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Note

Perte du triple A : la France sanctionnée

L’annonce par l’agence de notation Standard & Poors de la perte par la France de sa notation « AAA » sonne comme une sanction des limites de la stratégie de réduction des déficits publics engagée par la France depuis plusieurs mois. Elle souligne également le maintien d’incertitudes sur la sortie de crise de la zone Euro. Nul ne saurait aujourd’hui se réjouir de cette décision, lourde d’implications et d’interrogations sur l’avenir.

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Ironie de l’histoire, c’est un vendredi 13 que la France perd sa précieuse notation « AAA » sur les marchés. Personne ne saurait se réjouir de cet événement. Il représente toutefois un tournant du quinquennat, tant cette « dégradation » est à l’image de la France « affaiblie » laissée par Nicolas Sarkozy  à son possible successeur.

1 – Une décision lourde de sens, dont personne ne saurait se réjouir

La France comptait jusqu’à hier parmi les quelques Etats membres notés « AAA » rescapés de la crise de la zone Euro: avec l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore le Luxembourg, la France figurait encore en « première division de la Zone Euro ». Là voilà dégradée, alors que les trois autres conservent leur notation…  

Certains se consoleront du fait que la dégradation n’est que de un cran et non de deux, comme certains le redoutaient ? Malheureusement, les marchés risquent de surtout retenir que la France est dégradée alors que l’Allemagne ne l’est pas.   Certains objecteront qu’une partie de la perte du « triple A » était déjà intégrée dans les taux d’intérêt servis à l’émission de la dette française ces derniers mois ? Cela est exact en partie : le « spread » OAT-Bund, qui mesure l’écart de taux d’intérêt entre les emprunts d’État français à dix ans (les obligations assimilables du Trésor) et les emprunts d’État allemands de même durée s’établissait hier à 122 points de base (1,22 %), contre 30 (0 ,3 %) points en mai 2011. Les marchés nous notaient déjà en « BBB+ ». C’était hier déjà la prime réclamée par les investisseurs pour acheter de la dette française plutôt qu’allemande.    

La dégradation « officielle » de la note de la France aujourd’hui risque toutefois d’accentuer l’écart de taux avec l’Allemagne, de participer à un mouvement de réajustement à la hausse du risque français, avec des conséquences réelles sur le coût de la dette française. L’avenir nous dira de combien.   Rappelons que la France devra emprunter cette année près de 180 milliards d’euros, soit presque un milliard d’euros par jour ouvrable. Et qu’un point de taux d’intérêt supplémentaire représenterait près de 3 milliards d’euros à horizon de 18 mois, et de plus de quinze milliards d’euros de charges par an à terme. C’est-à-dire deux points de TVA. Où encore le montant réuni des budgets annuels de la culture, de l’agriculture, des affaires étrangères, de l’écologie et des transports, qui disparaîtraient pour ainsi dire en fumée ![1]  

D’autres encore évoqueront la dégradation des Etats-Unis, qui ne s’est pas traduite par une augmentation des taux d’intérêts sur la dette américaine ? Ce serait oublier une différence fondamentale : les Etats-Unis ne sont pas la France, ni l’Europe. Ils émettent une monnaie de réserve mondiale, et il n’existe pas d’alternative comme placement « sûr » en dollars. L’euro n’est pas encore la monnaie mondiale. Et il existe en Europe des alternatives aux placements en dette française : à commencer par les emprunts d’Etat allemands, dont on notera qu’ils sont passés pour la première fois en territoire négatif à court terme…  

Sur le plan financier, la première conséquence d’une perte du triple A sera donc des charges annuelles de la dette plus élevées dans les prochains budgets de l’Etat.  

Et ce, de manière probablement durable. Selon l’adage selon lequel « il est plus facile de perdre son triple AAA que de le regagner ». D’autant que la position de la France par rapport aux autres grands Etats européens est peu favorable sur les autres critères d’appréciation retenus par les marchés que sont le déficit primaire, le rythme de l’ajustement, la flexibilité des dépenses, les marges de manœuvre fiscales ou encore la situation de la balance des paiements. Nous pourrions donc mettre plusieurs années à en retrouver le niveau.   Tout ceci chargera encore un peu plus la barque du programme d’ajustement qui devra être mis en œuvre par le prochain Président de la République, quel qu’il soit, et qui est d’ores et déjà estimé à près de 80 milliards d’euros. Le nier serait mentir aux Français.    

2 – La dégradation de la France met en cause rétrospectivement la crédibilité de la politique économique et financière de l’actuelle majorité

La France perd aujourd’hui sa note « AAA » sur un constat peu contestable. A près de 3,2 % à la fin de l’année 2011, elle possède aujourd’hui le déficit structurel (c’est-à-dire avant tout effet de la croissance et des charges d’intérêts) le plus élevé des cinq principaux pays de l’Union européenne, Espagne mis à part (5,2 %). La France a en effet cumulé les erreurs depuis 2007 :  

– Première erreur : une stratégie de baisse fiscale maintenue malgré la crise, et conduisant à une explosion de ses déficits et de sa dette (62 % du PIB en 2007, 85 % en 2011, soit une augmentation de plus 40 % en 4 ans.). Il est en effet crucial de rappeler que, selon les estimations peu contestables de la Cour des Comptes, seul un tiers (entre 31 % et 36 %) des déficits actuels est dû à la crise, le reste renvoyant  à la responsabilité du Gouvernement et notamment aux allègements fiscaux consentis depuis 2007 et plus généralement 2002 : à législation fiscale constante, la dette publique serait de 20 à 25 points inférieure à ses niveaux actuels ! Les mesures fiscales injustes de Nicolas Sarkozy auront creusé le déficit, notamment le paquet fiscal qui aura coûté près de 75 milliards d’euros en cinq ans ;  

– Deuxième erreur : une politique de maîtrise des dépenses trop peu rigoureuse. Comme l’a encore démontré la Cour des Comptes, les efforts de rigueur sur la dépense publique sont restés très partiels. Loin de l’assainissement budgétaire annoncé, la situation des finances publiques n’a fait que se dégrader depuis le début du quinquennat.  

– Les dépenses de l’État telles que retracées dans les projets de loi de finances ont ainsi augmenté de 6,5 % de 2007 à 2011. Le déficit de l’État a plus que doublé, passant de 42 milliards d’euros en PLF 2007 à 92 milliards en PLF 2011. Le déficit public au sens du traité de Maastricht s’est sévèrement creusé, passant de 2,7 % à 6,2 % du PIB. La dette publique a explosé, passant de 63,8 % à 86,8 % du PIB  

– Les dépenses de personnel et de fonctionnement, qui ne sont pas liées à la crise et que la RGPP ambitionnait de contenir, ont également augmenté. Les dépenses de fonctionnement (titre 3 du budget de l’État) ont ainsi progressé de 45 % de 2007 à 2011 !   – Faut-il en déduire qu’il aurait fallu encore plus durcir la Révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en œuvre à partir de 2007 ? Non, car la RGPP a relevé d’une erreur fondamentale de méthode : imposée par le haut, plutôt que négociée avec les agents publics ; fondée sur des mesures et des normes quantitatives drastiques et ressentie comme un « plan social » au sein de l’Etat ; focalisée sur les seuls résultats immédiats sans être accompagnée d’une démarche de transformation et d’une explication réellement convaincante et surtout valorisante pour les fonctionnaires. Surtout, les dépenses d’intervention n’ont été que marginalement investiguées. Le périmètre de l’Etat, qui répond à un enjeu de choix collectif, n’a pas fait l’objet d’appréciation. Sans surprise, le « rendement » financier de la RGPP a été faible et n’a que très faiblement contribué à la réduction des déficits de l’Etat. Ses gains réels « nets » sont aujourd’hui probablement inférieurs à 5 Mds€ par an, loin des 15 Mds€ annuels affichés par Bercy.   

Le choix de multiplier les économies « de gestion » tout en laissant entière la question des réformes de structure des politiques publiques exposait depuis le départ le plan français à une double critique du point de vue de la crédibilité de la trajectoire et de la lisibilité de l’effort demandé aux citoyens  

– Troisième erreur : l’échec des principales réformes « structurelles » du quinquennat. Si la crise a pu masquer l’échec des principales réformes économiques et sociales du quinquennat, leur bilan réel n’en apparaît aujourd’hui qu’avec plus de force, à quatre mois de la prochaine Présidentielle. « Ensemble, tout est possible » avait promis le candidat en 2007 ? Très vite, ce slogan s’est délité sous le poids de réformes tantôt brouillonnes, tantôt incohérentes, très vite rattrapées par la réalité, comme le montre les échecs des réformes en matière d’emploi, de flexi-sécurité, d’éducation, et sur la protection sociale.  

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy se solde par un quadruple record dans l’histoire des finances publiques françaises affiché par le budget 2012 : 

Un record sur la dette publique, qui affichera l’an prochain un niveau sans précédent à 87,4 % du PIB, en hausse de plus de 5 points de la richesse nationale en 24 mois (elle s’était établie à 82,3 % du PIB en décembre 2010) ;

Un record sur la charge de la dette qui, selon le gouvernement, atteindra 48,8 milliards d’euros contre 45,4 milliards en 2011. Un poids sans précédent puisque, une fois retranché le coût des pensions des fonctionnaires, ce poste dépasse, pour la première fois, celui de l’Éducation nationale (45,5 milliards d’euros) ;

Un record sur le niveau des impôts, qui atteindra un nouveau record à 44,5 % du PIB, contre 43,4 % en 2007. Le précédent record remontait à 1999 (44,9 %). En 2012, la France se situera ainsi à la quatrième place au sein des pays de l’UE en matière de prélèvements obligatoires, derrière le Danemark, la Belgique et la Suède, et loin devant l’Allemagne (40 %) ou le Royaume-Uni (38 %) ;

– Enfin, un record sur la dépense publique qui atteindra 56 % de la richesse nationale l’an prochain ! Plaçant la France au premier rang de l’UE, à quasi parité avec le Danemark (57 %) et loin devant la Suède (51 %) ou l’Allemagne (44 %) !   De manière rétrospective, la dégradation souligne donc ce terrible bilan et plus globalement, la gestion d’une décennie qui aura vu passer la dette publique de 60 % du PIB (fin du gouvernement Jospin) à près de 90 %.  

3 – De manière prospective, la dégradation sanctionne le manque de crédibilité du programme d’ajustement promis par l’actuelle majorité pour réduire les déficits

Malgré l’approfondissement de la rigueur opéré successivement par l’annonce du plan anti-déficit en août 2011, par le projet de loi de finances (PLF) pour 2012 présenté le 28 septembre en Conseil des ministres puis par le nouveau durcissement opéré par le « Plan Fillon » en novembre, la dégradation montre que la stratégie d’ajustement n’est pas perçue comme suffisamment crédible pour maintenir la note AAA de notre pays.   Comment relancer l’effort de modernisation des administrations, passer des économies de gestion à des réformes de structure réelle de la dépense publique, seules à même de baisser durablement les besoins de financements des administrations publiques ? Comme réduire les déficits et maîtriser l’explosion de la dette sans détruire la croissance et l’emploi ? En ajoutant à la rigueur sur les dépenses un choc fiscal, en sacrifiant à nouveau les crédits de l’emploi, de l’Education nationale mais aussi une partie des budgets d’investissement de l’Etat et des collectivités locales, quel rebond espérer pour la croissance dans les prochains mois ?  

Ces questions sont laissées au débat de la prochaine présidentielle. Avec un taux de chômage proche de 10 % et un ratio dette/PIB qui sera passé de 60 % à presque 90 % en l’espace d’un quinquennat, le gouvernement aborde la prochaine élection présidentielle sans avoir su y répondre.

4 – Une décision lourde de conséquence sur le plan politique

  Ce qui est en cause au terme du mandat Sarkozy, c’est au fond la solvabilité de l’Etat français, c’est-à-dire sa capacité à investir pour l’avenir, à payer les fonctionnaires pour assurer la continuité des services publics  à organiser des transferts en faveur des plus démunis… La solvabilité de l’Etat, c’est ce qui protège les plus faibles. C’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. C’est aussi ce qui permet de préparer l’avenir de notre jeunesse.    

La dégradation de la note de la France sur les marchés remet également en cause le discours asséné par la majorité depuis près de 18 mois, qui a présenté le maintien de la crédibilité financière de notre pays sur la scène internationale comme la contrepartie du « plus d’impôt et de rigueur » mis en œuvre depuis un an et demi en France et accru depuis août dernier dans le cadre du programme « anti-déficit » du Gouvernement.   Dans le domaine fiscal, les prélèvements ont déjà augmenté d’une vingtaine de milliards d’euros cette année et augmenteront encore de 20 milliards supplémentaires en 2012, avant une dizaine de milliards de plus en 2013. 20+20+10 = 50. D’ici la fin de l’année 2013, la France subira avec 50 milliards d’euros de plus en 3 ans la hausse d’impôts la plus importante jamais enregistrée depuis la création de la Cinquième République.   Le Gouvernement avait jusqu’ici tenté d’occulter la réalité de ce choc fiscal considérable, en privilégiant la multiplication de nouvelles taxes ou mesures d’assiettes à la hausse générale des taux des grands impôts d’Etat, une première « ligne Maginot » qui s’est effondrée avec les hausses du dernier budget 2012 sur la TVA et l’impôt sur le revenu….  

La perte du triple A vient remettre en cause la seconde ligne de défense du Gouvernement : la nécessité de maintenir la notation de la France sur les marchés. Les Français se retrouvent donc aujourd’hui malheureusement confrontés à la fois à la hausse très importante des impôts, et à la dégradation de notre note sur les marchés. Sans plus de visibilité sur la manière de se sortir de ce piège de la dette, qui menace aujourd’hui son économie.  

La dégradation de la note de la France sur les marchés constitue à ce titre un événement politique majeur à quelques semaines de l’élection présidentielle.  

Le prochain Président de la République, quel qu’il soit, devra faire du redressement budgétaire de la France une priorité pour reconquérir notre souveraineté face aux marchés et reconstruire une République et un service public forts au service de l’avenir.

[1] La ministre du Budget, Valérie Pécresse, avait estimé pour sa part à la fin de l’été que « si on le perdait (le triple A), immédiatement on emprunterait plus cher, nos taux d’intérêt augmenteraient et ça nous coûterait à peu près 5 milliards d’euros par an. C’est le budget du ministère de la Justice… »

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