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Note

Logement : priorité aux résidents permanents ?

Dans de nombreuses zones sur le territoire national, les élus locaux sont confrontés à des demandes d’habitants de privilégier l’accès au parc locatif privé et social ou l’accession à la propriété aux résidents locaux, voire de le leur réserver. Cette revendication de plus en plus bruyante témoigne des tensions du marché du logement, au-delà des centres urbains, dans des zones où la rivalité des usages, avec les locations touristiques, les déménagements post-Covid ou l’attrait des résidences secondaires notamment, est forte. Quand le logement social est insuffisant pour répondre à l’aspiration résidentielle, la puissance publique dispose-t-elle d’autres moyens que de produire des logements sociaux pour répondre à ces demandes ?

Publié le 

Introduction

L’accès au logement dans les zones tendues fait l’objet de nouvelles interrogations depuis la crise sanitaire et les confinements. Sans remettre complètement en cause les tendances antérieures ni les équilibres généraux entre zones de forte demande de logement et les autres sur le territoire, les aspirations des ménages urbains à habiter des logements plus vastes et à l’écart des plus fortes densités (« desserrement ») peut modifier localement des équilibres déjà fragiles entre offre et demande de logements. Ainsi, des territoires littoraux comme le Pays Basque, le Grand Ouest ou des stations de montagne connaissent une aggravation de la pénurie de logement qu’il s’agisse du parc locatif privé accessible notamment aux jeunes actifs ou aux jeunes ménages en voie d’installation, ou du parc en accession à la propriété du fait du développement des locations meublées réservées au tourisme et de l’achat de résidences secondaires.

Ce type de tensions locales, qui ne constituent pas en elles-mêmes une nouveauté, dépasse les cas bien connus des centres des grandes métropoles dynamiques et touche désormais des territoires qui ne se considéraient pas concernés jusqu’à présent, ou qui pensaient ne l’être que marginalement, et dont les politiques de logement se trouvent débordées par la relative accélération du phénomène. Même si l’on a raison de laisser à distance l’image simplifiée d’un « exode urbain massif » qui a pu prévaloir dans certaines représentations médiatiques post-covid (en spéculant sur les effets du développement du télétravail et le malaise ressenti lors des confinements), il n’en reste pas moins que sur des marchés déjà soumis à des tensions de la demande, une progression, même marginale, de la demande produit des effets significatifs, visibles pour tous à une échelle locale, et qui amplifient parfois un malaise préexistant. La mobilité résidentielle post-covid n’est pas un « mythe »[1] mais un phénomène de « petits flux, grands effets »[2]. Les habitants « de longue date » craignent d’être évincés par des nouveaux venus plus riches qu’eux.  Leurs réactions, jusqu’alors dispersées et cantonnées à chacun des territoires concernés, tendent à se fédérer au plan national.

Des élus locaux se trouvent de ce fait localement sous la pression de leurs administrés qui s’inquiètent pour leurs enfants entrant dans la vie active, et sous la pression des employeurs qui ont du mal à recruter des saisonniers ou même des salariés à l’année. Dans une période de forte augmentation des prix de l’énergie, le fait de ne pas pouvoir se loger « sur place », près de son lieu de travail, et d’être contraint à d’importants déplacements journaliers devient une source d’inquiétude difficile à ignorer. Des habitants qui ont le sentiment d’être chassés de chez eux par des urbains au fort pouvoir d’achat, et qui restent animés par le rêve du petit propriétaire, se mobilisent localement pour défendre les résidents locaux à travers un « statut de résident » ouvrant aux seules personnes vivant sur place le droit de postuler à l’achat d’un logement[3]. Traditionnel en Corse ou dans certaines stations touristiques, ce type de réactions devient très vif en Bretagne ou au Pays Basque. Même si le droit de l’urbanisme donne clairement aux élus la possibilité de résister à ces demandes, le contre-argumentaire politique n’est pas si aisé à construire dans un contexte où le « local d’abord » se décline en différentes tonalités politiques. Quelle est la nature exacte du malaise qui s’exprime ? Que dit-elle des politiques locales de logement ? Quel type de réponses faut-il y apporter ?  

1. Nouvelles tensions sur le marché du logement

1.1. Le logement dans les régions touristiques, l’exclusion par les prix

Les politiques du logement, lato sensu, ont pour principal objet de permettre à la population de se loger dans des conditions de confort satisfaisantes et au prix d’un effort financier compatible avec leurs moyens. La première qualité des logements tient à leur localisation, tant pour la personne que pour la collectivité. La localisation est au cœur des inégalités perçues, tant elle se trouve au centre des aspirations des ménages et des enjeux économiques, urbanistiques et sociaux : inégalités en termes de CSP, d’âge, de composition familiale, de professions ou même de type d’usage du logement.

Puisqu’il concerne un bien non-reproductible quant à sa localisation, le marché du logement répond, à la vente comme à la location, à une logique d’enchères, c’est-à-dire d’allocation par les prix. Le prix des logements existants obéit au jeu de l’offre et de la demande, celui des logements neufs se détermine en fonction de celui de l’existant, le prix du foncier jouant le rôle de variable d’ajustement, à tout le moins dans les zones tendues, là où la concurrence exclut les candidats les moins bien dotés. La collectivité peut intervenir hors-marché pour instituer un autre mode d’allocation des ressources et c’est ce qu’elle fait essentiellement grâce au parc locatif social ou, de façon plus marginale, avec le parc des logements dont l’attribution obéit à une autre logique que celle de l’enchère. Il en est ainsi de différents types d’accession à prix maîtrisés lorsque les collectivités locales mettent à disposition du foncier dans des conditions préférentielles à certains accédants choisis soit par tirage au sort, soit par des commissions d’attribution ad hoc aux règles plus ou moins transparentes. Existe-t-il, au-delà de ces moyens d’action, d’autres initiatives que pourraient prendre les autorités locales pour répondre à la demande locale de logement ? Le logement social ne peut répondre à la totalité de la demande locative et encore moins au souhait, majoritaire dans la population, d’accéder à la propriété. Comment, dans le cadre du marché, peser sur l’allocation des ressources d’un bien qui est aussi le principal élément du patrimoine des ménages ?

Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les prix se sont accrus de façon beaucoup plus importante que les loyers. Entre 2015 et 2022, les prix ont augmenté de 28,5 % en zone A, de 39 % en zone B1, de 35,2 % en zone B2 et de 31, 4 % en zone C. Sur la même période (2015–2021), les loyers du parc privé n’augmentaient que de 8,3 % à Paris et de 4,3 % en Haute-Loire[4]. Facteur aggravant, des conflits d’usage du logement se développent, dans les grandes villes les plus attractives mais aussi dans des zones moins denses mais présentant un attrait touristique particulier ou une localisation frontalière, entre domicile principal, résidence secondaire et placement de non-résidents (par exemple des résidents étrangers qui acquièrent de l’immobilier en France). Ce phénomène prend une importance croissante avec la mondialisation qui tend à élargir le cercle des acquéreurs potentiels. Malgré les bénéfices qu’en retirent les acteurs de l’économie locale, y compris les propriétaires immobiliers et les collectivités qui voient augmenter la valeur des biens et du foncier, ces pressions accrues sur le parc de logements sont souvent très mal vécues par les habitants. Elles ont de nombreuses conséquences : sur-augmentation locale des prix et des loyers, ségrégation socio-spatiale voire migrations des populations les plus fragiles poussées vers des zones moins chères, difficultés voire impossibilité d’installation pour certaines catégories de nouveaux arrivants – spécialement les étudiants et jeunes actifs, la difficulté de décohabitation des enfants des habitants étant particulièrement mal vécue –, freins à la mobilité résidentielle, éloignement du lieu de travail – notamment pour les employés des services de proximité privés et publics (santé, services urbains, restauration etc.) – avec ses implications écologiques négatives liées à l’impact des transports, etc.

Source : https://www.ecologie.gouv.fr/zonage-b-c

1.2. Marché du logement vs logement social

Il n’est pas nécessaire d’être un pessimiste professionnel pour prédire qu’au « On est chez nous ! » s’ajoutera bientôt le mot d’ordre « On ne peut plus habiter chez nous ! ». Il n’est pas non plus souhaitable d’attendre que l’objet de ces craintes se matérialise de façon plus criante pour se saisir de la question.

Le problème majeur en France ne résulte pas de la pression des non nationaux, à la différence de ce que l’on observe dans certaines villes à l’étranger. Ce type de pression est très sensible à Londres mais les élus semblent s’en accommoder, voyant même là une illustration de l’attractivité de leur ville. En revanche, en France, dans les communes touristiques des littoraux et des montagnes, voire dans toute la Corse, c’est la concurrence des résidents secondaires, ou des nouveaux venus issus des métropoles où les salaires sont plus élevés, qui motive la révolte « des natifs ».

Au-delà des zones touristiques, ce problème n’est pas fondamentalement différent de celui que pose le niveau des loyers et des prix dans les métropoles les plus prisées, lequel s’accroit avec l’attractivité et la pression de la demande. Ces zones se ferment aux key workers, aux outsiders, jeunes non-héritiers, parmi lesquels se trouvent parfois les enfants des habitants installés, tous exclus par le niveau croissant des loyers et des prix. 

La concurrence des usages sur un territoire limité et les conséquences sur le droit à un logement décent pour tous n’est pas un phénomène récent. En France, Paris en est le meilleur exemple. Cependant, le développement de ce phénomène dans les régions touristiques et les grandes métropoles rend le sujet d’autant plus politique et médiatique. Les tensions qui se développent posent certaines questions souvent non résolues comme la connaissance fine des besoins de logement dans chaque bassin d’habitat, la fixation d’objectifs et le développement de moyens pour la construction neuve, la nécessité de réhabiliter tout ce qui peut encore servir, la réutilisation des parcelles déjà urbanisées, les difficultés à venir à la mise en œuvre de la politique du zéro artificialisation nette (ZAN), la nécessaire adaptation de la fiscalité, le souhait de favoriser (ou non dans certaines villes) la mixité sociale, etc.

Il ne s’agit pas ici de prétendre tout embrasser et encore moins de prétendre tout résoudre, étant donné la complexité de ces sujets ; mais il s’agit, à la lueur des exemples étrangers et des politiques déjà mises en place dans quelques collectivités, de dessiner quelques pistes de réflexion. 

Le logement social constitue aujourd’hui le principal et le plus efficace des outils d’intervention de la collectivité dans ce domaine. Il n’est pas inutile de le rappeler, le logement social auquel deux tiers des Français peuvent, compte tenu de leurs ressources, avoir droit, reste la meilleure solution pour loger des salariés en leur conférant, grâce au maintien dans les lieux, la stabilité qu’ils souhaitent à des prix défiants toute concurrence. Enfin – faut-il encore le rappeler aux élus et aux citoyens récalcitrants ? – il y a belle lurette que les HLM ne sont plus des barres et des tours.

La question qui est ici posée traite du parc locatif privé et de l’accession à la propriété. Près d’un quart des ménages sont logés dans le parc locatif privé et 58 % sont propriétaires ou accédant à la propriété et toutes les enquêtes montrent que la propriété reste une aspiration majoritaire dans la population[5]. Une réflexion sur les moyens d’ouvrir l’accès au logement, dans certaines localisations, à des ménages répondant à des caractéristiques déterminées (revenu, âge, professions, usage du logement, liens particuliers avec la commune, nationalité…)  ne peut faire l’impasse sur cette répartition du marché.

  • La collectivité doit-elle et peut-elle favoriser, dans un périmètre géographiquement déterminé, l’accès au parc locatif privé de telle ou telle catégorie de ménages plutôt que telle autre dès lors que l’allocation se fait par les prix ?
  • La collectivité doit-elle et peut-elle favoriser, dans un périmètre géographiquement déterminé, l’accès à la propriété de telle ou telle catégorie de ménages plutôt que telle autre, sachant que, ce faisant, ce sont à la fois le logement et l’accumulation patrimoniale de ces ménages qui sont favorisés ?

2. L’intervention de la collectivité, légitimité et efficacité

Dès lors que la collectivité intervient pour favoriser un type de logement plutôt qu’un autre ou pour faciliter l’accès au logement de telle ou telle catégorie de personnes, il importe de savoir à quel niveau doit se prendre la décision. Si la politique nationale du logement témoigne, en France, d’une grande stabilité, à peine troublée par les changements d’orientation des gouvernements, il n’en est pas de même des politiques locales, plus sensibles aux changements de majorité municipale. Les élus cherchent à stabiliser leur électorat et doivent répondre à l’attente de leurs habitants qui ne sont pas spontanément favorables à l’installation de nouveaux arrivants, ni surtout de toutes les catégories de nouveaux habitants. Reste à savoir, au sein du millefeuille français, quelle collectivité est légitime et laquelle peut être efficace pour faire évoluer une politique du logement entre demandes locales favorables au statu quo et besoins de logements nouveaux. Les réflexions sur ce sujet évoluent entre deux injonctions contradictoires, l’une qui veut rapprocher le pouvoir de décision du terrain, pour coller à la réalité des problèmes ; l’autre qui consiste à introduire la plus grande distance entre le pouvoir décisionnaire et l’électeur, pour éviter l’égoïsme local, le maintien de l’entre-soi, le NIMBYisme, etc. La réponse dépend du type d’instruments mis en œuvre, depuis la solidarité (SRU) jusqu’à la planification (PLU) et, de la pratique, souvent assez éloignée du droit, d’attribution des permis de construire à la discrétion des maires.

Comment, dans les zones touristiques, répondre aux demandes d’accès au logement des habitants permanents qui vivent eux-mêmes, directement ou indirectement, des retombées du tourisme, en les préservant de la concurrence des résidents secondaires ? Pour répondre à cette question, les élus, en France comme à l’étranger, mêlent souvent deux approches : l’une s’attachant à la nature des habitants, « natifs » opposés aux outsiders ; l’autre à l’occupation, permanente ou intermittente, des logements. La loi française et la réglementation européenne permettent difficilement de favoriser un type d’habitants répondant à des critères autres que ceux correspondant à des catégories traditionnellement admises comme le revenu ou la taille du ménage. Agir selon la demande des résidents permanents exaspérés par la concurrence de ceux qu’ils considèrent parfois comme des intrus conduirait à nier sans ambiguïté l’égalité entre les citoyens[6]. Pourtant, cette revendication est parfois exprimée de façon plus policée[7], par exemple en conditionnant la possibilité d’acheter un logement à une présence permanente d’une durée déterminée dans le périmètre de la commune (créant pour ce faire un « statut de résident »).

Récemment, des élus, notamment bretons et basques, se sont alarmés de l’envolée des prix de l’immobilier dans leurs régions. Sans évoquer le maintien d’une identité ou de valeurs locales, ils décrivent une « activité touristique devenue annuelle ». Font l’objet d’un même rejet les résidents secondaires, ceux qui investissent pour louer, fût-ce pour une partie de l’année seulement, mais aussi les nouveaux venus qui souhaitent s’installer de façon permanente pour y exercer leur activité grâce au télétravail. Touristes et nouveaux résidents contribuent à la revitalisation des territoires dans lesquels ils s’installent. Ils génèrent de l’emploi et font bénéficier les habitants de ressources qui se sont formées ailleurs mais, dotés d’un fort pouvoir d’achat, ces nouveaux acteurs du marché sont à l’origine d’une forte augmentation des prix, « bien au-delà du juste prix » selon les termes des plus anciennement installés. Cette forme de localisme est volontiers présentée comme écologique[8], l’idée de « circuit court » s’appliquant aux habitants et l’achat immobilier par des nouveaux venus étant perçu par nature comme spéculatif.

Ces alertes ne sont pas fondamentalement différentes de celles des édiles des métropoles les plus chères, soucieux de permettre aux enfants de leurs administrés d’habiter, voire de devenir propriétaires là où ils sont nés et où leurs parents sont souvent électeurs. Il s’agit alors d’établir un droit « supérieur », pour les habitants actuels de la commune ou pour leurs enfants.

A l’étranger, ce type de préoccupation prend souvent appui sur une différenciation entre nationaux et étrangers. Celle-ci est à la base de la législation canadienne qui s’est récemment durcie et proscrit depuis le 1er janvier 2023 les achats immobiliers de non-nationaux, non-résidents[9]. Il s’agit de lutter contre les investissements immobiliers des étrangers, notamment chinois (sur la côte Ouest), soucieux de placer leur argent hors de leur pays d’origine mais souvent indifférents à l’occupation du parc qu’ils acquièrent. Ce rejet fondé sur la nationalité est cependant associé à une distinction fondée sur l’usage du logement, laquelle se révèle délicate à mettre en œuvre[10].

La Suisse, qui n’est pas soumise aux exigences du droit communautaire, pratique à la fois une préférence nationale et un système de quota qui s’applique tant aux étrangers qu’aux Suisses. La Loi fédérale sur les résidences secondaires (LRS) connue sous le nom de « Lex Weber », entrée en vigueur en 2016, interdit toute nouvelle résidence secondaire dans les communes qui en comptent plus de 20%. Un article de la loi instaure une obligation pour les communes de réaliser un inventaire annuel des logements qui distingue résidences principales et résidences secondaires.

3. Le pouvoir de la loi

3.1. L’usage des logements

La loi française peut intervenir sur l’usage des bâtiments : logements vs bureaux, commerces, hôtellerie etc. Elle peut interdire les transformations d’usage du parc existant (conversion de bureaux en logements, par exemple). Elle peut également limiter l’usage commercial des logements à des fins touristiques, à titre permanent ou temporaire, le cas emblématique étant celui d’Airbnb. De fait, en France, comme dans de nombreux pays étrangers, le développement de ce type de locations temporaires des logements se trouve de plus en plus limité, voire interdit. Certaines collectivités choisissent d’appliquer l’article L 631–7 du code de la construction et de l’habitation aux locations saisonnières et d’exiger une compensation par la mise à disposition d’un logement équivalent dans les communes. C’est l’application d’une mesure historiquement prévue pour limiter les bureaux à Paris et dorénavant classique pour limiter les locations saisonnières[11].  Récemment un jugement du tribunal administratif de Pau a jugé légale la mesure de compensation de l’agglomération Pays basque applicable depuis le 1er mars 2023. En revanche, la loi ne peut pas régir l’occupation, à titre principal ou secondaire, d’un logement. Les résidences secondaires ne constituent pas à elles seules ni une destination ni une sous-destination. Il n’y a pas de définition légale claire de la « bi-résidencialité ». Pour réserver les logements aux habitants permanents, la loi canadienne s’efforce également de cerner la motivation d’achat des logements. Elle traite ainsi de façon différente les immeubles collectifs, les duplex et les triplex et les maisons individuelles, et distingue également selon la nature du propriétaire : personnes physiques et sociétés foncières. Ce type d’approche, aux catégorisations administratives complexes, semble difficile à transposer en France. Comment distinguer le « bon investisseur institutionnel », celui que tous les gouvernements veulent attirer, en l’occurrence les compagnies d’assurance, en écartant le mauvais financier spéculateur ? Faudrait-il se fonder sur la durée de détention ? Tout ceci conduit à porter l’attention sur la vente et surtout sur la construction de nouveaux logements. De fait, les règles d’urbanisme et de construction (taille des parcelles, hauteur, etc.) ont une forte influence sur les caractéristiques des ménages auxquels les logements construits seront principalement destinés et sur les conditions de leur commercialisation. Reste que l’impact du renouvellement du parc de logements pèse peu par rapport au volume du parc existant.

3.2. Le droit de l’urbanisme et les règles de construction

Le plan local d’urbanisme (PLU) peut interdire des changements de sous-destination, notamment de la sous-destination « logement » à la sous-destination « autres hébergements touristiques ». Encore faut-il prouver que le logement en question est utilisé comme un « hébergement touristique », ce qui n’est pas toujours évident[12]. Le PLU ne peut donc pas les viser en tant que tels dans le cadre d’une interdiction de changement de destination (ou de régulation comme le fait la ville de Biarritz avec le principe de « compensation » du changement d’usage, voté en mars dernier[13]). Il n’existe pas d’outil réglementaire dans le PLU qui permette de réserver des logements aux habitants à l’année pour lutter contre la hausse des prix de l’immobilier dans les zones tendues. Le PLU ne peut pas non plus édicter de règles spécifiques qui ne s’appliqueraient qu’aux résidences secondaires. Aussi, si certains documents d’orientation – comme le Scot Quimperlé en Bretagne – « invitent » les documents d’urbanisme locaux à diversifier l’offre d’hébergement et à « maîtriser le développement du parc de résidences secondaires », cela n’a rien de juridiquement contraignant (au contraire des « prescriptions »), faute d’ailleurs d’habilitation en ce sens par le Code de l’urbanisme.

Le PLU peut favoriser la « mixité sociale » avec l’imposition d’un certain taux de logements sociaux dans les nouvelles constructions[14], mais ceci nous ramène au secteur du logement règlementé.

3.3. Les accommodements avec le droit : les pratiques en matière de construction et de commercialisation des logements

Les textes relatifs aux permis de construire et aux règles d’Urbanisme abondent en France. Le permis de construire sur un terrain est délivré par la mairie après vérification de sa constructibilité au regard du Plan local d’urbanisme (PLU) en vigueur, lequel définit les normes régissant l’utilisation des sols. Le solliciteur d’un permis de construire se doit donc de tenir compte du PLU et de s’assurer de la conformité de la construction par rapport aux dispositions contenues. Pour autant, cette conformité n’est en rien une garantie de réponse positive. Les promoteurs savent bien qu’ils devront se conformer à des règles non-écrites, souvent en contradiction avec le contenu des PLU, en particulier sur les questions de gabarit et/ou de densité. Dans toutes les métropoles et presque toutes les villes moyennes, la construction d’un immeuble collectif fait en effet l’objet d’une négociation préalablement au dépôt de la demande. De telles pratiques ne sont ni institutionnalisées, ni une obligation légale et les modalités dans lesquelles elles se déroulent varient d’un lieu à un autre. Lors de cette négociation, des modifications peuvent être demandées sur la qualité des logements, leur typologie, l’architecture et surtout la hauteur et/ou la taille des immeubles.

La question pour le sujet qui nous occupe se pose ainsi : si l’affichage officiel de l’exigence d’une préférence communale et/ou en faveur de telle ou telle catégorie est illégal, est-il en pratique possible pour un maire d’obtenir ce résultat à l’occasion de la négociation préalable ? L’exemple des chartes de construction imposées par certaines villes[15] et que chaque promoteur se doit de signer relève à l’évidence de cette façon de procéder. De telles pratiques se heurtent à un risque majeur de contentieux : elles génèrent des exclus (puisque c’est le maire ou ses services qui arrêtent la liste des heureux bénéficiaires) qui ne manqueront pas de saisir le juge de manière plus ou moins spontanée. Ces entorses au droit sont tolérées parce que les intentions qui les motivent sont tournées vers le « bien commun local » mais les collectivités ne peuvent être réduites à ce type d’expédients. C’est le cas, par exemple, de l’accession maîtrisée. Le choix des bénéficiaires de ces logements vendus en dessous du prix du marché devrait en principe obéir à des critères objectifs excluant « l’origine » des demandeurs, mais de fait le choix en revient aux élus. Les promoteurs se plaignent modérément car ils apprécient la pré-commercialisation que garantit ce type de procédures. Mais, dans tous les cas de figure, l’opacité de la démarche fournit matière à contestations.

3.4. L’arme de la fiscalité

La collectivité peut réserver un traitement fiscal différent selon que le logement est utilisé à titre principal ou secondaire. Aller au-delà de la déclaration impliquerait des contrôles complexes et coûteux. En fait, il est difficile de contrôler le nombre de jours passés par un ménage dans le logement qu’il a acheté, ou encore s’il est dédié exclusivement à l’agrément.  La distinction entre résidence principale et secondaire serait possible mais probablement porteuse de contrôles administratifs redoutables. Il est, de plus, douteux que ce type de mesures soit de nature à peser de façon décisive sur l’équilibre du marché.

Le cas des meublés touristiques est d’une autre nature. Bien que participant à la montée des prix de l’immobilier dans les zones tendues, ils bénéficient d’une fiscalité favorable, mise en place dans les années 1970 (ils relèvent du régime des bénéfices industriels et commerciaux), et pas assez aux appartements non meublés, propices aux baux de plus longue durée. Face à cela, les collectivités disposent de différents outils : la taxe d’habitation est toujours due pour les résidences secondaires (avec une majoration possible pour les zones tendues de 30 à 60%.). Les zones tendues sont aussi soumises sans exception à la taxe sur les logements vacants « à usage d’habitation », mais il s’agit d’une mesure purement symbolique[16] et qui d’évidence ne répond pas au problème des zones en tension.

Généraliser des propositions comme celles de la maire de Guéthary donnerait plus de poids aux communes : la majoration de la taxe additionnelle sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de celle sur les plus-values en cas de mutation d’une résidence principale en résidence secondaire[17] ; et, à l’inverse, la réduction ou suppression de ces taxes lorsqu’un bien est vendu à la commune ou à un bailleur social. Mais, dans quelles mesures ces outils fiscaux peuvent-ils peser sur le comportement des propriétaires de résidences secondaires ? Un surcoût de la majoration de la taxe d’habitation à 60% représente en général quelques centaines d’euros par an.

3.5. Liberté des associations et contraintes des élus

Au vu de la difficulté de se loger pour la population active locale, les élus sont sous la pression de leurs administrés mais ce tour d’horizon montre qu’ils ne disposent pas de moyens légaux efficaces pour répondre à cette demande. En réalité, leur pratique en matière de construction repose plus largement sur leur pouvoir de fait que sur le droit. De leur côté, les associations d’habitants peuvent recourir à des moyens auxquels les collectivités locales n’ont pas accès. Certaines associations[18] manifestent, contrôlent et dénoncent des baux locatifs frauduleux, des meublés touristiques non-déclarés, etc. Certaines s’engagent même dans des formes de désobéissance civile non violente comme l’occupation de chantiers pour bloquer des opérations immobilières. Il peut leur arriver d’aller plus encore plus loin et d’afficher leur volonté de faire pression sur les vendeurs ou d’intimider les acheteurs non désirés les menaçant de souffrir d’un voisinage « compliqué ».[19] Ces actions contribuent à mettre en évidence le fait que les élus sont peu armés pour répondre à ces interpellations ; ils invoquent alors divers types d’interventions « fortes »  comme l’encadrement des loyers qui, pour intéressante que soit la mesure, n’augmente pas l’offre de logements.

3.6. Le droit de préemption urbain

Les collectivités, historiquement les communes et, de plus en plus, les intercommunalités, peuvent aussi utiliser leur droit de préemption urbain (DPU). Créé en 1985, le DPU a vu, ces dernières années, ses motifs légitimes d’utilisation s’étendre, pour limiter des acquisitions de biens qui n’auraient pas pour effet de lutter contre la pénurie de logements. Ainsi, la loi ALUR de 2014, pour permettre aux collectivités d’acquérir des logements à réhabiliter et de répondre aux besoins locaux, prévoit un recours au DPU, notamment si l’habitat est jugé « indigne ou dangereux », s’il s’agit d’un immeuble HLM ou si les prix de vente proposés sont trop élevés.  Cependant, le DPU ne peut se fonder ni sur les origines « locales » du candidat ni sur son intention d’en faire une résidence principale ou une résidence secondaire. Par ailleurs, les DPU sont des opérations dont l’instauration et l’exercice suivent une procédure très formalisée et longue, dont le manque de respect peut entacher la préemption d’illégalité. Cette procédure complexe favorise les acteurs disposant des plus gros moyens juridiques ; elle peut donc desservir les territoires les moins dotés ou, au contraire, accroître injustement l’atteinte au droit de la propriété[20]. Enfin, même dans les cas de zones tendues, la « pratique » du DPU sert davantage de pare-feu que d’outil de lutte contre la spéculation[21] ; à Rennes, la ville fait régulièrement valoir son droit de préemption urbain pour « révision de prix » lorsque le prix proposé est largement au-delà des prix du marché et que l’acquéreur est suspect d’avoir fait cette proposition démesurée pour commencer la négociation avec le propriétaire.

3.7. Encadrement des loyers et des prix du foncier

Les élus en appellent parfois à d’autres outils, hors PLU et autres que ceux destinés à favoriser la construction de logements sociaux, pour contenir la hausse des prix du logement, comme l’encadrement des loyers mais cette mesure répond à un autre objectif et ne permettrait en rien de peser sur l’attribution d’un logement à un ménage plutôt qu’à un autre. La même observation peut être faite sur un éventuel plafonnement du prix du foncier.

3.8. Les aides locales à l’accession à la propriété

Certaines collectivités justifient les aides locales qu’elles attribuent à l’accession à la propriété[22] par leur souhait de répondre aux besoins des habitants actuels. De fait, l’efficacité des aides personnelles à l’accession est inversement proportionnelle à la tension du marché dans la mesure où l’importance de l’apport personnel par rapport à l’endettement s’accroît avec le prix. Plus le marché est tendu, moins l’aide est significative puisque l’apport personnel nécessaire est plus important. Cela ne remet pas en cause leur efficacité mais cela montre que ce type d’aides ne constitue pas une réponse appropriée dans les zones tendues pour des personnes aux revenus modestes.

3.9. La récupération des plus-values

Si les hausses de prix résultant de la pression de nouveaux résidents, secondaires ou permanents, mais à fort pouvoir d’achat, font obstacle à l’accès au logement des « habitants de longue date », de leurs enfants ou même des key workers à faible revenu, elles sont aussi à l’origine de plus-values, d’enrichissement sans cause, qui constituent un objet de scandale, sauf pour ceux qui en profitent. Les enjeux des outils de régulation ou de récupération des plus-values sont considérables, mais ils ne sont pas abordés ici puisqu’ils ne permettent pas de jouer sur l’attribution des logements, c’est-à-dire sur la file d’attente.

***

On le voit, la puissance publique ne dispose pas d’instrument efficace autre que le logement social lato sensu pour favoriser l’accès au logement d’une catégorie de citoyens répondant à des critères particuliers, tels que l’ancienneté dans la commune, la durée de séjour, le type de profession, la composition familiale, etc. Le logement social peut répondre aux demandes des jeunes professionnels et des key workers mais ne permet pas, dans l’état actuel du droit, de répondre aux besoins de logement temporaire des saisonniers et aux personnes qui veulent accéder à la propriété. Quelles peuvent être les pistes pour doter la collectivité des moyens d’agir ?

4. Vers de nouveaux statuts d’occupation hors-marché ?

Deux voies sont envisageables : d’une part, la création d’un statut réglementé spécifique de logement locatif, hors-marché, répondant aux caractéristiques des zones touristiques ; d’autre part, un statut, également hors-marché, comportant certaines des caractéristiques de la propriété, à l’exclusion de celle qui permet de bénéficier des progrès de la valeur patrimoniale qui résultent du mouvement des prix. 

4.1. Un statut ad-hoc de logement locatif hors-marché ?

Force est de constater qu’il n’existe pas de possibilité d’orienter le choix des bailleurs du parc locatif privé vers des locataires répondant à des critères définis par les collectivités. Les élus qui souhaitent à la fois attribuer une priorité aux habitants « natifs » et refuser toutes forme de logement social doivent être mis devant leur contradiction. Faut-il définir de nouveaux statuts hors-marché qui permettraient de réserver certains logements aux candidats répondant à certains critères, correspondant à l’attente des habitants des zones touristiques – revenu, durée d’occupation, droit au maintien dans les lieux, lien avec l’emploi, etc. Est-il vraiment souhaitable de créer un régime supplémentaire alors qu’il existe déjà trois niveaux de loyers HLM (PLAI, PLUS, PLS), le locatif intermédiaire, le Pinel, le Denormandie, le Cosse… ? La difficulté tenant au lien entre contrat de travail et contrat de location, comme celle du droit au maintien dans les lieux, se posent pour tous les « travailleurs clés » et pas seulement en zones touristiques.

4.2. Un statut doté d’une partie des droits d’usage attribués à la pleine propriété.

Rien n’interdit théoriquement, là où la demande est très supérieure à l’offre, de mettre en place un système de vente des logements dans lequel le choix des bénéficiaires se ferait par un critère autre que le prix : une file d’attente lato sensu (premier arrivé premier servi, commission d’attribution, tirage au sort…). Cependant, c’est une solution plus difficilement acceptable que pour l’attribution d’un logement locatif car l’achat met autant en jeu l’accès au logement que l’accumulation patrimoniale. Or cette accumulation, cet enrichissement, sera jugé d’autant plus arbitraire que l’aide publique qui l’aura rendu possible sera élevée et que le nombre de ceux qui en auront bénéficié sera réduit par rapport aux ayant-droits qui l’auront sollicitée.

L’accumulation patrimoniale revêt deux aspects : d’une part, le résultat d’une épargne forcée liée à l’effort de remboursement et d’autre part, l’espoir de plus-value (ou le risque de moins-value). C’est ce qui explique que, pour devenir propriétaires, les ménages supportent un effort financier supérieur à celui qu’ils accepteraient de consentir pour louer, alors qu’ils prennent eux-mêmes en charge l’entretien de leur logement. La collectivité pourrait être légitime à établir certaines règles spécifiques de choix des bénéficiaires, à condition de laisser ceux-ci tirer profit de l’épargne qu’ils ont accumulée tout en excluant la plus-value qui ne résulte que du mouvement général des prix. Il s’agirait alors de créer un nouveau « parc hors marché » qui offrirait à ses occupants la plupart des droits du propriétaire (durée indéterminée, liberté absolue de travaux, dans la limite des règles d’urbanisme et de copropriété, etc.) à l’exclusion du droit de revendre sur le marché ou de transmettre. C’est théoriquement l’objet du bail réel solidaire (BRS). Plus que l’approche française qui distingue usus, fructus et abusus, l’analyse en termes de « bouquet de droits » à l’anglaise rend mieux compte de ce statut d’occupation, intermédiaire entre la propriété et la location. La dissociation foncière en tant que telle n’est pas source d’économie, c’est la mise à disposition du terrain à un tarif hors marché, voire à titre gratuit comme le fait Rennes Métropole, qui permet d’offrir des logements en BRS à des prix inférieurs à ceux d’un simple achat sur le marché. Cette aide de la collectivité a pour contrepartie l’interdiction pour le bénéficiaire de profiter d’une éventuelle plus-value à la revente, de sorte que l’aide publique soit « sanctuarisée ». Pour une analyse détaillée des différentes formes de dissociation foncière, on se reportera à « Les métamorphoses de la dissociation foncière : du BRILO au bail réel libre »[23].  L’effort exigé de la collectivité sera d’autant plus lourd que les prix des logements libres y seront élevés. Ce qui est inadapté à Paris[24] et ne relève que de la communication pourrait utilement être mis en œuvre là où la charge financière que la collectivité peut supporter lui permet de produire une offre de logements en BRS qui permette de répondre à un nombre raisonnable des candidats. Dès lors, les règles d’usage de ce BRS pour zone touristique devraient être précisées à la fois pour atteindre l’objectif de « sanctuarisation » de l’aide publique et pour éviter les risques de favoritisme. Devraient notamment être précisés :

  1. Le contrôle réglementaire des règles et des procédures d’attribution.
  2. L’affichage obligatoire de l’aide réelle de la collectivité (montant de la redevance, mise à disposition de terrain municipal, etc.) et mise en relation avec les revenus des bénéficiaires. La Publicité des attributions et mise en relation avec l’ensemble de ceux qui ont fait acte de candidature.
  3. La Gestion de l’ensemble de ce nouveau parc dont l’attribution échapperait à la logique du marché, par des organismes qui seraient les bras armés des offices fonciers solidaires (OFS) et qui joueraient le rôle qui est celui des HLM ou des SEM pour le locatif social traditionnel.
  4. La revente obligatoire à l’OFS, sans possibilité pour le ménage de choisir son successeur, faute de quoi réapparaîtraient les pratiques de reprise et de dessous de table La contrepartie pourrait en être l’obligation pour l’OFS de racheter le logement en cas de difficultés de revente.
  5. L’impossibilité de louer (sauf exceptions temporaires, avec les complications réglementaires qui seraient liées à la gestion de ces exceptions). Dès lors que la part relative au terrain est largement, voire totalement, prise en charge par la collectivité, il semble difficile d’autoriser la location du logement.
  6. Les conditions de transmission et d’héritage devront être précisées de façon à ne pas nourrir de futures contestations.

La mise en œuvre de ce dispositif risque de se révéler complexe et difficile à suivre pour l’administration comme toutes les conventions de très long terme. Les conditions e et f seront de fait les plus problématiques car elles se heurteront au sentiment des droits-acquis de la part des quasi-propriétaires. A l’égard des modalités de gestion et de choix des bénéficiaires, la référence au community land trust américains ne vaut pas : les CLT sont autonomes et plus libres des critères et des modalités de leurs choix que ne peuvent l’être des collectivités locales.

4.3. S’inspirer de l’expérience de Rennes Métropole

Rennes Métropole, souvent prise comme exemple dès lors qu’il s’agit de politique locale de l’habitat, n’est pas seule à expérimenter actuellement le BRS, mais elle seule le fait de façon aussi massive. L’objectif de la collectivité n’est pas de freiner les arrivées nouvelles ni d’interdire les résidences secondaires mais de permettre à ceux qui travaillent ou qui ont une raison d’habiter de façon permanente, d’accéder au logement, en accession ou en location, malgré la pression considérable qui résulte du succès de la Région.

La production de logements en BRS est loin d’être anecdotique : près 600 par an. Aucune redevance locative n’est facturée à l’accédant, ce qui permet, par comparaison avec le prix du foncier libre, d’évaluer l’effort de la collectivité. Celui-ci est égal à la valeur actualisée du loyer théorique du foncier. Pour autant, aux dires des services, tous les candidats répondant aux conditions d’accès se verront rapidement faire une proposition dans un des programmes. Le prix du BRS s’établit aux environs de 50 % de l’accession « libre ». A cela s’ajoute que les ménages éligibles au prêt à taux zéro ont le choix entre l’accession libre et l’accession dite maîtrisée qui bénéficie d’une vente du terrain à des tarifs préférentiels largement inférieurs à ceux du marché. De ce fait, l’accession strictement « libre » fait figure à Rennes, de secteur résiduel puisqu’il ne représente que 20 % du total de la construction hors HLM. Avantage de cette situation, en cas de préemption, ce sont les prix passés et encadrés qui font et continueront de faire référence pour les tribunaux.

Les solutions mises en œuvre à Rennes sont assurément celles dont les résultats sont les plus éprouvés, mais elles sont difficilement transposables : elles s’appliquent à un territoire où la politique foncière et la politique du logement ont été étroitement administrés depuis l’après-guerre. Il n’est même pas certain que la collectivité ait les moyens de poursuivre cette politique. L’épuisement des réserves foncières urbanisables dans le périmètre cœur de la métropole fait peser, dans un contexte d’inflation des charges foncières, une incertitude à horizon rapproché.

Conclusion

Les rivalités entre différents candidats à l’acquisition d’un logement se sont exacerbées au cours des dernières années dans les zones dites tendues. Dans un marché du logement à forte inertie, c’est un signe de graves déséquilibres résultant d’évolutions de nature diverse : écarts croissants entre territoires attractifs (régions touristiques ou à fort développement économique) et territoires en déclin, changements de mode de vie liés au télétravail. Jusqu’à présent, face aux revendications des résidents permanents, les collectivités se sont montrées relativement désarmées. Elles ont cherché à donner des réponses politiques, mais celles-ci se révèlent plus symboliques que structurelles. A contrario, la politique de long terme mise en œuvre à Rennes repose sur une démarche globale et cohérente : évaluation des besoins, planification spatiale, conduite d’opérations d’aménagement publiques ce qui permet de piloter finement la production de logements neufs en fonction des besoins à satisfaire. La constitution de réserves foncières, directement ou par le biais d’établissements publics fonciers, en est la pierre angulaire mais ne peut avoir de résultats qu’à long terme. C’est pourquoi les évolutions législatives récentes visent à renforcer la cohérence entre documents d’urbanisme, programmes locaux de l’habitat et politiques foncières.


[1] https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/17–02–23-rencontre-exode-urbain-un-mythe-des-a2705.html

[2] https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/l-exode-urbain-petits-flux-grands-effets-les-a2388.html

[3] La notion de résident local n’est en aucune manière réglementée ni clairement définie : il s’agit de personnes ayant un sentiment fort d’appartenance à un territoire par la naissance ou la résidence de longue date.

[4] https://www.observatoires-des-loyers.org/

[5] Immobilier : les Français aspirent toujours plus à devenir propriétaires | Les Echos

[6]  C’est le cas, par exemple, de ceux qui en Corse rejettent les critères administratifs qui reviendraient à « créer des Corses « fiscaux », des Corses « administratifs », des Corses de « papier » en somme, alors qu’il s’agit de privilégier « des Corses de mémoire, d’esprit, de valeurs, et de d’ambition » https://www.lefigaro.fr/conso/les-nouvelles-conditions-du-tarif-resident-excluent-les-corses-qui-vivent-sur-le-continent-20200304

[7] Par exemple la création souhaitée d’un « statut de résident breton » https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient/statut-de-resident-breton-qu-en-pensent-les-residents-secondaires-du-pays-de-lorient-06–11–2021–12861895.php

[8] https://reporterre.net/Seuls-les-locaux-pourront-etre-proprio-en-Bretagne-l-idee-seduit

[9]Cf. Le Monde du 05–01–2023 « Les non-Canadiens interdits d’achat immobilier » et Le Figaro du 30–03–2023 « Le Portugal adopte des mesures pour lutter contre la crise du logement. »

[10] La pratique canadienne donne une idée de la complexité administrative qui s’attache à ce type de distinction. Le droit d’un propriétaire sur un immeuble résidentiel serait exempté pour une année civile si le propriétaire satisfait au critère d’« occupation admissible » à l’égard de l’immeuble résidentiel pour l’année civile. Conformément à ce critère, un immeuble résidentiel devrait être occupé, durant des périodes d’au moins un mois chacune totalisant au moins six mois de l’année, par une personne qui est un « occupant admissible » au Canada. Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés (L.C. 2022, ch. 5, art. 10) Voir aussi https://www.ey.com/fr_ca/tax/tax-alerts/2022/tax-alert-2022-no-35

[11] La règle de compensation prévoit qu’un propriétaire de logement saisonnier, situé sur l’une des 24 communes de la zone tendue du Pays basque, soit dans l’obligation de le compenser en installant dans la même commune, ou le même quartier un logement d’une taille équivalente sur le marché locatif à l’année. Soit le propriétaire est invité à transformer un local acheté ou déjà en sa possession en logement habitable, soit à acheter des droits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage.

[12] Voir l’émission du « Temps du Débat », le maire de Bayonne invite entre les lignes ses habitants à la délation

[13] https://www.biarritz.fr/mes-demarches-desmartxak/location-touristique/demander-une-autorisation-prealable

L’autorisation de changement d’usage d’un local d’habitation en meublé de tourisme sera soumise au principe de compensation à compter du 1e mars 2023. La compensation consiste à transformer en logement des locaux non dévolus à l’habitation (bureau, commerce…). Cette compensation permet ainsi de reconstituer la « perte » d’un logement par la création d’un autre logement. Ce local doit être de surface au moins équivalente à celui faisant l’objet d’une location saisonnière et être situé dans la même commune. Une autorisation dite « de changement d’usage » est alors délivrée.  

[14] Dans un arrêt du 30 mars 2018 (CE, 30 mars 2018, n°411122), le Conseil d’État a précisé les possibilités ouvertes par l’article L. 151–14 du code de l’urbanisme, qui peut favoriser la mixité sociale en permettant au règlement du PLU de « délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels les programmes de logements comportent une proportion de logements d’une taille minimale qu’il fixe ». http://outil2amenagement.cerema.fr/juridique-mixite-sociale-clarification-de-l-a1427.html - Ces logements sociaux seront eux plus facilement régulés sur leur utilisation quotidienne (solution “Hors marché”). Mais des élus restent frileux, comme la Maire de Biarritz :

Extrait de l’article du Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/au-pays-basque-la-crise-aigue-du-logement-reveille-le-spectre-de-la-violence-nos-enfants-sont-exclus-de-leur-territoire_6148426_3224.html?random=1264018959 : « Inquiet du mécontentement qui monte, l’État pousse aussi à la construction, notamment de logements sociaux, face à des élus souvent peu pressés d’accorder les permis de construire. « Les citoyens ne veulent pas d’habitat dense à côté de chez eux, justifie la maire de Biarritz, Maider Arosteguy. Aujourd’hui le citoyen biarrot porte en lui une haine de la densification des années 1970, qui a contribué à abîmer son cadre de vie. Donc soit on fait des grandes tours de dix étages pour loger les gens, et ça, on ne veut plus le faire. Soit on décide que, peut-être, tout le monde ne peut pas venir habiter partout en France. » »

[15] Cf par exemple la charte mise en place par Villejuif que chaque promoteur doit signer spontanément relève à l’évidence que la tentation est forte et bien réelle en faveur de telle pratique. L’article 7.3 de cette dernière précise en effet qu’« une pré-commercialisation des logements aura lieu pendant 4 semaines, selon des modalités à déterminer entre les deux parties »

[16] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F17293

[17]https://www.lagazettedescommunes.com/776341/la-riposte-a-la-flambee-de-limmobilier-dans-les-zones-touristiques-sorganise/ : Le maire de Chamonix, Eric Fournier, a osé le faire. Il y a dix ans, à la suite d’un groupe de travail mené avec des notaires, une taxe locale sur la plus-value issue des ventes de résidences principales ayant bénéficié d’une aide initiale de la commune – subvention pour l’accession sociale, par exemple – a été adoptée. Elle est appliquée par tous les notaires de ­Chamonix. Le principe ? « 30 % de chaque plus-value engendrée sont rétrocédés à la ville pour lui permettre de construire des logements ­abordables », explique l’édile, qui juge qu’il s’agit d’un moyen de contenir ­l’envolée des prix.

[18]  Cf. par exemple Alda au Pays Basque ou Dispac’h en Bretagne

[19] https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/au-pays-basque-la-crise-aigue-du-logement-reveille-le-spectre-de-la-violence-nos-enfants-sont-exclus-de-leur-territoire_6148426_3224.html

[20] Vuillaume, F. (2015). Droit de préemption urbain et territoires. Civitas Europa, 35, 77–94. https://doi.org/10.3917/civit.035.0077

[21] https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015–2-page-77.htm

[22] https://www.anil.org/aides-locales-accession-propriete/

[23]  Cf. https://politiquedulogement.com/2020/02/les-metamorphoses-de-la-dissociation-fonciere-du-brilo-au-bail-reel-libre/

[24] Cf. Accession à la propriété : tombola à l’hôtel de ville. https://politiquedulogement.com/2018/12/accession-a-la-propriete-tombola-a-lhotel-de-ville/

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