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Revue de presse

Numérique : vite, une mise à jour de notre logiciel !

Il y a comme une malédiction française : nos gouvernements arrivent toujours au pouvoir avec les idées d’hier, voire d’avant-hier. Le monde tourne beaucoup plus vite que les programmes. Le problème, c’est que jamais cette déconnexion des élites avec les réalités du monde moderne n’a produit de plus grand danger.
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La mutation numérique roule à folle allure, elle déstabilise les modes de production, disloque l’ordre établi et fragilise notre pacte social. N’accablons pas trop vite nos décideurs politiques : chacun de nous est concerné. Pour remettre nos pendules à l’heure, il faut lire d’urgence l’essai ravageur de Nicolas Colin, un bel esprit aussi mutant qu’hybride : énarque, inspecteur des finances, mais surtout fondateur de start-up et d’un fonds d’investissement – The Family – dont la vocation est de faire grandir les jeunes pousses de l’innovation.

C’est le procès des élites françaises, publiques et privées, qu’instruit Colin dans ce travail réalisé pour la Fondation Terra Nova. Ces élites, il les connaît bien, pour les avoir beaucoup fréquentées. « Le numérique dévore le monde », affirme-t-il avec Marc Andreessen, l’un des fondateurs du Web. Demain, toute l’économie sera donc numérique. Et la France fait à peu près l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour s’y préparer. Pis : la société française s’est enfermée dans une résistance active et désastreuse à la transition numérique.

L’Etat pris en tenaille

Dans le réquisitoire Colin, chacun en prend pour son grade. Ces capitaines d’industrie volontiers critiques envers l’Etat, mais toujours prompts à crier au secours pour empêcher l’arrivée de nouveaux concurrents issus de la révolution numérique : ils n’ont rien vu venir et continuent de retarder la transformation de leur entreprise ; ces dirigeants politiques, jamais affolés par le ridicule, qui – à l’image de Michel Sapin – moquent à la radio des applications utilisées par des millions d’électeurs ; et, surtout, ces corporations professionnelles – des filières culturelles à l’industrie des taxis, en passant par les avocats, les hôteliers ou les auto-écoles – qui se mobilisent pour empêcher l’émergence des « innovations de rupture ».

Voilà l’Etat pris en tenaille, sommé de prendre parti entre la rente et l’innovation, sur fond parfois de pitoyables batailles de rue. Pompier de service, l’Etat court au plus facile, éteint les incendies les uns après les autres, à l’aide de faux compromis qui protègent toujours – mais de manière illusoire – les vieux acteurs du monde d’hier. Comment s’étonner, alors, que les fonds privés hésitent à investir dans nos start-up, menacées dans leur développement par de multiples barrières juridiques ?

Lire aussi : De la mondialisation sauvage à l’automatisation barbare ?

La France s’enfonce dans une impasse. Pis, « elle a été comme rayée de la carte de cette nouvelle puissance économique »,  tranche Colin. « Nous ne sommes,  ajoute-t-il, qu’une colonie numérique : une réserve de ressources et un marché de débouchés. » Pour une raison première : la France n’a pas su, depuis les années 1990, faire grandir ses propres géants numériques. Et, sans moteur national puissant, pas de dynamique vertueuse, ni de base pour affirmer un rapport de force.

Les entreprises dominantes sont nées dans d’autres écosystèmes, surtout aux Etats-Unis, en Chine et en Israël. La France, tout comme l’Europe, n’a pas pu capter une partie significative de la valeur ajoutée issue de l’économie numérique globale. Tétanisée, elle subit de plein fouet les destructions d’emplois, l’affaiblissement de la protection sociale et le creusement des inégalités que provoque la première phase foudroyante de cette révolution technologique.

Une conception dépassée de l’économie

Cette résistance à l’adaptation a des effets dévastateurs dans les entreprises les plus récalcitrantes : prises dans la tempête, elles se lancent dans une optimisation à outrance pour réduire les coûts, une stratégie de fuite en avant qui creuse les écarts de salaires, génère de sévères tensions internes et raréfie les ressources qui devraient être mobilisées dans l’innovation. Plus dure sera la chute !

La France est victime d’une conception dépassée de l’économie. Les outils traditionnels de politique économique que nos dirigeants ont mobilisés depuis la Libération ne sont plus opérants. A commencer par la politique industrielle. Celle-ci a été conçue pour une « économie de masse » et de « rattrapage ». Mais un autre paradigme transforme désormais le capitalisme : le vrai moteur dans l’économie numérique, c’est la personnalisation et la multitude, les milliards d’internautes utilisant au quotidien des applications.

Le temps tourne, mais l’Etat a pourtant encore une carte à jouer et une responsabilité majeure. Il doit tout faire pour promouvoir un écosystème fondé sur l’innovation : en favoriser le financement, démanteler les blocages, former les talents, dessiner les contours d’une protection sociale adaptée, offrir toutes ses données publiques aux innovateurs… Et conduire, avec la nouvelle génération d’entrepreneurs, la mère de toutes les batailles : celle des esprits. Il est grand temps de mettre à jour notre logiciel.


 

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