Les marchés des jeux d’argent ouverts à la concurrence: des risques majeurs de déstabilisation
Le projet de loi ouvrant à la concurrence le secteur des jeux d’argent en ligne sera adopté par l’Assemblée nationale aujourd’hui. Contrairement à ce qui est affirmé par le gouvernement, cette ouverture n’est pas requise par le droit européen. Elle n’était pas non plus nécessaire pour lutter contre les sites illégaux qui ont proliféré sur le Net. L’heure est à la vigilance. Les risques d’augmentation des pathologies addictives, tout comme la déstabilisation du sport professionnel, sont bien réels. La précipitation du gouvernement à mettre en oeuvre l’ouverture du secteur dès la coupe du monde de football est aussi particulièrement inopportune. Elle conduirait à court-circuiter, au profit de quelques intérêts privés, la phase-clé de la régulation mise en place par la loi : le choix des opérateurs et l’élaboration de leur cahier des charges.
Mardi 6 avril, l’Assemblée nationale adoptera définitivement le projet de loi ouvrant à la concurrence le secteur des jeux d’argent en ligne. Les monopoles de la Française des jeux et du PMU ont vécu et, avec ce texte, c’est une page d’histoire longue de 120 ans qui se tourne, avec de très nombreuses incertitudes qui pèsent sur la régulation de ce secteur désormais libéralisé, mais aussi sur l’ensemble du sport professionnel.
Demain, des opérateurs de jeux établis à Malte, à Londres ou dans n’importe quel pays européen pourront obtenir une licence les autorisant à proposer des jeux d’argent en ligne et des paris sportifs. Les fédérations sportives pourront proposer de tels jeux sur les compétitions qu’elles organisent, avec l’espoir d’en retirer de substantiels bénéfices.
Terra Nova, depuis deux ans, a sonné l’alarme.
D’abord, sur les faux arguments avancés par le gouvernement pour justifier l’ouverture du secteur. Non, le droit européen n’oblige en aucune manière à libéraliser les jeux en ligne : il légitime au contraire les monopoles publics, à condition qu’ils respectent les motifs d’intérêt général (santé publique notamment) qui ont prévalu à leur création. Non, la lutte contre les sites illégaux, qui ont proliféré (75% des paris sur internet se font sur ces sites), n’est en aucun cas liée à l’ouverture du secteur : la création d’une trentaine de sites privés légaux « régulés » ne mettra pas un terme aux 25.000 sites illégaux « dérégulés » existants, aux paris plus rémunérateurs, aux jeux plus diversifiés et à la communication plus agressive ; et les sanctions envisagées dans le projet de loi (blocage de l’accès aux sites, sanctions pénales) auraient tout aussi bien pu être prises dans le cadre d’un secteur en monopole. Rien, en d’autres termes, ne justifiait la restructuration d’un secteur dont l’équilibre donnait globalement satisfaction depuis plus d’un siècle.
Ensuite, sur les risques qu’une telle ouverture véhicule : risques sanitaires et sociaux avec la multiplication de l’offre de jeu en ligne, y compris pour les mineurs, avec une augmentation inévitable des pathologies addictives ; risques d’ordre public avec une porte ouverte au blanchiment d’argent ; risques juridiques avec des contestations à venir, y compris au niveau européen, sur les conditions d’attribution des licences, et à terme sur le maintien du monopole sur le jeu « en dur » ; risques pour le sport professionnel, déstabilisé dans certains pays d’Europe par des paris à cotes truqués et par les rapprochements dangereux entre médias, clubs sportifs et organisateurs de paris. Quant aux bénéfices, ils sont encore à trouver, nuls sur le plan de l’emploi, et des plus incertains sur le plan fiscal.
Une fois la loi votée, il conviendra d’être particulièrement vigilant sur sa mise en œuvre. Le gouvernement prétend à une ouverture effective dès la coupe du monde de football (qui début le 11 juin). Outre la publication des décrets et la mise en place de l’autorité de régulation (l’ARJEL), il faudra aussi délivrer les licences. Or le choix des opérateurs et de leur cahier des charges constitue le point central de la régulation. L’instruction des demandes de licence prend plusieurs mois, même dans un pays comme Malte. L’empressement du gouvernement à défendre des intérêts privés, qui se sont par ailleurs complus jusqu’ici dans l’illégalité, ferait singulièrement contraste avec sa négligence dans d’autres domaines (le Défenseur des droits, inscrit dans la Constitution en 2008, n’existe toujours pas…).
Venant après plusieurs notes diffusées sur le sujet par Terra Nova, la présente note analyse les principales dispositions du projet sur le point d’être adopté et en propose une analyse critique.
L’heure n’est hélas plus à la définition d’une autre politique en matière de jeux d’argent que Terra Nova avait esquissée : le maintien des monopoles historiques, mais avec la fixation d’objectifs clairs d’encadrement du jeu légal, car ils étaient à juste titre contestés par Bruxelles parce qu’ils ne respectaient plus pleinement les objectifs d’intérêt général qui justifient leur existence (développement de jeux de grattage addictifs, offres adressées aux mineurs avec des jeux issus de l’univers adolescent comme XIII ou Star Wars…) ; une action plus poussée contre le jeu pathologique insuffisamment pris en compte jusqu’à ces derniers mois ; une modernisation sur le Net, tant leur offre est aujourd’hui de médiocre qualité.
L’heure est à la vigilance quant à la petite révolution que le gouvernement a décidée, sans que cela ne fasse véritablement débat dans le pays.