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Chronique

Faut-il financer les investissements pour le climat par la dette ?

L’analyse de Jean Pisani-Ferry

L’Europe s’est engagée à investir dans la défense du climat. Mais quels financements mobiliser pour mener les chantiers de la neutralité climatique ? Le secteur privé ne sera pas toujours le plus efficace. Le recours à la dette publique doit-il être écarté ?  

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À la fin du mois de mai, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, s’est fermement opposé à l’idée de financer les investissements pour le climat en accroissant la dette publique. Quelques jours plus tard, Rachel Reeves, la chancelière fantôme britannique, est revenue sur l’engagement du parti travailliste d’emprunter 28 milliards de livres par an pour financer les investissements climatiques. Elle a affirmé que les règles budgétaires devaient primer et que, si les Travaillistes remportaient les prochaines élections générales, les investissements verts « monteraient graduellement en puissance ». En Allemagne enfin, les objectifs du projet de loi promu par Robert Habeck, le ministre de l’Économie et du climat des Verts, ont été revus à la baisse après que Christian Lindner, le ministre des Finances libéral, s’est élevé contre l’interdiction d’installer de nouvelles chaudières à gaz dans les foyers allemands.

Le fait que les choix climatiques prennent place dans le débat macroéconomique global ne relève pas du hasard. En effet, les investissements requis par la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont importants (de l’ordre de 2 % du PIB par an, dans les pays qui visent sérieusement à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050), et une grande partie d’entre eux (probablement entre un tiers et la moitié, selon les pays) devra être financée par les budgets publics. Cela ne posait pas problème tant que les taux d’intérêt étaient bas ou négatifs. Mais depuis qu’ils ont augmenté et que leur évolution est devenue plus incertaine, le financement de l’investissement pour le climat fait débat. Les faucons budgétaires sont à l’offensive, tandis que les partisans de l’action climatique luttent contre la réduction des marges de manœuvre budgétaires sur lesquelles ils comptaient.

Au sein de l’UE, les discussions sur la réforme du cadre budgétaire ont largement éludé cette dimension du débat. Sans doute parce que la question est suffisamment complexe en elle-même, les propositions législatives de la Commission européenne de n’ont pas traité ce point précis et les dernières orientations des ministres des Finances ne s’y confrontent pas non plus. Un choix pour le moins regrettable, sachant que l’UE s’est pleinement engagée à réduire drastiquement ses émissions d’ici 2030, et qu’il est important de se demander si l’action climatique doit, ou non, primer sur l’objectif de réduction de la dette.

Pour les pays déjà très endettés, dont la soutenabilité des finances publiques fait question, le débat est facile à trancher. Il serait peu judicieux de mettre en péril leur solvabilité au nom du climat. Il vaut mieux que ces États restructurent leurs dépenses ou que l’UE leur vienne en aide. Mais ces situations sont rares : la plupart des pays ont une certaine marge budgétaire et auraient besoin de lignes directrices sur la manière dont ils peuvent l’employer.

Étonnamment, la question de savoir si l’action climatique doit être financée par l’impôt ou la dette n’a pas fait l’objet de beaucoup de réflexions systématiques. Dans la mesure où les investissements finissent par être rentables, grâce à des coûts d’exploitation plus faibles ou à un meilleur environnement général, on peut plaider en faveur d’un financement par l’emprunt. L’achat d’une pompe à chaleur peut être coûteux mais, indépendamment de son impact sur les émissions, il permet de bénéficier d’une réduction de la facture de combustibles fossiles et d’un air plus pur. Il en va de même pour le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques.

Ce raisonnement, toutefois, ne permet pas de conclure que les recettes fiscales seront générées automatiquement, créant ainsi un flux de revenus annuels pour le service de la dette. La conversion d’un avantage potentiel en un flux de recettes réel nécessite soit la décision explicite de taxer, soit la mise en place d’un système de financement spécifique. En pratique, une partie des bénéfices futurs de l’action climatique devrait être réservée au remboursement de la dette contractée pour le financement des investissements initiaux. C’est un mécanisme qui fonctionnerait sans trop de difficultés dans le cas de la rénovation des bâtiments publics. Les institutions financières pourraient par exemple prêter aux collectivités locales et récupérer leur investissement plus tard en recevant une part des économies réalisées sur les factures de chauffage.

En revanche, il serait financièrement absurde de laisser le secteur privé prendre en charge la rénovation des bâtiments publics et se rembourser en faisant payer les collectivités locales. Dans tous les pays, à l’exception de ceux dont la dette est insoutenable, les gouvernements demeurent des emprunteurs de référence et payent donc leur dette moins cher que les investisseurs privés. Plutôt que de s’engager à payer plus en valeur actuelle, et donc détériorer leur solvabilité, ces entités devraient émettre de la dette et la servir en puisant dans les économies futures réalisées sur leurs coûts de chauffage.

Un défi plus difficile est de réussir à minimiser le budget de la rénovation des logements, qui constitue l’essentiel du coût de la transition. 70 % des ménages de l’UE sont propriétaires de leur logement (une proportion qui atteint 90 % en Roumanie ou en Pologne). Parce qu’il permettrait d’éviter l’implication directe des gouvernements, le financement privé peut paraître intéressant, mais le coût probable de ces emprunts risque d’être très élevé pour les ménages individuels. Le financement privé n’est guère efficace lorsqu’il s’agit d’investissements à petite échelle, en particulier lorsque les emprunteurs sont des ménages à faibles revenus et que le retour sur investissement est faible. Dans de tels cas – en pratique, la majorité des cas dans les pays de l’UE – la réticence à impliquer les gouvernements pourrait bien s’avérer un coûteux détour.

En définitive, il n’existe pas de solution unique, mais il est justifié de financer une partie des investissements climatiques requis par la dette publique. Certains investissements climatiques relèvent clairement du secteur privé, quand d’autres nécessitent une intervention publique. Lorsqu’il n’y a pas de solution immédiatement évidente, la décision doit être guidée par la minimisation du coût.

Dans plus de la moitié des pays de l’UE, le ratio dette/PIB dépassait 60 % à la fin de l’année 2022. Les gouvernements de ces pays sont simultanément invités par l’UE à investir dans la réduction des émissions et à réduire leur taux d’endettement. Ces exigences sont souvent contradictoires. L’UE ne peut pas continuer à ignorer le problème, ni attendre des États membres qu’ils le résolvent eux-mêmes. Elle doit mener, de toute urgence, une discussion sérieuse sur la manière de s’y attaquer.

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