G20 de Cannes : l’agenda des réformes paralysé
Synthèse
La présidence française du G20 aurait bien voulu s’auto-attribuer la palme d’or du sommet de Cannes. Ce ne sera pas le cas. Mis à part un prix spécial du film fantastique au gouvernement grec, qui aura, pendant plusieurs jours, plongé le G20 dans la quatrième dimension, il n’y aura aucune distribution de prix ou de satisfecit lors du sommet. Le G20 de Cannes est la chronique d’un échec annoncé. Pour la présidence française, il devait être le lieu de l’annonce tonitruante d’avancées significatives sur les grands dossiers globaux. Il s’annonce en réalité comme le sommet de tous les risques pour la présidence française, privée de réussites incontestables sur les points clés de son agenda initial, et se tenant – avec le reste de l’Europe – sur la défensive concernant la résolution de la crise de la zone euro, à la suite de l’annonce surprise par la Grèce d’un référendum sur le plan de soutien du 26 octobre. Le G20 attend un engagement fort de l’Europe pour juguler la crise grecque, condition du soutien des autres puissances à la stratégie européenne. Or la France et l’Europe sont dans une position de négociation très difficile. Loin de pouvoir faire avancer les propositions fortes annoncées par N. Sarkozy en janvier 2011 sur la réforme de la gouvernance économique et financière mondiale, l’Europe s’apprête à subir les remontrances du G20 pour son incapacité manifeste à juguler la crise de ses dettes souveraines, qui pèse à présent sur la croissance mondiale. L’accord européen du 26 octobre était l’argument le plus précieux des Européens, mais il est compromis par l’annonce par le Premier ministre grec Georges Papandreou d’un référendum sur ce point en décembre prochain. Si un accord au G20 de Cannes devrait permettre, pour un temps, de calmer les marchés, cette situation contribue à la marginalisation de l’Union face à un G2 en position de donneur de leçons. La France doit aussi arracher un accord ferme sur la relance de la croissance mondiale par un plan d’action concerté à l’échelle des grandes économies de la planète, et sur de nouvelles avancées en matière de supervision du secteur financier et bancaire. L’annonce possible d’un accord sur « la nécessité » pour les pays émergents en excédent de contribuer davantage à la croissance mondiale et sur celle pour le Fonds monétaire international de disposer de ressources suffisante risque pourtant de rester purement formelle. Des engagements similaires ont été pris ces derniers mois, sans pour autant se concrétiser par de véritables inflexions. Le G20 de Cannes a pourtant besoin, pour rassurer les marchés et les investisseurs, de s’accorder sur un effort de relance très important, semblable, voire supérieur, à celui engagé à Londres en avril 2009 en faveur de la reprise. Comme le souligne les Présidents Van Rompuy et Barroso dans leur lettre commune du 31 octobre à leurs partenaires du G20 : « il nous faut absolument renouer avec cet esprit collectif du G20 ». Une sanction des marchés est tout à fait envisageable en l’absence de signal positif. Mais depuis Londres, la solidarité entre les Etats-Unis, l’Europe et les pays émergents s’est affaiblie, les marges de manœuvre pour investir dans la croissance se sont réduites. Un échec de ce G20 affaiblirait également beaucoup la stratégie de N. Sarkozy, candidat à sa réélection en 2012, qui compte mettre cette présidence à son actif de grand gestionnaire de crise. Ce n’est pas l’agenda initial qu’il avait proposé qui pourra abreuver la déclaration finale. Les très maigres résultats obtenus sur ses priorités très ambitieuses sont un revers sévère pour une présidence dont l’hybris n’a cessé d’être critiquée depuis janvier. Pour éviter l’échec, le G20 doit impérativement concrétiser trois avancées : – apporter un large soutien au règlement de la crise des dettes souveraines européennes. Cet objectif suppose de solides garanties à fournir par les Européens sur leurs propres engagements et une participation de certains partenaires du G20 au Fonds de sauvetage européen. - dégager coûte que coûte des propositions pour favoriser la reprise de la croissance mondiale, grâce à un plan prévoyant des mesures globales et nationales, de court et plus long terme, sur la base d’un accord entre les pays exportateurs disposant encore de marges budgétaires et les pays devant tenir leurs trajectoires de réduction des déficits publics tout en acceptant de mutualiser leurs investissements essentiels à la reprise. - sortir de l’enlisement sur l’agenda de la régulation financière en mettant en œuvre les précédents plans et en progressant, notamment, sur les paradis fiscaux et les hedge funds, l’encadrement des dérivés de gré à gré et des dérivés sur matières premières, ainsi que sur la prévention et la résolution des crises bancaires et le renforcement de la gouvernance du Conseil de stabilité financière.
Note intégrale
1 – Un G20 aux enjeux cruciaux dans un contexte dangereux
1. 1 – Un accord à trouver sur la crise européenne de la dette non jugulée
Le président américain Barack Obama a souligné à l’ouverture du G20 que résoudre la crise financière européenne devait être la tâche prioritaire du Sommet. Un mini sommet a été convié au matin du 3 novembre spécifiquement sur la crise grecque. Les Européens doivent convaincre leurs partenaires du G20 de leur engagement à enrayer plus largement la crise des dettes souveraines, pour les rassurer, au vu de l’impact qu’elle pourrait avoir sur l’économie mondiale, et obtenir leur soutien dans son règlement. « Nos partenaires du G20 ont l’impression que, si l’Europe ne résout pas la crise de la dette souveraine qui l’affecte actuellement, l’économie mondiale subira de graves répercussions. Il nous appartient de démontrer que l’Union européenne est déterminée à faire tout ce qui est nécessaire pour surmonter les difficultés actuelles », soulignent les présidents du Conseil européen, H. Van Rompuy, et de la Commission européenne, J-M Barroso, dans une lettre conjointe adressée le 30 octobre aux membres du G20. Les Européens souhaitent également encourager les pays du G20 à participer au règlement de la crise, notamment la Chine qui détient 60 % des réserves globales, en achetant directement des titres émis par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et en contribuant aux véhicules financiers envisagés pour optimiser ce fonds de sauvetage. L’accord conclu le 26 octobre au sommet des chefs d’Etats de la zone euro, le onzième tenu depuis février 2010 pour tenter de mettre un terme à la crise des dettes souveraines européennes, était dans cette optique tout à fait crucial. Il dessinait les bases d’un répit pour l’Europe, acceptables aux yeux des principaux membres du G20 : une augmentation de la capacité d’intervention du Fonds européen de stabilité financière de 440 à 1000 Mds€, une plus grande implication des banques européennes supportant une décote de 50 % de la dette grecque et une augmentation de leur fonds propres à 9 % d’ici juin 2012, et une prévision de leur recapitalisation par les Etats et le FESF en dernier recours, leur besoin étant estimé à 106 Mds€. Malgré ses imperfections (incertitudes techniques sur le nouveau mécanisme de garanties du FESF, modalités de l’implication du FMI et des bailleurs étrangers, négociations difficiles en perspective avec les banques sur la décote de 50 % sur les titres grecs, …), cet accord est un moindre mal : pour la Grèce qui recevrait 100 Mds du FESF d’ici 2014, et dont la dette est substantiellement diminuée, pour les banques qui risquaient une perte sèche en l’absence d’accord et recevront dorénavant une garantie du FSEF pour à nouveau prêter à la Grèce (30 Mds de disponibles), et pour les Etats, qui espèrent ainsi limiter leur contribution, attirer des investisseurs des pays tiers et in fine enrayer la crise. La Chine, les Etats-Unis ainsi que le Fonds monétaire international (FMI) en ont explicitement soutenu les éléments principaux ces derniers jours. Des partenaires du G20, dont la Chine, ont manifesté leur intérêt à participer au FESF tout en souhaitant avoir des précisions sur les mécanismes et des garanties. Ils devraient également demander des concessions à leur implication. Dans ce cadre, l’annonce par le gouvernement grec d’un référendum sur l’accord du 26 octobre, abandonné finalement, a jeté pendant plusieurs heures le G20 dans l’incertitude et la consternation et a, à nouveau, attisé les suspicions sur la capacité de l’Union à surmonter la crise de sa dette souveraine. Cette annonce était en effet intervenue sans aucune consultation des créanciers internationaux, et a mis en péril l’accord trouvé avec la troïka (FMI, BCE et Commission européenne) sur le versement de 8 Mds€ en décembre. En insistant sur le fait qu’il n’y aurait pas d’aide supplémentaire des Européens et du FMI à la Grèce si elle ne met pas en œuvre le plan de redressement décidé à Bruxelles, et que le rejet de ce plan signifierait la faillite de la Grèce et sa sortie de l’euro, les Européens ont en outre accrédité l’idée qu’il n’existait pas de « plan B » alternatif à l’accord du 26 octobre. La France et l’Allemagne ont apparemment obtenu du Premier ministre grec le retrait du référendum. Un rejet du plan du 26 octobre en tant que tel aurait des conséquences très lourdes : la Grèce pourrait faire défaut, obligeant les banques à constater une décote supérieure à 60 %, voire 75 % sur la dette souveraine, entraînant un nouveau risque de contagion aux dettes italienne, portugaise et espagnole. Une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro serait de plus catastrophique pour son économie et n’éluderait pas un risque d’engrenage conduisant à l’éclatement de la zone, même si les autres pays endettés se sont distingués par leur rigueur. La menace serait également considérable pour la stabilité de l’économie mondiale, confrontée par ailleurs à la perspective d’une rechute dans la récession.
1. 2 – Un signal fort à envoyer pour redresser une croissance mondiale en berne
Au-delà de la question de la dette souveraine, le sommet de Cannes se tient dans un climat de très graves incertitudes sur la croissance mondiale, sur fond de maintien de déséquilibres majeurs. Il doit s’atteler aux modalités d’un plan de relance concerté de l’économie mondiale entre pays développés et nations émergentes, traiter de la flambée et de la volatilité des prix des matières premières, avancer sur la réforme du système monétaire et financier international et sur la montée du protectionnisme, enfin faire avancer les négociations multilatérales pour la libéralisation du commerce. L’annonce possible d’un accord sur « la nécessité » pour les pays émergents en excédent de contribuer davantage à la croissance mondiale et sur celle pour le Fonds monétaire international de disposer de ressources suffisantes risque pourtant de rester formelle. Des engagements similaires ont été pris ces derniers mois, sans pour autant se concrétiser par de véritables inflexions, faute d’un suivi précis et ferme des engagements pris. Sur le front de la croissance mondiale, l’inquiétude est de mise : les indicateurs en Europe et aux Etats-Unis plongent, tout particulièrement en Europe sous l’impact des plans de rigueur mis en place. L’OCDE vient ainsi d’appeler le G20 à agir vite et fort contre la crise en estimant que « les incertitudes sur les perspectives économiques de court terme ont augmenté considérablement dans les derniers mois ». Selon les dernières prévisions de l’OCDE, la zone Euro frôlerait la récession avec une croissance en hausse d’à peine 0,3 % après la hausse de 1,6 % de 2011. Pour sa part, l’économie américaine continuerait à croître faiblement (+1,8 %, contre +1,7 % en 2011), tandis que la croissance de la Chine baisserait de 9,3 % en 2011 à 8,6 % l’an prochain. Insuffisant pour relancer l’économie mondiale[1]. Ces mauvaises nouvelles en Europe et aux Etats-Unis interviennent alors que le ralentissement se confirme dans les grandes nations émergentes et que la consommation reste insuffisante dans les grands pays excédentaires sur le plan commercial pour leur permettre de jouer leur rôle de locomotive de la reprise mondiale. La Chine, dont l’économie est surtout tournée vers l’exportation grâce à un yuan artificiellement faible, rechigne à stimuler la consommation intérieure. Bénéficiant d’une croissance robuste, le Brésil fait face à un afflux de liquidités qui pèse sur son inflation. Au sein même de la zone Euro, l’Allemagne avec une poignée d’Etats d’Europe continentale est tentée de maintenir une stratégie d’excédents commerciaux, non coopérative en Europe, au détriment des autres Etats de l’Union. La croissance mondiale a aujourd’hui besoin d’une stratégie globale pour à la fois relancer à court terme l’économie mondiale, se renforcer et se rééquilibrer à moyen terme. Au-delà de la croissance, aucun des grands risques pesant sur l’économie mondiale n’a été résolu. Bon nombre des distorsions à l’origine des importants déséquilibres ayant précédé la crise sont toujours présentes – notamment des taux de change sous-évalués dans les principales économies émergentes excédentaires et une épargne nationale insuffisante dans certaines économies avancées. Les déséquilibres macroéconomiques mondiaux atteignent toujours des seuils critiques : volatilité des flux de capitaux, guerre monétaire larvée entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe, explosion des réserves de change, montée des tensions inflationnistes dans les pays émergents : autant de ferments possibles d’une nouvelle crise mondiale au cours des prochains mois. Le problème des déséquilibres des balances courantes reste en particulier entier. Au sein des principales économies, les indicateurs permettant d’identifier les déséquilibres macro-économiques susceptibles de déstabiliser l’économie mondiale ont certes été définis au cours du premier semestre 2011, grâce au concours décisif du FMI. Mais les déséquilibres n’ont pas été corrigés pour autant. La Chine refuse toujours de corriger ses énormes excédents commerciaux, tandis qu’à l’autre extrémité, les Etats-Unis maintiennent des déficits records. En réalité, les Etats-Unis, et avec eux de nombreux autres Etats, n’acceptent pas plus aujourd’hui qu’hier de se lier les mains dans le cadre d’un quelconque renforcement du « monitoring » multilatéral des politiques macro-économiques. Sur le plan monétaire, et contrairement aux espoirs initiaux de la présidence française, un calendrier précis en vue d’une convertibilité du yuan, la monnaie chinoise accusée par les Européens et les Américains d’être volontairement sous-évaluée pour favoriser les exportations chinoises à leur détriment, n’a toujours pas pu être arrêté. En réalité, la France n’a pas réussi à convaincre ses partenaires que seule une refonte globale du système monétaire international dans son ensemble permettrait de résoudre la guerre larvée des monnaies que se mènent les grandes puissances planétaires. Le débat sur l’« internationalisation » de la monnaie chinoise a servi de palliatif, sans connaître pour autant d’avancée majeure. L’hypothèse d’une inclusion du yuan au sein du panier de monnaies composant les DTS ne fait toujours pas l’unanimité. Les Européens auront beau jeu de recommander aux autorités chinoises, une nouvelle fois à Cannes, de réévaluer le yuan afin de lutter contre les distorsions de concurrence. Alors même que les Chinois viennent d’être sollicités pour venir en aide aux Européens en apportant une partie de leur réserve de devises afin de renforcer la dotation du FESF… De toute évidence, l’Europe n’aborde pas cette question clé dans la meilleure posture de négociation. Autre réforme enlisée, la réforme des statuts du FMI, destinée à lui permettre de mieux contrôler les comptes de capital (investissements étrangers, investissements de portefeuille et produits dérivés) qui ont fait le lit de la crise de 2007–2008. Celle-ci est toujours également en friche.
1. 3 – Replacer la coopération internationale sous le signe de la solidarité pour mettre fin aux stratégies peu coopératives
À ces éléments s’ajoute la multiplication de stratégies non coopératives entre les grandes puissances de la planète. Dans le domaine commercial, les recommandations de l’ancien Directeur du FMI et de l’OIT qui demandaient, dès le G20 de Washington de 2008, aux pays exportateurs (Allemagne, Chine) de soutenir davantage leur demande, dont l’atrophie pénalise la croissance globale et leur sera défavorable à terme, n’ont pas été suivies. Depuis le printemps, sept grandes économies ont été mises sous surveillance en raison de leurs déficits ou excédents nuisibles à leurs partenaires : Allemagne, Chine, Etats-Unis, France, Inde, Japon et Royaume-Uni. En outre, il est désormais clair que le Cycle de Doha de l’OMC ne pourra être achevé en 2011. L’économie mondiale se trouve ainsi privée d’un moteur de croissance majeur, au risque d’encourager l’adoption de mesures protectionnistes. Le Sommet de Cannes tentera de définir a minima un programme de travail pour la prochaine réunion des ministres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mi-décembre, en attendant de pouvoir surmonter les tensions actuelles en matière de protectionnisme. Parallèlement, sur le plan monétaire, les Etats-Unis continuent d’inonder l’économie mondiale de liquidités, en alimentant au passage l’immense bulle spéculative sur les marchés mondiaux, en maintenant des déficits courants records, et leur politique de « Quantitative Easing » sur le plan monétaire. Avec un nouveau risque pour la croissance mondiale : la hausse de l’inflation. Et une implication concrète : le maintien d’un dollar faible, au détriment des exportations de l’Europe. Dans ce cadre, les pressions inflationnistes sur l’économie mondiale n’ont cessé de s’accroître ces derniers mois. D’autres crispations se sont confirmées dans les discussions au sein des enceintes du FMI : sur la réforme du Système monétaire international, sur l’exportation de terres rares, ou encore sur les investissements souverains des pays émergents.
2 – Un pari très difficile à relever
2. 1 – Une Europe guère convaincante, sur le banc des accusés
Les Européens sont depuis jeudi en position très affaiblie à Cannes. L’annonce de la tenue d’un référendum en Grèce, même si cette perspective s’est éloignée, est venue affaiblir leur crédibilité sur leur capacité à juguler la crise des dettes souveraines. Les difficiles négociations de cet accord avaient déjà adressé un signal négatif aux autres membres du G20 en révélant l’ampleur des divergences entre Etats membres et un degré de tensions inédit entre certains grands pays (France, Allemagne et Italie, notamment). Toute réouverture de l’accord du 26 octobre risquerait en particulier de remettre en cause l’un des dispositifs, qui prévoit l’ouverture à la Chine et à d’autres grands Etats émergents de la possibilité de participer au rachat de dettes européennes, dans le cadre du fonds de stabilisation proposé[2]. La dureté des propos de Timothy Geithner lors la réunion de l’Eurogroupe à Wroclaw sur la crise de la dette en septembre dernier a laissé présager des échanges tendus au G20 et la mise en accusation de l’Union par le G2 (Etats-Unis + Chine). Cette équation n’est pas tout à fait justifiée au vu des difficultés que traversent également les Etats-Unis et le Japon comme du ralentissement de la croissance dans les pays émergents, dont la demande reste atrophiée. Le déficit et l’endettement des Etats membres de la zone euro sont inférieurs, en pourcentage du PIB, à ceux des États-Unis et du Japon. Mais la mise au premier plan de la responsabilité des Européens accommodent naturellement leurs partenaires qui se trouvent en situation de négociation plus favorable. Les Européens ont multiplié les démarches pour rassurer leurs partenaires ces dernières heures, . Le président français N. Sarkozy a téléphoné à son homologue chinois Hu Jintao pour lui exposer les volets de la réponse européenne à la crise. Les Présidents Van Rompoy et M. Barroso ont également adressé une lettre commune exposant au pays du G20 l’ensemble des mesures prises au niveau européen, au-delà de l’accord du 26 octobre, pour rétablir la confiance des marchés (une solution durable pour la Grèce, l’amélioration des capacités d’intervention du FESF, un plan coordonné pour renforcer le système bancaire, des mesures pour réduire les déficits publics et un renforcement de la gouvernance de la zone euro). La seule éclaircie dans ce paysage est venue hier de la Banque centrale européenne, qui a annoncé la baisse surprise de son principal taux directeur à 1,25 %. Cette annonce inattendue dans des délais aussi courts est certes une bonne nouvelle face à la diminution constante du volume des crédits dans la zone euro. Les deux hausses consécutives de ses taux d’intérêt par la BCE au printemps dernier avaient en effet contribué à la hausse générale des taux d’intérêt dans la zone euro, de 0,5 % depuis le début de l’année, et à une contraction des volumes de crédits distribués, redescendus à 13 Mds par mois à l’automne 2011, 10 fois moins qu’en décembre 2007. Mais elle atteste aussi de la gravité des risques sur la croissance européenne pour 2012. Et il est peu évident que ces garanties suffisent. Le G20 devrait conditionner son soutien au plan de sauvetage à une clarification des engagements des Européens, et notamment que le plan du 26 octobre soit dûment respecté par la Grèce dans des délais brefs.
2. 2 – Des marges de manœuvre insuffisantes pour envoyer un signal positif pour la croissance
Le G20 Finances du 15 octobre a annoncé un « plan d’action ambitieux » préparé par le Canada et l’Inde et qui devrait être adopté au G20 de Cannes. Ce plan vise à limiter les déséquilibres macro-économiques et assurer l’adoption des mesures de relance nécessaires à la croissance mondiale, tout en veillant à ce que les pays en consolidation budgétaire ne dévient pas de leur trajectoire. Il suggérerait ainsi des mesures pour tous les pays du G20, en évitant toute stigmatisation : des actions à court terme pour soutenir la demande dans les pays émergents qui en ont les moyens, et des actions à plus long terme pour assainir les budgets dans les pays industrialisés. Si cette initiative est essentielle, elle est insuffisante. Plutôt qu’un plan global, ce n’est qu’une somme d’engagements nationaux qui est attendue. Chaque pays membre devrait ainsi présenter à Cannes deux ou trois mesures qu’il envisage pour soutenir la confiance. L’Angleterre, l’Italie, les États-Unis ou la France seront probablement invités à accentuer leur programme d’ajustement financier, alors que l’Allemagne pourrait être invitée à s’engager à laisser jouer ses stabilisateurs automatiques budgétaires. Ce plan devrait également manquer de substance. Les marges budgétaires en Europe et aux Etats-Unis se sont considérablement réduites depuis 2009. Si ces derniers ont annoncé leur grand plan pour l’emploi, les jeux politiques américains rendent son adoption incertaine. Ils sont par ailleurs désormais confrontés à un déficit public difficilement soutenable : 8 000 Mds $ en 2005 (65 % du PIB), 12 800 en 2009 (90 %), 14 700 mi-2011 (98 %) et une projection basse de 20 000 en 2015. L’endettement des Etats-Unis repose plus que jamais sur le rôle du dollar comme monnaie de réserve, ce qui complique toute discussion sur la réforme du SMI. Seule l’Allemagne et quelques pays nordiques auraient en Europe la possibilité d’investir dans la relance, mais le manque d’appétence des Etats membres pour un plan de relance qui soit véritablement européen et doté d’une stratégie commune est faible. Le plan qu’ils ont adopté en octobre 2008 n’était ainsi qu’un agglomérat de plans nationaux, une large boîte à outil intégrant toutes les préférences, très hétérogènes, des Etats membres. Les positions préconisées pour le futur cadre financier de l’Union 2014 – 2020 montrent également leur refus d’une plus grande mutualisation des investissements européens par le biais du budget européen. Européens et Américains tournent donc leur regard vers les pays émergents, la Chine en premier lieu. Mais leur disposition à investir encore plus massivement pour soutenir la croissance mondiale, dont il faut porter la responsabilité du ralentissement justement sur l’Europe et les Etats-Unis, est loin d’être assurée. Les convaincre de renforcer leur demande intérieure pour soutenir la croissance sera difficile. La directrice générale du FMI, C. Lagarde, a également proposé lors de ce G20 Finance une augmentation des ressources du fonds. Mais seule la France et certains pays émergents y sont pour l’heure plutôt favorables, l’Allemagne étant réservée, les Etats-Unis, hostiles.
2. 3 – Un bilan médiocre pour la présidence française
N. Sarkozy avait provoqué la surprise de ses ambassadeurs puis de tous ses partenaires en présentant un agenda pour la présidence du G20 dont l’ambition frôlait la démesure. La montagne a pourtant accouché d’une souris. Peu de résultats ont été obtenus sur les grandes priorités avancées. S’agissant de l’agenda de réforme du secteur financier, l’accord trouvé sur Bâle III sur le capital et la liquidité des banques n’occulte pas les terribles déceptions enregistrées sous la présidence française sur les autres dossiers majeurs : – La taxe sur les transactions financières internationales en faveur du financement du développement, pour laquelle N. Sarkozy s’est personnellement beaucoup engagé, a été rejetée lors de la tenu du G20 Finances, le 15 octobre, par les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Canada, le Japon, l’Inde et le Brésil. Le Royaume-Uni n’a pas non plus été solidaire de la proposition française, s’opposant également à cette taxe à l’intérieur de l’Union. Le G20 Finances a donc écarté la proposition française pour préférer l’éventualité d’un projet de taxes carbone sur le transport maritime et aérien pour financer la lutte contre le changement climatique. La France, alliée à l’Allemagne et l’Afrique du Sud, espère à ce stade obtenir du G20 de Cannes une formulation qui permette à un groupe de pays pionniers, vraisemblablement en grande majorité de la zone Euro, d’instaurer une taxe sur les transactions financières, à défaut de recueillir un consensus plus large dans l’immédiat. La Commission européenne a présenté récemment une proposition législative relative à l’instauration d’une telle taxe dans l’Union européenne. – Les mécanismes de prévention et de gestion des crises bancaires restent hétérogènes et laconvergence des normes comptables s’avère plus longue et moins complète que prévu. – Les avancées sont limitées sur les paradis fiscaux, les agences de notation, les hedge funds et sur les dérivés, notamment sur la lutte contre la volatilité des prix des produits agricoles, ainsi que sur les rémunérations et bonus du secteur financier, malgré les appels répétés du FMI sur le sujet. – Le problème du shadow banking (hors bilan) – notamment les « titrisations sauvages » mais aussi des acteurs comme les fonds alternatifs, les fonds monétaires ou les compagnies d’assurances - reste largement à traiter, les décisions s’étant surtout focalisées sur les établissements bancaires jusqu’ici. Les minces avancées des discussions sur la réforme du système monétaire international sont très loin d’aboutir au « nouveau Bretton Woods » annoncé par N. Sarkozy en janvier. Les deux séminaires organisés, à Nankin en mars et à Berlin en octobre 2011, ont seulement permis avec difficulté d’établir un diagnostic sur les dysfonctionnements du SMI et envisagé des pistes de réflexion. Ne devraient être au menu du G20 qu’une vague réforme du Financial Security Board présentée de manière très hyperbolique comme l’embryon d’une nouvelle gouvernance mondiale, une discussion non aboutie sur l’intégration du yuan dans le DST, un code de bonne conduite sur les mouvements des investissements et des capitaux, bloqué à ce jour au niveau des négociations ministérielles, une réforme du FMI qui ne progresse que très lentement, avec un système de surveillance des déséquilibres encore dans les limbes malgré les ambitions affichées… : tout cela ne fait pas un bilan. La guerre contre la volatilité des prix des matières premières, engagée par N. Sarkozy en janvier, n’a pas non plus été gagnée, même si la France aura malgré tout réussi à faire instituer un véritable dialogue sur des mécanismes d’assurance permettant d’éviter les distorsions massives de prix et de protéger les producteurs. Le G20 Agriculture de juin aura permis de dresser la liste des instruments disponibles : les politiques de stockage, la transparence des marchés, des outils assurantiels développés par les institutions financières internationales pour que les pays puissent se protéger de la volatilité des prix… Il aura permis d’aboutir à un semblant d’accord sur de grandes orientations : meilleure régulation, en particulier des marchés financiers des matières premières, amélioration de la transparence des marchés physiques, et renforcement des stocks d’urgence (aide alimentaire) en lien avec la Banque mondiale, dont c’est l’un des mandats. En revanche, rien n’a été obtenu sur l’encadrement des produits dérivés, et le vœu d’une meilleure régulation des prix pétroliers (volatilité du prix du baril de pétrole) et d’une amélioration du dialogue producteurs-consommateurs sera resté largement pieux. Les avancées promises par N. Sarkozy pour la réforme de la gouvernance mondiale sont également absentes : aucune passerelle entre le G20 et les Nations Unies n’a été envisagée et la réflexion sur la rationalisation des différents régimes juridiques internationaux n’a pas été approfondie, l’OIT n’ayant pas obtenu le siège d’observateur qu’elle demandait à l’OMC. De même, l’initiative lancée par le Président de la République en faveur d’un meilleur respect des normes sociales fondamentales dans la mondialisation n’a pas su convaincre nos partenaires du G20, qui ont refusé de soutenir son projet de socle universel, qui aurait simplement repris les normes fondamentales approuvées dans le cadre des Nations Unies. Ils ont tenu à se contenter de socles nationaux en matière de normes sociales. Cette mesure dessert les efforts de convergence par le haut réalisés jusqu’à présent grâce à la reconnaissance de normes universelles et fondamentales inviolables. En définitive, les seuls résultats tangibles obtenus l’auront été sur l’agenda le plus marginalisé, celui du développement : accords sur la constitution de réserves alimentaires, fixation d’un objectif commun de réduction des coûts des transferts de migrants visant à atteindre un coût moyen réduit à 5 % d’ici à 2014, rapport du panel de haut niveau sur les investissements dans les infrastructures, présidé par le PDG de Prudential, Tidjiane Thiam, favorisant les investissements privés en matière de transports, de réseaux électriques, de production… La part de responsabilité de l’actuelle présidence française ne peut être évacuée. Malgré un contexte qui aurait du inciter à l’action, l’agenda défini par la présidence française s’est avéré source de très forts clivages. De multiples lignes de fracture se sont confirmées. La France a peiné à faire émerger les linéaments d’un consensus sur les moyens de rétablir les équilibres macroéconomiques et monétaires mondiaux.
3 – Conditions pour éviter l’échec de Cannes
- Une solution sur la crise des dettes souveraines exigera de fortes garanties des Européens.La Grèce devra tenir ses engagements en appliquant le plan d’aide du 26 octobre et lever les incertitudes sur le référendum. Les Européens devront au-delà convaincre de l’efficacité de la nouvelle gouvernance économique de l’UEM qui fait tant défaut aux yeux de leurs partenaires. Elle suppose également que les partenaires du G20 s’engagent à soutenir le règlement de la crise de la dette européenne. Une contribution des pays du G20 au fonds de sauvetage européen, au premier lieu des pays émergents comme la Chine, serait de nature à rassurer les marchés. Les Etats-Unis doivent également favoriser l’octroi de crédit aux banques européennes, aujourd’hui fortement pénalisées par les taux de leurs consœurs américaines. – Il est, par ailleurs, impératif de trouver un accord sur un plan d’action concerté à l’échelle des grandes économies de la planète, pour contrecarrer les risques d’une nouvelle récession par une relance de la croissance. La croissance mondiale a aujourd’hui besoin d’un signal fort en faveur d’une stratégie globale pour être relancée. Ce plan ne doit donc pas seulement porter sur le court terme, mais être également un programme pour des mesures et des réformes à moyen et long terme. Devant les faibles marges budgétaires de l’Europe, des Etats-Unis et du Japon, ce plan doit intégrer unengagement ferme des pays exportateurs à soutenir leur demande, et l’annonce d’une relance de la mutualisation d’investissements de grande ampleur dans de larges projets d’intérêts mutuels (infrastructures, accès aux biens élémentaires, eau, …). Cette mutualisation devrait commencer au sein de l’Union européenne où la négociation des prochaines perspectives financières 2014 – 2020, condamnant aujourd’hui à tort le budget de l’Union à la stagnation, offre l’opportunité d’optimiser les dépenses des Etats membres dans des secteurs stratégiques d’intérêts mutuels. Les Etats-Unis devraient également s’engager à mettre fin à leur politique protectionniste sur leurs investissements. – Compte tenu de ce contexte, un objectif clé du G20 de Cannes devrait être également de faire en sorte que le FMI dispose de ressources suffisantes pour faire face aux situations de crise de manière coordonnée et globale, et de principes d’action clarifiés pour guider les membres du G20 dans la gestion des flux de capitaux. Il est tout aussi urgent de définir une feuille de route pour l’élargissement des droits de tirage spéciaux du FMI, en vue de faciliter l’internationalisation des devises clés des marchés émergents, parallèlement à l’amélioration de la coopération entre les accords de financement régionaux et le FMI. - De même, il est impératif que le Sommet de Cannes progresse dans la mise en oeuvre du programme de réforme des marchés financiers. Il n’existe toujours aucun processus pour garantir que les normes comptables internationales ou celles sur les fonds propres bancaires sont appliquées de manière cohérente. Le FMI, la BRI et le CSF jouent chacun un rôle, mais avec encore trop de lacunes, notamment du fait d’une transparence trop limitée des acteurs financiers comme des gouvernements nationaux. Les réformes des marchés financiers qui ont été convenues au niveau international doivent être mises en œuvre intégralement, tout en garantissant l’uniformité des règles du jeu pour l’ensemble des partenaires du G20. Le G20 doit accélérer ses travaux pour faire progresser les autres réformes convenues, tout particulièrement dans le domaine des dérivés de gré à gré, des dérivés sur matières premières, ainsi que dans la prévention et la résolution des crises bancaires, domaines dans lesquels des propositions sont en cours de finalisation. Par ailleurs, les membres du G20 devraient promettre d’accélérer leurs travaux sur la définition d’un cadre de travail commun sur les banques d’importance systémique à l’échelle mondiale, sur la réglementation du système bancaire, parallèlement à la définition commune d’un ensemble unique de normes comptables, acceptées au niveau mondial. Il est également temps d’apporter les changements nécessaires à la gouvernance du Conseil de stabilité financière et de renforcer sa fonction de surveillance. Malgré ces possibles avancées à Cannes, la présidence française aura au total beaucoup promis, pour des avancées concrètes finalement limitées. Loin, bien loin des promesses de réforme du système financier international faites à ses débuts.
[1] Au total, l’an prochain, l’économie des pays du G20 (85 % de l’économie mondiale) devrait croître moins que cette année (+3,8 %, contre +3,9 % en 2011). L’éventualité d’une nouvelle crise de l’économie mondiale n’est plus exclue par l’OCDE. Un tel scénario verrait une chute du PIB de certaines des principales économies de l’OCDE jusqu’à 5 % d’ici à la première moitié de 2013, selon l’institution, sous l’effet de deux principaux facteurs : l’incapacité des leaders de l’Union européenne à restaurer la confiance, couplée à une situation désordonnée de la dette souveraine de la zone Euro contaminant les autres pays, « et/ou » une politique de consolidation budgétaire excessivement sévère aux Etats-Unis. [2]Et alors même que les modalités techniques de cette participation ne sont pas encore établies. Pékin a un intérêt objectif à accepter de participer au renflouement du FESF. Cela lui permet de sécuriser ses débouchés à l’exportation tout en diversifiant ses actifs au-delà des seuls bons du Trésor américains.