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Note

Crise grecque : un sursis à court terme, mais quelles solutions à long terme ?

Engagés dans une course contre la montre pour sauver la Grèce et la zone euro, les Européens ont confirmé aujourd’hui au Conseil européen de Bruxelles leur soutien à la Grèce et ont continué à progresser vers un accord sur les principes d’un nouveau plan de sauvetage, ainsi que sur le déblocage, sous condition, de la prochaine tranche de prêt évitant tout défaut de la Grèce en juillet. Au-delà de ce message de solidarité conditionnelle à la Grèce, le Conseil européen a marqué, sur le fond, un début d’inflexion. De plus en plus d’Européens en sont désormais convaincus : l’Europe ne pourra pas sortir de la crise de sa dette souveraine si elle ne propose pas une solution exhaustive dépassant le cadre du seul donnant-donnant « rigueur contre solidarité ».
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Le sauvetage de la Grèce a constitué la priorité du Conseil européen.

Alors qu’elle bénéficiait encore de la note A en janvier dernier, la Grèce vient d’être abaissée par les agences de notation à un niveau « triple C », inférieur à celui de pays comme le Pakistan ou la Jamaïque, et qui en fait désormais l’un des moins fiables du monde. Il lui est ainsi désormais impossible d’honorer ses échéances.

La zone euro est à la croisée des chemins : soit les Européens se contentent de mesures palliatives qui risquent de conduire au scénario noir de l’éclatement de la zone euro, soit ils consentent à sortir de la crise par le haut, par l’émission d’euro-obligations, l’établissement d’une agence de la dette européenne, et de nouveaux pas vers l’intégration économique et financière, dans le cadre d’une solidarité plus forte entre Européens.

1 – Les conditions d’une nouvelle aide à la Grèce

Un peu plus d’un an après le premier sauvetage grec (110 milliards d’euros de prêts bilatéraux), les Européens ont accepté le principe d’un 2 e plan d’aide d’urgence, qui doit garantir le financement à moyen terme de la Grèce. Ses modalités seront précisées d’ici septembre. Il sera, comme le précédent, financé par l’Union européenne – via le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Fonds monétaire international (FMI).

Dans l’immédiat, le déblocage de la tranche de 12 milliards d’euros du premier plan d’aide de 110 milliards d’euros (accordé en mai 2010 sur trois ans) est conditionné à l’adoption par le parlement grec, à la fin du mois, d’un nouveau paquet de mesures d’austérité. Décision définitive attendue le 3 juillet.

Les ministres des Finances européens ont trouvé un accord, lors de leurs échanges à Bruxelles, sur le diagnostic et le constat d’urgence : la Grèce a besoin de 12 milliards d’euros d’ici septembre pour rembourser les échéances immédiates sur sa dette, et de plus de 140 milliards d’euros pour la période 2012–2014.

Malgré ses nombreux efforts, elle semble en train d’échouer sur le plan de sa stabilisation financière et est à nouveau au bord du gouffre. Son économie s’enfonce, le semblant de consensus national sur les efforts demandés se lézarde (appel à la grève générale le 15 juin), et les experts économiques européens et du FMI viennent de rendre leur verdict : la Grèce ne respectera probablement pas l’engagement de réduire son déficit à 7,5 % du PIB à la fin de l’année (contre 10,5 % l’an dernier).

Le Gouvernement grec est exsangue. George Papandreou est pris en étau entre une opposition conservatrice, conduite par Antonis Samaras qui refuse en réalité tout effort d’unité nationale, et 35 députés du Paso, son propre parti, qui se sont désolidarisés la semaine dernière de la gestion de la crise par le Premier Ministre grec. Si ce dernier bénéficie actuellement d’une trêve – le Parlement grec a voté la confiance à un Gouvernement « de crise » remanié la semaine dernière –, celle-ci pourrait être brève.

Même si la multiplication de ces mesures d’austérité entrave, en l’état, tout semblant de reprise économique dans le pays, la Grèce n’a pas le choix : sans de nouvelles aides financières d’urgence, elle se retrouvera en défaut de paiement courant juillet.

2 – Le rééchelonnement de la dette grecque

Au-delà de l’urgence de court terme – sauver la Grèce du défaut -, les Européens ont avancé sur le principe d’une contribution des acteurs privés à un rééchelonnement de la dette grecque pour les échéances tombant en 2011, 2012 et 2013

L’option, un temps proposée par l’Allemagne, d’une restructuration de la dette grecque par une extension de 7 ans des maturités des titres de dette a été écartée. Elle aurait – comme un défaut – entraîné une contagion en Europe dont l’Allemagne ne souhaitait pas être rendue responsable.

Une solution alternative se dessine : les Européens ont progressé vers un accord sur un rééchelonnement de la dette grecque.

Celui-ci consistera à convaincre sur une base « volontaire » les créanciers actuels de racheter immédiatement, au moment du remboursement de leurs titres (c’est-à-dire à échéance), des titres souverains grecs strictement similaires aux mêmes conditions, sur le modèle (« principe du roll over ») de l’initiative de Vienne lancée en 2009 pour sauver à l’époque un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale de la crise financière.

Prévaut donc la ligne défendue par la BCE qui prône une participation volontaire des créanciers privés. Déjà dans plusieurs pays (Allemagne, France, Belgique, Espagne), les secteurs bancaire et assurantiel ont commencé à discuter avec les autorités sur les modalités d’implication de la contribution du secteur au nouveau sauvetage de la Grèce.

Cette association des acteurs privés est à saluer : le coût qu’ils imposent aujourd’hui à la Grèce à travers des taux d’intérêts très élevés pour le risque qu’ils encourent justifie cette implication.

En outre, plus le temps passe, plus la « facture » de la résolution de la crise tendra à être transférée vers les contribuables européens, plutôt que sur le secteur financier.

Le Président de l’Eurogroupe vient d’annoncer, lundi, que le futur Mécanisme européen de stabilité financière (MES) n’aura pas de statut « prioritaire » (« senior ») dans le cas de la Grèce, du Portugal, et de l’Irlande. En d’autres termes, le MES – et derrière lui les Etats européens qui le financent – ne sera pas remboursé en priorité mais sur un pied d’égalité avec les autres créanciers privés de ces pays. Un geste envers ces derniers, qui alourdit toutefois la facture pour les Européens.

La Grèce gagnerait ainsi un peu de temps. Toutefois, cet échange ne changera rien au montant des dettes à rembourser par la Grèce. Elle ne fera qu’en repousser l’échéance. Surtout, elle ne changera rien au problème fondamental qui menace aujourd’hui la Grèce : le niveau des taux d’intérêt beaucoup trop élevé qui lui sont imposés.

En outre, étant « volontaire », le mécanisme, pour être efficace, devra recueillir un soutien suffisamment large auprès des investisseurs.

C’est là toute la faiblesse des options actuellement examinées. A l’inverse, si le rééchelonnement devient un mécanisme automatique, « imposé » par les autorités politiques européennes, l’opération devient un « incident de crédit » aux yeux des agences de notation et des investisseurs… et donc un « défaut » avec risque de contagion. Retour à la case départ.

Il faut donc regarder au-delà, vers d’autres solutions plus structurelles de sortie de crise.

3 – Quelles voies de sortie pérenne de la crise pour l’Europe ?

Le Conseil européen a validé aujourd’hui la modification du Traité de Lisbonne en vue d’asseoir le futur Mécanisme européen de stabilité (MES) sur une base juridique solide, qui doit naître mi-2013 en relai de l’actuel Fonds européen de stabilité financière (FESF). La capacité effective de prêt du FESF sera portée à 440 milliards d’euros. Doté d’une capacité effective de prêt de 500 milliards d’euros, le MES, comme le FESF, sera habilité à acquérir des titres de dette souveraine sur le marché primaire.

De même, les Européens ont examiné les propositions de M. Barroso d’apporter une assistance complémentaire à la Grèce par le biais d’une meilleure absorption des fonds structurels.

Mais l’essentiel n’est pas là : l’Europe est (enfin) en train de se rendre compte que seule une nouvelle étape de son intégration (davantage de fédéralisme budgétaire, la création d’un marché européen de la dette souveraine) permettrait de résoudre les irrésolubles faiblesses de la construction de la zone euro. Et ce faisant de sauver la Grèce et de parer aux prochaines crises.

Pour notre part, nous l’avons écrit [2] , la seule décision qui fasse sens sur le long terme et donne de la consistance au projet de gouvernance économique européenne passe par un rachat de la dette grecque au-delà de 60 % du PIB, par la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds européen de stabilité financière (FESF), suivi d’un rééchelonnement global directement négocié sur le plan politique avec ses partenaires européens, à des taux beaucoup plus raisonnables, de l’ordre de 4 % pendant dix ou vingt ans.

L’effort additionnel n’est pas démesuré. La reprise momentanée de la dette par l’Europe se ferait uniquement sur la partie de sa dette, supérieure à 60 %, qui n’est pas encore détenue par les institutions multilatérales. Selon Open Europe, un cercle de réflexion britannique, l’Union européenne, la BCE et le FMI détiendront dès 2014 déjà environ deux tiers (64 %) de la dette grecque, une fois pris en compte le nouveau plan d’aide (26 % aujourd’hui), soit une exposition de 1 450 euros par foyer européen à cette date.

Porter cette participation à 100 % représenterait mutatis mutandi un effort supplémentaire d’environ 815 euros par foyer européen en 2014, portant l’exposition totale à la dette grecque à 2 300 euros. A mettre en regard des 24 000 euros supportés par chaque Français au titre de la dette française aujourd’hui.

L’émission euro-bonds permettrait de diminuer considérablement les taux d’intérêt imposés aux Etats européens surendettés et de créer un marché plus vaste et liquide à même de limiter les attaques spéculatives et les risques de fuite de capitaux. Cette option permettrait de protéger l’Europe non seulement d’une contagion de la crise grecque, mais de la répétition d’un tel scénario à plus long terme.

Cette « européanisation » de la dette grecque ne signifierait pas son annulation. La Grèce devrait consentir de lourds sacrifices pour revenir à une trajectoire financière plus « acceptable », mais dans le cadre d’échéances de remboursement assouplies, de taux d’intérêts abaissés, et d’un engagement politique de redressement pluriannuel avec son unique « créancier » désormais : le reste de l’Europe, à la place de la pression spéculative incessante des marchés.

Comme l’a assuré Jean-Claude Juncker à Angela Merkel, l’émission des eurobonds ne conduirait pas à la définition d’un taux intérêt unique pour les Etats membres sur le marché. Les craintes d’un enchérissement de l’emprunt allemand doivent être fortement apaisées.

D’ailleurs la première émission d’eurobonds par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) dans le cadre du plan de soutien à Irlande fut un franc succès : la demande a atteint près de neuf fois le montant proposé à 5 ans ! (44,5 milliards d’euros contre 5 milliards), et le taux d’intérêt n’était que de 2,89 %, légèrement au dessus du Bund allemand. Ce record mondial est on ne peut plus prometteur.

Les soutiens politiques à cette option se multiplient à juste titre. Suite à la proposition de Jean-Claude Juncker, Président de l’Eurogroupe, premier ministre du Luxembourg, et du ministre des Finances italien, M. Tremonti, la Belgique, la Pologne, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, le Parlement européen et les commissaires européens, comme Olli Rehn, l’OCDE, dans le sillage du FMI, se sont clairement prononcés en faveur des eurobonds. L’Allemagne arcboutée, et derrière elle, la France, la Suède, la République tchèque, et les Pays Bas encore sceptiques, y restent opposés. Quant à la BCE, elle n’est pas contre dans l’absolu mais souligne que de tels instruments impliqueraient un cap supplémentaire dans l’intégration…. Le rapport préparé par Olli Rehn et les débats qui suivront seront donc décisifs.

Une autre option, proche dans ses principes, un peu différente dans ses modalités, a été proposée par Jacques Delpla, membre du Conseil d’analyse économique : le financement solidaire et par l’Europe de toutes les dettes exceptionnelles, nées de la crise financière. Dans ce cadre, les Européens absorberaient ensemble la dette excessive non seulement de la Grèce, - comme nous le proposons – mais aussi du Portugal et de l’Irlande en la refinançant par des taux d’intérêt extrêmement bas, à 3 % ou 4 % pendant dix ou vingt ans. En échange, ces pays doivent faire toutes les réformes budgétaires et structurelles nécessaires.

Le terme commun à ces deux pistes de proposition serait la mise en œuvre d’une stratégie de relance de la croissance européenne.

Les autres chemins sont beaucoup plus aventureux. Car aucun ne répond à l’élément clé de la crise : le constat que la crise grecque durera tant que la Grèce restera écrasée par le poids de sa dette et ne retrouvera pas sa croissance. A ce titre, un simple rééchelonnement ne résout rien en tant que tel, dans un pays qui dérive vers 160 points de PIB de dette…

L’Europe doit l’y aider. En bâtissant à cette occasion une nouvelle gouvernance de la zone euro, et au-delà, un nouveau modèle de croissance plus solidaire mais aussi plus ferme sur les contreparties de cette solidarité, à l’égard de l’ensemble de ses membres.

Tel est bien l’enjeu des prochaines discussions entre Européens : accepter de changer l’Europe pour sauver la Grèce, et l’Europe elle-même.

  1. Ainsi du Parlement européen qui a adopté dés décembre 2010 une résolution demandant la création d’une Agence européenne pour la stabilité appelée à gérer la crise des dettes souveraines et à préserver un marché des euro-obligations unifié et fortement liquide ; prises de positions convergentes du Parti Socialiste Européen, des Verts ; rapports Pervanche et Berès…

  2. Julia Cagé et Thomas Chalumeau, « Crise grecque : l’Europe ou le chaos. Pour une européanisation de la dette souveraine grecque », note Terra Nova, juin 2011 : http://www.tnova.fr/note/dette-grecque-leurope-ou-le-chaos

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