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Note

La Maison brûle, mais nous ne regardons plus ailleurs

A propos du Plan local d’urbanisme bioclimatique de la ville de Paris
Publié le 

Introduction

A Paris, d’ici peu, le mercure dépassera régulièrement les 50 degrés. Cette projection fait désormais partie des anticipations raisonnables, tant l’ensemble des scénarios s’accordent. D’ores et déjà, la réalité nous rappelle à l’ordre chaque été : Paris, comme de nombreuses métropoles dans le monde, voit et verra se multiplier les jours caniculaires et les nuits tropicales.

Face à cela, notre objectif est connu. Nous pourrions même aujourd’hui considérer qu’il est partagé : il faut bien sûr lutter contre le dérèglement climatique et réduisant nos émissions de GES mais aussi, sans délai, adapter Paris afin d’en limiter les conséquences sur ses habitants, ses infrastructures et ses paysages.

Pourtant, si cet objectif fait désormais consensus, la trajectoire à suivre continue de susciter la controverse. Et chacun sait que Paris est une ville qui génère et cultive les passions.

  • D’abord parce que qu’elle est historiquement et esthétiquement minérale. Façades en pierre, toits en zinc, rues pavées… cette signature architecturale de Paris devient, lorsque la température dépasse les 30 degrés, un étouffoir pour celles et ceux qui l’habitent et y vivent au quotidien.
  • Ensuite parce que les bâtiments de Paris sont le fruit de l’enchevêtrement de strates historiques. Le Paris médiéval, le Paris des bourgs et faubourgs, le Paris de Le Nôtre ou d’Haussmann, le Paris d’Eiffel et de l’époque des grandes expositions ou le Paris des années 1970… Comprendre Paris, c’est la comprendre dans sa diversité. Celle-ci nous impose de la finesse dans son traitement.
  • Enfin, parce que Paris possède un patrimoine culturel partagé auquel nous sommes toutes et tous attachés. Nos bâtiments, nos équipements publics, nos rues, notre mobilier urbain, nos squares, nos places, nos jardins, nos bois : vouloir les modifier, ne serait-ce parfois que très légèrement, pour les adapter à la contrainte climatique, peut déclencher des vagues de contestations.

Lorsqu’on tient compte de ces caractéristiques et de ces contraintes, la tentation est grande de renoncer à l’action. Nous le savons : faire bouger, transformer et modifier, c’est difficile. On aime souvent faire et refaire, à l’identique, comme autrefois. Ou refuser d’agir face aux difficultés.

Lorsque pointe la tentation de ce conservatisme, il faut cependant se rappeler l’essentiel : quelle ville souhaitons-nous laisser en héritage à nos enfants ? Souhaitons-nous leur proposer une ville devenue invivable, inadaptée et cloisonnée ?

Le Plan Local d’Urbanisme de la Ville de Paris est le premier plan post-Accord de Paris sur le climat mais aussi postpandémie. Il doit être un guide pour l’action.

 

1. Paris et ses dilemmes

Imaginez que vous vous promenez dans Paris. Dans un arrondissement du centre ou du nord-ouest, le 11e par exemple. A l’occasion d’une déambulation, au détour d’une petite rue, vous tombez sur une clôture en fer forgée à travers laquelle vous distinguez un bâtiment industriel. Vu sa forme et son emplacement, cela pourrait être un ancien atelier de textile, qui témoigne du passé ouvrier de Paris. Il se tient là, toujours fier malgré les éraflures de l’histoire. Objet d’une architecture singulière, une charpente métallique très caractéristique et une façade délicate faite de briques et de carreaux de verre se découvrent. Le bâtiment fait 3 étages, il est en arrière-plan et un petit espace végétalisé le sépare du front de rue. Il est encadré par deux immeubles haussmanniens de six étages chacun. Bien qu’il ait l’air abandonné, c’est un bien exceptionnel. Au-delà de sa valeur financière, cette parcelle est extrêmement précieuse dans une ville déjà quasiment entièrement construite. Le potentiel pour cet espace inutilisé est immense et plusieurs options se présentent. En voici quelques-unes :

  • Vous pouvez considérer que ce bâtiment, par son caractère architectural exceptionnel et patrimonial mérite d’être protégé, conservé et valorisé. Qu’il est le vestige d’une période-clé dans l’histoire de Paris et que le transformer endommagerait le paysage de la rue, constitué décennie après décennie, garant de l’identité parisienne ;
  • Il est aussi possible de voir cet espace libre comme une opportunité clé pour implanter un programme à caractère social : du logement, un centre d’hébergement, un service public ou un centre de santé dont l’arrondissement et la Ville manquent ;
  • Vous pourriez également considérer que bâtir un peu plus la ville serait contre-productif, que ce vieux bâtiment inutilisé devrait être détruit et que cette parcelle mériterait d’être transformée en espace de verdure, en réservoir de biodiversité ouvert sur le quartier et en ilôt de fraîcheur en prévision des prochaines canicules.

Ces perspectives d’évolution sont toutes légitimes, mais ne sont pas compatibles les unes avec les autres. Et ces différentes options s’inscrivent dans un contexte économique contraignant. Admettons que les propriétaires aient acquis cette parcelle de 250 m2 en 1983 alors que le foncier valait 1340 euros au m2 en euros courants (soit une valeur de 335 500 euros au total). Aujourd’hui, au prix du marché et en raison de la constructibilité potentielle de la parcelle, ce bien pourrait valoir plus de 12 millions d’euros. Les propriétaires seraient probablement incités à vendre au plus offrant – un acteur privé qui ferait tout son possible pour maximiser son profit en construisant un immeuble de logements privés ou, plus rémunérateur encore, des bureaux ou des meublés touristiques.

Un Plan Local d’Urbanisme (PLU) sert à encadrer et orienter les décisions publiques et privées qui transforment la ville. Les choix d’urbanisme sont locaux, mais ils s’inscrivent dans un système de contraintes et de besoins qui concernent, au-delà du voisinage, l’arrondissement, la Ville et la métropole. Et ces choix ne peuvent se faire qu’à partir d’un diagnostic fin du contexte parisien, d’une concertation large avec tous les acteurs impliqués et d’une volonté politique forte et affirmée.

Le Paris de 2050 est déjà-là

La ville est dense et déjà construite : 90% du Paris de 2050 est déjà-là. Il n’y a presque plus de grands espaces libres disponibles pour des projets urbains d’envergure. Il faut bâtir la ville sur la ville, et c’est un défi pour la puissance publique qui doit valider une multiplicité de micro-projets initiés par des acteurs privés tout en assurant une cohérence d’ensemble. C’est dans ce contexte que la politique urbaine de Paris doit organiser la lutte contre les deux crises majeures, environnementale et sociale, auxquelles sont confrontées les grandes villes.

D’abord la crise environnementale : changement climatique, effondrement de la biodiversité, pollutions… autant d’héritages d’un siècle de développement frénétique et irraisonné. La planète étouffe sous la menace des modes de production, de consommation et de vie que l’humanité lui impose. Les épisodes caniculaires de l’été dernier ont fait prendre conscience à chacun des dangers qui se profilent. Les premières actions menées par la ville de Paris datent du début des années 2000 et le Plan Climat de 2007 a tenu lieu d’acte fondateur. Cet enjeu est progressivement devenu un axe structurant à l’occasion de la signature, en 2015, des Accords de Paris et de la réunion à l’Hôtel de ville de 1000 maires qui ont lancé la politique climatique des villes.

L’urgence sociale est tout aussi importante. La fondation Abbé Pierre a, cette année encore, publié un rapport alarmant sur le mal-logement. A Paris, on a compté plus de 300.000 demandeurs de logements sociaux en 2021 en dépit de 120 000 logements sociaux produits depuis 2001. Ce sont des familles, des étudiants et des salariés à qui il faut permettre de continuer à résider au cœur de la ville. Chaque jour, les élus sont confrontés à des adultes et des enfants en situation d’immense détresse. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du statu quo.

Des solutions complexes pour un espace urbain complexe

On l’aura compris, aucune décision n’est simple à Paris. Du fait de sa densité d’usage, de construction, de son patrimoine. Du fait de la concentration d’intérêts économiques, politiques et sociaux. Du fait de son histoire immensément riche et des enjeux de son futur. Du fait de son caractère exceptionnel et de l’attention médiatique qu’elle génère. Paris est une ville vivante, une ville qui bouge et la multiplication des manifestations, activités et mobiliers présents sur la voirie pose de manière croissante la question des conflits d’usages mais aussi celle de l’entretien de l’espace public. Chaque décision en faveur d’un usage en affecte potentiellement un autre. Une illustration parfaite de cette complexité est la chaussée parisienne. Même sur les grands axes, dont la largeur est supérieure à 25 mètres, il faut arbitrer entre la taille du trottoir pour sécuriser les piétons et des voies circulées, d’éventuelles voies de bus et des aménagements cyclables. Dans la mesure où la chaussée n’est pas extensible, il est nécessaire de choisir et ici notre choix est clair : moins de voitures. Paris est devenue en quelques années une capitale du vélo reconnue dans le monde entier et c’est un exemple significatif de ce que peut réaliser la volonté politique.

Paris est dense et compacte. Pour l’immense majorité de la population, vivre à Paris c’est cohabiter dans une grande proximité, voire promiscuité avec ses voisins dans son immeuble, dans sa rue, dans son quartier. Vivre à Paris, c’est vivre ensemble, à 2 millions dans un peu plus de 100 km2. Les chiffres sont encore plus vertigineux lorsqu’on l’on intègre les visiteurs réguliers selon le concept « d’habitant/année » créé par une équipe de chercheurs distinguant dans un lieu les résidents (qui y logent) et les habitants qui y viennent chaque jour. Ainsi Paris compte 3,6 millions d’habitants pour seulement 2,1 millions de résidents avec des pointes spectaculaires mesurées à plus de 500 000 personnes au km² dans le quartier du centre Georges Pompidou.[1]

Cette densité est un atout pour répondre à la crise du mal-logement[2] mais aussi à la crise environnementale[3]. Elle permet de lutter contre l’étalement urbain, d’assurer une utilisation optimale des aménités publiques et de financer les services publics, les écoles mais aussi les espaces verts et donc les ilots de fraicheur et les réseaux écologiques tout en réduisant drastiquement l’empreinte « carbone » relative de chaque individu. Bien sûr, il faut savoir construire un modèle de densité désirable et se prémunir des nuisances qu’elle pourrait susciter.

A cet égard, l’opération Clichy Batignolles est un bon exemple. Elle a permis d’aménager d’anciennes friches ferroviaires pour en faire un nouveau quartier mixte avec des équipements tels que le Tribunal de grande instance autour d’un parc de 10 hectares, facilement accessible à vélo et desservi par le métro. Ce projet prouve que la densité peut être positive quand elle est bien pensée. Car c’est de cela qu’il s’agit : organiser et réfléchir la densité à l’échelle du territoire afin de la rendre vivable et acceptable pour tous. Cela passe par la qualité des espaces partagés (parcs, rues et mobiliers urbains…) mais également par la juste répartition des services et des contraintes dans la ville.

Enfin, notre réflexion ne peut pas être uniquement focalisée sur la Ville-centre. Paris est aussi le cœur d’une métropole de 131 communes d’une immense richesse. Cette zone dense contribue aux émissions de gaz à effet de serre. Risque de rupture dans l’approvisionnement alimentaire, augmentation des risques d’inondations, pics de chaleur de plus en plus extrêmes, aucun des enjeux fondamentaux des Parisiennes et des Parisiens ne peut être pensé dans les limites de la commune : logement, parcours résidentiel, mobilités, santé, emploi, tout est interdépendant et doit être pensé à l’échelle de la Métropole. Celle-ci doit donc être l’actrice principale de la transition. Il faut s’appuyer sur « l’avantage métropolitain » (en termes d’emplois, d’innovation, de recherche, etc.) pour assurer la transition écologique et la réponse aux grands enjeux en termes de logements et de mobilité.

 

2. Paris, une ville écologique et sociale

Comment peut-on concilier tous ces objectifs : partager et apaiser l’espace public, offrir à tous un logement décent, des espaces verts et des commerces de proximité ? La puissance publique doit d’abord réguler les intérêts privés particuliers, et intervenir pour fixer des limites et des objectifs. Il est en effet clair que l’autorégulation du marché ne permet ni de lutter contre le réchauffement climatique ni de proposer une offre de logements à destination des classes populaires et moyennes. La recherche de la cohésion sociale et les objectifs environnementaux doivent encadrer les initiatives du secteur privé.

L’écologie est politique

La cause du changement climatique ne réside pas simplement dans une « activité humaine » aussi large que floue, mais plus précisément dans un modèle économique de production qui ne tient pas compte des limites naturelles de la planète. Le dérèglement climatique est injuste socialement car les premières victimes en sont les plus fragiles. Cela est vrai à l’échelle globale[4] mais aussi à l’échelle de la Ville : les personnes les plus affectées par le réchauffement climatique sont souvent des personnes âgées, habitant dans des quartiers populaires, dans des logements qui n’ont connu aucune rénovation thermique.[5] La transformation de la Ville, et en priorité de ces quartiers populaires, est à la fois un enjeu climatique et un enjeu social : une question de justice climatique.

Les objectifs et les solutions pour réduire nos émissions de GES et atténuer les effets du changement climatique suscitent des affrontements politiques. Du techno-solutionnisme à la décroissance, un large éventail d’options se dessine. Or, derrière les to-do listes et les pages de prescriptions se cachent parfois des idéologies politiques. Certains écologistes se trouvent dans un paradoxe presqu’insoluble qui aboutit à opposer tragiquement « fin du monde » et « fin du mois ». Sous couvert de luttes écologistes, on assiste parfois à la constitution d’alliances baroques entre des militants verts et des conservateurs. Dans une récente note publiée dans la Grande Conversation de Terra Nova, Marion Waller se penche sur une typologie des postures politiques de l’écologie. Elle insiste notamment sur l’écolo-conservatisme, dont font preuve certains collectifs de riverains parisiens : « La nature devient une raison légitime pour s’opposer à la création de logements sociaux, à l’accueil de migrants ou à la transformation des territoires. Même si ces finalités ne sont pas explicitement défendues en principe, elles s’imposent dans les faits, au nom de l’écologie ».

D’autres encore prennent des positions qu’on pourrait qualifier de néo-malthusiennes et assument rechercher la baisse du nombre d’habitants à Paris. Mais pour réserver la ville à qui ? Uniquement à ceux qui en auront les moyens ? Il est évident que le marché immobilier explique pour partie les conservatismes : les primo-accédants à la propriété qui investissent dans l’immobilier parisien se trouvent, pour une grande partie, sous la pression des crédits à rembourser. Pour eux, tout projet qui viendrait dégrader le prix du m2 est une pénalité patrimoniale. Mais nous ne pouvons pas penser les enjeux écologiques et sociaux à la parcelle. La ville souhaitable n’est pas un ilot de fraicheur réservé aux plus aisés. Or, la seule manière de parvenir à une ville ouverte à tous, où chacun puisse continuer à vivre est de produire du logement à des prix maitrisés. Nous combattons l’immobilisme et le NIMBY[6], Paris ne peut pas être une ville figée. Et théoriser la décroissance de Paris comme une solution serait pire que le mal, elle impliquerait un processus de ségrégation accéléré et irréversible. L’entre-soi deviendrait la norme, Paris ne s’en relèverait pas.

 

3. La Ville se transforme depuis 20 ans : quelques constats

Qu’est-ce que Paris en 2023 ? Il est essentiel d’adopter une perspective historique et de se rappeler que la jeune génération de Parisiennes et de Parisiens aura connu de profonds changements depuis le début des années 2000. Ce sont les vélib’, les quais de Seine sans voiture, les pistes cyclables, l’ouverture des pelouses, la transformation de ronds-points en des lieux de vie comme sur la place de la Nation, les terrasses des cafés, l’espace public au service de la culture et de la fête avec la Nuit Blanche, la renaissance de la vie nocturne. Tout cela parait acquis aujourd’hui, mais il faut rappeler que tous ces progrès ont été arrachés au prix de rudes combats politiques – et parfois juridiques. Paris en 2023, c’est une ville de proximité pour toutes et tous, qui respire mieux et qui se projette dans l’avenir.

Une ville qui respire

Le patrimoine végétal parisien est le fruit non seulement d’une longue histoire urbaine mais également d’un réel effort politique récent. Les habitants ont vu une hausse de 20% des surfaces végétalisées entre 2001 et 2021. Après une période d’abattage des arbres d’alignement pour l’élargissement des voies de circulation au cours des années 1960 et 1970, Paris retrouve un patrimoine arboré équivalent, en nombre, aux legs d’Haussmann. Par un travail de plantation sur les grands axes, par la réouverture de portions de petite ceinture transformées en parcs, par la désimperméabilisation d’espaces bitumés, nous portons la vision d’une ville qui redonne toute sa place à la nature. Cette « ville nature » a été gagnée sur la « ville voiture ». Pour elle, le patrimoine végétal compte autant que le patrimoine bâti. La qualité de vie était affectée par des nuisances sonores et environnementales ainsi que par la réduction de la place laissée aux piétons dans l’espace public. Depuis le début des années 2000, plusieurs centaines de millions d’euros ont été investis pour marquer le territoire avec des aménagements visibles et contraignants pour les automobilistes : le déploiement de potelets pour empêcher les véhicules de stationner sur le trottoir, le tramway des Maréchaux, la fermeture des berges à la circulation, la réduction du nombre de places de stationnement en surface… Nous affirmons ainsi un meilleur partage de l’espace public pour tous : après les espaces sanctuarisés de manière temporaire comme Paris Respire et Paris Plage, nous créons des espaces pérennes. Un des exemples les plus significatifs de cette révolution est la création de plus d’une centaine de rues aux écoles : des rues fermées à la circulation, transformées et végétalisées pour offrir un espace de vie aux enfants, à leurs parents et aux habitants du quartier. Mais le chantier de végétalisation et d’apaisement de l’espace public est un projet au long cours qui est loin d’être terminé. La diminution du nombre de véhicules thermiques et la réduction de l’encombrement de la voie publique par la voiture doit se poursuivre et les espaces publics ainsi libérés doivent être plus généreux et qualitatifs pour tous. La renaturation et la protection de la biodiversité dans la ville doivent se poursuivre avec conviction car elles contribuent au bien-être des Parisiennes et des Parisiens tout en réduisant les impacts du changement climatique.

L’atteinte du taux SRU : une ville pour tous

L’objectif des 25% de logement sociaux sera atteint en 2025. Si cette phrase est courte à écrire, il faut mesurer les immenses efforts qui ont été consentis pour la rendre crédible. En 2001, Paris n’en comptait que 13%. Cette hausse spectaculaire a été rendue possible par des investissements massifs, des exigences importantes sur la qualité environnementale et architecturale et des études approfondies pour déceler les opportunités. Cela représente un effort financier de près de 3,5 milliards d’euros en un peu plus de 20 ans (effort financier à relativiser quand on le compare à la valeur de marché de près de 10 milliards d’euros de ces mêmes logements liés à des tarifs de production encadrés et à un accès peu onéreux au financement par voie d’émissions obligataires). Par ailleurs, la construc­tion de ces logements s’est inscrite dans une stratégie plus large de rééquilibrage territorial afin que le rattrapage concerne chaque arrondissement.

Il y a 20 ans, la politique du logement a été marquée par un im­mense effort de lutte contre l’insalubrité : 1 013 immeubles insalubres avaient été identifiés, pour la plupart propriétés de la Ville de Paris. Auparavant, une politique du laisser-faire consistait à attendre que les habitants s’en aillent d’eux-mêmes face à la dégradation des conditions de vie. C’est à ce moment qu’ont été mises en place de manière systématique des consultations pour travailler avec les riverains et tous les acteurs des projets urbains : bailleurs, aménageurs et services de la Ville. Le combat contre l’insalubrité a permis d’intégrer des logiques de travail avec toutes les parties prenantes, en déployant des projets de développement local. Ici encore, c’est une affaire de temps long.

Le développement de la ville du quart d’heure : la proximité comme horizon politique

Avant ces vingt années de transformation, Paris était surnommée la « Belle Endormie » : une « ville musée ». Dans les années 1990, l’attention portait avant tout sur la protection du patrimoine d’un Paris figé. De nombreux espaces étaient laissés à l’abandon, y compris dans des quartiers denses de l’Ouest parisien. Face à ces potentiels inexploités, nous avons lancé dans un premier temps une dynamique de projets d’aménagement. Ces projets cherchaient à concilier patrimoine et nouvelles formes urbaines et à introduire de la mixité fonctionnelle et de la mixité sociale en combinant bureaux, logements abordables, commerces services publics, pour promouvoir une ville de la proximité. Dans les années 1990, les projets urbains étaient fondés sur une spécialisation des fonctions, immeubles de bureaux d’un côté, logements de l’autre.

Paris présente aujourd’hui une forte concentration d’équipements, d’aménités et d’espaces publics de qualité. C’est à l’accès facile et rapide à ces services que tient la qualité de la vie urbaine. La proximité est une réalité lorsqu’il est possible de trouver les services nécessaires à la vie quotidienne autour de chez soi et sur ses parcours quotidiens. Le rôle joué par la qualité de l’espace public est essentiel : les cheminements piétons doivent être plus agréables, pour favoriser la vie de quartier et donc l’activité économique locale. Au-delà d’une attention accrue à la qualité des espaces publics, on s’attache de plus en plus à penser aux usages dont ils seront le support. Toutefois, la proximité n’est pas uni­forme et des disparités subsistent, dues à l’éloignement des espaces verts, à l’absence de commerces locaux ou d’artisanat, du fait notamment de la pression foncière. Le travail de rééquilibrage des quartiers n’est pas encore achevé.

La construction plus vertueuse de la Ville

Dans une ville dense, la plupart des projets d’architecture et d’urbanisme concernent la transformation de bâtiments existants. Ainsi, la ville ne cesse de se construire sur elle-même, de se réinventer. Il ne s’agit pas d’arrêter de construire, mais bien de construire autrement : réhabiliter plutôt que démolir pour reconstruire, réemployer les matériaux autant que possible, privilégier des matériaux de qualité, géosourcés et biosourcés, produire une architecture soignée, contextuelle et environnementale, concevoir des ouvrages plus flexibles avec des bâtiments réversibles, contribuer aux nouvelles techniques de construction. Respecter l’existant est la clé d’un Paris résilient et efficace. Paris est unique par l’assemblage d’identités multiples qui font sa richesse. La grande diversité de ses quartiers est le résultat de son histoire. Qu’il soit haussmannien, faubourien, industriel ou moderne, le bâti parisien constitue l’identité visuelle et le paysage de la ville. La préservation du patrimoine et l’exigence environnementale se conjuguent pour conserver la mémoire d’un lieu, et agir en sobriété. Faire vivre ce patrimoine implique donc de le transformer en conjuguant utilité sociale et soutenabilité environnementale.

Récemment, une exposition au Pavillon de l’Arsenal intitulée Conserver, Adapter, Transmettre a présenté une cinquantaine de projets de transformation du patrimoine parisien développés au cours de ces deux dernières années, qui préfigurent le futur Plan Local d’Urbanisme bioclimatique. Cette palette de projets porte sur des bâtiments datant du 17e au 20e siècle. Ils reflètent la diversité de nos situations urbaines accompagnées de leurs contraintes, et démontrent la souplesse et la capacité d’adaptation du patrimoine parisien, dès lors que l’on s’emploie à tenir compte des particularités de chaque parcelle. Ces projets font la démonstration qu’il est possible d’allier défense du patrimoine, qualité de vie et performance environnementale. Ils illustrent des façons de recoudre la ville sur la ville dans une démarche de sobriété et de qualité architecturale. Les réponses sont variées avec des projets singuliers et iconiques, mais qui participent pour autant à la cohésion urbaine. Les exemples présentés mettent en valeur une méthode : la co-conception de la ville. Dès la phase amont, chacun de ces projets a été le fruit d’un dialogue rigoureux entre les concepteurs, la Ville de Paris et les riverains.

Cette exigence environnementale, sociale et patrimoniale pour les projets menés par la Ville est le fruit d’un long travail qui n’est pas terminé. La révision du Plan Local d’Urbanisme que nous avons engagé s’est fixé pour objectif de transformer ces exigences en règles applicables à tous les projets.

 

4. Qu’est-ce qu’un PLU bioclimatique ?

Le nouveau plan local d’urbanisme est la transcription dans le droit d’une vision pour Paris, fondée sur les Accords de Paris sur le climat.

Cette révision a été engagée, autour de principes fondamentaux : 

  • Déminéraliser la ville ;
  • Créer des parcs, jardins et espaces publics de qualité en plus grand nombre ;
  • Maintenir le cap de la mixité sociale, en rapprochant habitations et emplois pour plus de sobriété, tout en luttant contre la spéculation et les dérives du marché.

Que signifie le terme « bioclimatique » qui caractérise ce nouveau PLU ? Il indique que les nouvelles règles prennent en compte l’influence du climat sur les organismes vivants et appréhendent la ville comme un écosystème vivant.

Pour cela, plusieurs dispositions se retrouvent dans le nouveau PLU bioclimatique :

  • En premier lieu, la végétalisation de la ville. Il faut laisser une place plus grande à la nature et à la biodiversité dans notre environnement quotidien. La faune et la flore ne sont pas les ennemies de la ville. Ce sont au contraire des atouts essentiels pour notre bien-être et notre santé. Et c’est une condition du rafraîchissement de la ville.

Le plan prévoit, entre les jardins ouverts au public programmés, la débitumisation des cours d’immeubles et des parkings et la protection des espaces verts existants, plus de 300 hectares d’espaces verts créés et protégés pour le futur. La nature en ville est au cœur de l’adaptation de Paris au changement climatique.

  • Pour autant il n’est pas question de séparer l’enjeu écologique de l’enjeu social. L’accès à un logement de qualité pour tous, et donc la création de logements, sont compatibles avec les enjeux écologiques.

Les grandes villes sont confrontées à la spéculation immobilière. Le développement incontrôlé des meublés touristiques aggrave la situation. Seule une intervention politique forte peut inverser un processus qui chassent les plus pauvres de la ville. Nous avons donc fait le choix d’augmenter le nombre de logements abordables de la capitale. Ce choix est destiné à protéger et défendre le droit au logement des familles, des jeunes actifs, des étudiants, des retraités et des plus modestes.

Pour défendre la mixité et la proximité, il faut aussi protéger les commerces locaux, les activités artisanales, les services publics de proximité. Pour cela, le nouveau PLU crée plus d’une centaine de nouveaux linéaires de protection pour les commerces de proximité et notamment pour les commerces culturels tels que les galeries, les librairies, et les disquaires.

Rééquilibrer emplois et bureaux dans le Grand Paris

La situation actuelle de la répartition des emplois et des surfaces de bureaux entre Paris et la métropole du Grand Paris révèle un déséquilibre criant qui mérite l’attention. La métropole du Grand Paris compte 40 millions de m² de bureau, dont 50% se trouvent dans la ville-centre.

Plus encore, la densité d’emploi dans la capitale, avec deux emplois pour chaque résident, contraste fortement avec les 56 % du territoire métropolitain qui ne comptent que 0,8 emploi pour un résident. Cette concentration des activités n’est pas soutenable.

Ce déséquilibre crée une pression sur notre ville en termes de spéculation et engendre un appauvrissement économique des territoires périphériques de la Métropole. Paris doit contribuer au rééquilibrage économique de la Métropole en limitant la concentration de bureaux à l’ouest de la ville. Cette politique passe par la réduction des déséquilibres est/ouest entre habitat et emploi, à l’échelle de la métropole. Dans les années 1970, le quartier monofonctionnel, entièrement consacré à l’immobilier de bureaux, était la norme, que l’on songe à La Défense par exemple. Aujourd’hui, ce modèle est obsolète, la nouvelle valeur de l’immobilier est dans la mixité et l’adaptabilité, les quartiers qui se vident complétement à 18h ou à 19h n’ont pas leur place dans la ville du XXIe siècle.

Réguler le marché de l’immobilier est indispensable dans une ville comme Paris. Le marché ne produit spontanément ni la mixité sociale, ni la mixité fonctionnelle, alors même que cette double mixité accroît la valeur des biens et améliorent la qualité de vie des habitants. Le Plan Local d’Urbanisme bioclimatique s’est donc fixé pour objectif majeur de promouvoir la production de logements à Paris, avec une attention particulière pour les logements sociaux et abordables, avec pour objectif 40% de logements publics d’ici 2035.

Le PLU est en cours de concertation. Il doit être dans les réalités du terrain, adapté aux spécificités de chaque situation. En amont de son élaboration, nous avons initié une vaste concertation publique. La Ville a ainsi présenté une première liste de biens concernés par le pastillage « logement social », en septembre 2022. C’était une initiative inédite visant à donner à toutes les parties prenantes une occasion de s’exprimer, d’évaluer et de questionner notre approche. Nous avons accueilli avec une grande attention les réactions que cela a suscité, examinant techniquement chaque contestation reçue. Et ce n’est pas la fin de notre engagement à travailler en collaboration. Nous allons prolonger ce dialogue constructif durant la phase d’enquête publique qui va s’ouvrir prochainement. Notre objectif est clair : agir concrètement et rapidement pour le logement à Paris.

Protéger et construire

Ce PLU encourage une réhabilitation durable du bâti existant, une densification mesurée, tout en préservant l’essence même du patrimoine parisien.

Les protections patrimoniales sont augmentées de manière significative (800 supplémentaires). Un accent particulier est mis sur la préservation du patrimoine moderne et industriel. Un nouvel outil est créé : le Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP) pour la protection des sites patrimoniaux remarquables, comme la Butte Montmartre, ou le Faubourg Saint-Antoine pour la protection de ses cours industrielles.

La protection ne suffit pas. Il faut aller de l’avant pour répondre aux défis de la transition écologique. En faisant de la réhabilitation la norme, le PLU limite l’impact environnemental des travaux.

Concernant la densité des constructions, notre approche tient compte des réalités. Paris est une ville dense, et même très dense dans certains quartiers. Cette densité fait sa force et son attractivité, et facilite sa transition écologique. Il est cependant clair que nous devons produire la grande majorité des futurs logements dans le bâti existant.

L’étude d’impact de l’APUR sur les effets de ce futur PLU le démontre : la majorité de notre production de logement pour les 15 prochaines années passera par la transformation de l’existant (soit plus d’un million de m²), et particulièrement par la transformation de bureaux en logements.

Nous favorisons aussi la surélévation respectueuse du patrimoine. Et par un dispositif inédit, celle-ci permettra non seulement de créer de nouveaux logements, mais également de libérer de l’espace au sol pour la végétalisation.

Protéger le commerce et maîtriser le tourisme

Le commerce parisien est confronté à la révolution du e-commerce, de la livraison à domicile, des dark stores, et même de la transformation des commerces de pied d’immeubles en Airbnb. Le surtourisme pose un problème de cohabitation entre Parisiens et touristes, d’impact carbone de l’activité touristique, et de raréfaction des logements pour les habitants par leur transformation en hébergements touristiques. Dans certains quartiers, les magasins pour touristes chassent les commerces de proximité, au risque d’altérer le tissu social et économique. Là-aussi la régulation est indispensable.

Nous avons pris la décision d’interdire l’hébergement touristique dans les quartiers centraux de la capitale et à Montmartre qui en comptent déjà trop et qui subissent les effets néfastes du surtourisme. C’est une mesure nécessaire pour que les habitants ne soient pas chassés et que ces quartiers restent des lieux de vie et ne se transforment pas en Disneyland. Et pour préserver les commerces de proximité, qui sont essentiels à la diversité et la richesse de la ville, le PLU instaure une protection stricte de 350 km de linéaires commerciaux, représentant 51% de l’ensemble des commerces parisiens. C’est la condition d’une économie locale dynamique.

Ce PLU est aussi celui de la régulation du numérique et de la lutte contre les dérives de l’économie de plateforme. Celle-ci permet la mutualisation et le partage mais aussi le monopole et la privatisation de l’espace public. Elle peut fragiliser les droits sociaux et déstabiliser les acteurs économiques traditionnels. La ville du quart d’heure n’existe qu’avec un commerce de proximité et un artisanat dynamique. Dans un cadre réglementaire clair et avec des incitations à agir positivement, les acteurs privés peuvent adhérer à ces objectifs de transformation de la Ville. Nous voulons mobiliser toutes les parties prenantes et conjuguer les forces des secteurs public et privé.

Les mutations urbaines sont rapides, ce Plan Local d’Urbanisme devra être mis à jour, évalué, adapté, en permanence pour répondre aux défis d’un monde en constante évolution. C’est pourquoi nous allons mettre en place un dispositif de suivi et d’ajustement continu du Plan Local d’Urbanisme. Un dispositif qui permettra de prendre en compte les évolutions du contexte, d’identifier les succès et les échecs, d’ajuster les actions en conséquence. Ce Plan ne doit pas être figé, il doit être une matrice vivante, en évolution permanente, capable de se renouveler et de s’adapter.

Ce plan s’inscrit dans la vision d’une cité en mouvement, qui s’adapte, innove, et reste vivant. Une vision qui fait de Paris une ville désirable, non seulement pour sa beauté et son histoire, mais aussi pour sa qualité de vie, son respect de l’environnement et son sens de la solidarité.

 


[1] Jean Coldefy, Jacques Lévy et al.; Who Lives Where? Counting, Locating, and Observing France’s Real Inhabitants; Science Advances 2023). Voir la version publiée en français sur le site de La Grande Conversation : Jacques Lévy, « La France enfin habitée », https://www.lagrandeconversation.com/societe/la-france-enfin-habitee/

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/16/ian-brossat-comment-repondre-au-besoin-fondamental-de-se-loger-dignement-s-il-n-est-plus-possible-de-construire-en-ville_6063597_3232.html

[3] IPCC AR6, chapitre 8

[4] https://www.un.org/fr/chronicle/article/une-catastrophe-pour-les-pauvres-le-changement-climatique-menace-les-gains-du-developpement-acquis

[5] https://www.lecese.fr/travaux-publies/la-justice-climatique-enjeux-et-perspectives-pour-la-france

[6] Acronyme de Not In My Back Yard, pas dans mon arrière-cour, qui exprime le refus de toute construction nouvelle à proximité de chez soi.

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