fort, alors même qu’aux Pays-Bas, l’employeur doit démontrer que les licenciements sont nécessaires à la bonne marche de l’entreprise et fournir la preuve que d’autres solutions ont été envisagées, et qu’en Allemagne, le juge exige qu’un licenciement économique se justifie pour des « raisons urgentes », qu’il soit « inévitable » et qu’existe un accord collectif : autant de conditions plus strictes qu’en France.
  • Le sondage commandité par l’étude de P. Cahuc et S. Carcillo a été réalisé auprès d’un échantillon de magistrats professionnels. Or ceux-ci ne jugent qu’une partie minoritaire du contentieux des licenciements, qui relèvent pour l’essentiel des juges des prud’hommes. D’autre part, les magistrats professionnels sondés n’ont pas été nécessairement amenés à se pencher sur des contentieux sociaux. En se basant sur les réponses à une question reprise du World Values Survey, le sondage montre que les magistrats sont encore plus hostiles que les Français à l’idée que l’Etat devrait laisser plus de libertés aux entreprises : outre les limites d’une démarche purement quantitative, dont les résultats sont particulièrement sensibles à la formulation des questions, déduire de la réponse à une seule question sur la liberté de gestion des entreprises une hostilité globale des magistrats à l’économie de marché ne relève pas de la plus grande rigueur scientifique.

L’étude de P. Cahuc et S. Carcillo, en stigmatisant les juges français dans leur globalité, manque les vrais problèmes : la mauvaise qualité des relations sociales en France, le manque de dialogue social effectif. Derrière cette critique des juges, c’est un modèle de relations du travail sans juge qui est valorisé.

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