D’un capitalisme financier global à une régulation financière systémique
La crise financière globale, née au cours de l’été 2007 et devenue systémique après la faillite de Lehman Brothers, révèle avec force et douleur l’accroissement de la perméabilité du capitalisme financier contemporain aux événements systémiques. En finance, ces événements ne sont pas exogènes, c’est-à-dire indépendants des comportements des acteurs qu’ils affectent (contrairement aux catastrophes naturelles par exemple), mais bien la résultante d’un système qui crée des incitations perverses à la prise de risques, et où les structures économiques sont insuffisamment résilientes. Confrontés à cette montée des risques globaux, aux coûts prohibitifs pour la société, les Etats sont trop longtemps restés passifs, confiants dans la discipline présumée de l’autorégulation et l’efficience supposée des marchés.
La maîtrise du risque systémique, c’est-à-dire la réduction de la probabilité d’occurrence de crises financières majeures et la maîtrise de leur ampleur quand elles se produisent, implique un réengagement des Etats et des régulateurs dans une approche elle-même systémique : la régulation financière doit être pensée, non pas comme un empilement de composants indépendants les uns des autres, mais comme un système où ces composants interagissent entre eux. A la globalisation de la finance et aux dérives des acteurs financiers doivent répondre une régulation financière et des dispositifs préventifs eux-mêmes conçus dans une optique globale. Cela signifie notamment que les réponses ne peuvent être purement domestiques. Assez largement, les propositions ci-dessous ne sont possibles et pertinentes qu’à l’échelle internationale – au minimum européenne.
Le fil rouge de nos propositions est que la maîtrise des risques passe nécessairement par des dispositifs réglementaires, prudentiels et légaux qui rompent de manière crédible avec le dévoiement de l’esprit du capitalisme qui prévaut dans la finance contemporaine et qui s’est traduit par une privatisation des gains et une socialisation des pertes. Ce fil rouge ne traduit pas seulement un impératif éthique majeur, c’est également la condition sine qua non d’une finance efficace dans sa mission économique première : l’allocation des ressources.
Face à ces enjeux, les propositions de Terra Nova couvrent l’ensemble du spectre : du micro-économique jusqu’au macro-économique.
- Au niveau microéconomique, la crise a mis en exergue nombre de carences dans la gouvernance des banques avec une multiplication des dysfonctionnements dans les systèmes de contrôle. Sur la base de ce diagnostic, nous proposons de renforcer les garde-fous supposés encadrer les activités bancaires : que ce soit les contrôleurs internes ou externes, leurs moyens et leur rôle doivent être renforcés et les modes d’organisation revus. En l’absence de visibilité sur les risques pris au niveau micro-économique, il est illusoire d’envisager un régulateur disposant de capacités d’anticipation et de réaction adéquates en cas de crise.
- En matière de régulation financière, nous souscrivons aux orientations principales de Bâle 3 : renforcement de la qualité du capital réglementaire avec une focalisation sur le capital dur, introduction d’un coussin de capital contra-cyclique (même si le caractère purement discrétionnaire et national des décisions en ce domaine affaiblit la portée de cette avancée), imposition d’un levier simple et de ratios de liquidité (compatibles avec le rôle de transformation des banques et le financement de l’économie réelle). Mais nous considérons que ces avancées sont insuffisantes et doivent s’accompagner d’une réorientation des dispositifs prudentiels vers le macro-prudentiel.
- Cette politique macro-prudentielle doit redéfinir le rôle des banques centrales, celles-ci doivent se préoccuper de la stabilité financière notamment en agissant préventivement sur la formation des bulles sur les prix d’actifs, en particulier des bulles immobilières. Ce nouvel objectif doit s’accompagner de la mobilisation de nouveaux instruments de politique monétaire ou même de l’utilisation plus active d’instruments déjà connus (comme les réserves obligatoires).
- Il est impératif de donner aux pouvoir publics les moyens légaux d’éviter le renflouement systématique des institutions financières systémiques. Plus aucune institution financière ne doit être « too big to fail ». Le fil conducteur de nos propositions est que les actionnaires et créanciers des institutions systémiques assument les risques qu’ils prennent, sans les transférer à la collectivité. A cette fin, nous proposons un dispositif légal qui se décompose en deux volets : des « testaments » pour toutes les institutions systémiques et un cadre légal de résolution des défaillances bancaires conférant aux régulateurs une gamme diversifiée d’options de résolution qui préservent la stabilité financière, sans nécessairement préserver la forme juridique initiale des groupes financiers.
- Dans ces « testaments », les institutions systémiques devraient fournir aux régulateurs un plan détaillé de résolution de leur propre défaillance, c’est-à-dire des informations très précises sur la manière de les démanteler légalement. Ces testaments bancaires devraient s’accompagner du pouvoir pour le régulateur d’imposer des simplifications de la structure légale des groupes financiers et constituer une base de résolution des groupes transfrontières notamment en matière de partage des pertes.
- Le nouveau cadre de résolution de la défaillance des institutions systémiques – en rendant crédible la défaillance et/ou le démantèlement des banques – contribuerait à limiter les incitations à la prise de risque.
- Ces deux dispositifs doivent s’accompagner d’une réactivation de la discipline de marché via l’imposition de règles d’émission de capital contingent, c’est-à-dire de titres de dettes hybrides convertibles en actions en cas de fragilisation financière des institutions financières.
- Enfin, toutes les entités financières doivent être régulées, et les entités constituant le shadow banking sector, qui échappent pour une large part aux contraintes prudentielles, ne doivent plus menacer la stabilité du système financier ou amplifier les crises financières