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Note

Vers un renouveau de l’offre des logements avec clause de fonction ? Pour quel usage et à quelles conditions ?

La baisse du chômage pourrait être contrariée par la difficulté à se loger. Là où le marché du logement est tendu, des actifs doivent parfois renoncer à une offre d’emploi, faute de pouvoir se loger près de leur lieu de travail. La question se pose notamment pour les « travailleurs essentiels » dont les revenus ne sont pas suffisants pour accéder au marché locatif privé. Peut-on imaginer, indépendamment des « logements de fonction » qui sont liés à des astreintes spécifiques, une offre liant un logement à un emploi ? Sous quelle forme et avec quelles garanties ?

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Avertissement

Cette note n’a pas vocation à définir par le détail ce que pourrait être une proposition de loi mais d’une part à s’interroger sur l’utilité et les conditions de la mise en place d’une offre nouvelle de logements avec clause de fonction, d’autre part à en identifier les principaux écueils. 

 

Introduction

Cette note exploratoire, fruit du constat de difficultés structurelles croissantes pour se loger en accession à la propriété depuis la hausse récente des taux d’intérêt mais surtout en secteur locatif, s’articule en trois parties. La première s’efforce de préciser pourquoi il apparaît nécessaire aujourd’hui de relancer l’offre locative de logements avec une clause de fonction. La deuxième présente l’état du droit et s’efforce de préciser les contours du cadre juridique spécifique indispensable que requerrait la mise en place d’une telle offre. La troisième enfin aborde quelques aspects relatifs au financement de ce nouveau segment de marché à construire, nécessairement marginal au plan quantitatif mais dont l’utilité sera indéniable pour répondre à des situations spécifiques.

 

1. Relancer l’offre de logement avec une clause de fonction pour répondre à certaines difficultés à se loger qui pénalisent l’emploi

Dans un monde idéal, marqué par un équilibre entre l’offre et la demande, le logement ne constitue pas un obstacle, sauf à la marge, à l’accès à l’emploi et plus largement à la mobilité, qu’il s’agisse de mobilité géographique ou de mobilité entre entreprises. La réalité du moment se révèle bien différente[1]. Les difficultés d’accès au logement, principalement en secteur locatif, ont eu tendance à s’aggraver avec la hausse générale des prix immobiliers, laquelle a été beaucoup plus accusée dans les bassins d’emploi les plus dynamiques. C’est un obstacle majeur à la mobilité et plus largement au retour à l’emploi et/ou à un changement d’emploi, dès lors que celui-ci exige un déménagement. C’est aussi un frein à la qualité des services privés ou publics offerts aux ménages. La crise de la Covid a agi comme un révélateur et un amplificateur de ces obstacles, lesquels avaient déjà été identifiés. Les difficultés rencontrées, dans les zones tendues, par les institutions hospitalières pour recruter leur personnel, en constituent le meilleur exemple. En effet les hôpitaux dans les métropoles chères peinent à recruter des agents, sauf à leur offrir un logement. Or s’agissant de professions à forte mobilité[2], nombre d’entre eux quittent rapidement leur emploi et conservent le logement qui leur a été attribué lors de leur recrutement. Se pose alors le problème de leurs remplaçants. Il en va de même dans d’autres secteurs, pour les plus jeunes ou pour les salariés modestes astreints à des horaires décalés. Il est à noter que ces difficultés ne sont pas propres à notre pays[3]. Le développement des logements locatifs avec clause de fonction[4] compte au nombre des pistes évoquées[5] pour y répondre.

En la matière, il faut être clair : il ne s’agit pas de répondre au problème global du logement apprécié du côté soit de l’entreprise[6], soit des salariés modestes[7], qu’ils appartiennent au secteur privé ou au secteur public et que l’on pourrait qualifier de travailleurs essentiels[8]. Les travailleurs clés, ou essentiels, quelle qu’en soit la définition retenue, sont d’ailleurs très majoritairement éligibles et largement accueillis au sein du logement social. C’est le cas pour un tiers d’entre eux en Ile-de-France[9]. Il ne s’agit ici en aucun cas de proposer une alternative au parc HLM, lequel est et restera, ne serait-ce que du fait de sa taille et de ses règles d’attribution, qui sont du ressort de la loi[10], le mode privilégié d’accueil des plus modestes dans le respect de la mixité.

Cependant, l’importance des demandeurs en attente d’un logement et la multiplicité des prioritaires fixés par la loi militent pour la création d’offres certes marginales mais complémentaires. Surtout, l’absence de lien entre la validité du bail et la poursuite du contrat de travail est un principe de base de la réglementation HLM, qu’il n’est bien sûr pas souhaitable de remettre en cause de manière générale. Ceci interdit néanmoins de répondre à certains cas particuliers, peu nombreux au regard des flux accueillis en HLM, pour lesquels il est souhaitable de pouvoir proposer un logement, tout en conditionnant le droit au maintien dans les lieux à la poursuite du contrat de travail.

La cible est donc limitée : les emplois visés correspondent à une population restreinte occupant des emplois bien identifiés et indispensable au fonctionnement des entreprises concernées. Il est clair que reconnaitre, dans un contexte de crise, une priorité à tel ou tel groupe, à telle ou telle population, se fait nécessairement au détriment d’autres groupes, d’autres priorités. C’est d’ailleurs le sens même de la politique du DALO que d’introduire une hiérarchie fondée sur des critères sociaux. La question se pose alors du bien fondé d’introduire une priorité en lien avec l’activité économique et/ ou le bon fonctionnement de certains services. Un tel choix, qui prend acte de la nécessité d’une politique active de l’offre aujourd’hui insuffisante, dont les effets ne seront sensibles qu’à moyen-terme, constitue une réponse temporaire « faute de mieux ». Éclairer le pourquoi et les conditions de mise en place d’une telle offre constituent le propos de la présente note.

 

2. De la nécessité d’un cadre juridique adapté et sécurisé

Dans la sphère publique, la mise à disposition d’un hébergement ou d’un logement gratuitement ou suivant des conditions préférentielles vient compenser des sujétions d’intensité variable[11].

Par ailleurs, plus largement, la fourniture de logements locatifs avec clause de fonction peut être un atout, voire une condition nécessaire pour attirer et retenir du personnel qualifié[12]. Le développement d’une telle offre exige néanmoins un effort financier important de la part des entreprises. Il importe dès lors de s’assurer qu’il existe un lien indissociable entre l’emploi et le logement[13]. Or, la récupération d’un logement de fonction peut s’avérer difficile même si, en théorie, celui-ci ne relève pas du droit commun de la location. C’est pourquoi, l’édiction d’un cadre juridique clair, précisant en particulier les conditions et délais de récupération d’un logement avec clause de fonction lorsqu’un salarié quitte son poste, apparait comme une exigence incontournable.

Le droit actuel distingue en effet trois régimes au regard de la possibilité ou non d’introduire une clause de fonction dans le bail.

a – Le bail civil ou de droit commun offre une grande liberté aux parties quant aux modalités du bail. Il s’applique sauf exception prévue par la loi et intervient plus particulièrement dans le cas de résidence secondaire pour les particuliers ou de logements de fonction pour l’entreprise[14]. Contrairement au bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 (cf. infra) et aux baux professionnels et commerciaux, la rédaction du bail civil est libre, notamment en ce qui concerne le loyer, la durée et les conditions de réalisation ou de renouvellement.

Pour ce qui nous préoccupe plus particulièrement, à savoir la location à des salariés, le bail civil est un bail dérogatoire à l’usage des baux d’habitation régis par la loi du 6 juillet 1989 qui s’appliquent obligatoirement pour la résidence principale du locataire.

b- Pour les logements régis par la loi de 1989 trois motifs de congés sont possibles : la reprise pour habiter pour les seuls bailleurs personnes physiques ; la reprise pour vendre ; un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant. La jurisprudence de la Cour de cassation a toutefois consacré pour l’AP-HP, comme motif sérieux et légitime pour donner congé au locataire au terme de son bail, la reprise d’un logement en vue de l’attribuer à un membre de son personnel[15]. L’article 137 de la loi n°2016–41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit dans la loi n°89–462 du 6 juillet 1989 un article 14. 2 qui prévoit que ce droit de résiliation en cours de bail pour le même motif (avec un délai de huit mois) peut également être prononcé par les trois bailleurs suivants : AP-HP, Hospices civils de Lyon et AP-HM). La loi précise toutefois, d’une part que si le logement libéré n’est pas attribué à un membre du personnel, un nouveau contrat de six ans doit être accordé au locataire évincé, d’autre part que le pouvoir de résiliation ne s’applique pas aux locataires dont les revenus annuels sont équivalents ou inférieurs au plafond des ressources requis pour l’attribution de logements locatifs conventionnés. Certains groupes hospitaliers disposent donc d’un droit d’éviction de leur locataire soit à l’échéance du bail, soit avant le terme de ce dernier. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n’étaient pas contraires à la Constitution et ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la loi, au motif qu’en permettant d’attribuer des logements à proximité de leur travail aux agents de ces trois établissements hospitaliers situés dans des zones où le marché du logement est particulièrement tendu le législateur avait poursuivi un motif d’intérêt général[16]. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que ce droit ne peut être exercé si le locataire en place est un agent de l’établissement bailleur[17].

c – Dans le parc locatif social, la règle est le droit au maintien dans les lieux pour les locataires, y compris pour ceux qui sont bénéficiaires d’un droit de réservation acquis par leur employeur. La location avec clause de fonction, en dérogation au principe général du droit au maintien dans les lieux n’existe que pour les fonctionnaires d’État. L’article L. 442–7 du CCH précise en effet que : « Les fonctionnaires et agents de l’Etat civils et militaires, attributaires de logements réservés par les organismes dans une limite fixée par décret en contrepartie d’une majoration de prêt définie également par décret ou leurs ayants droit, ne bénéficient du maintien dans les lieux en cas de mutation, de cessation de services ou de décès que pendant un délai de six mois  ». Ce texte, qui ne s’applique pas au parc conventionné des SEM, ni au contingent préfectoral de 5 %, s’avère peu utilisé à l’exception des militaires. Il est vrai que sa mise en œuvre n’est pas simple : elle suppose une coopération entre l’employeur (qui a l’information sur la fin des fonctions de l’agent) et le bailleur qui doit mettre fin au bail. Il y a enfin de nombreuses situations difficiles à prendre en compte. Une généralisation de ce régime à l’ensemble des travailleurs des secteurs privé et public, parait surtout conditionnée au fait que cette dérogation soit quantitativement très encadrée, voire limitée à une offre nouvelle.

A la lecture de ces éléments, la création d’une offre locative et/ou d’un parc spécifique avec clause de fonction, destiné aux salariés tant du secteur public que du secteur privé, logés dans le parc locatif privé ou détenu par des opérateurs sociaux appelle la mise en place d’un cadre juridique clair[18]. Le cadre juridique à privilégier, sauf dispositions particulières pour certains agents publics, paraît être une sous-location par l’entreprise aux salariés, dans le cadre d’une prise en location par l’employeur. Dans tous les cas de figure, le lien entre l’emploi et le droit d’occupation doit être clairement établi, même si d’une part divers évènements dans la vie du contrat de travail doivent faire l’objet d’une attention particulière (ci-dessous 2.1), d’autre part la mise en place d’une telle offre par les bailleurs sociaux appelle des règles particulières (ci-dessous 2.2).

2.1 L’intérêt de l’employeur, la protection des salariés et le bon équilibre des relations sociales exigent que la période d’essai dans le secteur privé, la rupture du contrat de travail, et la retraite du salarié fassent l’objet d’une attention particulière dans le cadre général de la rupture du bail consécutive à la rupture d’un contrat de travail.

La période d’essaie. Le contrat de travail à durée indéterminée[19] peut comporter une période d’essai dont la durée maximale est de deux mois pour les ouvriers et les employés ; de trois mois pour les agents de maîtrise et les techniciens ; de quatre mois pour les cadres. La période d’essai peut être renouvelée une fois si un accord de branche étendu le prévoit. La possibilité de renouvellement est alors expressément stipulée dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail. Dans un tel cas de figure, il semble que le choix d’un hébergement temporaire paraisse la solution idoine, même si elle n’est pas totalement satisfaisante.

La rupture du contrat de travail. Que la rupture du contrat de travail résulte d’une démission, d’une rupture conventionnelle, d’une mutation géographique (le critère de distance restant à préciser) ou d’un licenciement, celle-ci doit entraîner le départ de l’occupant[20]. La question du délai se pose toutefois de manière différente dans chacun de ces cas de figure et selon la durée de l’occupation. A titre d’illustration, si la rupture est à l’initiative de l’occupant, il ne peut invoquer la surprise. En cas de licenciement, il parait judicieux d’accorder un délai raisonnable.

D’autres situations posent problème : qu’en sera-t-il en cas de promotion si l’employeur considère que l’offre d’un logement de fonction ne se justifie plus au regard des nouvelles contraintes du poste ? En cas de longue maladie ? Etc.

La variété des situations qui peuvent se rencontrer met en évidence les difficultés d’acter une rupture avec les grands principes du droit locatif protecteur des locataires et les pratiques des tribunaux, et par là-même milite pour l’adoption d’un cadre juridique précis. A ce titre, Il pourrait être opportun d’adopter une disposition permettant de déroger à l’application de l’article 1751 du Code Civil qui impose la reconnaissance des droits à se maintenir dans les lieux du cotitulaire éventuel du bail[21], sur le modèle des dispositions de l’article L442–8–1 du Code de la construction et de l’habitation[22].

De la même façon, l’importance du logement pour la vie privée du salarié doit être prise en compte. A titre d’exemple, il n’est pas raisonnable d’exiger que la notification de la lettre de licenciement entraîne une libération des lieux immédiate. Il conviendrait donc de préciser les délais dans lesquels le salarié pourrait être appelé à libérer le logement.

La retraite. Une rupture immédiate après 20 ou 30 ans d’emploi de l’occupation du logement, sans aucune mesure d’accompagnement, parait, en particulier pour les plus modestes, difficilement acceptable socialement et politiquement. Un droit au relogement en HLM parait une solution acceptable parmi l’ensemble des solutions possibles, d’autant plus facile à mettre en œuvre si le logement occupé est déjà rattaché à un organisme HLM et que la date de l’événement est connue très à l’avance. L’anticipation est donc de mise.

Dans tous les cas de figure, lorsque l’occupation est accordée à titre gratuit, ou que la location se fait à un prix très réduit, une solution (temporaire ?) pourrait constituer à prévoir une hausse du montant du loyer pour l’ajuster au prix du marché.

La mise en place d’une telle offre au final ne manquera pas de susciter nombre de litiges. Une attention particulière, pour éviter enlisement des conflits d’une part, et création de situations de trop grande injustice d’autre part, devra être accordée au cadre juridique de résolution de ces conflits.

2.2 Les tensions dans le recrutement, notamment pour les salariés sous plafond de ressources HLM dont les revenus ne leur permettent pas de se loger dans des conditions satisfaisantes aux conditions de marché (proximité en particulier), militent en complément de l’offre dans le parc privé pour le développement d’une offre locative sociale avec sous-location par l’entreprise aux salariés, dans le cadre d’une prise en location par l’employeur avec clause de fonction. 

Le parc locatif social loge d’ailleurs déjà une large fraction des travailleurs clés dans le cadre des droits de réservation. C’est d’ailleurs ce qui pousse certaines entreprises à développer une politique d’achat de droits de réservation, de manière classique auprès des entreprises sociales pour l’habitat (ESH) mais aussi de plus en plus souvent auprès des offices HLM, en particulier dans les métropoles. La réalité est pourtant que le droit au maintien dans les lieux est aujourd’hui antinomique avec l’introduction d’une clause de fonction. De nombreuses entreprises du secteur privé ou public font a contrario état de la multiplication des situations d’attribution d’un logement social à un salarié qui, dans un délai plus ou moins court, quitte son emploi et garde le logement.

Dans un contexte de déficit d’offre, le développement d’une offre spécifique nouvelle, à la marge, paraît la voie à privilégier, de préférence à celle de l’inscription de ces ménages dans la liste des publics prioritaires, qui se fait nécessairement au détriment d’autres publics. Ce choix d’une offre et/ou d’un parc spécifique avec clause de fonction ne vaut en aucun cas remise en cause de l’action du groupe Action Logement. Des efforts importants ont été accomplis pour optimiser au service des entreprises les droits de réservation acquis dans le parc social. Le taux de placement[23] auprès des salariés est aujourd’hui de 50 % contre 40 % avant la réforme des conférences intercommunales du logement (CIL) en 2017. Il sera toutefois difficile, pour ne pas dire impossible de faire mieux, compte tenu de diverses obligations fixées par la loi.

La voie privilégiée pour répondre à des situations spécifiques renvoie donc à la création d’un parc spécifique, accessible aux salariés tant du public que du privé.

La mise en place de cette offre nouvelle (construction ou acquisition-amélioration) avec clause de fonction serait de la responsabilité des seuls bailleurs sociaux, aux mêmes conditions financières que le logement social classique. Comme pour le partage de la production entre PLAI, PLUS et PLS en « communes SRU », la réglementation déclinerait au plan quantitatif la proportion maximale de logements pouvant entrer dans la catégorie concernée. En complément, l’affectation d’une fraction du parc existant à cette offre spécifique[24], là encore dans le cadre d’un plafond strict apprécié au regard du parc détenu par l’organisme, ne pourrait se faire que dans le cadre d’accords territoriaux associant les différents partenaires concernés (partenaires sociaux, collectivités locales, AR HLM, etc.). Le cadre du bassin d’emploi paraît le plus approprié. L’accord négocié fixerait à la fois le volume et les bénéficiaires et permettrait d’inscrire dans le bail, pour les logements concernés, le principe de la clause de fonction, en dérogation strictement encadrée du droit au maintien dans les lieux.

La détermination précise du champ des emplois éligibles à cette offre est aussi en soi un problème. Elle se doit de reposer sur un critère précis : avoir un caractère vital ou indispensable au fonctionnement de la collectivité, tant dans le secteur public que dans le secteur privé (domaine de la santé, aide à la personne, certains commerces, transport, propreté, etc.). La présente note n’ambitionne pas de fixer par le détail ce que recouvre ce périmètre, en distinguant les enjeux spécifiques propres au secteur privé et au secteur public, sujet qui n’est qu’esquissé ici. Ce sont des sujets qui appellent une loi précédée d’une négociation collective, impliquant les partenaires sociaux ou les représentants de la société civile pour éviter que ce nouveau statut d’occupation ne soit détourné de son objectif, ou suspecté de l’être. Cette liste ne saurait se limiter aux seuls secteurs de la santé et de l’action sociale, pour lesquels les besoins sont évidents. Tous les secteurs d’activité, qu’ils relèvent du secteur privé stricto sensu, du secteur public ou même des collectivités locales doivent être traités en fonction de critères identiques, le cas échéant par des instances de concertation spécifiques. Dans tous les cas de figure, il sera alors essentiel d’afficher des critères clairs et précis de choix. On retrouve ici une problématique comparable à celle des commissions d’attribution des logements sociaux.

 

3. Un cadre financier spécifique

L’entreprise peut détenir (patrimoine existant) ou acquérir en direct des biens, mais une telle voie s’avère onéreuse et très complexe du fait même de l’éventuelle mobilité des locataires. Elle pose la question de la gestion dans le temps de ce parc. Sauf exception, la plupart des entreprises ne sont pas armées pour remplir une telle mission, surtout dans le cas d’acquisition d’immeubles entiers. Ceci est d’autant plus compliqué pour un employeur public qu’il n’a pas vocation à avoir cette compétence en interne et que, selon son statut, les possibilités de sous-traitance de cette activité sont aujourd’hui contraintes (cas des hôpitaux publics en particulier) [25]. L’intervention d’un tiers, le cas échéant un organisme HLM, parait donc une solution qui s’imposera dans de nombreux cas.

L’entreprise peut également prendre en location des logements du parc privé et les sous-louer à des salariés, à un prix inférieur au prix de marché. Là encore la question de la gestion de biens se pose.

Pour le parc social locatif, dans l’hypothèse d’un cantonnement d’une fraction faible du flux (hypothèse à privilégier) ou du stock (dans le cadre par exemple d’accord local), il existe en théorie deux modes d’acquisition d’un droit de réservation pour une entreprise dans le parc social :

  – un droit de désignation pour une durée de X années ;

  – un droit unique permettant la désignation d’un seul bénéficiaire.

Cette double approche a été bouleversée par la loi n°2018–1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite Loi ELAN) qui a généralisé la gestion en flux des droits de réservation.

Néanmoins s‘agissant d’un parc spécifique, rien n’empêche de déterminer des règles spécifiques. Le développement d’une offre de logements avec clause de fonction nécessite dans tous les cas de figure d’en définir les modalités de mise en œuvre, en particulier dans sa dimension financière.

Ce cadre se doit de trouver un équilibre entre l’intérêt financier de l’organisme et le coût supporté par l’entreprise. De manière schématique, il convient d’éviter deux grands écueils : un droit d’entrée trop élevé pour l’entreprise en regard du service rendu si par exemple le locataire salarié quitte son poste et donc son logement après un délai court ; un droit d’entrée trop faible pour l’organisme dans le cas d’un salarié qui resterait dans son poste 20, 30 ou 40 ans. La solution la plus simple et la plus équilibrée serait donc le versement d’un droit annuel par l’entreprise tant que le logement est occupé par le salarié dans le cadre d’un bail avec clause de fonction. 

 

Conclusion

En conclusion, si la création d’un nouveau statut des logements avec clause de fonction ne manquera pas de faire débat, la définition d’un cadre précis engendrera fort logiquement nombre de polémiques, qu’il s’agisse de la délimitation de leur objet, de l’acceptabilité politique d’un tel projet, ou même de son financement, lequel ne saurait être en concurrence avec le locatif social traditionnel.

Sur cette dernière question, la mobilisation prioritaire des fonds de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) semble, au moins pour les salariés du secteur privé, une voie « normale ». A ce titre, une couverture automatique par la garantie Visale d’Action Logement parait une voie à privilégier par rapport à d’autres dispositifs envisageables. Il n’en reste pas moins qu’une extension à la marge des emplois bénéficiaires, pour éviter les dérives possibles et les généralisations abusives, devra être négociée. Toutefois, une forte implication financière directe des employeurs, dans tous les cas de figure, apparait comme un levier incontournable, y compris dans le secteur public qui aujourd’hui n’acquitte pas la PEEC. On ne saurait, de même, éluder la nécessité, avant adoption d’un texte régissant ce régime, d’organiser une concertation entre partenaires sociaux afin de donner à ce dernier la plus grande cohésion possible.


[1] Pour beaucoup, la situation du moment rappelle par bien des aspects le XIX siècle. Voir https://www.aefinfo.fr/depeche/703902-des-cites-ouvrieres-aux-cooperatives-des-castors-comment-michelin-a-loge-ses-salaries-au-cours-du-xxe-siecle-66

[2] Comme la notion de travailleurs essentiels ou travailleurs clés, la notion de profession à forte mobilité demande à être précisée.

[3] Voir par exemple, P. Demoux, « États-Unis : ces écoles qui recrutent des enseignants en leur offrant des logements », Les Echos, 12 septembre 2023, ou encore Véronique Chocron et Aline Leclerc, « La crise du logement renforce les tensions sur le marché du travail », Le Monde, 11 Novembre 2023.

[4] Faute de pouvoir distinguer, dans les statiques INSEE, au sein des ménages logés gratuitement les personnes logées par leur employeur et celles qui le sont par un membre de leur famille, on retiendra le constat d’un parc de logements de fonction qui s’est fortement contracté au cours du temps et se trouve aujourd’hui réduit à la portion congrue. Voir par exemple Camille Freppel, INSEE focus, N°279 paru le 09/11/2022.

[5] Une autre voie plus complémentaire que concurrente, souvent évoquée également, pourrait être le développement de logements temporaires, ayant vocation à héberger les travailleurs clés, notamment en cas de mobilité géographique, en leur offrant ainsi un délai raisonnable (6 mois, un an) pour trouver un logement adapté à leurs besoins. Voir https://www.aefinfo.fr/depeche/701132-loger-les-salaries-une-menuiserie-de-la-creuse-va-proposer-des-hebergements-temporaires-a-ses-recrues-46

[6] Les employeurs peinent souvent à pourvoir tel ou tel poste de travail pour des motifs divers. L’offre d’un logement peut alors constituer, dans les secteurs en tension, un instrument pour attirer ou fidéliser les salariés concernés.

[7] Les salariés se trouvent trop souvent contraints de renoncer à un poste faute de pouvoir trouver un logement répondant à leurs attentes. Ce type de situation est plus fréquent dans les zones dites tendues, mais s’observe aussi sur l’ensemble du territoire pour certaines catégories particulière (jeunes cadres, titulaires de missions en CDD, etc.).

[8] Voir à ce sujet : Marie Acs, Clotilde Sarron et Mustapha Touahir « Qui sont les travailleurs essentiels ? Un enjeu en temps de crise sanitaire mais aussi pour les politiques du logement », Insee, 7 mars 2022. Dans cet article, il est indiqué « Dans la continuité des travaux britanniques, les travailleurs identifiés comme « clés » exercent leurs missions dans l’éducation, la santé, les transports, la sécurité ou la propreté, toutes considérées comme essentielles au bon fonctionnement du territoire. (…) En lien avec l’évolution de la pandémie de Covid-19 et sa gestion par les pouvoirs publics, le périmètre des travailleurs essentiels a, par la suite, été élargi ». Le même document note que le périmètre des travailleurs essentiels n’est pas figé.

[9] Isabelle Costa, « Aorif : le logement des travailleurs clés en Ile-de-France », USH, 5 juillet 2021

[10] La loi « différenciation, déconcentration, décentralisation, et simplification » dite 3DS du 21 février 2022 – sans compléter la liste des publics bénéficiant d’attributions prioritaires fixée à l’article L. 441–1 du code de la construction et de l’habitation CCH – a prévu que la convention d’attribution élaborée à l’échelon locale fixe « un objectif d’attributions de logements sociaux aux demandeurs exerçant une activité professionnelle qui ne peut être assurée en télétravail dans un secteur essentiel pour la continuité de la vie de la Nation » suivant des modalités de mise en œuvre précisées par la conférence intercommunale du logement en fonction des besoins du territoire. Par ailleurs, deux professions sont expressément mentionnées : les assistants maternels, les assistants familiaux et les sapeurs-pompiers. Le critère de la distance entre domicile et travail figure au nombre de ceux dont il est tenu compte pour l’attribution de logements.

[11] Elles donnent lieu à la conclusion de concessions de logement par nécessité absolue de service (R. 2124–65 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) et convention d’occupation précaire avec astreinte (R. 2124–68 du même code). Les fonctions éligibles à ces dispositions sont fixées réglementairement.

[12] Tout employeur peut, en plus du versement de la rémunération de travail, accorder un avantage en nature sous la forme d’un logement. L’avantage consiste à mettre à la disposition d’un salarié un logement de fonction de manière gratuite et/ou à un prix inférieur au prix de marché. Cet avantage est assimilé à une rémunération et se trouve soumis à cotisations sociales.

[13] Ceci est conforme à la loi et à la jurisprudence. La Cour de cassation estime en effet que :« Le bénéfice d’un logement de fonction est un avantage en nature accessoire au contrat de travail et prend fin en même temps que lui » (Cour de cassation, chambre sociale, 14 juin 1972, 71–40.455, Publié au bulletin ). Ainsi, à la cessation du contrat de travail, le salarié ne dispose d’aucun droit au maintien dans son logement. Le salarié est donc tenu de le libérer à l’expiration de son préavis. En l’absence de préavis, le logement de fonction doit être libéré dès la cessation du contrat de travail, sauf lorsque l’employeur a fixé un délai pour quitter les lieux. La jurisprudence admet de manière constante que le salarié qui se maintient dans son logement de fonction au-delà du délai imparti pour le libérer peut être condamné à payer à son ex-employeur une indemnité d’occupation. (…) La fonction réparatrice de cette indemnité peut donc causer des difficultés quant à son évaluation car un préjudice est toujours délicat à déterminer » (Arthur Tourtet, « Le sort du logement de fonction en cas de rupture du contrat de travail », 6 décembre 2019).

[14] Voir louer en bail Code civil. Qu’est-ce que la location bail Code civil ? https://fr.parisrental.com/blog/corporate-ambassades/louer-en-bail-code-civil

[15] Avec un délai de six mois à compter de la notification.

[16] Commentaire décision n° 2018 – 697 du 6 avril 2018 QPC. Époux L (résiliation des contrats de location d’habitation par certains établissements publics de santé).

[17] La Cour de cassation avait jugé que ce droit pouvait être exercé même si locataire en place est un agent de l’établissement bailleur.

[18] La définition de ce nouveau régime devrait être l’occasion de s’interroger sur la nécessité d’une meilleure articulation avec le dispositif logement locatif intermédiaire (LLI) qui se limite à une contrainte en matière de revenus des occupants.  

[19] Le cadre du contrat de travail à durée déterminée pour les travailleurs concernés ne parait pas être adapté en première analyse

[20] Les employés d’immeubles à usage d’habitation bénéficient d’un préavis de 3 mois pour quitter leur logement de fonction, ce délai débutant à l’expiration du délai de préavis dont ils disposent en tant que salariés, et ce même s’ils ont été dispensés de son exécution. Cass. soc., 28 oct.2 avr. 2021

[21] Cour de Cassation 3ème Civ 6 avril 2023.

[22] « La qualité de fonctionnaire du preneur impose de restituer les lieux dans les six mois de la cessation des fonctions. L’épouse du titulaire, qui s’est vu attribuer le logement par le juge aux affaires familiales, est par conséquent occupante sans droit ni titre à l’expiration du délai de six mois »Cass. 3e civ., 9 juin 2016, n° 15–14.119 : Bull. ; AJDI 2016, p. 703, obs. N. Damas).

[23] Pourcentage des logements effectivement attribués à un salarié d’une entreprise cotisante, ayant fait l’objet d’une réservation locative acquise à titre onéreux par Action Logement.

[24] Il existe déjà des précédents avec la mobilisation dérogatoire de logements sociaux pour les jeunes ou pour l’adaptation au vieillissement (ASV) mise en place par la loi Elan

[25] Ainsi les hôpitaux n’ont pas le droit de déléguer à un opérateur privé la gestion du parc privé détenu en propre. C’est un vrai frein au développement de l’offre si l’hôpital ne dispose pas d’un service dédié, cas le plus fréquent pour les hôpitaux de petite taille ou de taille moyenne.

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