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Note

Les leçons de la crise financière ou l’impossible statu quo européen

La crise financière et la violente récession mondiale de ces derniers mois ont mis en lumière un paradoxe : alors que la crise a signé le grand retour de l’action conjoncturelle de l’Etat, avec la mise en œuvre, pour la première fois, par les grandes économies mondiales d’une relance concertée et d’une réponse commune dans le cadre du G20, elle aura aussi mis en évidence la vulnérabilité de l’Europe et les limites de ses moyens de mobilisation face aux récessions. Selon Thomas Chalumeau, coordinateur du pôle « économie et finances » de Terra Nova, et Jacques Léris, il est temps de tirer toutes les leçons de la crise et de renforcer les moyens pour l’Europe de prévenir et de résister aux prochaines secousses.
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1 – La crise met en cause la capacité de l’Union Economique et Monétaire à protéger les Etats membres

Confrontée à la crise, l’Union européenne en général, la zone euro en particulier, ont fait montre d’une grande passivité. Bien que l’idée d’une relance – permise par une nouvelle mise entre parenthèses du pacte de stabilité – se soit finalement imposée, malgré les tergiversations allemandes, ce sont les politiques budgétaires nationales, mal coordonnées entre elles, qui ont assumé l’essentiel de l’effort.

1.1 – Les limites à l’intervention de la BCE

La BCE, en abaissant ses taux de 4,25 % à 1 % (octobre 2008 – mai 2009), a certes contribué à soutenir l’activité, confirmant l’attention qu’elle porte, malgré son mandat restrictif, à l’ output gap de la zone euro. La crise a toutefois souligné, une nouvelle fois, les limites de son intervention :

- Contrairement aux espoirs initiaux, la convergence des économies des pays de la zone euro s’opère très lentement et l’agrandissement de la zone réduit progressivement la probabilité des chocs symétriques, affectant identiquement l’ensemble des Etats participants, au profit de chocs asymétriques, frappant les Etats à des rythmes et des intensités différentes et se prêtant difficilement à une réponse monétaire uniforme. Par exemple, si la récession a été très brutale en Allemagne (- 6,7 % de pic à creux) et en Italie (- 6,5 %), l’ordre de grandeur est différent en Espagne (- 4,1 %) et en France (- 3,4 %). La politique de la BCE ne peut donc pas, par construction, être adaptée à chacun des 16 pays de l’eurozone.

- Avec une inflation moyenne à 1 % dans la zone euro (entre décembre 2008 et décembre 2009) et des taux à court terme de 1 %, la BCE a peu de marge pour pousser plus avant la relance par les taux d’intérêt : les taux d’intérêt réels sont déjà nuls et sont en train de devenir négatifs avec la reprise de la hausse des prix. Une cible d’inflation basse, telle que celle poursuivie par la BCE (2 %), se prête mal à des impulsions monétaires de grande ampleur. C’est d’autant plus vrai que la BCE a fait savoir que le taux de 1 % devait être considéré comme un taux plancher, ce qui exclut la possibilité d’un taux proche de zéro (tel que pratiqué par la Fed) voire négatif.

1.2 – L’Europe impuissante face aux disparités monétaires internationales

Si l’euro s’est heureusement déprécié face au dollar depuis la fin 2009, l’Europe reste pour l’essentiel désarmée face aux disparités monétaires internationales, dont le sujet n’a pas été réglé lors des réunions successives du G20. Le « dumping » de certaines grandes monnaies et, tout particulièrement, la sous-évaluation du yuan restent notamment entiers et font de l’Europe sa première victime.

1.3 – En l’absence de budget communautaire, des relances nationales en demi-teinte et mal coordonnées

Le levier budgétaire s’impose donc comme instrument privilégié de réaction aux chocs conjoncturels et le nanisme du budget communautaire (1 % du PIB) en transfère la responsabilité aux budgets nationaux.

Les relances budgétaires nationales se sont toutefois caractérisées par leur modération et par leur dispersion :

- Elles ont été beaucoup moins énergiques que la relance mise en œuvre aux Etats-Unis par l’administration Obama. En proportion du PIB, l’impulsion budgétaire mise en œuvre par les pays européens est trois fois inférieure à celle des Etats-Unis [4] .

- Hormis un vague accord de principe pour la relance budgétaire, les efforts nationaux n’ont pas été coordonnés, ni dans leur calendrier, ni dans leurs modalités. C’est d’autant plus dommage qu’un euro d’investissement public produit deux euros de PIB supplémentaire dans le cadre d’une relance synchronisée avec les pays partenaires commerciaux, alors qu’il n’en produit que 90 centimes lorsque la relance est isolée (source : OFCE). Autrement dit, une bonne coordination des politiques de relance peut en doubler l’efficacité.

L’impuissance européenne est apparue d’autant plus crûment que la crise financière a été concomitante d’un accès de défiance des marchés à l’égard de la Grèce , en raison du niveau de sa dette publique. Par contagions, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande sont eux-mêmes frappés par un relèvement des taux. Cette « crise dans la crise » révèle non seulement l’impuissance de l’Union européenne mais encore sa propension à engendrer elle-même des crises :

- Impuissance, car l’Union n’a pas été en mesure de prévenir la crise grecque . La mollesse du pacte de stabilité et, surtout, les manipulations comptables du gouvernement grec ont eu raison de la vigilance de la commission. Impuissance, car l’Union ne possédait pas les mécanismes juridiques qui lui auraient permis de secourir elle-même la Grèce. C’est un arrangement ad hoc , sous la forme de prêts bilatéraux adossés à une intervention du FMI qui est finalement offert à la Grèce pour éviter, in extremis , une intervention classique du FMI.

- Plus gravement encore, les crises grecque, portugaise, espagnole et irlandaise sont en partie la conséquence de l’union monétaire . Bénéficiant d’un taux d’intérêt modéré alors que leur inflation demeurait soutenue, ces pays ont été objectivement encouragés à l’endettement, public (comme en Grèce) ou privé (Irlande, Espagne), jusqu’à mettre en cause la soutenabilité de leur croissance. Au contraire, des pays comme l’Allemagne se sont vu appliquer des taux d’intérêt sans doute excessifs eu égard aux fondamentaux de leur économie. Ces réalités rappellent les critiques adressées à l’euro par ses détracteurs – la zone euro est trop hétérogène pour constituer une zone monétaire optimale – et le pari de ses partisans – l’intégration entraînera une convergence des économies. Le pari de la convergence est encore loin d’être remporté. Au-delà de la situation grecque, la crise actuelle invite à réformer les mécanismes de mise en œuvre d’une véritable « solidarité européenne ».

- L’abaissement de la note du Portugal par l’agence de notation Fitch renforce les craintes d’une dégradation de la situation monétaire dans la zone euro . La France n’est pas totalement à l’abri d’une déstabilisation monétaire. De fait, la France appartient aujourd’hui encore au groupe des meilleurs élèves de la zone euro, c’est-à-dire que sa « signature » sur les titres de dette est évaluée au niveau maximum de AAA et que le pays peut emprunter presque au meilleur taux pour financer ses déficits (environ 0,5%). Toutefois, si l’on compare le taux effectif de la dette (les charges de dette de l’année N/ l’encours de la dette de l’année N-1) aujourd’hui environ 3,8%) et le taux de croissance en valeur (3,5% pour 1,4% en volume), la France n’est pas éloignée d’une situation d’effet « boule de neige » ainsi qu’est surnommée la situation lorsque la dette d’un Etat croit plus vite que son économie. De ce point de vue, la France subira dans les tous prochains mois une véritable test de crédibilité financière et de responsabilité politique sur les perspectives de rétablissement des comptes publics

1.4 – La nécessité d’un sursaut

La crise rend le statu quo intenable. L’Europe doit se mettre en capacité de résister aux récessions. Elle doit le faire en se donnant les moyens d’une politique conjoncturelle réactive, et non pas en comptant sur la flexibilité des économies nationales (salaires, prix, mobilité du facteur travail) pour amortir les chocs, ce qui serait à la fois irréaliste et socialement nocif.

Du point de vue de la politique monétaire , la question se pose de savoir s’il ne faudrait pas élever l’inflation moyenne de la zone euro dans le but de laisser plus d’espace à une relance monétaire lors des crises. Ce changement dans la doctrine de la BCE risquerait toutefois de se payer d’un long purgatoire de taux réels élevés destinés à regagner la confiance du marché. En outre, la BCE dispose d’autres moyens, moins déstabilisants (taux nominaux nuls, comme aux Etats-Unis, voire négatifs), pour stimuler l’économie en cas de besoin.

Du point de vue de la politique de chang e, la croissance par une politique de change « volontariste » peut être tentante. D’ores et déjà, aux termes des traités actuels, le président de l’Eurogroupe est habilité à proposer au Conseil la formulation d’orientations de change lorsque la surévaluation de l’euro pénalise les exportations européennes. Cela suppose toutefois de créer un consensus entre Etats membres.

En réalité, il n’est pas certain que la zone euro ait les moyens d’une politique de change visant à la dépréciation « volontaire » de sa monnaie. Son seul outil d’intervention, en régime de liberté des changes, reste le taux d’intérêt. Conditionner l’ensemble de la politique monétaire de la zone à un objectif de change peut sembler aventureux, alors que le commerce extérieur de la zone représente une faible proportion du PIB (de l’ordre de 10%) et qu’il est pour l’instant équilibré.

Ceci ne saurait occulter le vrai enjeu pour l’Europe : se doter d’une crédibilité politique et de moyens suffisants sur la scène internationale pour arracher un accord d’ensemble avec ses partenaires américains et asiatiques, sur la correction des disparités monétaires internationales.

Du point de vue de la politique budgétaire , trois options (non mutuellement exclusives) s’ouvrent aux décideurs européens :

- Le « tour de vis » : une première ligne consisterait à renforcer le pacte de stabilité (possibilité d’auditer les comptes nationaux pour déjouer les dissimulations à la grecque, application effective des sanctions pour déficits excessifs, réitération de l’objectif de réduction progressive du déficit structurel des Etats-membres, réaffirmation de la surveillance multilatérale pour encourager les Etats-membres à redresser leur solde budgétaire en haut de cycle). Elle est fondée sur l’idée que la régulation conjoncturelle passe par les budgets nationaux et que le pacte de stabilité représente le meilleur équilibre possible entre l’autonomie nationale et la discipline nécessaire pour prévenir les comportements de passagers clandestins. Les tenants de cette ligne considèrent que la coordination des politiques budgétaires ne peut pas aller au-delà des encouragements multilatéraux à reconstituer les réserves budgétaires en haut de cycle, ni au-delà des accords de principe sur l’opportunité d’une relance en bas du cycle. Cette option, qui serait la redite de la réforme du pacte de stabilité de 2005, a peu de chance de sortir, à elle seule, l’Europe de l’impasse.

- Le fédéralisme budgétaire : la seconde ligne tirerait la leçon de la difficulté à organiser en peu de temps une réponse budgétaire coordonnée à une crise et tiendrait compte de la nécessité de transferts budgétaires entre Etats-membres pour compenser la non optimalité de la zone monétaire européenne. L’idée serait dès lors de confier au budget communautaire un rôle contra-cyclique qu’il ne joue pas pour l’heure. Une première variante reposerait sur un fonds communautaire de stabilisation conjoncturelle , mobilisé seulement lors des crises, pour financer des dépenses d’investissement dans les pays les plus durement atteints. Une seconde variante, plus ambitieuse, augmenterait le budget communautaire de façon permanente afin de renforcer les moyens dédiés à la convergence des économies, voire permettrait l’emprunt communautaire pour financer des relances budgétaires européennes. Toutefois, même si elle doit constituer l’objectif de premier rang pour tout gouvernement progressiste, cette solution a peu de chances de susciter, à court terme, un accord suffisamment large parmi les Etats-membres, et elle n’est pas de nature à assurer à elle seule l’amortissement des crises . L’ampleur des budgets nationaux et le rôle qu’y jouent les stabilisateurs automatiques impartissent nécessairement aux Etats-membres un rôle de premier ordre dans la régulation conjoncturelle. La question de la coordination des politiques nationales se pose donc inévitablement.

- La coordination des politiques économiques : la troisième ligne consiste à promouvoir une coordination plus étroite des politiques économiques nationales dans le but de (1) synchroniser les relances budgétaires lors des crises, (2) repérer et corriger en amont les dérives susceptibles de provoquer à terme des chocs asymétriques [5] , (3) favoriser la convergence des économies européennes par la mise en œuvre de réformes structurelles. La méthode ouverte de coordination pratiquée jusqu’à présent n’a pas permis d’avancées significatives. Il existe plusieurs moyens pour aller plus loin :

- communautariser certaines compétences actuellement exercées par les Etats-membres (fixation chaque année d’un objectif contraignant de solde budgétaire, pour chaque Etat-membre, par une instance communautaire, éventuellement indépendante [6] ) ou soumises à la méthode ouverte de coordination (extension des compétences de la commission pour permettre l’adoption de normes contraignantes en matière de réformes structurelles – marché du travail, marché des biens et services, enseignement supérieur…). Ces évolutions sont inenvisageables à moyen terme, faute de consensus ;

- impliquer plus avant la commission européenne dans la surveillance macroéconomique des Etats-membres , au-delà de la soutenabilité des finances publiques. Le conseil Ecofin devrait être appelé à débattre plus régulièrement de la cohésion de la zone euro à l’aune des avis émis par la commission sur la politique des Etats-membres ;

- renforcer l’Eurogroupe , instance informelle de coordination des pays membres de la zone euro, par exemple en le réunissant régulièrement en formation « chefs d’Etats et de gouvernements », en formalisant davantage ses procédures, voire en faisant du président de l’Eurogroupe le représentant unique de la zone euro au G8.

2 – Au-delà, la crise signe l’échec de la stratégie de maîtrise des finances publiques dans de nombreux pays européens : l’exemple français

2.1 – La France était – et demeure – mal préparée pour faire face à un choc conjoncturel

Seul levier de régulation conjoncturelle à la main des Etats-membres de l’UE, la politique budgétaire nationale s’est rapidement imposée comme l’instrument essentiel de résistance à la crise. Elle le demeurera en attendant que les moyens d’action européens ne prennent leur essor. La maniabilité et l’efficacité de ce levier sont fonction de trois facteurs, lesquels n’étaient pas réunis en France lorsque la crise s’est déclenchée :

- Les caisses doivent être suffisamment pleines lorsque la crise survient, afin d’y puiser les moyens nécessaires à une relance.

- Le budget doit être suffisamment flexible pour qu’il puisse, en cas de crise, être redéployé afin de financer les dépenses prioritaires pour stimuler l’économie à court terme.

- Les dépenses budgétaires et les recettes fiscales doivent être élastiques à la conjoncture pour que les « stabilisateurs automatiques » jouent à plein.

A l’aune de ces trois critères, il nous faut constater qu’en France, seul le troisième et dernier a pleinement joué son rôle face à la crise : l’importance de sa dépense publique et l’étendue de sa protection sociale ont largement amorti les effets de la crise : en 2009, les dépenses d’indemnisation du chômage ont crû de 20 % et les administrations de Sécurité sociale ont vu leurs dépenses augmenter de 2 points dans le PIB, entraînant une impulsion budgétaire très supérieure à celle du « plan de relance » du gouvernement (0,7 points pour les dépenses de l’Etat). Entre 2008 et 2010, les stabilisateurs ont injecté 2,4 % du PIB dans l’économie française, soit un effet comparable à celui constaté en Italie (2,6 %) et au Royaume-Uni (2,5 %), plus élevé qu’aux Etats-Unis (1,6 %) et en Allemagne (1,6 %) alors même que la France était moins touchée par la crise [7] .

Il reste que les mesures adoptées depuis 2002 ont plutôt affaibli la portée des stabilisateurs automatiques face à la crise, notamment à cause de la baisse de la progressivité de l’imposition des revenus (réforme Villepin de 2006) et de la restriction de l’indemnisation des chômeurs (réforme de l’assurance chômage entrée en vigueur au 1 er janvier 2009).

Sur les deux autres points, la France s’est trouvée dans une situation très défavorable.

- Son budget se caractérise par un haut degré de rigidité . Les dépenses contraintes (personnel, pensions, charges de la dette, « coups lancés » [8] ) pèsent plus de deux tiers du budget de l’Etat. L’aggravation de la dette publique et la remontée prévisible des taux d’intérêt contribuera à alourdir plus encore la charge de la dette (11% du budget de l’Etat en 2010). Surtout, la France, faute d’avoir redressé ses finances publiques lorsque la conjoncture s’y prêtait, a abordé la crise dans une situation financière déjà très tendue (dette de 67 % du PIB et déficit budgétaire de 3,4 % en 2008). La baisse de l’impôt sur le revenu par le gouvernement de Dominique de Villepin et, surtout, le « paquet fiscal » (13 Md€ en régime de croisière) de Nicolas Sarkozy ont largement contribué à créer cette situation.

- Ces contraintes ont limité l’ampleur de la relance : le montant total des mesures annoncées s’est élevé à environ 2,4 % du PIB, davantage qu’en Italie (0,9 %) ou au Royaume-Uni (1,5 %), mais bien moins qu’en Allemagne (3,6 %), en Espagne (4,5 %) ou aux États-Unis (5,5 %) [9] . La France est l’un des pays où la hausse de la dette publique associée à la crise devrait être la plus faible : environ 19 points de PIB entre 2007 et 2010, à comparer aux 38 points du Royaume-Uni, aux 32 points des États-Unis et aux 39 points du Japon [10] . En outre, la situation des finances publiques de la France impose, dans la sortie de crise, un redressement dangereusement rapide du déficit (réduction programmée de 25 Md€ en 2010, passage de 16 Md€ à 4 Md€ des crédits de la mission « plan de relance »).

- Malgré la relative modération du plan de relance, la situation de nos finances publiques présente désormais une gravité sans précédent : hors grand emprunt, la dette publique atteint 84 % du PIB et le déficit 8,5 % (soit 7 points au-dessus du seuil de stabilisation de la dette, 5,5 points au-dessus du seuil de 3% posé par le pacte de stabilité).

2.2 – Le niveau sans précédent de la dette publique signe la faillite de la stratégie française de pilotage des finances publiques

Ces constats soulignent la faillite du mode de pilotage des finances publiques retenu jusqu’ici. Ce dernier est caractérisé par le recours croissant, depuis 2002, à des normes forfaitaires (en plus des seuils maximaux de déficit et de dette fixés par le pacte de stabilité, respect d’une norme de dépense, non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux…). Cette méthode est politiquement plus confortable, en raison de son caractère général et abstrait (inutile de désigner telle politique ou tel public comme cible prioritaire des économies budgétaires) et réputée plus rigoureuse dans son application, sa simplicité facilitant la surveillance de son respect. Force est de constater que cette technique n’a pas suffi à éviter la dérive de nos finances publiques :

- La norme de dépense prévient utilement l’augmentation des dépenses en haut de cycle mais elle a été jusqu’à présent copieusement contournée par les prélèvements sur recettes (jusqu’en 2008) ou par les dépenses fiscales (la loi TEPA l’ont illustré de façon caricaturale en 2007) et elle est inopérante, à elle seule, pour redresser les finances publiques.

- L’application, même partielle, du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux , a supprimé 110 000 équivalents temps plein entre 2005 et 2010, soit une baisse de 5 % du plafond d’emplois de l’Etat. Cette politique est à la fois très peu rentable (500 M€ par an) et insoutenable à moyen terme, sauf à sacrifier la qualité du service rendu aux usagers (compte tenu de l’accélération du rythme des suppressions de postes, le plafond d’emplois de l’Etat aura été amputé de 10 % par rapport à 2005 d’ici à trois ans).

- Le plafonnement du déficit public et de la dette par le pacte de stabilité et de croissance , mis entre parenthèses chaque fois qu’un grand Etat (France, Allemagne) se trouve en situation d’être sanctionné pour déficit excessif, est un tigre de papier.

Les méthodes plus sélectives, plus hiérarchisées, moins forfaitaires, de réduction de la dépense n’ont malheureusement pas prospéré :

- La révision générale des politiques publiques se traduira, si la totalité des mesures validées sont mises en œuvre, par 7 Md€ d’économies , soit moins d’un cinquième du chemin à parcourir pour stabiliser la part de la dette dans le PIB . Axée sur les gains d’efficience, forcément limités, la RGPP n’a pas permis, contrairement aux ambitions affichées, de redéfinir le périmètre d’intervention de l’Etat. L’échec est cuisant.

- La planification pluriannuelle des finances publiques est un exercice largement velléitaire dans le cadre des programmes de stabilité pour l’UE et l’on ignore encore si la jeune loi de programmation des finances publiques, violée dès sa première année de mise en œuvre par l’application du plan de relance, est promise à un autre sort.

Compte tenu de l’état présent des finances publiques et des menaces considérables de dérapage auxquels le gouvernement devra faire face dans les prochaines années (relèvement des taux d’intérêt, effet boule de neige sur la dette, augmentation des dépenses de personnel sous l’effet de la hausse du GVT [11] , augmentation des dépenses de santé et sur les pensions à cause du vieillissement démographique), l’élaboration d’une nouvelle stratégie de redressement est urgente.

2.3 – L’adoption d’une nouvelle stratégie s’impose

Le redressement des finances publiques est un impératif pour tout gouvernement désireux de se doter pour l’avenir des moyens d’une politique budgétaire keynésienne. Plusieurs pistes doivent être empruntées :

- Une refonte globale du système fiscal paraît incontournable compte tenu de l’ampleur du redressement nécessaire des recettes et des soldes publics, ne serait-ce que pour stabiliser la part des intérêts de la dette dans le PIB (plusieurs dizaines de milliards d’euros). Une revue exhaustive des niches fiscales et sociales (plus de 100 Md€ de pertes de recette) est en cours et doit constituer le gisement prioritaire de ces recettes additionnelles. Il s’agit de sortir du cercle pervers qui voit coexister en France des taux nominaux plus élevés qu’à l’étranger, au détriment de l’attractivité, et des assiettes mitées par des allègements innombrables.

- Les stabilisateurs automatiques produisent des effets plus rapides que les mesures discrétionnaires . Ils ont joué un rôle déterminant dans l’atténuation des effets de la crise en France. Ils doivent être préservés, voire amplifiés, par des mesures permanentes (accroissement de la progressivité de l’imposition des revenus, amélioration du montant ou de la durée d’indemnisation du chômage) ou temporaires, déclenchées en cas de dégradation d’un indicateur macroéconomique à définir (par exemple, majoration forfaitaire du RSA « socle »).

- La norme de dépense est une règle figée , théoriquement insensible à la conjoncture. Elle cantonne aux recettes fiscales le rôle de stabilisation automatique. Les dépenses du plan de relance ont ainsi dû être placées hors du périmètre auquel s’applique la norme de dépense. Cette dernière devrait se compléter d’une règle dont le respect serait compatible avec la conduite de politiques de régulation conjoncturelle et encadrerait ces dernières. Cette règle pourrait consister en un objectif de réduction progressive du déficit structurel, à condition de se référer à une mesure indépendante et incontestable de ce dernier.

- La réduction des effectifs de la fonction publique , si elle est poursuivie, doit prendre appui sur une hiérarchisation des priorités politiques , sur une désignation raisonnée des administrations dont le périmètre d’intervention peut être réduit.

3 – Conclusion

Réformer les règles de pilotage des finances publiques nationales pour redonner des marges de manœuvre aux budgets, mieux coordonner les politiques économiques en Europe et renforcer l’Eurogroupe, la réforme est urgente afin de redonner à l’Europe une pleine capacité à résister aux récessions.

Au-delà, il nous faut, à l’évidence, « réinventer » une ambition économique pour l’Europe pour lui donner les moyens de résister à la mondialisation : notamment, en mettant réellement en œuvre les ambitions du traite de Lisbonne, et en actant une révision en profondeur des politiques industrielles, de la concurrence et du modèle social et environnemental en Europe…. N’attendons plus ! La maison brûle.

  1. Jacques Léris est le pseudonyme d’un spécialiste des finances publiques

  2. Flexibilisation accrue du marché et du code du travail, redimensionnement à la baisse des garanties collectives (sécurité sociale, santé, retraites, indemnisations du chômage), baisses ciblées des prélèvements sociaux et fiscaux afin de « libérer l’emploi et l’initiative »

  3. Cf Note Terra Nova de Julia Cagé, “ Crise grecque : première fusée avant feu d’artifice européen », février 2010

  4. Natixis, Special Report n° 69 , 10 mars 2009.

  5. L’Espagne, budgétairement vertueuse mais commercialement de plus en plus déficitaire, dont le surendettement privé a alimenté la bulle immobilière, et dont la dette publique fait l’objet de spread dangereusement croissants, offre un bon exemple de dérive imperceptible à l’aune du seul écran radar du pacte de stabilité.

  6. Proposition de Charles Wyplosz en 2002.

  7. FMI, « Global Economic Policies and Prospects », mars 2009.

  8. Politiques inscrites dans un financement pluriannuel qu’il est très difficile d’interrompre.

  9. Rapport économique, social et financier, Projet de loi de finances pour 2010.

  10. FMI, « World Economic Outlook », octobre 2009.

  11. « Glissement vieillesse technicité » : évolution de la masse salariale sous l’effet de la progression spontanée des carrières dans la fonction publique.

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