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Faut-il encore construire ?

Faut-il encore construire ?

Limiter l’artificialisation des terres, densifier l’habitat, réhabiliter le parc immobilier existant : tous ces objectifs appellent une politique de sobriété foncière et immobilière. Mais comment la mettre en œuvre ? Et comment dépasser les blocages liés à notre système de décision politique ?

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Publié le 26 janvier 2023

Sobriété immobilière et solidaire, un défi à relever

Comment diminuer l’impact environnemental de l’immobilier tout en répondant aux besoins de logements ? La voie de la sobriété mérite d’être explorée, même si elle va à l’encontre des tendances qui ont prévalu jusqu’à présent dans le secteur de la construction. Si l’on peut établir des scénarios favorables à la sobriété immobilière, de nombreux obstacles restent néanmoins à lever pour leur mise en œuvre.

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Passer d’une croissance du parc immobilier à celle de son utilisation

Le défi de la seconde moitié du 20e siècle a été de construire en quantité pour répondre aux défis de la croissance démographique, du mal logement et des évolutions économiques (tertiarisation, métropolisation…). L’enjeu était de faire croître quantitativement un stock insuffisant ou localisé dans des territoires en déprise. Nous sommes désormais dépositaires d’un patrimoine bâti important qui fait partie intégrante de notre richesse nationale et dans lequel nous avons investi de nombreuses ressources (financières, matérielles, foncières…).

Or, à mesure que la surface du parc croissait, son taux d’utilisation moyen diminuait. Les logements ont vu leur taille croître puis se stabiliser alors que le nombre de personnes dans chaque logement diminuait constamment.

Nous faisons face à un décalage important entre le nombre de pièces des logements et le nombre de personnes des ménages. 60% des logements ont 4 pièces ou plus quand 70% des ménages comportent seulement une ou 2 personnes.

Le camembert ci-dessus présente l’occupation des logements. Si les logements sur occupés (8%) sont bien sûr trop nombreux, ils restent cependant très peu nombreux par rapport aux logements vacants, aux résidences secondaires occupées occasionnellement ou aux logements à sous occupation très accentuée (2 pièces de plus que de personnes) ou sous occupés (1 pièce de plus que de personnes).

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La surface des locaux tertiaire s’est fortement accrue mais leur nombre d’heures d’utilisation est faible.

La surface d’immobilier résidentiel et tertiaire disponible par personne a augmenté entre 1987 et aujourd’hui de près de 30%. Elle atteint aujourd’hui 72 m2 par personne. Le prolongement des tendances actuelles (baisse du nombre de personnes par logement notamment sous l’action du vieillissement et de la baisse du nombre d’enfants, développement des résidences secondaires et des logements vacants, développement des surfaces de locaux tertiaires) pourrait conduire à une surface allant jusqu’à 83 m2 par personne en 2050.

En ce début du 21e siècle, nous faisons face à de nouveaux défis : changement climatique, raréfaction des matériaux et du foncier… Ces derniers nous obligent à repenser l’approche fortement consommatrice de ressources et émettrice de CO2 qui a prévalu jusqu’ici.

Une des clés de réponse à ces défis se résiderait-elle pas dans la gestion de ce phénomène de sous-occupation du parc ? En d’autres termes, le défi des années à venir pourrait-il être de trouver les moyens de faire croitre l’utilisation du parc plutôt d’en faire croitre la taille ?

Figure 1: Les 9 familles de solutions pour mieux utiliser le parc immobilier

9 familles de solutions pour mieux utiliser le parc immobilier

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie immobilière a su inventer des solutions pour répondre aux défis qui se sont présentés à elle. Comment répondre à celui, nouveau, d’une meilleure utilisation du parc ? Nous avons identifié 9 types de solutions, réparties en trois familles. Autant de pistes explorées par des pionniers, dont certains pourraient devenir les leaders de l’immobilier de demain.

Déménager quand les besoins évoluent

1. Changer de région, de ville ou de territoire

Le vieillissement de la population, la capacité de travailler à distance, les coûts du logement dans les métropoles pourraient rendre plus attractifs d’autres territoires dont les marchés immobiliers sont moins tendus.

2. Changer de local (dans le tertiaire)

Les grandes entreprises privées ont déjà fait le choix d’être plutôt locataires de leurs locaux ce qui  permet à leurs directeurs immobiliers d’adapter plus facilement la taille des locaux aux besoins de l’entreprise à la fois dans les phases de croissance et de décroissance. L’évolution à la hausse comme à la baisse des surfaces est une réalité. On constate aujourd’hui la volonté d’aller encore plus loin dans cette démarche en remplaçant une partie des baux de 3, 6 ou 9 ans par  des contrats permettant une adaptation nettement plus souple des surfaces.

3. Changer de logement

Le vieillissement de la population, la volonté de trouver une stabilité par le logement, une organisation collective qui favorise la stabilité plutôt que la mobilité ont conduit à un ralentissement des parcours résidentiels et rendent difficile une mobilité heureuse qui permettrait de changer de logement quand ses besoins évoluent. Nombre de ménages dont la taille s’est réduite (séparations, départ d’enfants, veuvage…) continuent à habiter dans les grands logements qui leur ont été utiles à un moment de leur vie mais qui ne correspondent plus à leurs besoins. Ceci oblige à construire pour les ménages avec enfants alors que le nombre d’enfants baisse depuis plusieurs années.

Ainsi, un enjeu majeur est d’inventer des solutions permettant une plus grande fluidité des parcours résidentiels. Et ce, notamment, pour répondre à l’enjeu d’une croissance de la surface par personne au fur et à mesure de l’âge (on constate en effet une forte croissance : de 35m2 par personne à 35 ans à 60m2 à 65 ans). Le secteur HLM commence à s’y employer notamment avec ses bourses d’échanges entre locataires.  

Augmenter les durées d’occupation

4. Mobiliser le parc vacant

Un Plan national de mobilisation des logements locaux vacants, qui s’attache principalement à la vacance longue durée, a été adopté. Il vise à doter les acteurs locaux d’outils leur permettant d’objectiver finement le phénomène sur leur territoire et diffuser les outils et méthodes de remise sur le marché.

5. Mutualiser pour augmenter les durées d’occupation

Alors que l’immobilier a longtemps été considéré uniquement dans sa dimension spatiale, l’heure est aujourd’hui à la chronotopie, qui consiste à penser l’espace en fonction du temps disponible et des usages possibles tout en considérant les différents publics présents.

Dans le logement, les espaces partagés se développent, que ce soit dans des projets portés par des promoteurs classiques ou dans le cadre d’un habitat participatif très présent en Allemagne et qui commence juste à se développer en France.

Pour certains bâtiments publics tels que les gymnases, la mutualisation d’un équipement entre plusieurs utilisateurs est ancienne et se diffuse.

Les restaurants scolaires ou d’entreprise, qui font partie des locaux les moins utilisés, voient émerger des projets. Un restaurant universitaire du CROUS devient espace de coworking, un restaurant d’entreprise est utilisé comme salle de réunion ou est ouvert à des acteurs de la commune hors des heures de bureau…

6. Réduire l’obsolescence prématurée

L’obsolescence des bâtiments prend des formes multiples, mais l’immobilier porte sa part d’obsolescence prématurée (certains pourraient même dire programmée), phénomène qui conduit parfois la construction neuve à apparaître comme un étendard d’une modernité qui rend obsolètes les bâtiments précédents de manière accélérée. Ce phénomène est nourri par la recherche d’attractivité des territoires, où, dans un jeu à somme nulle, la construction neuve d’un territoire vient rendre obsolète celle de son voisin.

Ceci est particulièrement marqué pour les bâtiments iconiques tels que les sièges sociaux, pour lesquels un bâtiment neuf souvent de très haute qualité environnementale apparait comme un marqueur de modernité et d’engagement de l’entreprise. Mais la nouvelle modernité pourrait être la capacité à réinventer l’usage de bâtiments existants…

Adapter les bâtiments à l’évolution des besoins

7. Adapter l’usage des locaux à de nouveaux publics sans transformation profonde

Le développement de la colocation pour répondre à la croissance du nombre d’étudiants et celui des locations touristiques de type Airbnb pour répondre celle du tourisme de courte durée sont deux exemples récents d’adaptation de l’usage des locaux à de nouveaux publics. Le développement s’est fait dans les deux cas sur le patrimoine des propriétaires bailleurs, sans règles à priori, les défricheurs entraînant les suivants rapidement dans une approche quasi virale. La régulation, qui n’arrive qu’a posteriori et avec parfois de grandes difficultés, fixe les règles communes dans un marché au départ totalement dérégulé ou s’affranchissant des règles existantes.

8. Restructurer les locaux

L’existence simultanée dans les mêmes zones d’une surface importante de bureaux vacants – qui devrait croître avec l’accélération très forte du télétravail – et de besoins de logements crée une opportunité de transformations de bureaux en logements voire en résidence pour personnes âgées, logements d’insertion pour personnes handicapées, hôtels multiservices…

Dans le logement, la diminution de la taille des ménages conduit à un décalage entre le nombre de personnes par ménage et le nombre de pièces des logements. La division de grands logements peut alors permettre d’améliorer cette adéquation, et les acteurs du logement social comme des nouveaux promoteurs s’y emploient.

9. Construire du neuf réversible (et adapté au changement climatique)

En travaillant sur la réinvention de l’usage de bâtiments existants pour répondre à de nouveaux besoins, les acteurs du bâtiment et de l’immobilier ont pris conscience des difficultés concrètes rencontrées pour faire évoluer ces bâtiments.

L’idée de « dé-spécialisation » de la programmation technique et fonctionnelle fait ainsi son chemin, pour que, dès le programme auquel va répondre le concepteur, soient esquissés différents usages possibles. Ceci entraîne à la fois un surcoût mais aussi une survaleur pour un bien qui disposera d’une capacité d’évolution.

Un impact environnemental très significatif

A partir des simulations faites par l’ADEME dans l’étude prospective Transition(s) 2050, nous avons évalué l’impact carbone des actions de sobriété immobilière proposées.

Trois scénarios ont été analysés :

  • Un scénario sans sobriété qui suit les tendances actuelles de forte consommation de l’espace et de sous-occupation des bâtiments.
  • Un scénario sobre qui permet de stabiliser la surface d’immobilier par personne aux surfaces actuelles.
  • Un scénario très sobre où c’est la surface totale de l’immobilier qui se stabilise, une légère baisse de la surface par personne permettant de compenser l’augmentation de la population projetée par l’INSEE dans son scénario central.

Si le scénario sans sobriété prévoit la construction de 1,3 milliards de nouveaux m2 entre 2015 et 2050, le scénario sobre limite la construction neuve à 770 millions de m2 et le scénario très sobre à seulement 570 millions de m2. La sobriété immobilière représente un potentiel d’économies de gaz à effet de serre liées à cette limitation des surfaces du parc qui pourrait aller jusqu’à 10% de l’empreinte carbone actuelle des bâtiments. 

La sobriété immobilière permet également, en évitant l’artificialisation des sols, de préserver les puits carbone naturels. Seuls les scénarios sobres et très sobres permettent d’atteindre une réduction d’artificialisation sur la période 2022–2031 de plus de 50 % par rapport au rythme de la décennie précédente, en cohérence avec les objectifs Zéro Artificialisation Nette  (ZAN) de la Loi Climat & Résilience

Une sobriété solidaire et heureuse ?

L’idée de sobriété s’inscrit difficilement dans une société qui a développé dans le passé le réflexe de répondre à ses besoins en puisant toujours plus dans les ressources environnementales (foncier, matériaux…). Elle ne va donc pas sans éveiller des craintes : quels impacts aurait la sobriété sur ceux qui vivent déjà une sobriété contrainte ? Sur les libertés individuelles ? Sur l’emploi ?

Le mal logement

Explorer les options d’une plus grande intensité d’usage de nos bâtiments ne doit pas nous conduire à deux erreurs :

  • La première serait, à l’image des marchands de sommeil, de faire porter l’effort pour « utiliser mieux » l’existant sur ceux qui subissent déjà une sobriété immobilière contrainte dans des logements surpeuplés.
  • La seconde serait de penser que le mal logement se résout simplement par un “construire plus” indifférencié ne tenant compte ni de la diversité des territoires ou des ressources économiques, ni des effets importants qu’il a sur la baisse de l’usage d’une partie du parc existant via le développement de la vacance et des résidences secondaires.

Les politiques luttant contre le mal logement doivent viser à la fois sur l’ « utiliser mieux », la rénovation du parc et pour une part seulement la construction. La dynamisation des parcours résidentiels doit permettre par exemple une meilleure répartition des surfaces entre les générations tout en permettant de mieux adapter au vieillissement les logements des plus âgés.

La liberté de choix

Certains peuvent voir dans la sobriété immobilière un risque pour les libertés individuelles, sacrifiées sur l’autel de l’environnement. Or, force est de constater que l’organisation actuelle comporte déjà de très nombreuses privations de la liberté de choix. La sobriété pourrait permettre, au contraire, de reconquérir une liberté perdue. Pour ne citer que quelques exemples :

  • Un couple qui a élevé ses enfants et vécu heureux dans un lotissement périurbain avec jardin se retrouve contraint s’il souhaite, tout en restant sur place pour conserver son réseau de proximité, déménager dans un logement plus petit, plus facile à entretenir et sans jardin. Ce type de logement n’existe tout simplement pas. L’inventer, par exemple en divisant des pavillons, augmente sa liberté de choix et permettra de densifier et de réenchanter ce périurbain sans construire.
  • Un jeune couple avec enfant en attente d’un logement social qui ne peut se voir attribuer le T4 qui lui serait nécessaire car celui-ci est utilisé par une veuve qui serait prête à l’échanger pour un T2 si le loyer de celui-ci n’était pas plus élevé.

Par ailleurs, les conséquences d’une absence de sobriété dans la gestion de notre patrimoine bâti peuvent également limiter la liberté. Notamment, la perte de la biodiversité ou du potentiel de captation du carbone associée à l’artificialisation des sols est elle-même de nature à contraindre l’action humaine, notamment en l’obligeant à focaliser son énergie sur l’adaptation aux changements environnementaux et à leurs conséquences sur de nombreux aspects de nos vies (alimentation, confort d’été…).

Aussi, c’est bien au sein d’un débat démocratique que les arbitrages doivent se faire, pour négocier les conditions de la réponse à nos besoins dans les limites planétaires. Dans le cadre de ce débat, il est important de montrer que des alternatives existent et d’en documenter les tenants et les aboutissants.

L’emploi

Le bâtiment et l’immobilier se sont structurés autour de la transformation du foncier et des matériaux. La sobriété appellerait à réorienter une grande partie de leur activité vers la transformation et la maintenance de l’usage de ce parc qu’ils ont construit hier. Elle n’est pas le seul facteur qui pousse à cette évolution : le besoin de rénovation énergétique profonde du parc et d’adaptation aux effets du changement climatique pointent déjà vers une bascule des activités sur le soin du déjà-là.

Les activités d’entretien-rénovation et de gestion immobilière sont d’ores et déjà prédominante dans les trois millions d’emplois de la filière. La sobriété immobilière viendrait accentuer le phénomène en réduisant l’emploi dans la construction neuve et dans la production de produits et matériaux associée. Mais elle devrait également renforcer sensiblement les besoins dans l’entretien-rénovation du parc et dans les emplois de services immobiliers nécessaires pour faciliter la mobilité, le partage et la restructuration des locaux. Elle amplifiera donc une tendance de long terme.

La sobriété va nécessiter de nouvelles approches et de nouveaux métiers s’inscrivant dans un temps plus long que celui classique de la promotion immobilière. Il faudra faire de la dentelle, parce que les projets s’adapteront aux utilisateurs, aux territoires et aux types de bâtiments, les familles de solutions devront être des déclinées différemment. Elles devront trouver de nouveaux modèles économiques autour de la rénovation ou des services plus que sur les marges induites sur le foncier ou les coûts de construction. Des pistes existent d’ores et déjà (voir ADEME, 2022, Quelle filière de la construction neuve dans une France neutre en carbone en 2050 ?).

Une nécessaire évolution de nos organisations collectives et de nos politiques publiques

Le développement de la sobriété sera très fortement limité si nous ne faisons pas évoluer nos règles d’organisations collectives mises en place à une époque où les préoccupations environnementales pesaient peu. Il s’agit d’agir grâce à l’ensemble des instruments de politique publique à notre disposition, comme par exemple :

  • Les règles d’urbanisme. Celles visant à limiter l’artificialisation des terres (ZAN) sont un moteur puissant pour pousser à la sobriété immobilière et foncière et à mieux utiliser le déjà-là. Mais certaines règles des PLU en fixant le type d’activités possible dans une zone donnée limitent fortement les possibilités de transformations d’usage des bâtiments.
  • La fiscalité du logement. Le propriétaire d’un logement qui veut vendre celui-ci pour aménager dans un plus petit se trouve taxé au moment de la vente, ce qui freine sa prise de décision. Un transfert des taxes sur les mutations vers la taxes foncières associées à une modulation de la taxe foncière en fonction de la densité d’occupation du logement pourrait, au lieu de freiner, inciter ce propriétaire à changer de logement.
  • Les règles techniques. Ces dernières (Diagnostic de Performance Energétique pour les bâtiments existants, RE2020 pour le neuf) expriment la performance des bâtiments par m2 et non pas par utilisateur. Ce faisant, elles ne permettent pas de prendre en compte la sobriété immobilière. Une grande maison neuve utilisée par 2 personnes pourra ainsi apparaitre comme vertueuse au sens de la RE2020 alors qu’elle entrainera des émissions de gaz à effet de serre importantes par personne. Le nouveau label BBCA Quartier sur les quartiers bas carbone, qui bascule dans une approche par personne et non plus par m2 et valorise ainsi les actions de sobriété immobilière, apparait ainsi comme une piste prometteuse.
  • La formation des professionnels, notamment autour de la conception de bâtiments réversibles, ou des compétences nécessaires au développement des nouveaux services immobiliers.
  • Le soutien à la recherche et développement, par exemple pour financer des démonstrateurs pour les projets immobiliers de restructuration en masse de logements obsolètes/vacants, de conversion de tertiaire en logements et de grands logements en petits logements, de développement du partage de locaux ou d’habitats partagés…

Vers une stratégie de long terme en matière de sobriété

L’hiver 2022–2023 est marqué par un déploiement historique de stratégie de sobriété à court terme. Pour autant, le potentiel de la sobriété pour faire face aux enjeux environnementaux ne s’arrête pas là. Ce sont les stratégies de long terme qui, seules, permettront de tirer parti des potentiels d’une sobriété à l’échelle du parc immobilier.

Cette note vise à identifier le sujet, à tracer des voies et à identifier les potentiels et les difficultés. Il est maintenant nécessaire de lancer les débats qui permettront, en s’appuyant sur l’expérience des pionniers, de passer à l’échelle sur la sobriété immobilière que nous imaginons solidaire et heureuse.

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Publié le 12 avril 2023

La sobriété foncière passe par les intercommunalités

Dans leur article publié le 26 janvier 2023 et intitulé “Sobriété immobilière et solidaire, un défi à relever”, Jean-Christophe Visier et Albane Gaspard évoquent la “nécessaire évolution de nos organisations collectives et de nos politiques publiques mises en place à une époque où les préoccupations environnementales pesaient peu”. Le rôle des maires, détenteurs de la possibilité de délivrer les permis de construire, reste encore à interroger.
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Selon Jean-Christophe Visier et Albane Gaspard, les règles d’urbanisme, en figeant dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) le type d’activités possible dans une zone donnée, limiteraient fortement les possibilités de transformations d’usage des bâtiments. Cette explication semble pourtant insuffisante pour expliquer les résistances à la sobriété immobilière.

Outre le fait qu’il est toujours possible de modifier dans des délais raisonnables un PLU qui ne semble pas adapté, il faut aussi noter que la plupart des plans locaux d’urbanisme adoptés ces dernières années ont intégré la nécessité de lutter contre l’étalement urbain et promeuvent désormais la construction de la ville sur la ville par une densification raisonnée, la sobriété foncière étant la première étape à la sobriété immobilière.

En effet, le problème ne réside pas tant dans la nature de l’outil de planification urbaine que dans l’articulation des acteurs qui le mettent en œuvre.

Car, qu’il s’agisse d’autoriser ou de refuser une construction ou le changement de destination d’un bâtiment, au bout du processus, il y a le fameux permis de construire.

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Ce sésame à toute nouvelle construction, à tout changement de destination, ne peut en effet être délivré, aux termes de l’article L422-1 du code de l’urbanisme, que par le maire de la commune concernée.

Notre pays compte 35 000 maires, 35 000 autorités compétentes qui peuvent soit faciliter, soit au contraire entraver un projet, quand bien même celui-ci est en tout point conforme avec les règles d’urbanisme. Et chaque maire candidat à sa réélection connaît la règle à maintes fois vérifiée : “maire bâtisseur, maire battu”. Qu’il s’agisse de projets de promotion privé ou de logement social, un maire hésitera toujours à délivrer une autorisation de construction ou de changement de destination qui risquerait de cristalliser une opposition de la part de ses riverains-électeurs. Les professionnels de l’immobilier ont d’ailleurs bien intégré qu’il est inutile de présenter de nouvelles demandes de permis de construire à moins de deux ans des élections municipales ! Dans l’agglomération lyonnaise, le maire d’une commune cossue se vantait récemment d’avoir refusé la moitié des demandes de permis de construire qui lui avaient été soumises.

Il est difficile de mesurer l’importance de ce phénomène mais il est indéniable qu’il participe à la difficulté de produire rapidement les logements qui manquent dans les grandes agglomérations, agglomérations dont les élus se désespèrent en même temps de pouvoir loger leur population !

Pour sortir de cette schizophrénie institutionnelle, le législateur pourrait réfléchir aux effets bénéfiques que représenterait le transfert du pouvoir de délivrer un permis de construire des maires aux présidents des métropoles et des grandes intercommunalités.

Après tout, il ne serait pas illogique de confier à la même collectivité le soin de définir les règles d’urbanisme et de décider si les projets proposés y répondent bien. Par ailleurs, la mise à distance de l’administré de son élu présenterait le mérite de protéger ce dernier des “aimables pressions” de ses futurs électeurs. En matière d’intérêt général, la proximité n’est pas toujours bonne conseillère.

Cette proposition a été présentée à la commission sur la relance durable de la construction de logements présidée par François Rebsamen… en vain.

Même en proposant que le pouvoir de délivrer les permis de construire soit transféré de façon expérimentale sur le seul territoire de la métropole de Lyon, désormais collectivité locale de plein exercice dont les conseillers sont élus directement par les habitants, l’actuel maire de Dijon ne pouvait juste pas concevoir une telle hypothèse.

Pourtant, il ne sera pas possible de réduire l’impact environnemental de l’immobilier tout en répondant aux besoins de logements en conservant une organisation politico administrative en matière de développement urbain qui date du début des années 1980. Mais les parlementaires, et en particulier les Sénateurs, seront-ils prêts à s’aliéner les maires qui sont leurs premiers électeurs et pour qui la délivrance des permis de construire constitue souvent le dernier signe d’un pouvoir rogné par l’intercommunalité ? Rien n’est malheureusement moins sûr.