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Note

Des class-actions à la française, pour faire mentir Jean de la Fontaine

Dans le débat public depuis plus de trente ans, l’« action de groupe », traduction française de la class action anglo-saxonne, est en passe de voir le jour en France suite au projet de loi déposé par le ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la Consommation.

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Dans cette tribune publiée aujourd’hui dans Libération, Juliette Méadel souligne les avancées de ce projet de loi, tout en appelant à un régime juridique plus audacieux. Pour donner à la réforme toute sa portée, tout en évitant les écueils constatés dans les pays dans lesquels la class action est déjà en vigueur, le législateur doit notamment assouplir ses conditions de recevabilité et renforcer l’efficacité de ses sanctions.

Pour la première fois en France, les pouvoirs publics s’apprêtent à adopter le mécanisme de « l’action de groupe ». Le gouvernement, par la voix de son ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la Consommation, Benoît Hamon, a déposé un projet de loi en ce sens, dont l’examen commence aujourd’hui à l’Assemblée nationale. La class-action, déjà en vigueur aux Etats-Unis, au Canada, au Portugal ou encore en Italie, permet à une personne ou à une association de saisir un juge pour le compte d’un groupe d’individus ayant subi le même type de préjudice. Conscient du rééquilibrage des pouvoirs entre consommateurs et entreprises permis par cette réforme, le Medef n’hésite pas à utiliser l’argument du chantage à l’emploi pour justifier son opposition.

Pourtant, aujourd’hui, un consensus a émergé parmi les experts : économistes et juristes ont montré que l’action de groupe avait un impact socio-économique positif. Le renforcement de la transparence du marché et donc de la concurrence, au profit du citoyen consommateur ; l’incitation à l’amélioration de la qualité de leur production profitant à terme à la compétitivité française ; l’amélioration du fonctionnement de la justice, en permettant la mutualisation des coûts de procédure qui incite ainsi les consommateurs à faire valoir leurs droits face aux groupes industriels et commerciaux et facilite l’accès à la justice et au droit[1] ; le fait enfin de permettre au consommateur, mieux informé et disposant de moyens d’action puissants, de devenir un régulateur à part entière de l’économie ; tout cela aurait sans doute donné une tout autre tournure aux scandales récents du Mediator et de la viande de cheval.

Ce projet de loi constitue donc un progrès notable. Néanmoins, l’économie générale du texte et sa construction juridique actuelles soulèvent des interrogations : pour produire ses effets positifs, l’action de groupe doit être un outil simple, ouvert à tous, et dissuasif. Dans sa mouture actuelle, le projet de loi du gouvernement, qui a retenu les recommandations du Conseil national de la consommation (CNC), formulées dans l’avis rendu le 18 décembre[2], a choisi de limiter l’efficacité de l’action de groupe. En voici quelques exemples : il ne sera pas possible d’utiliser l’action de groupe en cas de préjudice relevant de la santé ou de l’environnement ; la qualité des personnes habilitées à agir sera limitée aux seules personnes ayant qualité de « consommateurs » ; l’action de groupe ne pourra réparer que le « préjudice matériel » et non corporel ou moral.

Ces restrictions soulèvent des questions juridiques et politiques. Sur le plan juridique, rappelons que la définition de consommateur est bien trop floue en droit français pour justifier une exclusion du régime de l’action de groupe sans risquer la multiplication des contentieux. En termes politiques, comment justifier qu’il y a une inégalité de traitement entre victime d’un préjudice, certaines victimes pourraient intenter l’action de groupe, d’autres non ? Enfin, comment expliquer que l’on répare un préjudice matériel et non moral ou corporel quand on sait que la consommation du Mediator a eu des conséquences morales et corporelles bien plus graves que le préjudice matériel ?

Enfin, l’efficacité du projet de loi sera aussi liée à la capacité de l’action de groupe à dissuader les entreprises de leurs pratiques abusives. A cet égard, le Parlement pourrait ainsi rendre l’action de groupe plus efficace en introduisant dans le code civil la notion de « faute lucrative »[3] dont la sanction est inférieure aux bénéfices que l’entreprise en retire. Le meilleur exemple en est la baisse de qualité sur un produit très largement consommé : elle permet à l’entreprise d’engranger une hausse du profit parfois significative alors que le dommage infligé au niveau du consommateur isolé est trop petit pour justifier l’effort d’engager des démarches juridiques, et la condamnation, si elle avait lieu, engendrerait des dommages et intérêts inférieurs au bénéfice réalisé. La reconnaissance de la faute lucrative permettrait de faire coïncider la sanction du responsable et la compensation apportée à la victime sous la forme d’une réparation, en assurant la dissuasion.

Pour conclure, si le projet de réforme est une avancée historique qui doit être soulignée, il reste que le régime juridique prévu est trop timide. Pour donner à la réforme toute sa portée, le législateur doit assouplir ses conditions de recevabilité et renforcer l’efficacité de ses sanctions. Pour faire mentir La Fontaine, « que l’on soit puissant ou misérable, les jugements de cour vous jugeront blanc ou noir », espérons que le Parlement ait le courage d’adopter une action de groupe au service des citoyens, de la justice et de l’égalité.

[1] « Les Marchés financiers et l’Ordre public », Juliette Méadel, LGDJ, 2007, pp. 427
[2] http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/cnc/avis/2012/Avis_action_groupe04122012.pdf
[3] Juliette Méadel, « Faut-il introduire la faute lucrative en droit français ? », Les Petites Affiches, 17 avril 2007, n° 77, pp. 6. Tous droits réservés.

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