Retraites : au-delà des querelles théologiques, un choix politique

Retraites : au-delà des querelles théologiques, un choix politique
Publié le 27 janvier 2023
  • pseudonyme d’une chargée d’étude dans une caisse de retraite

Pour Sophie Bourin, les travaux du COR ont donné lieu à des conflits d’interprétation qui ne sont pas aussi insurmontables qu’ils en ont l’air : oui, le système va se trouver en déficit dans les années qui viennent, mais non, ce déficit n’est pas lié à une dérive des dépenses (il résulte plutôt d’un recul des ressources). Ces disputes masquent toutefois le choix politique sous-jacent à la présente réforme : selon l’autrice, il ne s’agit pas seulement pour le gouvernement de régler un problème comptable mais de le faire conformément aux principes de sa politique économique (réduire les déficits sans augmenter les prélèvements, et accroître la richesse nationale au détriment du repos et du loisir). Les effets sur le bien-être des Français en seront contrastés…

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La réforme des retraites est devenue l’objet d’un conflit social dont le règlement dépendra de l’évolution du rapport de forces entre d’une part le gouvernement et sa majorité politique et d’autre part les organisations syndicales de salariés et les partis politiques d’opposition. Sans prétendre parvenir à se placer en position de surplomb par rapport aux belligérants, cette note tente d’éclairer quelques questions autour de cette réforme. Elle souligne tout d’abord le caractère byzantin des querelles autour de l’interprétation du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) en tentant d’expliquer comment et pourquoi les deux camps peuvent tirer argument de ce rapport pour conforter leurs postions. Elle restitue ensuite à la réforme son caractère de choix politique. Elle tente enfin d’en esquisser un bilan élargi qui ne se borne pas à la question comptable du déficit du système de retraite mais essaie d’en apprécier les effets sur le bien-être des Français, effets d’ailleurs fortement différenciés.

1. Les querelles byzantines autour du rapport du COR

Le recul de l’âge de départ à la retraite est, pour ses promoteurs, nécessaire pour sauver notre système de retraite. Pour ses détracteurs, rien ne le justifie. Le débat s’engage souvent à partir d’exégèses contradictoires du rapport du COR, devenu le nouveau Talmud de la retraite. Les premiers soulignent que, malgré sa prolixité en hypothèses et conventions plus ou moins légitimes, les projections du rapport du COR font en tout état de cause apparaître des déficits qui justifient la réforme. Les seconds insistent sur le fait que ce rapport montre que le système est actuellement à l’équilibre et que les dépenses de retraites sont maîtrisées.

Ces deux courants exégétiques restent dans les limites de l’orthodoxie ; ils se réfèrent au même « livre sacré » : le rapport du COR. Toutefois certains hérésiarques contestent le texte consacré et l’accusent de pervertir le vrai message. Ils soutiennent que pour calculer le solde du systéme de retraite, le COR prend en compte indûment certaines ressources qui seraient de fait des subventions cachées. Le rapport du COR dissimulerait ainsi environ 30 Mds € de déficit. Ces hétérodoxes ont le mérite de montrer que le solde du système de retraite dépend de manière cruciale des ressources publiques que l’on veut bien lui affecter. S’il n’y a pas débat pour les cotisations directement prélevées pour le système de retraite, on peut bien sûr s’interroger sur les autres affectations d’impôts ou sur les contributions de l’Etat employeur. L’enjeu sur le fond est maigre : si l’on affecte formellement moins de ressources au système de retraite, son déficit est augmenté d’autant, mais le déficit global des finances publiques reste inchangé (les ressources auparavant affectées aux retraites permettent de réduire le déficit hors retraite). Le gouvernement, pourtant soucieux de justifier la réforme de l’âge de la retraite par le montant du déficit, n’a jamais repris à son compte les positions hétérodoxes. On le comprend aisément. Le COR ne fait que reprendre dans son rapport les types de ressources sur lesquelles il se base pour élaborer les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS). Par ailleurs, s’il acceptait de reconnaître que le déficit des retraites mérite d’être majoré de 30 Mds €, il lui faudrait proposer un report de l’âge, non à 64 ans, mais certainement à 70 ans.

Mais laissons de côté les hérétiques ; il reste que les orthodoxes aboutissent eux-mêmes, on l’a vu, à des conclusions dogmatiques différentes à partir du même texte : d’une part, le système est actuellement à l’équilibre et les dépenses ne dérapent pas ; d’autre part, le déficit va se creuser. En réalité, ces deux affirmations sont parfaitement conciliables dès lors que l’on considère que le déficit se creuse non pas du fait de la dynamique des dépenses mais du fait de l’évolution des recettes.

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Dans les rapports du COR, c’est essentiellement la part de la richesse nationale affectée aux retraites qui diminue et provoque le déficit. Il est vrai que cette diminution des ressources affectées aux retraites est elle-même quelque peu mystérieuse. Dès lors que le COR fonde des projections sur des taux de cotisation stabilisés, on s’attend, a priori, à ce que les recettes en proportion de la richesse nationale ne diminuent pas. Mais, et c’est la clef du mystère, la part des recettes diminue pourtant. On peut tenter, en déchiffrant le rapport du COR, d’entrer dans les arcanes de ce mystère même si cela suppose d’être passablement initié. Tout d’abord, comme il est prévu que demain il y aura moins d’enfants et de chômeurs, les ressources du système de retraite en provenance de la branche famille et de l’UNEDIC vont diminuer. Ensuite, les rémunérations des fonctionnaires des collectivités territoriales et des hôpitaux supportent des taux de cotisations particulièrement élevés (41%). Comme la part de ces rémunérations dans l’ensemble des rémunérations est appelée à diminuer, par un effet de structure, la part des ressources consacrées aux retraites diminue également. Enfin, les ressources consacrées par l’Etat employeur aux retraites de ses fonctionnaires ne sont pas déterminées par un taux de cotisation mais dépendent des dépenses (le régime des fonctionnaires est supposé être à l’équilibre en permanence). Or le ratio dépenses de retraite des fonctionnaires/PIB va diminuer, entraînant de ce fait une diminution des ressources du système de retraite.
Les deux courants exégétiques ont donc raison : les dépenses sont globalement stabilisées et pourtant le déficit va se creuser. Les bases seraient donc prêtes pour un élan œcuménique. Mais aucun des deux courants n’a intérêt à la réunification. Les adversaires de la réforme préfèrent relativiser l’importance du déficit plutôt que d’expliquer ses causes (il est vrai, on vient de le montrer, que l’exercice est particulièrement abscons). Les partisans de la réforme n’ont aucun intérêt à révéler que le déficit est principalement lié à la dynamique des ressources dès lors qu’ils excluent toute augmentation des prélèvements et n’envisagent d’agir que sur la dépense. L’exégèse en matière de retraite, comme elle le fut souvent en matière de religion, est une arme pour stigmatiser les erreurs de l’adversaire, elle ne vise pas à la réconciliation.

2. Nécessité comptable ou choix politique ?

Le caractère byzantin des querelles autour du rapport du COR suggère fortement que ce n’est pas à partir de ce rapport qu’il faut réfléchir à la pertinence d’un recul de l’âge de départ.

Tout d’abord, ce n’est pas parce que le système de retraite est à l’équilibre qu’il est correctement calibré ; le fait qu’il soit à l’équilibre signifie simplement que l’on a ajusté les ressources aux dépenses ou l’inverse. Il se trouve qu’en 2021, les dépenses et les ressources du système de retraite représentaient 13,8% du PIB et que le système était à l’équilibre. Or, même à l’équilibre, on peut légitimement considérer qu’un tel niveau de dépense oblige à des prélèvements trop élevés sur les actifs, pesant excessivement sur leurs possibilités de consommation et sur leur incitation à travailler et il faut alors accepter de réduire les prestations retraite (âge de départ, niveau des pensions). On peut tout aussi légitimement défendre qu’un tel niveau de dépense est insuffisant, qu’il faut améliorer la situation des retraités (niveau des pensions) ou des futurs retraités (âge de départ) et il faut alors accepter une augmentation des prélèvements sur les actifs. La question de l’équilibre n’épuise pas le débat sur les retraites ; même à l’équilibre, il serait légitime de s’interroger sur notre système de retraite et d’envisager éventuellement sa réforme.

Ainsi, un déséquilibre signifie simplement qu’il faudra soit ajuster les taux de cotisation (les actifs supportent alors la charge de l’ajustement), soit peser sur les prestations versées (les retraités assument la charge), soit reculer l’âge de la retraites (certains actifs, ceux contraints de repousser leur âge de la retraite, assument la charge). La comptabilité de l’équilibre ne dicte pas les choix : elle oblige simplement à en faire.

Le recul de l’âge de la retraite n’est donc pas une nécessité mais effectivement un choix politique parmi d’autres possibles. Présenter ce choix comme une nécessité, c’est poser, par principe, que le débat n’a pas lieu d’être. Si la politique ne consistait qu’à mettre en œuvre ce qui relève de la « nécessité », il serait temps de s’en remettre à un gouvernement d’experts, les mieux à même de repérer les « nécessités », et il ne serait sans doute pas opportun de les sélectionner par le suffrage universel.

Si le déficit tient principalement, comme on l’a vu, à une diminution des ressources affectées aux retraites, on pourrait penser a priori que cette baisse des ressources a vocation à être compensée par une augmentation des taux de cotisations ou par l’affectation de nouvelles ressources pour simplement maintenir le niveau actuel des prélèvements affectés aux retraites. Il ne s’agirait pas d’augmenter le niveau, en part de PIB, des prélèvements pour la retraite mais simplement de le stabliser. Mais le gouvernement ne peut souscrire à ce raisonnement tant il va à l’encontre de la politique générale des finances publiques qu’il entend conduire : réduire le déficit public sans augmenter, voire en diminuant, les prélèvements obligatoires ; ce qui, « nécessairement », exige de maîtriser les dépenses. Ainsi, il est logique que le gouvernement n’envisage pas de compenser par des recettes nouvelles la baisse des ressources affectées aux retraites. Ce qui est déterminant, c’est la politique générale des finances publiques du gouvernement et non la simple question des retraites.

Dès lors que le gouvernement a fait le choix d’ajuster la dépense aux ressources et non les ressources aux dépenses, deux choix restaient possibles : peser sur le niveau des pensions et faire supporter l’ajustement aux actuels retraités ; ou bien reculer l’âge de la retraite et faire peser l’ajustement sur les actifs contraints de repousser leur âge de départ à la retraite.

Le gouvernement privilégie la dernière solution et exonère les retraités actuels de toute contribution à l’effort. Or mettre à contribution les retraités actuels était bien la politique conduite lors du premier quinquennat du président Macron : la CSG sur les retraites a été augmentée en 2018 avec un transfert du produit de cette hausse pour augmenter le pouvoir d’achat des actifs ; toutes les pensions de base devaient être sous-indexées en 2019 et 2020.

Sous ce premier quinquennat, il semblait évident que les retraites étaient trop élevées par rapport aux rémunérations des actifs. Sous le second quinquennat, la perspective est radicalement différente : le niveau de vie des retraités doit, « quoi qu’il en coûte », être maintenu. Ainsi en 2022, le gouvernement a anticipé au 1er juillet 2022, la revalorisation des pensions qui ne devait avoir lieu qu’au 1er janvier 2023. Dans cette période d’inflation, les retraités seront ainsi mieux protégés que certains actifs contre les effets de la hausse des prix. Pourquoi ce changement radical de perspective ? On peut avancer deux hypothèses complémentaires : le gouvernement considère que la politique initiale a été sanctionnée par les électeurs concernés et qu’elle a alimenté notamment le mouvement des « gilets jaunes » ; la base sociale et politique du « macronisme » évolue, en gros, des jeunes actifs vers les retraités.

Ce changement de cap ne correspond pas aux recommandations du Comité de suivi des retraites qui dans son avis de 2020 soulignait : « C’est en premier lieu pour protéger cette population retraitée qu’on a consenti à la chute importante de l’activité économique, dont il faut gérer maintenant les conséquences. Il apparaît normal que les retraités participent à la restauration de l’équilibre, sans qu’il y ait lieu de limiter cet ajustement aux seules générations entrantes, ce qui n’aurait de toute manière que des effets très progressifs. »

A cet égard, l’argument des comparaisons internationales est souvent utilisé pour justifier un report de l’âge de la retraite. Il est vrai que la France est un des pays où les départs à la retraite sont les plus précoces et où la durée de retraite est la plus élevée. Mais cet argument pourrait également être mobilisé pour faire supporter l’ajustement aux retraités ; la France est aussi, avec l’Italie, le pays où le niveau de vie des personnes de plus de 65 ans, rapporté à celui de l’ensemble de la population, est le plus élevé. Il reste que l’argument des comparaisons internationales est, sur le fond, relativement faible : pourquoi tous les pays devraient-ils faire les mêmes choix sociaux ?

3. Esquisse d’un bilan élargi du report de l’âge

Après avoir évoqué les choix écartés, il convient de s’attarder sur l’option retenue par le gouvernement : reporter l’âge moyen de départ à la retraite par un recul de l’âge d’ouverture des droits (AOD) de 62 à 64 ans, couplé à une accélération de l’augmentation de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein (43 ans exigés dès la génération 1965 et non plus à partir de la génération 1973).

Pour apprécier ce choix, on ne s’en tiendra pas à une simple analyse comptable (effet sur le déficit retraite) mais à ses effets sur le bien-être de nos concitoyens car c’est à cette aune que doit se mesurer la pertinence d’un choix public. Les principaux éléments constitutifs du bien-être sont les satisfactions tirées du travail en lui-même (bien évidement très différentes selon l’emploi occupé : pour certains le travail n’apporte pas en lui-même des satisfactions mais des insatisfactions, voire de la souffrance), le revenu tiré du travail et les possibilités de consommation qu’il permet, le temps disponible hors travail et, enfin, la santé.

Pour ce qui est de la santé, les effets du passage à la retraite et donc d’un recul de l’âge général de départ sont controversés. Mais une étude récente montre que le report de l’âge pourrait se traduire par une détérioration de la santé notamment pour les personnes astreintes à des travaux exigeants sur le plan physique ou psychosocial. Une autre étude montre de plus que les personnes concernées par un report de l’âge de départ augmentent leur taux de recours aux arrêts maladies dès l’annonce de la réforme, avant même d’être effectivement concernées.

Si l’on s’en tient aux autres éléments du bien-être (travail, revenu, temps libre), le bilan synthétique est le suivant : cette réforme contraindra certains actifs à repousser leur âge de départ à la retraite ; l’augmentation de la population active qui en résultera se traduira par plus de production, plus de richesse, et elle aura pour contrepartie moins de temps libre.

A cet égard, il ne fait pas de doute que la réforme devrait se traduire par plus de PIB comme le proclament ses promoteurs, mais la contrepartie (moins de temps libre) est systématiquement ignorée.

Cette ignorance est légitime dans le cadre d’un discours qui promeut en soi la valeur travail et qui assimile le temps libre à de l’oisiveté. Elle est aussi légitime si l’on considère que travailler plus pour avoir un PIB plus élevé est un enjeu de grandeur et d’indépendance nationale pour la France. C’est en effet ce que suggère une déclaration du président Macron : « Nous ne pouvons pas être un pays qui veut son indépendance, la reconquête sociale économique et environnementale et être un des pays où l’on travaille le moins tout au long de la vie en Europe ». Mais cette ignorance est coupable si l’on s’en tient au bien-être des Français sans mobiliser de prétendues valeurs transcendantales (le travail, l’indépendance de la France) et si l’on se départit d’une attitude paternaliste (les Français sont enclins à la paresse et il est de la responsabilité de l’Etat de les pousser à travailler plus).

Mais le bilan synthétique de la réforme (plus de richesse, moins de temps libre) est réducteur car s’il en résume le principe actif, il ne rend pas compte de ses effets différenciés.

Pour ce qui est du surcroît de PIB produit par la réforme, une partie reviendra aux individus qui devront repousser leur départ à la retraite et pourront se maintenir dans l’emploi. Pendant la période où ils continueront à travailler, ils percevront un salaire supérieur à la retraite dont ils auraient bénéficié sans réforme ; ayant travaillé plus longtemps, ils percevront de meilleures retraites. On peut parler à cet égard d‘enrichissement individuel. Pour une autre part, ce surcroît de richesse reviendra à la collectivité (enrichissement collectif) à travers des dépenses sociales moindres (moins de dépenses retraites) et des recettes fiscales et sociales augmentées (cotisations et impôts sur les revenus du travail de ceux contraints à leur activité). Une part de cette richesse collective (celle liée aux moindres dépenses de retraite et à une augmentation des cotisations retraite) est clairement destinée à réduire le déficit retraite et donc le déficit public en général. Mais la réforme se traduira aussi par une augmentation d’autres recettes publiques : cotisations (maladie, chômage), CSG, impôt sur le revenu, TVA (plus de consommation de la part de ceux dont les revenus sont accrus). Il est toutefois impossible de déterminer quelle sera l’affectation de ce surplus de richesse collective (réduction du déficit public, dépenses supplémentaires et si oui quelles dépenses, baisse des taux prélèvements et si oui quels prélèvements…).

Même si l’incertitude sur l’affectation de cet enrichissement collectif interdit de prétendre dresser un bilan complet des gagnants et des perdants, on peut, si l’on s’en tient aux effets individuels, distinguer quatre groupes :

  • Les actifs contraints de travailler plus longtemps et en capacité de le faire, notamment parce qu’ils sont dans l’emploi aux âges élevés. Ces actifs sont a priori perdants : la perte de bien-être liée à la réduction de la période repos/loisir l’emporte sur le bien-être généré par leur enrichissement financier. En effet, si le gain financier avait compensé pour eux la perte de repos/loisir, ils auraient spontanément repoussé leur âge de départ sans qu’il soit besoin de les y contraindre par une réforme. Mais, au sein même de ce groupe, les effets seront fortement différenciés : devoir travailler plus n’a pas le même effet selon que l’emploi occupé est bien rémunéré et procure, en lui-même, diverses satisfactions sociales ou que cet emploi est modestement rétribué, « pénible » physiquement et peu gratifiant en termes d’estime de soi. L’effet d’un report de l’âge sur l’augmentation du niveau de pensions est aussi fortement différencié.
  • Les personnes éloignées de l’emploi aux âges élevés (chômage, invalidité, handicap, inactivité durable…). Pour eux, le recul de l’AOD se traduit par un allongement de la période de précarité, qui ne peut être assimilée à une période de repos/loisir, avant la retraite. Le recul de l’AOD se traduit de plus par un appauvrissement financier, car il repousse l’âge auquel ils pourront accéder à une pension de retraite, soit à une situation plus favorable (absence de revenus ou revenus de substitution faibles). Ils sont, eux aussi, a priori perdants au recul de l’AOD hors prise en compte de l’enrichissement collectif. En ne repoussant pas l’âge de l’AOD pour les invalides/inaptes, le gouvernement a toutefois très fortement réduit le champ des personnes concernées.
  • Les actifs qui ne seront pas contraints à travailler plus longtemps par le recul de l’AOD. Il s’agit de tous ceux qui, sans la réforme, auraient liquidé leur retraite après le nouvel âge de l’AOD. Pour l’essentiel, il s’agit de personnes qui n’auraient atteint le taux plein qu’après ce nouvel âge. A cet égard, il faut considérer deux catégories. D’une part, des personnes aux carrières hachées mais pour autant en capacité de travailler aux âges élevés et qui doivent attendre 67 ans pour accéder au taux plein : dès lors que l’âge d’annulation de la décote n’est pas relevé, ces personnes ne sont pas impactées. D’autre part, et c’est la majorité, des personnes entrées tardivement sur le marché du travail du fait de la prolongation de leurs études et qui malgré une carrière continue ne peuvent accéder aux taux plein qu’après 64 ans. La réforme est sans effet pour eux.
  • Les retraités enfin qui, par construction, ne sont pas concernés par le recul de l’AOD. La réforme est donc aussi neutre pour eux.

En conclusion, si l’on s’écarte des querelles byzantines sur le rapport du COR et si l’on ne réduit pas le report de l’âge à une question comptable, le bilan synthétique de la réforme est relativement simple : plus de travail, plus de richesse, moins de repos/loisir et plus de précarité, et éventuellement moins de santé pour certains. Il est donc normal que ceux qui considèrent que le propre d’un bonne politique est d’accroître la richesse, le PIB, soient spontanément favorables au recul de l’âge. Il est aussi normal que les personnes qui ont un rapport heureux au travail (leur emploi leur apporte des satisfactions indépendamment même du revenu qu’il leur procure) lui soient également favorables. L’opposition forte à la réforme dans l’opinion montre que beaucoup de Français valorisent aussi le fait d’être « libérés » du travail et de profiter d’un temps de repos/loisir. Cela n’empêche pas les premiers de considérer que ce n’est là que l’expression au mieux d’un aveuglement (ils ne savent pas ce qui est bon pour eux), au pire d’une tendance à l’oisiveté qu’il convient de corriger.

Ce bilan synthétique de la réforme ne doit pas occulter que ses effets sont fortement différenciés. Même si l’incertitude irréductible sur l’affectation la part de la richesse collective induite par la réforme ne permet d’aller jusqu’au bout d’un bilan gagnant /perdant, il semble d’une part qu’elle est protectrice pour les plus modestes (pas de recul de l’âge pour les invalides/inaptes, pas de recul de l’âge de 67 ans et donc de l’âge du taux plein pour les assurés à carrière incomplète) et favorable pour deux catégories : ceux entrés tard dans sur le marché du travail du fait de la prolongation de leur études et les retraités actuels. Le recul de l’AOD n’a aucun impact pour ces derniers à titre individuel et ils peuvent espérer bénéficier de la richesse collective produite par le surcroit de travail induit par la réforme.

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Sophie Bourin