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Revue de presse

« Terra Nova roule pour la légalisation » par Michel Henry

Constatant l’échec des politiques réprimant l’usage du cannabis, le think tank de gauche propose d’en autoriser la vente.
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Constatant l’échec des politiques réprimant l’usage du cannabis, le think tank de gauche propose d’en autoriser la vente.

Torpillé, le gouvernement ? Alors qu’il refuse tout débat sur le cannabis, deux scuds venant de ses troupes ou affiliés rendent sa position difficilement tenable. Fin novembre, une députée PS prônait une légalisation contrôlée (lire ci-contre). Vendredi, le groupe de réflexion Terra Nova, proche du PS, allait dans le même sens avec un rapport, dévoilé par le Monde, intitulé « Cannabis : réguler le marché pour sortir de l’impasse ». Il y met en pièces la politique actuelle, « l’une des pires qui se puisse imaginer », et construit des scénarios pour en sortir, notamment une légalisation avec monopole d’Etat qui pourrait avoir un impact budgétaire positif de 1,8 milliard d’euros. Scénarios critiquables, mais qui ont le mérite de parler de la réalité.

Photo Rick Wilking. Reuters

Le credo de ces économistes – Pierre Kopp (Panthéon-Sorbonne) et Christian Ben Lakhdar (université Lille-II), associés à Romain Perez (Terra Nova) ? « Mieux accompagner et contrôler la consommation de cannabis, en sortant ce marché de la clandestinité – permettant ainsi une maîtrise du nombre de consommateurs par les prix. » Et déployer « une véritable stratégie sanitaire », aspect « particulièrement critique pour les plus jeunes qui sont aujourd’hui les véritables victimes de l’absence de régulation du marché ».

Que propose Terra Nova ?

Les auteurs imaginent trois hypothèses. D’abord une simple dépénalisation de l’usage. Ce système, en vigueur au Portugal ou aux Pays-Bas, permet de réduire fortement le coût de la répression. Mais avec un effet pervers : une augmentation de consommation, qu’ils estiment à 16% du trafic et 12% du nombre d’usagers.

Deuxième voie : la légalisation « dans un cadre concurrentiel ». Il y aurait une baisse des prix à la vente et augmentation de consommation. Recettes fiscales estimées : 1,7 milliard.

Troisième voie, celle qu’ils privilégient : légalisation de la vente dans un monopole public. C’est le système que l’Uruguay devrait mettre en place en 2015. Mais, à la différence de Montevideo, les auteurs suggèrent d’augmenter les prix, pour contrôler la consommation. Ce système générerait 1,3 milliard d’euros de recettes fiscales annuelles. Avec un prix de vente augmenté de 40%, l’impact budgétaire, si on inclut la réduction des dépenses publiques liées à la répression, atteindrait 1,8 milliard d’euros, 2,1 milliards d’euros en cas de prix de vente inchangé. Ce scénario permettrait de créer 13 000 emplois pour le simple commerce (auxquels il faut ajouter les jobs dans la production).

Ces estimations sont à prendre avec des pincettes. Dans le système proposé par la députée PS Anne-Yvonne Le Dain, elles étaient beaucoup plus faibles : 120 millions d’euros par an de recettes fiscales. Pour le reste, les systèmes se recoupent : dans la proposition Le Dain, l’Etat peut, à travers une régie ou par l’octroi de licences, « encadrer la production en veillant à la qualité et à la teneur en THC [l’un des principes actifs, ndlr] du cannabis ainsi que la distribution, en limitant les quantités vendues grâce à un traçage individuel des consommations » et en interdisant la vente aux mineurs, pour lequel un suivi mesurerait l’impact sur la consommation, sachant que « les mesures de dépénalisation partielle adoptées par certains pays européens, parfois depuis longtemps (Portugal, Pays-Bas), ne mettent pas en évidence une hausse significative de la consommation ».

Les inconvénients de la légalisation

Si, comme Terra Nova le suggère, le prix imposé est plus élevé que sur le marché noir, celui-ci subsistera. Les auteurs suggèrent donc de légaliser à un prix proche du marché noir, pour l’assécher, puis d’augmenter progressivement. Mais rappelons que même aux Pays-Bas, où un marché officiel est toléré, environ la moitié des transactions se fait au marché noir. Et qu’autoriser la vente ne provoque pas forcément un rush : depuis quarante ans, tout adulte aux Pays-Bas peut acheter sa barrette au coffee-shop, il y a pourtant en proportion moins de consommateurs qu’en France. Cela dit, Terra Nova pense que ce système peut fonctionner, en combinant prévention accrue et hausse des prix, comme il a marché pour réduire le tabagisme.

Pourquoi le statu quo est intenable ?

Terra Nova n’a aucun doute : « La politique de répression est en échec en France », notamment « au regard de l’ampleur du trafic de cannabis, de la forte prévalence de son usage et du développement d’organisations criminelles liées à l’exploitation de ce produit ». Signe de l’échec ? 568 millions d’euros sont chaque année consacrés à la répression, dont 300 millions rien que pour les interpellations. Or la prohibition n’atteint pas son but : la part d’usagers en France est une des plus élevées d’Europe. 40% des ados de 17 ans ont testé le cannabis. La prévalence y atteint 8,4% chez les 15–64 ans, contre 4,5% en Allemagne, 7% aux Pays-Bas, 2,7% au Portugal, deux pays beaucoup plus tolérants.

Et cela même si, chaque année, le nombre de personnes interpellées en France augmente : plus de 150 000 en 2013, chiffre important mais qui n’a guère d’impact sur les 2,6 à 4 millions de consommateurs (selon les estimations). Du coup, rappelle Terra Nova, nombre de pays ont renoncé au « tout répressif », d’autres « ont même commencé à mettre sur pied de véritables filières du cannabis » comme certains Etats américains. En France ? Rien. Elle fait partie des cinq derniers pays de l’Union européenne qui considèrent l’usage comme une infraction pénale.

Que fait le gouvernement ?

Fin novembre, après le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques dénonçant une « réponse pénale illisible et disparate », Marisol Touraine, ministre de la Santé, avait commenté sur BFM : « Je ne suis pas favorable à ce qu’on mette ce débat sur la table aujourd’hui. Maintenons le droit tel qu’il est. Il ne me semble pas judicieux, comme message à envoyer, de dire qu’au fond le cannabis, ce n’est pas si grave que cela. » Si la droite avait une once de malice, elle déposerait une proposition de loi pour sanctionner l’usage d’une simple contravention. Le gouvernement serait alors bien embêté.

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