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Note

Partenariat Terra Nova / Libération : investir dans notre avenir

Erigée en modèle pour ses résultats en matière de compétitivité, la politique allemande n’a pas atteint ses objectifs en matière de croissance, tout en appauvrissant ses salariés. Dans cet article publié en partenariat avec Libération, Olivier Ferrand et Bruno Palier montrent que la France, loin de devoir suivre la stratégie low cost d’un prétendu « modèle » allemand", doit opter pour une politique de compétitivité-qualité et d’innovation, en investissant dans l’économie, l’éducation et la formation, l’écologie.
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Comment sortir de la crise ? Depuis quelques mois, nombreux sont ceux qui vantent la success story de l’Allemagne : la politique allemande serait l’exemple à suivre.

Mise en œuvre par Gerhard Schröder puis Angela Merkel ces dix dernières années, la politique allemande est une politique extrême de compétitivité-prix : gel nominal des salaires pendants sept ans, baisse des cotisations sociales (et suppression corrélative des prestations de l’Etat-providence), transfert de cotisations sur la TVA (soit l’équivalent d’une dévaluation compétitive, que ne permet plus l’euro). Le succès est au rendez-vous en termes de compétitivité : la balance commerciale allemande, qui avait viré au rouge en 2000, affiche un excédent massif de 150 milliards d’euros. Avec 750 milliards d’exportations, l’Allemagne consolide ses parts de marché dans le commerce mondial (16%), alors que la France régresse rapidement (6%).

Cette stratégie est pourtant erronée. Elle n’a pas atteint son objectif : restaurer la croissance. Certes, la croissance allemande a atteint un enviable 3.6% en 2010, mais il s’agit d’un rebond après la purge de 2009 : une récession de 5% (contre 2.5% pour la France). Sur la décennie, la croissance allemande a été inférieure à la France sept fois sur dix. Elle est inférieure à 1% en moyenne, un des plus mauvais résultats de la zone euro, contre 1.5% pour la France. On commente le dynamisme économique de l’Allemagne : c’est pourtant son atonie qui est frappante. L’explication est simple : le boom des exportations n’a pas relancé la croissance car il a été gagé sur la contraction de la demande interne.

La logique politique implicite est insoutenable : appauvrir les salariés allemands pour qu’ils soient compétitifs sur le marché mondial. Cet appauvrissement est réel : le revenu par habitant allemand était supérieur de 15% à la France en 2000 ; il est aujourd’hui inférieur de 10%.

Il s’agit enfin d’une politique non-coopérative difficilement acceptable. La compétitivité allemande s’est améliorée, mais face à qui ? Pas à la Chine : le différentiel de coûts est trop important, le déficit commercial se creuse rapidement (au-delà de 30 milliards d’euros). Mais face aux pays à structures de coûts similaires : les pays européens, et singulièrement la France. Plus de 50% de l’amélioration de la balance commerciale allemande est due à la dégradation bilatérale de la balance commerciale française. Plutôt que d’essayer de capter une part du gâteau de la croissance économique mondiale, l’Allemagne récupère contre ses voisins les miettes de la croissance européenne.

La France a mené depuis une quinzaine d’années une stratégie low cost du même ordre, même si beaucoup moins radicale. Pour réduire le coût du travail, faute de pouvoir réduire les salaires, les entreprises ont réduit le nombre de travailleurs (plans de réduction des effectifs, pré-retraites, non embauche des jeunes, temps partiel) et elles ont pressuré les salariés restants. Conséquence : une hyper-productivité qui épuise les ressources humaines et les ressources naturelles.

La stratégie de dumping sur les prix n’est pas la seule option pour être compétitif dans la mondialisation. D’autres pays – les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud, les pays nordiques – ont opté pour une politique de compétitivité-qualité et d’innovation : leur offre n’est pas moins chère, elle se différencie par sa valeur ajoutée (voir par exemple les succès d’Apple). C’est aussi le cas du modèle allemand historique, fondé sur une production haut de gamme, que la politique Schröder-Merkel n’a pas encore abîmé. La France doit suivre ce modèle : nous n’avons pas vocation à nous battre sur les prix face aux pays émergents en deuxième division économique mondiale, nous devons être compétitifs sur la valeur ajoutée et remonter en haut de la première division.

La clé de l’économie de la qualité, c’est l’investissement. 
 

Investir dans le capital économique, tout d’abord 
 

La France est marquée par un sous-investissement structurel. La montée en puissance des contraintes de finances publiques ces trente dernières années a entraîné l’asphyxie progressive des investissements d’Etat : le budget de l’Etat ne contient qu’une dizaine de milliards d’euros d’investissements civils – moins de deux milliards d’investissements directs ! – sur un total de dépenses de 280 milliards d’euros… Pour 97%, il s’agit d’un budget de fonctionnement.

Un effort d’investissement exceptionnel est nécessaire. La commission Juppé-Rocard a montré la voie, avec un programme de 35 milliards d’euros. Mais un effort unique sera insuffisant. Les économistes Charles Wyplosz et Jacques Delpla ont chiffré à 400 milliards d’euros le retard cumulé d’investissement de la France. Il manque 1 à 2 points de PIB (20 à 40 milliards), non pas sur un coup mais par an, pour maintenir la France dans le peloton de tête des pays les plus développés. Il faut un programme d’investissement d’avenir tous les ans. Il financerait la recherche et les projets industriels innovants. Afin de les sécuriser, une règle budgétaire isolerait ces investissements dans une enveloppe budgétaire non-fongible, qui ne serait pas soumise aux arbitrages politiques.

L’investissement privé, aussi, s’est atrophié. On en connaît la raison : la faiblesse du taux de marge de nos entreprises. Pour restaurer cette marge, il y a une mesure simple : baisser le taux d’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis.

Investir dans le capital humain, ensuite
 

Nos emplois peu qualifiés ont des salaires qui ne sont pas compétitifs dans la mondialisation. Face à ce constat, il y a la solution low cost : baisser les salaires. Il y a aussi la solution high quality : augmenter la qualification.

La stratégie de l’emploi en France est une stratégie low cost : nous finançons les emplois peu qualifiés d’hier à travers des subventions massives, près de 40 milliards d’euros par an. L’émergence de l’économie de la qualité passe par leur redéploiement vers la création des postes plus qualifiés de demain.

La clé, c’est l’éducation. La France n’a pas démocratisé son enseignement supérieur : moins de 40% de nos jeunes sortent diplômés de l’université, contre 60% dans les pays les plus avancés. Notre logique est malthusienne : « tout le monde ne peut pas faire polytechnique ». C’est faux, nos partenaires le démontrent : tout le monde peut réussir des études, pour autant que le système scolaire s’en donne l’objectif. Nous continuons à former le contremaître d’usine de l’économie industrielle d’hier, en train de disparaître. Nous ne formons pas l’ingénieur, le cadre, le technicien, mais aussi l’emploi de service de qualité de l’économie de demain. Ce n’est pas la même chose de faire garder son enfant par une nounou sans qualification ou de le faire éduquer par une puéricultrice avec trois ans de formation. L’explication est avant tout budgétaire : nous consacrons à peine 1.5% de notre richesse nationale à l’enseignement supérieur, contre 3% aux Etats-Unis, 4% dans les pays nordiques.

Derrière, c’est toute notre chaîne de formation qui doit être réformée. La petite enfance : c’est au plus jeune âge que se développent la capacité à apprendre ainsi que les capacités communicationnelles et relationnelles, essentielles dans l’économie de la connaissance. L’école : elle est fondée sur un paradigme périmé d’élitisme républicain, qui sélectionne les meilleurs plutôt que d’assurer la qualification de tous. Et la formation continue : elle est défaillante, elle ne forme pas ceux qui en ont le plus besoin, elle ne produit pas de véritable formation qualifiante reconnue par le monde économique en dépit de budgets très importants (25 milliards d’euros).

Investir dans le capital écologique, enfin

Pour produire notre croissance, nous brûlons la planète, nous épuisons ses ressources, nous détruisons son environnement et sa biodiversité. Nous sommes dans un cercle vicieux : notre croissance productiviste génère des dégâts écologiques irréversibles ; la régulation écologique (taxe carbone, quotas d’émission…) est un handicap pour la croissance. Un nouveau modèle de développement doit émerger, apte à recréer un cercle vertueux : l’investissement écologique nourrit la croissance, qui permet de financer en retour de nouveaux investissements.

Nous sommes à un moment de rupture : pour la première fois en temps de paix, notre génération pense que ses enfants vivront moins bien que ce que nous avons vécu. Nous ne croyons plus au progrès. Notre crise de l’avenir n’est pas une fatalité : si l’avenir s’efface, c’est que nous l’avons abandonné. Telle doit être la priorité politique des progressistes : investir dans l’avenir.

LES PROPOSITIONS DE TERRA NOVA
 

-    Investir dans le capital économique : un « grand emprunt » par an investi dans la recherche et les innovations industrielles, une règle budgétaire sanctuarisant le programme « investissement d’avenir », la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis.
-    Investir dans le capital humain : 3% du PIB dans l’enseignement supérieur, une école  fondée sur la réussite de tous, le service public de la petite enfance, la sécurisation des parcours professionnels.
-    Investir dans le capital écologique : « technologies vertes », énergies décarbonées, ville durable, mobilité du futur… 

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