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Note

“Marseille en Grand”, un pari impossible ?

Deux ans après le lancement du plan “Marseille en Grand”, et suite à un “acte 2” récemment lancé par le Président de la République en juin 2023, il est temps de faire un point d’étape sur le déploiement de cette initiative et les premiers résultats obtenus dans la deuxième ville de France.

Publié le 

Introduction

Genèse : la lente et douloureuse naissance du plan “Marseille en Grand”.

“Marseille est une aventure à elle seule”, mais elle est aussi “l’illustration des malfaçons de la République française”, pour reprendre les mots du journaliste Philippe Pujol, spécialiste de la cité phocéenne[2]. Entre opportunités et inégalités, avec une superficie urbaine hors norme, équivalant à deux fois et demi celle de Paris pour une population deux fois et demi inférieure, et la présence en son sein de pas moins de 111 quartiers[3], Marseille apparaît comme “une ville impossible”[4].

De toutes les grandes métropoles françaises, Marseille est la dernière “ville populaire”, accueillant autant de classes populaires et d’individus peu diplômés, et intégrant 34 quartiers prioritaires de la ville (QPV) paupérisés qui pourraient être qualifiés de “banlieues” s’ils n’étaient pas situés à l’intérieur même de la ville[5]. Cumulant les difficultés de tous ordres – économiques, sociales, scolaires, sécuritaires, financières – et un déficit d’infrastructures publiques, la deuxième ville de France est traversée par des inégalités fortes. Celles-ci constituent de véritables fractures sociales et territoriales, notamment entre les quartiers Nord et Sud. Cette situation génère une “assignation à résidence” pour beaucoup d’habitants de Marseille, qui connaissent la relégation, l’exclusion voire la pauvreté.

Pour lutter contre ces phénomènes, les pouvoirs publics ont pris plusieurs initiatives pour aider la ville, sous la houlette de l’État, dès les années 1990. Après le refus de bâtir une véritable métropole marseillaise sous Gaston Deferre, pour des raisons politiques, l’État et la Ville ont initié le programme “Euroméditerranée” en 1995 pour piloter de grands projets d’aménagement urbain. En 2000, la communauté urbaine de Marseille a été créée, avant d’être intégrée à la nouvelle Métropole Aix-Marseille-Provence fondée par la loi MAPTAM de 2014, en vigueur depuis 2016 sur un périmètre plus étendu.

En parallèle de ces lentes évolutions institutionnelles, l’idée de lancer un grand plan d’investissement de l’État à Marseille n’a pas attendu le quinquennat d’Emmanuel Macron. Déjà sous le mandat de Jacques Chirac, fort d’une élection sur le thème de la “fracture sociale”, était envisagé un “plan Marshall”[6] pour remédier aux difficultés de la deuxième ville de France. Puis, une vingtaine d’années plus tard, en 2013, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault annonçait un “plan national d’envergure pour Marseille”, doté de moyens financiers de l’ordre de 2,5 milliards €, dont la mise en œuvre ne sera toutefois pas concrétisée dans les faits[7]. Une annonce qui correspondait, alors, à l’année où Marseille était sous les feux des projecteurs, en tant que capitale européenne de la culture.

Le 2 septembre 2021, le plan “Marseille en Grand” a finalement vu le jour, lors d’une annonce par le Président de la République à l’issue d’une visite inédite de trois jours dans la cité phocéenne. Il concerne de nombreux domaines de l’action publique, comme l’éducation, la sécurité, les transports, la santé ou encore le logement. Cependant, la naissance de ce plan s’est faite dans la douleur, coïncidant avec la fin de l’ère Jean-Claude Gaudin après 25 ans de règne sur Marseille.

En 2018, le drame de la rue d’Aubagne marqué par l’effondrement d’immeubles d’habitation en plein cœur de la ville, dans le quartier de Noailles, a remis en lumière les problèmes criants en matière de logement et d’habitat indigne et dégradé que connaît la deuxième ville de France. Trois ans avant ce 5 novembre 2018, le rapport Nicol alertait déjà sur la présence de 40 000 taudis à Marseille, soit 100 000 personnes concernées sur 860 000 habitants[8]. En 2019, sur le plan financier, la Chambre régionale des comptes pointe le retard accumulé par la Ville, l’absence de “stratégie claire”, mais également son surendettement conduisant à emprunter pour “financer le remboursement de sa dette” et “la marche de ses services”[9].

En 2020, lors des élections municipales, la fin de l’époque Gaudin est marquée par le basculement à gauche de la municipalité, avec la victoire du “Printemps marseillais”. En février 2021, le nouveau Maire Benoît Payan alerte à son tour sur l’état financier préoccupant de la Ville, conduisant ainsi au lancement par l’État du plan “Marseille en Grand” quelques mois plus tard.

Fin juin 2023, lors d’une nouvelle visite officielle du chef de l’État, l’”acte 2” du plan a été lancé, avec l’annonce de moyens supplémentaires, notamment en matière de transports et de sécurité.

Marseille, “laboratoire de la République” ?

Si le plan “Marseille en Grand” apparaît comme une réponse transversale d’envergure au retard accumulé par la ville dans bon nombre de domaines, il entend aussi s’inscrire dans une logique d’expérimentations territoriales et d’innovations sociales, au plus près des acteurs locaux.

De cette façon, il illustre la volonté du Gouvernement d’accorder un traitement différencié aux territoires fragiles, dans la lignée, notamment, du plan d’action pour un “État plus fort en Seine-Saint-Denis”, lancé en octobre 2019[10]. Celui-ci visait à renforcer, dans ce département populaire, le maillage des services publics et les moyens attribués localement aux politiques régaliennes.

Dès lors, deux ans après son lancement, il convient d’analyser les premiers effets produits par ce “plan Marshall” pour Marseille, par lequel l’État a repris financièrement la main sur les domaines essentiels qui faisaient l’objet de sous-investissements chroniques dans la deuxième ville de France.

La présente note souligne, dans un premier temps, l’ambition, le champ d’action et les moyens inédits du plan “Marseille en Grand” (I), avant de mettre en évidence ses premiers résultats – mitigés – (II). Enfin, elle formule des propositions relatives à la gouvernance du plan, véritable enjeu structurant et facteur clé de réussite pour l’avenir (III).

 

1. L’ambition, le champ d’action et les moyens inédits du plan “Marseille en Grand”

5 milliards € : c’est le montant investi par l’État dans le cadre de ce plan d’aides inédit, pour permettre à Marseille de rattraper son retard, aussi bien en matière de transports publics, que pour la rénovation urbaine ou encore les écoles. Par effet de levier, ce sont au total 15 milliards € d’investissements croisés qui ont été annoncés[11].

1.1. Un constat sans appel : le retard accumulé par Marseille dans de nombreux domaines doit désormais être rattrapé

Marseille souffre d’un retard important, à la fois source et conséquence d’inégalités sociales et territoriales, dans les principaux domaines des politiques publiques : transports, sécurité, éducation, santé ou encore logement.

Fruit d’un sous-investissement chronique, ce retard s’est accumulé pendant des années, en matière d’aménagement urbain et d’infrastructures collectives, notamment sous l’ère Jean-Claude Gaudin, premier magistrat de la ville pendant un quart de siècle (1995–2020).

De telles difficultés sont d’autant plus structurelles que la superficie de l’espace urbain marseillais est 2,5 fois plus grande que celle de Paris. Aménager la deuxième ville française impose donc d’investir et d’apporter des moyens adaptés, c’est-à-dire exceptionnels, à un territoire hors norme.

Ainsi, à titre d’exemple, la rénovation des écoles – qui, rappelons-le, relève de la compétence exclusive de la municipalité – illustre le statu quo, l’immobilisme de la Ville sur une politique pourtant essentielle. Pour faire face à ce défi, la réponse portée par Jean-Claude Gaudin en 2017 a été celle d’un exorbitant partenariat public-privé (PPP) à 1 milliard €, retoqué par la justice administrative en décembre 2019 suite à un mouvement de contestation.

Par la suite, l’État a donc été appelé à la rescousse sur le plan financier sur le dossier des écoles, après d’innommables situations de crise comme des salles de classes à 15 °C en hiver[12], étouffantes l’été[13], parfois inondées lors d’averses[14], voire envahies par des rats[15].

1.2. Une ambition forte et un champ d’action transversal

Énoncée par le Président de la République à chacun de ses déplacements dans la cité phocéenne – témoignant d’une implication personnelle rarement observée pour d’autres villes –, l’ambition de l’État pour aider Marseille à relever les défis auxquels elle fait face apparaît élevée. Elle se traduit par l’envergure du plan “Marseille en Grand”, avec un champ d’action transversal et interministériel, couvrant pratiquement tous les domaines des politiques publiques.

Cette ambition forte se retrouve également dans la volonté de l’État de mener des expérimentations locales. En effet, à Marseille est expérimentée “l’école du futur”, dont le Gouvernement souhaiterait, à terme, généraliser l’approche à l’ensemble de l’Hexagone. L’objectif de ce dispositif est d’accorder une marge de manœuvre plus importante aux directeurs pour déployer des projets pédagogiques propres à chaque établissement, notamment en leur donnant la possibilité de recruter des enseignants. Toutefois, l’expérimentation est remise en question par les syndicats, qui invoquent un risque d’autonomisation et de mise en concurrence des établissements.

1.3. Des moyens financiers inédits investis par l’État dans la deuxième ville de France

Sur les 5 milliards € injectés par le plan, les principaux postes de dépenses se répartissent ainsi :

Transports et mobilités

L’État a débloqué plus d’1 milliard € : 256 millions € de subventions et 744 millions d’avances remboursables. Dans le cadre de l’“acte 2” du plan, le Président Macron a indiqué que la subvention pour les transports attribuée à la Métropole Aix-Marseille-Provence allait être doublée (passant de 256 à 500 millions €). À ces crédits, s’ajoutent les 3,5 milliards € spécifiquement dédiés au projet de RER métropolitain.

Rénovation des écoles

L’enveloppe du plan écoles est dotée d’un budget atteignant 1,5 milliard €, consacrés à la remise en état du bâti scolaire vétuste, ce qui concerne 188 établissements de la ville d’ici à 2030. Le maire de Marseille, Benoît Payan, en avait fait l’une des priorités de son mandat, mobilisant 800 millions €, sur lesquels l’État a accepté de garantir 650 millions € d’emprunt, en plus d’une dotation de 400 millions €.

Sécurité

L’affectation de 330 nouveaux policiers sur deux ans a été actée, ainsi que l’arrivée d’une nouvelle compagnie de CRS. Le déploiement de caméras de vidéosurveillance se poursuit, avec 55 caméras en cours d’installation dans les quartiers Nord et 100 supplémentaires à l’étude, sur l’objectif fixé de 500 caméras. L’installation d’un nouveau commissariat pour les 13ème et 14ème arrondissements d’ici fin 2024 (pour 10 millions € d’investissements) et la construction à venir d’un nouvel hôtel de police, prévu pour 2027 (plus de 200 millions € d’investissements), sont également programmées.

Logement

Dans ce domaine, les besoins sont considérables et ont été, dramatiquement, mis en évidence par le drame de la rue d’Aubagne. Pour y répondre, une enveloppe de 650 millions € a été débloquée par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), en mars 2022. S’y ajoutent 14 millions € par an, sur huit ans, mobilisés par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), soit un total de 762 millions €. Ce budget doit permettre d’atteindre l’objectif de réhabilitation de 10 000 logements sur les quinze prochaines années, situés dans les quatorze quartiers les plus en difficultés de la ville.

 

2. De premiers résultats mitigés au bout de 2 ans

Malgré la mobilisation de moyens publics et financiers, jamais vue à ce jour pour leur ville, la manière dont les Marseillais perçoivent le plan s’avère relativement indifférente, sinon critique.

D’après une enquête d’opinion, malgré les 5 milliards € investis pour leur ville, 42 % des habitants se déclarent insatisfaits de la mise en œuvre du plan “Marseille en Grand”… quand 19 % n’ont même pas entendu parler de ce “plan Marshall”[16].

2.1. Certains dossiers avancent relativement bien…

Dans le même temps, l’Élysée affirme que “plus de 90 % des projets annoncés ont été engagés”, depuis la présentation du plan en septembre 2021[17].

Sur l’éducation, sans préjuger de ses résultats sur le plan pédagogique, l’expérimentation “écoles du futur” fonctionne et se déploie sur le terrain. Elle a déjà permis de soutenir 82 écoles innovantes – contre 59 initialement prévues – pour développer les projets de leur choix dans le cadre d’une autonomie renforcée, afin d’améliorer l’apprentissage des élèves.

Dans le domaine de la sécurité, l’arrivée de nouveaux moyens pour les forces de l’ordre, couplée aux orientations stratégiques prises par la Préfecture de police des Bouches-du-Rhône, produit de premiers résultats. Ainsi, sur deux ans, 70 points de deal ont été supprimés à Marseille, pour un total de 156 dénombrés en 2021[18].

2.2. … quand d’autres connaissent des avancées plus lentes, voire des blocages

Toutefois, compte tenu de l’ampleur des retards structurels à rattraper, les progrès se révèlent parfois lents sur certains sujets majeurs pour les Marseillais.

En matière de sécurité et de lutte contre les trafics de stupéfiants – travail de longue haleine et qui dépasse le seul périmètre de la ville de Marseille –, l’année 2022 a été particulièrement meurtrière à Marseille. On dénombre ainsi plus de 30 “règlements de comptes” l’an dernier, et d’ores et déjà 44 morts en 2023[19] : ceci en raison de véritables guerres de territoires entre clans concurrents, de plus en plus féroces du fait de la réduction des points de deals.

S’agissant des infrastructures de transports publics, ce dossier avance encore trop lentement, malgré des besoins criants. Rappelons qu’avec seulement deux lignes de métro, trois lignes de tramways – aux parcours parfois parallèles – et 93 lignes de bus, la deuxième ville de France n’offre pas de liaison directe entre les quartiers pauvres du Nord et ceux plus aisés du Sud. Certes des travaux ont débuté pour de nouveaux tramways, 15 projets de mobilité ont été lancés par la Métropole Aix-Marseille-Provence, mais avec peu de véritables réalisations concrètes à ce stade. Ces projets concernent, notamment, l’extension de lignes de tramways ou la création de bus à haut niveau de service (BHNS), avec une priorité donnée au désenclavement des quartiers Nord[20].

Citons, par exemple, la prolongation d’un tramway Sud-Nord – dont une première tranche est espérée d’ici fin 2024 –, ou encore un bus de rocade reliant deux terminus de métro dans le Nord de la ville, attendu pas avant 2024. Toutefois, la mise en place d’un RER métropolitain pourrait n’être finalisée qu’à horizon 2037, en raison d’importants travaux de rénovation à réaliser en gare de Marseille Saint-Charles[21].

Concernant la rénovation des écoles, la transformation est profonde mais, là encore, lente. L’objectif est de concentrer l’action publique sur les 188 écoles les plus vétustes de la ville (sur un total de 480 établissements). Ainsi, 50 écoles sont d’ores et déjà ciblées dans une première vague de travaux : 22 chantiers sont en cours ou programmés par la municipalité pour 2023, auxquels s’ajoutent 31 projets envisagés pour 2024, selon un pointage de la Ville[22]. Les études et concertations devraient s’accélérer en la matière dans les prochains mois[23].

2.3. Les autres champs d’intervention du plan, peu mis en lumière

Alors qu’il faisait partie des principales priorités lors de l’annonce du plan en 2021[24], suite au drame de la rue d’Aubagne, le dossier du logement s’inscrit dans le temps long et se retrouve désormais davantage au second plan. La Société publique locale d’aménagement d’intérêt national Aix-Marseille-Provence (SPLA-IN AMP) a récemment annoncé une “première vague” de réhabilitations de logements, qui concerne 30 immeubles dégradés du centre-ville, dès 2024[25]. Toutefois, la visibilité s’avère faible sur l’avancement des grands chantiers de rénovation urbaine, tandis que le problème de la taudification demeure considérable à Marseille. Face à la complexité des rénovations dans le cadre de copropriétés dégradées, un plan d’urgence a été annoncé et, plus globalement, des évolutions législatives devraient intervenir à l’échelle nationale[26].

Dans le domaine culturel, le plan comporte un volet cinéma et audiovisuel doté de 22,5 millions € de financements de l’État, dont les avancées mériteraient d’être mieux connues : lancement de l’École Cinéfabrique Marseille pour les 18–25 ans, création d’une base logistique de tournages, modernisation du Pôle Média de la Belle de mai, ou encore mise en place d’une antenne de la Cinémathèque française[27]. Dix ans après avoir été capitale européenne de la culture, Marseille voit cette ambition réaffirmée par le Président Macron, en juin dernier, avec l’annonce de nouveaux partenariats pour le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) et le développement de résidences d’artistes[28].

Par ailleurs, les enjeux d’innovation et de numérique pourraient être davantage mis en avant, alors que le territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence a récemment été désigné capitale européenne de l’innovation par la Commission européenne[29]. Début 2022, quatre structures d’accompagnement économiques et deux projets ont ainsi été labellisés par l’État dans le cadre des “carrefours de l’entrepreneuriat”. L’objectif principal de cette mesure est de sensibiliser les Marseillais, notamment les jeunes, à la création d’entreprise. Dans cette perspective, un “capital jeunes créateurs” peut également être versé, afin d’accompagner les jeunes Marseillais souhaitant lancer leur entreprise[30]. Dans son discours du 27 juin dernier, le chef de l’État a souhaité mettre l’accent sur ces sujets, évoquant l’objectif de faire de Marseille une véritable “capitale numérique européenne”.

Enfin, pourtant au cœur de l’économie locale, l’activité maritime et portuaire n’a fait l’objet de mesures du plan Marseille en Grand que depuis l’”acte 2”, avec un volet dédié au secteur et au Grand Port Maritime de Marseille-Fos (GPMM). Un projet d’école de l’économie bleue a ainsi commencé à être dévoilé[31].

 

3. La gouvernance du plan Marseille en Grand, enjeu structurant et facteur clé de réussite pour les prochaines années

Le millefeuille territorial et l’enchevêtrement des compétences complexifient la mise en œuvre du plan, de même que les luttes locales pour son portage politique. Or, la réussite du plan “Marseille en Grand” ne pourra aboutir que dans le cadre d’une gouvernance clarifiée et renforcée, qui a récemment commencé à être esquissée.

3.1. La mise en place d’un pilotage national du plan Marseille en Grand

Lors du dernier remaniement gouvernemental de juillet 2023, le suivi du plan et son déploiement ont officiellement été confiés au ministre de l’Intérieur[32], et, par délégation, à la secrétaire d’État chargée de la Ville Sabrina Agresti-Roubache, jusqu’alors députée marseillaise, élue dans la 1ère circonscription des Bouches-du-Rhône[33].

Cette attribution correspond à un objectif clair : passer d’un suivi technique, assuré jusqu’alors par la préfecture et les services déconcentrés de l’Etat, à un portage politique du plan par le Gouvernement. En effet, le suivi du plan “Marseille en Grand” était, depuis octobre 2021, confié au préfet délégué pour l’égalité des chances au niveau du département[34].

Pour autant, le plan Marseille en Grand étant par nature interministériel, son champ d’intervention est bien plus large que le seul domaine de la sécurité — bien qu’il s’agisse d’un axe important du plan. À moyen terme, il conviendra donc d’interroger ce nouveau mode de gouvernance et ses éventuelles limites.

C’est pourquoi, la création d’un haut-commissariat en charge du plan Marseille en Grand, placé auprès de Matignon, mériterait d’être envisagée à l’avenir. Le secrétariat d’État à la Ville pourrait s’appuyer sur cette nouvelle structure, afin de pouvoir mieux suivre et piloter le plan et sa mise en œuvre.

3.2. Une logique de co-construction à renforcer : d’un État planificateur à un État arbitre

Pour poursuivre la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes dans la durée, il conviendrait désormais de passer progressivement d’un État planificateur à un État arbitre. Dans ce rôle plus habituel, la mise en œuvre des actions du plan devrait donc être de plus en plus partagé avec les collectivités responsables, dans leur domaine de compétence respectif.

Dans cette perspective, il serait pertinent d’engager un processus de contractualisation avec les collectivités locales et les parties prenantes du plan.  Ainsi, un “contrat de plan État – Marseille en Grand” pourrait-il être formalisé dans les prochains mois entre l’État, la Ville, la Métropole et les autres collectivités associées (Département, Région) pour organiser une répartition claire des rôles entre les différents intervenants. À cet effet, les contrats de plan État-Région (CPER) pourraient être pris pour modèles. Objectif : structurer le cadre global pour l’ensemble des acteurs à horizon 2030–2040, et donc bien au-delà des prochaines élections municipales, pour agir en profondeur et dans la durée dans tous les domaines de l’action publique.

Surtout, il est essentiel de mieux associer les Marseillais à la construction du plan “Marseille en Grand”, afin d’envisager ses évolutions et de participer à son déploiement concret. D’autant que, lors de la présentation du plan en 2021, le Président de la République avait pris un engagement fort : “une consultation sera lancée auprès des Marseillaises et Marseillais pour penser Marseille en Grand. Élus, associations, citoyens… Tout le monde doit avoir le droit de dire et de proposer[35].

À cette fin, il serait pertinent de mettre en place des outils de suivi transparents et partagés. Ainsi, une plateforme participative publique en ligne pourrait être lancée, sous la coordination du Gouvernement, afin de faire état de l’avancement des mesures mises en œuvre dans le cadre du plan, détaillant chaque action, présentant les résultats quantitatifs et qualitatifs obtenus dans chaque domaine d’intervention, et permettre le dépôt de contributions citoyennes. Pour évaluer ces réalisations et formuler de nouvelles propositions, la constitution d’un comité de suivi du plan, réunissant les représentants de l’État, les parlementaires, des élus locaux, ainsi que des acteurs de la société civile – comme les associations, entreprises, centres sociaux ou comités d’intérêt de quartier – pourrait être étudiée.

Ce comité pourrait utilement participer aux travaux d’évaluation du plan Marseille en Grand, prochainement menés par la Cour des comptes et la Chambre régionale des comptes (CRC) Provence-Alpes-Côte d’Azur[36].

3.3. Un partage des pouvoirs locaux à repenser

Enfin, il conviendrait de repenser le millefeuille territorial marseillais, afin que la répartition des compétences et responsabilités puisse être clairement établie, et pour limiter l’incidence des luttes politiques locales dans le déploiement du plan Marseille en Grand.

La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale – dite “3DS” – a engagé de premières évolutions notables. En effet, les six conseils de territoire ont été supprimés, mettant fin à une structuration locale intermédiaire entre la Métropole et ses 92 communes, héritée des anciens périmètres intercommunaux. En parallèle, certaines compétences de proximité – comme la gestion de la voirie ne présentant pas un intérêt métropolitain ou le tourisme pour les communes touristiques et les stations classées de tourisme – ont été restituées aux communes, en tout ou partie. Cette réforme territoriale est complétée par des mécanismes de rééquilibrage financier, dont le versement d’une dotation de solidarité communautaire (DSC) par la Métropole aux communes, bénéficiant à la Ville de Marseille avec une trajectoire croissante jusqu’en 2025[37].

Afin d’inscrire pleinement le plan “Marseille en Grand” dans une perspective métropolitaine, une réforme structurelle de la Métropole Aix-Marseille-Provence serait à envisager, sur le modèle de la Métropole de Lyon. À terme, devrait ainsi être reposée la question d’une fusion Métropole-Département, un temps mise sur la table puis écartée lors du dernier quinquennat[38].

 

En matière de démocratie locale, l’instauration d’une élection dédiée des conseillers métropolitains, au suffrage universel direct, pourrait être étudiée. De même qu’une révision de la loi dite “PLM”, afin de rendre plus directe l’élection du Maire de Marseille, puisque celui-ci est élu par un collège issu des conseils d’arrondissement. Cette réforme viserait à mettre à jour ce mode de scrutin datant des années 1980, en tenant compte des évolutions démographiques des seize arrondissements marseillais. Elle contribuerait à lutter contre les phénomènes de clientélismes locaux, renforcés par la sectorisation électorale.

Actuellement, les élections municipales dans ces trois communes ne se déroulent pas à l’échelle de la ville, mais de l’arrondissement[39], dans une logique de proximité et avec un scrutin proportionnel de liste, à deux tours avec prime majoritaire. Plus précisément, à Marseille, l’élection se joue dans 8 secteurs (regroupant chacun 2 arrondissements) pour élire les conseils d’arrondissement (plus communément appelés mairies de secteur) et le conseil municipal de Marseille (dit mairie centrale)[40]. Comme dans toutes les communes, il revient à ce dernier d’élire en son sein le maire de la ville.

Chaque secteur est représenté par un nombre différent de conseillers municipaux, fixé par la loi, en fonction du poids démographique :

  • 1er secteur (1er et 7e arrondissements) : 11 sièges ;
  • 2e secteur (2e et 3e arrondissements) : 8 sièges ;
  • 3e secteur (4e et 5e arrondissements) : 11 sièges ;
  • 4e secteur (6e et 8e arrondissements) : 15 sièges ;
  • 5e secteur (9e et 10e arrondissements) : 15 sièges ;
  • 6e secteur (11e et 12e arrondissements) : 13 sièges ;
  • 7e secteur (13e et 14e arrondissements) : 16 sièges ;
  • 8e secteur (15e et 16e arrondissements) : 12 sièges.

Dès lors, ce système conduit à favoriser l’élaboration de stratégies électorales très territoriales et sectorielles, dans la mesure où l’élection municipale se joue sur la conquête d’une majorité de sièges et non d’une majorité de suffrages. Ces stratégies peuvent parfois devenir clientélistes, au détriment de l’intérêt général de la ville dans son ensemble. Une réforme institutionnelle serait donc légitime.

À ce sujet, Benoît Payan s’est déclaré favorable à une refonte du système électoral actuellement en vigueur à Paris, Marseille et Lyon[41]. Cette réforme pourrait suivre différentes orientations, y compris l’organisation de deux scrutins dissociés, le premier pour élire les conseillers d’arrondissement et le second pour élire les conseillers municipaux.

Une autre voie serait possible, voire préférable, en s’inspirant du mode de scrutin des élections régionales, à savoir une liste unique comportant des sections départementales. L’idée serait donc d’inverser la logique “bottom-up” de la loi “PLM”, pour aller vers une approche “top-down” : conservation d’un vote unique, mais instauré à l’échelle de l’ensemble de la ville, pour une liste municipale identique dans tous les secteurs marseillais, comportant 8 sections locales. Ainsi, les conseillers municipaux élus se répartiraient par secteur via ces sections locales, avec un nombre de sièges à déterminer par le législateur.

Ce système serait davantage lisible et direct pour les électeurs marseillais, en inscrivant l’élection municipale dans une véritable logique de ville. Pour éviter des anomalies démocratiques, il conviendrait donc désormais d’être majoritaire en voix pour être élu maire de Marseille, mais aussi de Paris et de Lyon.

 

Conclusion

Malgré l’engagement de moyens exceptionnels pour la deuxième ville de France depuis deux ans, le plan “Marseille en Grand” produit, à ce stade, de premiers résultats mitigés. Certains dossiers connaissent des avancées positives – comme l’éducation et la sécurité – même si elles sont encore partielles mais, de manière générale, les progrès arrivent encore trop lentement dans la plupart des domaines concernés – à l’image des transports ou du logement.

Afin d’accélérer le déploiement du plan “Marseille en Grand”, il devient donc urgent de mettre en place une gouvernance forte au niveau national, une contractualisation entre l’ensemble des parties prenantes et de mieux impliquer les Marseillais dans son suivi et dans l’élaboration de futures mesures. Ce cadre nouveau serait de nature à favoriser une nécessaire action de long terme, s’inscrivant à la suite d’une logique d’expérimentation locale.

Sur le plan politique, le lancement d’une réforme territoriale apparaît indispensable pour instaurer un meilleur partage des pouvoirs locaux et relancer la vie démocratique locale. Cela passerait, notamment, par une Métropole marseillaise plus forte et plus légitime : fusionnée avec le Département, ses élus devraient l’être au suffrage universel direct dans le cadre d’une élection dédiée. Enfin, la loi “PLM” pourrait être réformée, afin de permettre aux Marseillais – ainsi qu’aux Parisiens et aux Lyonnais – d’élire plus directement le Maire de leur Ville.

 


[1] Loi n° 82–1169 du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale.

[2] Philippe Pujol, La Fabrique du monstre, Les Arènes, 2015.

[3] https ://www.marseille.fr/sites/default/files/contenu/decouvrir-marseille/PDF/liste_des_111_quartiers.pdf

[4] En référence à l’ouvrage du sociologue Jean Viard, Marseille, une ville impossible, Payot, 1995.

[5] https://www.bouches-du-rhone.gouv.fr/content/download/34004/195063/file/Liste%20des%20%20Quartiers%20Prioritaires%20des%20BdR.pdf

[6] https://www.liberation.fr/france-archive/1996/01/15/chirac-a-la-reconquete-des-francaisjeudi-le-plan-marshall-des-banlieues-sera-presente-a-marseille_161441/

[7] https://www.lesechos.fr/2013/11/jean-marc-ayrault-promet-25-milliards-pour-marseille-331146

[8] Le rapport de Christian Nicol, sur l’état du parc immobilier privé à Marseille, avait été commandé en 2015 par le Ministère du Logement.

[9] Chambre régional des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rapport d’observations définitives – Commune de Marseille (Département des Bouches-du-Rhône), situation financière et patrimoine, exercices 2012 et suivants, 20 août 2019.

[10] https://www.gouvernement.fr/upload/media/default/0001/01/2019_10_dossier_de_presse_-_letat_plus_fort_en_seine-saint-denis_-_31.10.2019.pdf

[11] Discours du Président de la République Emmanuel Macron, à Marseille, 27 juin 2023 https://www.vie-publique.fr/discours/290222-emmanuel-macron-27062023-plan-marseille-en-grand-aide-de-l-etat

[12] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/metropole-aix-marseille/marseille/ecoles-mal-chauffees-marseille-parents-eleves-se-mobilisent-1172277.html

[13] https://www.lepoint.fr/societe/a-marseille-les-ecoles-delabrees-passoires-thermiques-en-surchauffe-16–06–2022–2479874_23.php

[14] https://www.francebleu.fr/infos/societe/il-pleut-dans-une-ecole-du-3eme-arrondissement-de-marseille-les-parents-d-eleves-se-mobilisent-1539194283

[15] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-des-rats-envahissent-une-ecole-du-12e-arrondissement-2655120.html

[16] Sondage Ifop pour Public Sénat et La Tribune, “Le climat politique à Marseille”, juin 2023

[17] ​​https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/marseille-en-grand

[18] “Drogues à Marseille : le nombre de points de deal a-t-il vraiment chuté de 40%, comme le dit Macron ?”, La Provence, 26 juin 2023

[19] https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/video-en-2023-une-hausse-inquietante-des-reglements-de-comptes-a-marseille-2269561.html

[20] https://ampmetropole.fr/mobilite-transports/la-metropole-accelere-la-revolution-des-transports/

[21] “Marseille, Aix, Rognac, Vitrolles, Fos… Faudra-t-il attendre encore quinze ans pour un RER ?”, La Provence, 2 octobre 2023

[22] https://madeinmarseille.net/132602-la-ville-de-marseille-devoile-31-nouveaux-projets-de-renovation-decoles/

[23] https://www.lamarseillaise.fr/accueil/fait-du-jour/la-concertation-a-marche-forcee-avec-le-plan-ecoles-FG14567244

[24] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/02/marseille-en-grand

[25] https://ampmetropole.fr/habitat-logement/spla-in-aix-marseille-provence-30-immeubles-du-centre-ville-rehabilites-des-2024/

[26] https://www.laprovence.com/article/region/5010523125686215/macron-a-marseille-coproprietes-degradees-macron-veut-changer-la-loi-et-lance-11-dispositifs-durgence

[27] https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Marseille-en-grand-signature-d-un-protocole-d-accord-entre-l-Etat-et-les-collectivites-et-des-avancees-concretes

[28] ​​https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/06/28/marseille-en-grand-un-avenir-mediterraneen

[29] https://ampmetropole.fr/developpement-economique/la-metropole-aix-marseille-provence-est-elue-capitale-europeenne-de-linnovation/

[30] https://entreprendreamarseille.fr/capital-jeunes-createurs/

[31] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/06/28/marseille-en-grand-un-avenir-mediterraneen

[32] Article 1 du décret n° 2023–664 du 26 juillet 2023 relatif aux attributions du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer.

[33] Article 1 du décret n° 2023–757 du 10 août 2023 relatif aux attributions de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de la Ville.

[34] Décret du 7 octobre 2021 portant nomination du préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, préfet des Bouches-du-Rhône, chargé du plan Marseille en grand – M. CARRIE (Laurent).

[35] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/02/marseille-en-grand

[36] https://marsactu.fr/la-chambre-regionale-des-comptes-va-passer-au-crible-le-plan-marseille-en-grand/

[37] https://gomet.net/dotation-de-solidarite-intercommunautaire-marseille/

[38] Cf. rapport du préfet Pierre Dartout au Premier ministre, “Mission Devenir de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône”, 13 mars 2019.

[39] Paris est découpée en 20 arrondissements, Lyon en 9, et Marseille en 16 regroupés en 8 secteurs.

[40] Le Conseil municipal de Marseille compte 101 membres, les conseillers d’arrondissement étant au total 174.

[41] https://www.lefigaro.fr/politique/benoit-payan-au-figaro-a-paris-marseille-et-lyon-il-faut-le-suffrage-universel-direct-aux-municipales-20231113

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