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Note

Politique de la ville et richesse des quartiers : renouveler le regard sur les quartiers défavorisés

François Hollande se rendra demain à Vaux-en-Velin, entamant une séquence consacrée aux banlieues, qui reviennent ainsi au cœur de la campagne. Dans la perspective de la publication, la semaine prochaine, du rapport de Terra Nova sur les banlieues, la fondation propose une réflexion de Marie-Odile Terrenoire sur la politique de la ville en insistant, au-delà des résultats chiffrés, sur les réussites réalisées sur le terrain et les dynamiques positives à l’œuvre dans les quartiers. Si les statistiques semblent décevantes, elles ne justifient pas l’abandon d’une politique transversale qui a su créer du lien social et s’est caractérisée par une multitude de réalisations.

Publié le 

Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté ».

1 – La mal aimée des politiques publiques

Quelles orientations pour les quartiers populaires ou, pour ne pas rester dans l’euphémisme, pour les territoires de la pauvreté ? Les débats de la campagne électorale portent principalement sur les politiques de l’éducation, de l’emploi et du logement, sur la politique internationale et surtout européenne, et bien sûr sur les politiques économiques et financières, sur la fiscalité notamment. Mais les banlieues ne sont pas, jusqu’à aujourd’hui, au centre de la campagne. Le 21 octobre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) avait autorisé la publication d’un rapport intitulé : « Quartiers défavorisés ou ghettos inavoués, la République impuissante » (n°2853), comme si un constat général d’échec pesait trop lourdement.

Il y a, c’est vrai, beaucoup à dire sur les travers de la politique de la ville que le jargon et les sigles rendent hermétique au commun des mortels. L’opacité qui s’ensuit est largement renforcée par l’enchevêtrement de ses dispositifs (le « millefeuilles »), les changements à chaque alternance, la complexité des systèmes de décision, la lourdeur administrative des circuits pour les demandes de subvention, et la confusion due à un environnement technocratique et politique insaisissable.

Il y aurait aussi à redire sur un certain paternalisme qui ne va pas sans une certaine dose de misérabilisme.

On a beau jeu, aussi, de dénoncer le fossé entre les ambitions affichées de réduction de la fracture sociale, et les résultats chiffrés que la Cour des comptes se fait un plaisir de livrer… Pourtant, cette disqualification systématique est injuste. C’est l’objet de cette note : il ne faut pas renoncer à cette politique.

En réalité, la politique de la ville subit la stigmatisation des quartiers dont elle est censée résoudre les difficultés. La « mal aimée » des politiques nationales, objet de tant d’évaluations négatives, a quasiment disparu du programme de la majorité actuelle, alors même que le candidat sortant clame haut et fort que la gauche a laissé les quartiers « à l’abandon ».

De même, sur la scène médiatique, les quartiers populaires n’apparaissent à la une qu’à l’occasion de « guérillas » urbaines, celles-ci éclatant la plupart du temps en riposte à des violences policières [1] . Les banlieues vues sous l’angle de la politique de sécurité. Quasi silence sur les autres orientations possibles. A cet abandon par la sphère politique et médiatique [2] , répond le peu d’appétence des quartiers pour les enjeux politiques à venir. L’abstention y est massive. Il y a une dialectique entre le désintérêt de la campagne vis-à-vis du sort des quartiers et le désintérêt des populations pour les élections.

Selon le dernier rapport de l’Observatoire national des zones sensibles (2011), en 2006, 4,4 millions de personnes vivaient en zones urbaines sensibles, soit 7 % de la population française. On peut compter 8 millions de personnes, près du double, si l’on comprend dans ce chiffre l’ensemble des habitants vivant dans un quartier concerné par la politique de la ville. Les électeurs des ZUS sont nettement plus abstentionnistes que la moyenne nationale. Faudrait-il donc se résigner à ne parler qu’aux personnes qui votent ? [3] Au 1 er tour de l’élection présidentielle de 2002, plus d’un électeur sur trois inscrits en ZUS n’a pas participé au scrutin (36 %), contre moins de trois sur dix au niveau national (28,4 %). Les élections présidentielles de 2007 ont été marquées par une mobilisation plus grande des électeurs, mais, même si l’abstention s’est réduite dans les ZUS comme ailleurs, les écarts avec la moyenne nationale restent grands. C’est pourtant dans ces territoires que la gauche remporte proportionnellement le plus de succès : elle y totalisait en 2007 plus de 40 % des suffrages exprimés au premier tour. La France de la diversité est acquise à la gauche. Le jeu n’en vaut-il pas la « chandelle » pour elle ?

2 – L’évaluation de la politique de la ville

2. 1 – Les résultats chiffrés passent à coté des réussites sur le terrain

Les méthodes d’évaluation de la politique de la ville mettent l’accent sur les résultats globaux. Les pourcentages du chômage, de l’échec scolaire ou autre chiffre mesurant les écarts avec les moyennes nationales restent désespérants. Ces données montrent une stagnation. Mais les méthodes statistiques employées passent à côté des flux [4] , c’est-à-dire de « beaux parcours de réussite qui se matérialisent par des déménagements hors du quartier sensible » [5] . Elles ignorent que le quartier peut être un sas. La présidente de l’Observatoire national des Zones urbaines sensibles (ONZUS), Bernadette Malgorn, elle-même, en est tout à fait consciente, puisqu’au moment de la publication du rapport 2011, elle déclarait dans une interview [6] qu’il était indispensable de renforcer le suivi des populations pour dépasser le cadre strict de la statistique territoriale comparative.

Par ailleurs, Il faudrait évaluer les résultats au regard du contexte international et, surtout, au regard des moyens investis. Ce fameux « plan Marshall », formule du début du quinquennat, où en est-il ? L’argent de la politique de la ville pendant le quinquennat SARKOZY a été surtout placé dans les opérations de renouvellement urbain. Mais les subventions données aux associations ont diminué alors qu’elles étaient déjà modestes. Elles se chiffrent, en moyenne, autour de quelques milliers d’euros par an par action.

Enfin, cette recherche obstinée d’objectivité mesurable [7] nuit à la lisibilité des actions qui se déroulent concrètement sur le terrain. Les succès existent tant sur le plan individuel que collectif ou territorial. Il y a eu une multitude de réalisations.

2. 2 – Invisibilité du travail des équipes : comment se joue leur efficacité ?

Le travail de la politique de la ville consiste à aller au devant des habitants et à inventer de nouvelles manières de faire pour traiter des problèmes sociaux. Elle met en œuvre des formes de participation informelle (« bottom up » [8] ) qui ne disent pas leur nom. C’est un travail de longue haleine à multiples facettes qui se caractérise par des activités pratiques qui sont, quoi qu’on en dise, très efficientes.

Elles supposent de « petits ajustements quotidiens. Mais ce mode de résolution des problèmes, remarque Daniel CEFAÏ [9] , passe inaperçu faute d’outils pour le rendre visible. Son invisibilité, dit-il, est probablement l’une des principales raisons des critiques qui lui sont adressées ». La littérature scientifique a principalement mis les projecteurs sur la logique étatique de cette démarche. Elle s’étend sur les évolutions conséquentes qui sont intervenues depuis 30 ans. Mais elle laisse dans l’ombre ce travail en finesse de l’action publique de terrain qui reste fidèle à l’esprit de son origine.

La politique de la ville intervient en réseau dans les failles et les interstices des découpages administratifs en s’appuyant sur les initiatives locales. Elle se donne pour mission « donquichottesque » d’agir partout où les rigidités institutionnelles pèsent sur la vie des individus. Elle cherche à apporter de l’huile dans les rouages en amenant les services à travailler ensemble. Partenariat et transversalité sont les maîtres mots qui définissent sa méthode.

La formule de Patrick Viveret : « Pourquoi cela ne va pas plus mal ? » semble la plus appropriée pour décrire la situation. Il y a dans ces quartiers des forces de solidarité qui permettent d’adoucir les épreuves du quotidien. Le travail de la politique de la Ville consiste à se saisir de ces forces pour trouver des solutions pour améliorer la vie des habitants.

3 – L’énergie des quartiers

La politique de la ville, c’est à mettre à son crédit, a su s’appuyer sur l’ingéniosité et l’inventivité des quartiers. C’était même les fondements originaux de sa création en 1981, lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir : il faut faire confiance aux habitants, ils ont des ressources. Ils peuvent être acteurs du développement de leur quartier.

Tant pis si l’on est taxé d’« angélisme », il faut que la confiance l’emporte sur la défiance et le rejet. Il faut contrecarrer cette vague de fond qui fait progresser d’année en année un racisme sans fard qui sert de justificatif aux pratiques d’évitement, ferment de la ségrégation urbaine. Il faut s’opposer fermement au pessimisme ambiant et aux « Cassandre » en tous genres. Il faut aussi rompre avec un misérabilisme dévastateur. On peut dénoncer la dégradation des conditions sociales d’existence et les injustices qui s’accroissent, sans pour autant donner du crédit à des discours victimaires qui nous enferment dans la culpabilité. Il faut enfin et surtout mettre fin à cette abominable entreprise de division dont notre président s’est fait le chantre [10] .

3. 1 – Intégration : une partie qui se joue à deux voixLa figure emblématique des femmes relais

Issues de l’immigration, les femmes relais cherchent à résoudre les problèmes les plus difficiles de leur communauté d’origine : expulsions, interpellations, accidents, conflits de tous ordres dans les institutions. Elles savent dénouer des situations paraissant inextricables. Les services rendus tant auprès des populations qu’auprès des institutions sont incommensurables. Ils s’effectuent soit de manière bénévole, soit avec des rémunérations épisodiques et aléatoires, des vacations.

Les personnes relais opèrent dans tous les sites par lesquels transitent les flux migratoires, là où se concentrent des populations d’origine immigrée connaissant de graves difficultés économiques qui entravent leur intégration à la société française : dans des îlots de logements insalubres ou dans des logements sociaux. Ces populations, qu’elles soient primo-arrivantes (par exemple dans le cadre d’un regroupement familial), ou restées en marge depuis longtemps, connaissent mal le système social français, tant au niveau des droits qu’il offre, qu’au niveau des devoirs qu’il implique. Ces femmes, jouant le relais entre ces populations et les pouvoirs publics, interviennent pour la plupart dans un cadre associatif. Elles apportent un appui moral aux personnes qu’elles suivent. Elles les conseillent dans leurs démarches et les aident à s’adapter à la société française. Elles ont un rôle pédagogique, et contribuent, ainsi, à la lutte contre l’exclusion dans la diversité des institutions où l’on rencontre des conflits de culture (écoles, hôpitaux, PMI, mairies, préfectures, bibliothèques, centres d’action sociale, ensembles HLM…). Elles réussissent là où la distance culturelle est telle que les incompréhensions persistent après les interventions des assistantes sociales, même aidées d’interprètes. Elles constituent le chaînon manquant de l’action sociale entre les institutions et les familles.

Ces médiatrices luttent, d’un coté, contre le repli communautaire, de l’autre, contre les comportements xénophobes en sensibilisant les professionnels français (médecins, enseignants, assistantes sociales, bailleurs sociaux, etc.) aux particularités culturelles de leur communauté d’origine, évitant ainsi des malentendus. Leur connaissance des difficultés des parcours migratoires, leur « biculturalisme », leur connaissance des institutions de la France, ainsi que le respect (au sens fort) de ses lois, sont les qualités qu’on leur demande pour travailler comme intermédiaires dans les services publics où des dysfonctionnements dus à un déficit de compréhension apparaissent, et ne peuvent être résolus par le recours à un service ponctuel d’interprétariat.

Les femmes relais ont créé un métier. Leur manière de faire a inspiré les promoteurs du dispositif des adultes relais [11] qui, après douze ans d’existence, assurent de manière plus institutionnelle des missions de médiation sociale et culturelle dans les quartiers d’habitat social. On compte aujourd’hui 4 230 postes d’adultes relais sur le territoire national. Ce dispositif représente une amélioration de la situation des personnes relais, ainsi qu’une forme de reconnaissance de leur rôle, mais ne leur assure pas la sécurité d’emploi qu’elles seraient en droit d’attendre si l’on voulait bien considérer à leur juste prix les services rendus au sein des communautés de voisinage.

La médiation, telle que la pratiquent les femmes relais, est un va-et-vient entre les populations et les institutions. Elle suppose un effort de part et d’autre.

La France est une terre d’immigration. Depuis des millénaires, elle accueille et intègre les vagues migratoires. Qu’elles soient de l’intérieur (Ardèche, Auvergne, Morvan, Bretagne,..), ou de l’extérieur (Italie, Espagne, Portugal, pays du Maghreb, de l’Asie ou de l’Afrique sub-saharienne…), les personnes qui choisissent l’émigration cherchent à travailler ou à rejoindre un membre de leur famille. La France a su, avec des hauts et des bas, s’ouvrir à ces nouvelles populations, utiliser leur force de travail, puis les intégrer. Le réflexe xénophobe resurgit régulièrement, mais le désastre de la Seconde Guerre mondiale a eu pour heureux résultat le refoulement pendant plusieurs dizaines d’années d’un racisme affiché.

Hélas, la figure de l’ennemi intérieur que l’on croyait à jamais enterrée reprend vigueur. La gauche doit se démarquer de ce discours.

Les discriminations sont très nombreuses. Combien d’enfants et de petits enfants d’immigrés se voient refuser des logements uniquement à cause de la consonance de leur nom alors qu’ils disposent de revenus réguliers ? Combien se voient éconduits des entretiens d’embauche pour la même raison ? La discrimination crée le repli, et inversement. Un cercle vicieux. « Nous devons comprendre que ceux que notre société rejette la rejettent et nous rejettent ». [12]

La politique de la ville œuvre dans les quartiers où vivent des populations de toutes origines. C’est l’une de ses grandes spécialités. « Le « bariol » est exclusivement urbain. Ceux qui ne le connaissent pas le redoutent. (…) Par la force des choses, et malgré les résistances, les inerties, les tensions, une dimension de coexistence finit par l’emporter. (…) La qualité du « bariol », c’est celle d’un élargissement du national, tant pour le pays récepteur que pour chaque habitant reçu, étant entendu que ce qui dès lors le reçoit, ce n’est pas tant une terre d’accueil que justement une aire réservée aux contours indécis au sein de laquelle l’étrangeté (…) est la norme ». [13]

Les temps changent. Les « WASP » [14] ne constituent plus la marque de fabrique de la population étasunienne. Il est même prévu que la population blanche non hispanique deviendra minoritaire d’ici une vingtaine d’années aux États-Unis… De même en France, les « Français de souche », blancs et catholiques, perdent de leur poids démographique. Ils ne sont plus majoritaires dans certains faubourgs de nos villes. Ce n’est pas un drame. C’est ce que l’on apprend dans les quartiers de la politique de la ville. Il faudrait savoir mieux expliquer qu’il n’y a pas à craindre de ce nouveau métissage. Les migrants africains d’aujourd’hui sont les bougnats d’hier.

Les communautés comme levier d’intégration

Alors que les vagues migratoires se succèdent, les coutumes du pays – vestimentaires, religieuses, culinaires ou encore linguistiques – se perpétuent pendant une ou plusieurs générations et sont revendiquées. Même si l’on ne peut pas parler de ségrégation ethnique, comme il en existe aux États-Unis, il y a des regroupements par origine tant dans le parc privé, que dans les logements sociaux. Les quartiers de la politique de la ville sont les premiers concernés.

Sans entrer dans un débat avec ceux qui redoutent les risques de « communautarisme » [15] , on peut poser, avec la sociologue Véronique de Rudder, la question du lien entre l’existence de ces communautés ethniques et l’intégration à la société française. Constituent-elles un frein ou un levier pour cette intégration ? Avec elle, nous dirons que le lien communautaire se transforme au contact de la société d’accueil et que la solidarité entre personnes d’une même origine est un facteur d’une meilleure intégration pour les migrants arrivant dans un pays : « La communauté transmet aux enfants la langue et les valeurs, mais celles-ci sont en constante transformation. Les liens ne sont jamais identiques à ceux qui préexistaient à l’immigration dans le pays d’origine. Ils se reformulent, se réinventent dans un contexte nouveau. (…) Plus les personnes ont une sociabilité forte au sein de la communauté, plus leur sociabilité est favorable à ce que la sociologie appelle « intégration », autrement dit, elle facilite les contacts de tous genres avec l’ensemble de la société ». [16]

Nous pensons, avec Jean-Claude Sommaire [17] , qu’il faut « démythifier la démarche « communautaire » devenue taboue en France. Et avec lui, nous croyons aussi, pour aller encore plus loin, que le développement « communautaire » peut être vu comme une solution pour freiner… les communautarismes ethniques et religieux ».

Tous les hommes vivent au sein de communautés : familles, quartiers, églises, associations… Quel mal y a-t-il à cela ? Les politiques publiques ont tout intérêt à s’appuyer sur elles plutôt qu’à les redouter.

La mobilité en lieu et place de la notion de mixité ?

Cette attention portée aux solidarités de communautés doit-elle s’accompagner d’un renoncement aux objectifs de mixité sociale ? C’est une question compliquée :

La notion de mixité sociale a été dévoyée pour justifier des politiques ayant un objectif plus obscur. L’objectif de mixité sociale est ainsi plus que jamais présenté comme justifiant les politiques publiques de démolition-reconstruction dans les quartiers, en particulier sous la majorité actuelle, politiques dont on sait qu’elle oblige souvent les plus pauvres à déménager… Pourtant, un consensus républicain se dégage sur cette idée que la mixité sociale serait la solution centrale au problème des « banlieues ». Il y a du faux semblant et des stratégies propres à chaque corps (État, élus nationaux, élus locaux, bailleurs sociaux, habitants…), qui empêche de traiter cette question en toute sérénité.

D’autre part, « la plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui sur l’idée d’une polarisation sociale croissante des espaces urbains, c’est-à-dire sur l’enrichissement tendanciel des espaces habités par des riches et l’appauvrissement tendanciel des espaces habités par les pauvres. La tendance à l’homogénéité sociale et ethnique est plus forte dans les quartiers riches que dans les quartiers pauvres… Au lieu d’être réservée aux quartiers en difficulté, l’objectif de mixité devrait donc être recherché à l’échelle de la ville dans son ensemble ». [18] La question de la mixité doit ainsi être posée tout autant dans les quartiers de riches que dans les quartiers de pauvres. La loi SRU que François Hollande préconise de renforcer est une des voies pour agir à l’échelle des communes.

Dans ce contexte ambigu, l’amélioration des transports urbains et la progression des déplacements inter-quartiers peuvent être conçus comme le complément indispensable des efforts faits en vue d’une meilleure mixité sociale et ethnique.

3. 2 – Citoyenneté Sur tous les fronts de l’exclusion : les associations

Les quartiers populaires sont un lieu d’émergence associative. L’ampleur des problèmes sociaux suscite la création d’associations. Une grande proportion d’entre elles travaillent directement avec la politique de la ville. Un rapport de 2002 [19] mentionnait 15 000 associations subventionnées.

Les associations sont en première ligne de la lutte contre les exclusions dans tous les domaines : scolarité, culture, apprentissage du français, illettrisme, santé, emploi, prévention sociale, cadre de vie… Leur rôle auprès de la population est capital : elles écoutent ceux qui sont seuls, démarchent pour les autres dans les dédales de l’administration, orientent, soutiennent les enfants qui sont en échec scolaire, organisent des fêtes, des sorties et des spectacles qui rassemblent les habitants, accueillent les sans-abri, aident les toxicomanes, se mobilisent pour empêcher l’expulsion des enfants scolarisés sans papiers. Leur action est multiple et variée.

Le monde associatif est très vaste et présente des formes qui ne peuvent être confondues les unes avec les autres : des plus institutionnelles et professionnelles comptant plusieurs centaines de salariés à celles, plus ou moins pérennes, uniquement composées de quelques bénévoles.

Mais, s’agissant de décrire ce qui se tisse au niveau local, il est important de dire que les associations agissent en complémentarité de l’action publique et représentent des interlocuteurs incontournables du développement social territorial [20] . Elles peuvent aussi agir en contrepoids, voire en contradiction, des dispositions prises au niveau politique. Dans un cas comme dans l’autre, les associations témoignent de la faculté d’auto-organisation de la société sur laquelle s’appuie la politique de la ville.

En termes de politiques publiques, deux principes pourraient être adoptés :

Distinguer le travail donné au bénévole de celui occupé par des salariés

Dépasser la parole des « professionnels associatifs » pour recueillir la parole des habitants

4 – Une politique du lien social dans une société de compétition

4. 1 – Des réalisations multiples et à géométrie très variable

Créer un café associatif dans un quartier éloigné, là où aucun café n’aurait voulu s’installer du fait du manque de solvabilité des habitants, c’est joindre l’utilité sociale aux efforts de développement, sans se plier à une stricte logique de rentabilité.

Réaliser des jardins familiaux, au milieu d’un ensemble social, c’est se référer à des modèles anciens de sociabilité, avec le plaisir de voir des habitants se regrouper autour de leurs potagers.

Quand l’équipe installe une permanence pour les personnes âgées dans les anciennes loges de gardiens, c’est introduire de la présence là où elle s’en va. C’est aussi aller à contre courant des pratiques dominantes, puisque des bailleurs font disparaître des gardiens en pieds d’immeubles par souci de rentabilité et de gestion à court terme.

Attirer une quinzaine de jeunes par une subvention leur permettant de financer l’auto-école, c’est les mobiliser vers des formations qualifiantes et la recherche d’un emploi (partenariat entre un club d’éducateurs de rue et la mission locale).

Organiser une fête de quartier avec les associations des différentes communautés pour qu’elles collaborent à la confection de plats de toutes origines, c’est se donner une chance de mettre du liant là où les relations se tendent entre des populations d’origine et d’âge différents.

Monter une exposition itinérante dans un «  mobile home » pour interpeller les habitants sur leur lieu de passage, recueillir leurs paroles dans la rue et les informer des grands projets urbains de leur quartier, c’est se donner les moyens de dépasser les obstacles habituels de la concertation.

Construire un projet avec plusieurs associations pour aller à la rencontre d’enfants qui « traînent » en bas de leur immeuble et leur proposer des activités ou des sorties, c’est résoudre un problème lié à la complexité des inscriptions aux centres de loisirs.

Redonner naissance à une salle de cinéma dans un quartier traditionnel pour offrir à des stagiaires en alphabétisation des moyens cinématographiques, c’est faire d’une pierre deux coups : leur donner la possibilité ludique de mieux comprendre leur environnement, tout en apprenant la langue.

Trouver des astuces très concrètes pour faire venir les familles les plus en difficulté dans les institutions (pour la couverture des livres en début d’année à l’école, par exemple), c’est s’assurer qu’on tient bien le cap pour que l’école s’ouvre aux publics qui ne connaissent pas son fonctionnement.

4. 2 – Du « sur mesure »

La liste pourrait se poursuivre sans fin. Ouverture de lieux d’information, de jardins, de commerces, d’emplois, rédaction de guides (logement, droit du travail et de la famille, activités de loisirs pendants les vacances,..), construction d’outils de dialogue tant pour les partenaires que pour les habitants, présentation d’expositions, organisation de permanences, soutien de la vie associative, création d’équipements de toutes sortes…

Il existe des dispositifs conçus à l’échelle nationale : les Ateliers santé ville (ASV), la Réussite éducative, les plans locaux de lutte contre les discriminations (LCD)… Il en existe à l’échelle régionale : la Passerelle entreprise, le Parcours d’accompagnement pour l’emploi (PAVE)… Mais quelle que soit l’échelle à laquelle ont été élaborées les grandes lignes des dispositifs, les projets « en acte » se construisent au plus près du terrain, en réponse à des besoins bien concrets identifiés localement.  Ils permettent incontestablement à un petit nombre de personnes de s’en sortir malgré tous les obstacles.

On peut opposer aux esprits chagrins qui accusent la politique de la ville d’être un cautère sur une jambe de bois et qui lui reprochent d’accompagner la misère, que les équipements qu’elle crée correspondent à un diagnostic territorial précis. Il ne faut pas en rougir : c’est une part d’humanité qu’elle apporte. Sauf à être pour la politique du pire qui range ces initiatives dans les oripeaux de l’humanisme, nous devons nous en féliciter.

Les équipes de terrain sont les spécialistes des moyens détournés. Le théâtre, par exemple, est proposé à des bénéficiaires du RSA comme moyen de reprendre confiance en soi et mieux se présenter aux éventuels employeurs. L’organisation de fêtes fait partie intégrante des actions de la politique de la ville. Elles permettent de s’amuser, de se rencontrer mais aussi de s’informer en circulant devant les stands des associations ou des services.

Il n’y a pas de recettes. C’est souvent du bricolage, mais il faut considérer que le bricolage est une activité hautement inventive et adaptée à chaque situation. La réussite des projets tient beaucoup à la ténacité des individus en poste, à leur détermination et à leur passion. Elle tient aussi, bien entendu, à l’impulsion, à la volonté et au soutien des élus sans lesquels aucun projet ne peut aboutir.

Les résultats ? Une goutte d’eau dans un océan. Mission impossible. Un barrage contre le Pacifique. Ça marche, ou ça ne marche pas, c’est épuisant. C’est mineur et illisible sur le plan macro économique. La politique de la ville n’échappe pas à l’esprit managérial qui envahit notre société. Sa réputation est victime de la culture de la performance qui consiste à évaluer de manière comptable ses résultats. On lui demande de faire baisser la pauvreté dans les statistiques alors que ses succès ne concernent que le micro local.

On peut entendre les arguments de ceux qui disent que cette politique a pour objet de cacher les vrais problèmes. Le lien social vu comme entreprise de pacification des conflits sociaux [21] , un baume pour faire oublier l’aggravation des inégalités. Un cache misère, en somme, qui agit en superficie pour que l’abcès ne crève pas. La politique de la ville n’est pas responsable de la création de quartiers relégués. Elle en a hérité. Et est-il juste de lui reprocher ce qui n’est pas fait sous le gouvernement actuel au niveau des politiques de l’emploi, du logement, de l’éducation, de la sécurité et de l’industrie ? Elle ne peut pas suppléer, en effet, aux manques des politiques sectorielles et encore moins aux problèmes créés par la mondialisation de l’économie. C’est cependant à son honneur d’avoir l’apanage du lien social qui aide des communautés de quartier à mieux vivre ensemble.

Ce « mieux être » à une petite échelle ne peut pas remplacer un consensus autour de l’intérêt général.  Quand les « citoyens » ont l’impression que ce sont des intérêts particuliers qui guident les gouvernants, quand le socle antérieur, sur lequel il y avait un accord, a été brisé, la cohésion sociale est à reformuler avec des mots qui parlent à tous. Nous y sommes [22] .

Faut-il continuer la politique de la ville ?

Peut-on mettre fin aux politiques ciblées ?

Le cadre du quartier est trop étroit pour régler les problèmes de fond : emploi, éducation, santé, transports, cadre de vie, logement, sécurité, qui se posent de manière si aiguë dans les quartiers les plus pauvres. Le terme même de « politique de la ville » qui apporte tant de confusion dans les dialogues avec ceux qui ne la connaissent pas (« la politique de la ville n’est-elle pas la politique de la municipalité ? » s’entend-on demander) a été inventé à une époque où on avait déjà pris conscience que les problèmes devaient se résoudre à l’échelle de la commune, si ce n’est même à l’échelle de l’agglomération.

Repenser la politique de la ville, c’est interroger l’action de l’ensemble des politiques publiques sur les territoires. C’est réfléchir au principe des politiques de compensation incontournables tant la route pour rétablir les égalités territoriales est longue.

Doit-on, en effet, mettre fin aux politiques ciblées parce qu’il y a des effets pervers propres à ces politiques (la stigmatisation créée par le zonage étant le meilleur exemple) ?

Peut-on enfin établir ce « droit à la ville » pour tous que Henri Lefebvre appelait de ses vœux en 1967 ? Peut-être. Ne désespérons pas de l’avenir.

Des erreurs que nous pouvons lister après plus de 30 ans de politique de la ville cependant, il en est une dont il faut se méfier par dessus tout : l’illusion de la « table rase » qui consiste pour les « entrants » à tout « chambouler » après l’alternance sous prétexte que l’on va être meilleur que les « sortants ». Il faut, au contraire, savoir « stabiliser les politiques publiques pour les quartiers prioritaires et accepter le temps (lent !) des transformations sociales ». [23]

Les défis qu’affronte la politique de la ville sont les défis centraux pour la société française. Plutôt que de renouveler tous les concepts sur lesquels se sont construites des pratiques innovantes, il vaudrait mieux savoir inverser l’équation et interpeller les manières de faire des services publics ayant des relations avec les habitants, à la lumière des progrès apportés par la politique de la ville.

  1. Cf. l’enquête ethnographique La Force de l’ordre , Seuil, 2011. Didier Fassin a suivi pendant 15 mois entre 2005 et 2007 les policiers d’une brigade anti criminalité (BAC) en banlieue parisienne

  2. En dehors de quelques exceptions, il faut chercher les informations dans des émissions et publications spécialisées. On peut citer : « Périphéries » d’Édouard Zambeaux et « Là bas si j’y suis » de Daniel Mermet sur France Inter, les émissions  « Terre à terre » de Ruth Stegassy, et « Les pieds sur terre » de Sonia Kronlund sur France culture, l’hebdomadaire Politis , les revues Territoires et Esprit , les articles de Luc Bronner dans Le Monde , le site Bondy blog…

  3. Remarque de Zora BITAN : http://www.huffingtonpost.fr/zohra-bitan

  4. Sauf exceptions, d’autant plus notables qu’elles sont rares. Cf. l’étude très fine du CEREQ « Quartiers défavorisés : relégation pour certains jeunes, insertion sociale et professionnelle pour d’autres ».

  5. Cf. également Marie-Christine Jaillet dans Politique de la ville et intégration, conférences 2008 , éd. Pôle ressources de la DPVI, mairie de Paris, 2009.

  6. Interview à Stéphane Menu :

    www.tessolidaire.com/1527-politique-de-la-ville-cohesion-sociale-solidarite.htm

  7. Dans un livre intitulé Reprenons-nous (Taillandier, 2012), Jean-Paul Delevoye, issu de la majorité actuelle, et président du Conseil économique, social et environnemental, a mis en cause le décompte comptable de la chose publique qui conduit, explique t-il, à une baisse de la citoyenneté.

  8. De bas en haut

  9. Maître de conférences à l’Université Paris X Nanterre, chercheur à l’Institut Marcel Mauss, auteur en 2005 d’un projet de recherche qui proposait une enquête pour « mettre en visibilité un ensemble de pratiques, de coopération, d’enquêtes, d’expérimentations, qui sont rarement explicitées en tant que telle parce qu’elles semblent relever d’un travail routinier sur le terrain, accompli par des « petites mains », en prise sur la vie quotidienne de leurs quartiers, et parce qu’elles sont avant tout des activités pratiques d’ordre social et urbain, et ne sont pas destinées à être valorisées dans les arènes techniques ou politiques ».

  10. En réhabilitant implicitement le concept de classes dangereuses (les pauvres) qui sévissait au XIX e siècle. Tout le monde se souvient des propos musclés de Nicolas Sarkozy affirmant qu’il fallait débarrasser les cités des racailles à coup de « Karcher ».

  11. Les adultes relais sont employés pour une durée déterminée renouvelable dans le cadre associatif.

  12. Dans Le chemin de l’espérance , Stéphane Hessel et Edgar Morin, Fayard, 2011. Cf. également Gilles Kepel dans 93 , Gallimard, 2012. « La progression du respect des interdits alimentaires de l’Islam dans les banlieues doit être interprétée comme une affirmation identitaire face au sentiment de rejet. »

  13. Jean-Christophe Bailly, Dépaysement . Voyage en France. Seuil, 2011

  14. White Anglo-Saxon Protestant : les blancs d’origine anglo-saxonne et protestante qui ont créé les premières colonies aux États-Unis.

  15. Qui mettent en avant des dérives intégristes.

  16. « Communautés en France et aux Etats-Unis » dans Politique de la ville et intégration, conférences 2010 , Pôles ressources DPVI, Mairie de Paris

  17. Jean-Claude Sommaire, ancien secrétaire général du Haut conseil à l’intégration dans Territoires , février 2011.

  18. Politique de la ville et intégration. Conférences 2006 , Pôle ressources DPVI, Mairie de Paris

  19. Rapport de 2002 commandité par le premier ministre : Jean-Claude Sandrier, « Associations et politique de la ville », La Documentation française.

  20. Il peut exister pour certaines associations de quartier une ambiguïté dans leur rapport avec l’administration du fait de la précarité de leur mode de financement (appels à projets et subventions). Ce lien financier peut entraver leur liberté d’expression et nuire à l’esprit d’initiative qui avait présidé à leur création.

  21. Cf. notamment les travaux de Sylvie Tissot, L’état des quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique , Seuil, 2007.

  22. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social , Livre 4 : « Quand l’Etat, près de sa ruine, ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vif intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public. /…/ Que l’on fait passer faussement sous le nom de Lois des décrets iniques qui n’ont pour but que l’intérêt particulier. »

  23. Cf. Texte général sur la politique de la ville publié en 2009 par « Question de ville », association des directeurs des centres de ressources politique de la ville

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