Les Français ont-ils gagné ou perdu du pouvoir d’achat ? On a demandé leur avis à deux économistes – Ouest-France


Les sondages le disent en tête des préoccupations des Français. Le pouvoir d’achat, c’est tout ce que vous pouvez acheter en fonction des revenus dont vous disposez, en fonction du prix des produits. Et tous les candidats à l’élection présidentielle veulent évidemment vous en redonner. Mais de quel bilan partons-nous ? Les Français ont-ils vraiment perdu du pouvoir d’achat ces dernières années, comme ils l’estiment à près de 80 % ?
Les Français en ont plutôt gagné, estiment les deux économistes que Ouest-France a interrogés… « Si l’on regarde les statistiques publiées par l’Insee ou d’autres instituts, on observe que le revenu disponible des Français a augmenté de 8 % sur le quinquennat d’Emmanuel Macron : c’est dû à la fois à la baisse du chômage et à la hausse des salaires moyens », observe Simon Matet, du pôle Économie du think tank Terra Nova. Pour tous les Français ? « Oui, cette hausse a eu lieu quel que soit le décile de la population, c’est-à-dire quels que soient vos revenus », assure-t-il.
Sous quels présidents a-t-on gagné du pouvoir d’achat ?
Et si l’on s’intéresse aux quinquennats précédents ? Conseiller économique de l’Institut Montaigne, Éric Chaney s’est penché sur les chiffres produits par l’Insee sur une période comparable : du trimestre avant chaque élection présidentielle au troisième trimestre de l’année précédant l’élection suivante. Et par « unité de consommation », c’est-à-dire en fonction de l’âge des personnes qui composent la famille. Une fois enlevée l’inflation, on obtient +5,3 % de hausse du pouvoir d’achat sous Emmanuel Macron, –0,3 % sous François Hollande, +1,2 % sous Nicolas Sarkozy. « Il faut remonter au second mandat de Jacques Chirac pour trouver une augmentation comparable à celle que nous avons eue là, sous Emmanuel Macron, avec 5,6 %. »
Comment l’expliquer ? « Deux présidents ont eu de la chance » en la matière, reconnaît Eric Chaney. Jacques Chirac « a bénéficié d’une économie mondiale qui marchait formidablement bien et la France y participait », idem pour Emmanuel Macron jusqu’à la crise du Covid. « Alors que Nicolas Sarkozy a affronté la crise financière et que François Hollande a affronté la crise de l’euro, qui a été assez terrible ».
Cette embellie va-t-elle se poursuivre ?
Malheureusement, le vent tourne à nouveau. « Durant la crise du Covid, le pouvoir d’achat s’est maintenu grâce à une augmentation énorme de la dette publique, avec la politique du « quoi qu’il en coûte », explique Eric Chaney. Mais maintenant, nous commençons à en voir les conséquences sur les prix : l’inflation accélère. Beaucoup moins en France qu’ailleurs puisqu’on a bloqué les prix de l’énergie, mais il y aura bien quelqu’un qui les payera, ce sera le contribuable, mais plus tard… »
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Pourquoi notre ressenti est-il différent ?
Le paradoxe, c’est que peu de Français semblent avoir ressenti le gain de pouvoir d’achat de ces dernières années. « Comme le disaient les citoyens que Terra Nova a interrogés sur les thèmes de la campagne, le pouvoir d’achat, c’est le petit plus, c’est ce qui reste quand on a tout payé, observe Simon Matet. Et ce petit plus n’a pas forcément augmenté à leurs yeux. » D’autant que les Français voient aussi les prix de l’immobilier qui s’envolent… Or ils ne sont pas inclus dans l’inflation. Tandis que le loyer compte seulement pour 7 % dans l’indice des prix à la consommation.
« C’est vrai que la façon dont les Français, et les gens en général, ressentent l’inflation est assez différente de celle dont les statisticiens mesurent », observe Eric Chaney. Exemple avec le passage du franc à l’euro : alors que les statisticiens avaient noté une petite augmentation des prix d’environ 0,5 %, les enquêtes auprès des consommateurs montraient un ressenti dix fois plus élevé, de l’ordre de 5 %. Pourquoi ? « Parce que le prix du petit café qu’on prend au bistrot avait beaucoup augmenté. En Allemagne, c’était le prix de la bière. Les gens sont plus sensibles à des dépenses qu’ils font très souvent, comme par exemple de remplir le réservoir de sa voiture », relate-t-il.
Que faire ?
Le ressenti serait donc « augmenté par la fréquence d’usage des choses ». Ce qui explique, d’ailleurs, la bataille que se livre actuellement la grande distribution au nom de ce sacro-saint pouvoir d’achat : entre la baguette de pain à 29 centimes d’euro chez Leclerc et l’opération « carburant » lancée par Casino les 4 et 5 février.
Gaëlle FLEITOUR