Construire un avenir de qualité pour toutes et tous
La peur de l’avenir ne saurait se combattre uniquement par l’appel à la rigueur. Il est nécessaire de proposer aux Français un modèle de développement alternatif, qui s’éloigne de la logique du low cost pour valoriser l’égalité dans l’accès à la formation et à l’emploi, et la qualité de la production et du travail. Dans cette note dont une version plus courte a été publiée dans la revue Esprit de novembre 2011, Bruno Palier plaide pour une nouvelle stratégie, pour quitter le modèle productiviste et néolibéral. Dans sa note « Politique de la demande, politique de l’offre », Jean Peyrelevade nuance ce diagnostic, tout en convergeant sur l’objectif à atteindre.
Les Français ont perdu confiance dans leur avenir et dans celui de leurs enfants. La crainte du chômage, de la pauvreté, et surtout la conviction que les enfants n’auront pas les mêmes chances que leurs parents sont des sentiments de plus en plus partagés. Ce pessimisme se nourrit de ce qui est perçu comme la fin du progrès social. Depuis plusieurs décennies, la persistance du chômage, la dégradation des emplois et des conditions de travail, l’incapacité de l’école à promouvoir tous les élèves, les réformes incessantes de la protection sociale, ont miné les bases de notre contrat social. L’incapacité de notre économie à créer des emplois de qualité, à générer une croissance forte, alimente le pessimisme ambiant. Les crises de ces dernières années semblent venir confirmer et accélérer ce lent mouvement de dégradation.
La crise en cours devrait pourtant être comprise comme la fin d’un cycle, celui du néo-libéralisme et de l’hyperproductivisme. La période actuelle est en effet à comprendre comme l’aboutissement et l’épuisement d’un modèle qui a poussé à l’extrême l’exploitation des ressources naturelles et la pressurisation des salariés. Ce modèle repose sur une pensée économique qui croit à l’efficacité des marchés non régulés, aux vertus stimulatrices des inégalités, qui favorise la spéculation et le court terme plutôt que les investissements productifs et les perspectives de long terme, qui ne conçoit les interventions publiques que comme une source de coût, de perturbation et d’inefficacité, et qui considère que l’égalité est contraire à l’efficacité économique.
Si l’on souhaite retrouver prospérité et progrès social, il est nécessaire de changer de modèle. Alors que le modèle précédent posait une contradiction fondamentale entre l’économique et le social, il est essentiel aujourd’hui de réconcilier l’économique et le social, et de créer des synergies positives entre perspectives économiques, monde du travail et vie quotidienne des français. Deux valeurs fondamentales fondent la cohérence de ce nouveau modèle social: l’égalité et la qualité. La stratégie qui doit permettre de les remettre sur le devant de la scène repose sur trois piliers : la qualité des produits et des services made in France, la qualité de tous les emplois et la qualification de toute la main d’œuvre, enfin l’amélioration des conditions et du cadre de vie de toutes et tous.
Les Français ont perdu confiance dans leur avenir et dans celui de leurs enfants. La crainte du chômage, de la pauvreté, et surtout la conviction que les enfants n’auront pas les mêmes chances que leurs parents sont des sentiments de plus en plus partagés. Ce pessimisme se nourrit de ce qui est perçu comme la fin du progrès social. Depuis plusieurs décennies, la persistance du chômage, la dégradation des emplois et des conditions de travail, l’incapacité de l’école à promouvoir tous les élèves, les réformes incessantes de la protection sociale, ont miné les bases de notre contrat social. L’incapacité de notre économie à créer des emplois de qualité, à générer une croissance forte, alimente le pessimisme ambiant. Les crises de ces dernières années semblent venir confirmer et accélérer ce lent mouvement de dégradation.
La crise en cours devrait pourtant être comprise comme la fin d’un cycle, celui du néo-libéralisme et de l’hyperproductivisme. La période actuelle est en effet à comprendre comme l’aboutissement et l’épuisement d’un modèle qui a poussé à l’extrême l’exploitation des ressources naturelles et la pressurisation des salariés. Ce modèle repose sur une pensée économique qui croit à l’efficacité des marchés non régulés, aux vertus stimulatrices des inégalités, qui favorise la spéculation et le court terme plutôt que les investissements productifs et les perspectives de long terme, qui ne conçoit les interventions publiques que comme une source de coût, de perturbation et d’inefficacité, et qui considère que l’égalité est contraire à l’efficacité économique.
Si l’on souhaite retrouver prospérité et progrès social, il est nécessaire de changer de modèle. Alors que le modèle précédent posait une contradiction fondamentale entre l’économique et le social, il est essentiel aujourd’hui de réconcilier l’économique et le social, et de créer des synergies positives entre perspectives économiques, monde du travail et vie quotidienne des français. Deux valeurs fondamentales fondent la cohérence de ce nouveau modèle social: l’égalité et la qualité. La stratégie qui doit permettre de les remettre sur le devant de la scène repose sur trois piliers : la qualité des produits et des services made in France , la qualité de tous les emplois et la qualification de toute la main d’œuvre, enfin l’amélioration des conditions et du cadre de vie de toutes et tous.
Améliorer la qualité des produits et des services
Monter en gamme
Un des problèmes de l’économie française, c’est sa spécialisation moyenne, qui situe nombre de ses productions dans un segment très concurrentiel de l’économie mondiale. C’est pour baisser les coûts de cette production que les salariés ont été de plus en plus mis sous pression. Cependant, plutôt que de dégrader les emplois et les conditions de travail pour réduire nos coûts, pourquoi ne pas chercher à améliorer nos productions ? Pourquoi ne pas organiser une montée en gamme des biens et des services produits en France pour conquérir une nouvelle place dans l’économie mondiale, mais aussi pour attirer les consommateurs français eux-mêmes ? Cette recherche de la qualité repose sur une nouvelle logique économique, moins quantitative et plus qualitative.
Abandonner la stratégie du low cost
La stratégie de baisse des coûts semble avoir fait office de politique économique et de politique industrielle depuis trente ans. Depuis la fin des années 1970, la stratégie pour créer des emplois et retrouver la croissance repose sur une politique de libération de l’offre qui se serait trouvée contrainte et inhibée par l’expansion de l’Etat-providence. Baisser les charges et les rigidités pour restaurer les profits devait générer une croissance des investissements qui devait déboucher sur la création de nombreux emplois (le fameux théorème d’Helmut Schmidt énoncé en 1974). Les politiques menées ont effectivement restauré les profits et permis aux plus riches de s’enrichir plus encore, mais ni les investissements, ni les emplois n’ont suivi. Une étude récente du BIT ( Making Markets work for jobs ) souligne que dans les pays développés, les profits ont augmenté de 83 % entre 2000 et 2009, mais que le niveau des investissements a stagné au cours de la même période. Les profits dégagés se sont de plus en plus traduits en dividendes pour les actionnaires (de 29 % des profits en 2000 à 36 % en 2009), et en investissements financiers plutôt qu’en investissements productifs (les investissements financiers des entreprises non financières sont passés de 81,2 % du PIB des pays développés en 1995 à 132,2 % en 2007). L’erreur a été de croire que les marchés sauraient transformer les profits en investissements productifs. Les immenses revenus générés ont en fait surtout été employés pour alimenter la spéculation, tandis que les classes moyennes devaient emprunter pour maintenir leur niveau de vie, générant par là la dette privée à l’origine de la crise financière de 2007–2008.
En outre, les stratégies menées par les entreprises pour restaurer leurs marges se sont le plus souvent faites contre l’emploi de qualité. Pour réduire leurs coûts de production, de nombreuses entreprises ont multiplié les plans de réduction des effectifs, et ont développé la sous-traitance pour ce qui n’était pas leur cœur de métier, ce qui a conduit au développement de plus en plus d’emplois atypiques.
Cette stratégie du low cost repose sur la seule idée que « nous sommes trop chers » dans l’économie mondialisée, que nos coûts de production – le coût du travail et les charges sociales – sont trop élevés. La principale recette (d’inspiration libérale) promue en France pour « restaurer notre compétitivité » porte sur les prix ; faute de pouvoir réduire les salaires comme cela a été fait en Allemagne, on s’appuie sur les plans de réduction des effectifs, les pré-retraites et la non embauche des jeunes, et l’on passe par la sous-traitance pour ce qui n’est pas le cœur de métier. Il s’agit de faire les mêmes choses qu’avant, mais avec moins de salariés. Cette logique de sous-traitance et de dévalorisation des salariés considérés comme insuffisamment productifs a conduit au développement de plus en plus d’emplois atypiques (intérim, contrats à durée indéterminée, temps très partiel aux horaires subis et emplois aidés, le plus souvent de mauvaise qualité, mal rémunérés et sans avenir).
Cette stratégie du low cost passe en outre par une pressurisation des salariés restés dans les grandes entreprises ou dans la fonction publique, dont on dénonce habituellement les protections et le niveau trop élevé des rémunérations. Pour rester compétitives dans une économie globalisée, beaucoup d’entreprises ont choisi de ne garder que les plus productifs d’entre eux, et de leur demander de travailler toujours plus intensément. Moins de gens travaillent, mais ceux qui travaillent sont soumis à des exigences de plus en plus fortes. La France combine en effet un très faible taux d’emploi des séniors, de grandes difficultés à faire entrer les jeunes sur le marché du travail, et une productivité horaire parmi les plus élevées d’Europe (115 pour la France pour une base 100 correspondant à la moyenne européenne – données Eurostat pour 2007). Cette stratégie d’hyperproductivisme épuise les ressources humaines et les ressources naturelles. Elle ne génère ni prospérité, ni emplois. Elle ne permet pas de répondre aux attentes des Français. Elle ne constitue pas une réponse valable à la crise qui frappe aujourd’hui le pays.
Vers une économie de la qualité
Bien que l’on débatte souvent des coûts de production, on s’interroge bien peu sur notre production elle-même, qu’il s’agisse de son contenu (de qualité trop moyenne) ou de ses modalités (l’hyperproductivisme). Ne faut-il pas interroger le type de produit que nous fabriquons, qui n’ont pas tant changé depuis trente ans alors que le monde, la société ont changé, et que la planète a beaucoup souffert de nos productions passés ?
La stratégie low cost ne nous laisse ni le temps, ni les marges pour y réfléchir. Elle ne permet pas d’investir dans l’avenir, dans les productions de qualité, elle néglige la recherche et le développement. La France consacre à peine plus de 2 % de sa richesse nationale aux dépenses publiques et privées de recherche et développement, quand l’objectif européen en la matière est de 3 % et que certains pays européens qui ont choisi de fonder leur croissance sur l’innovation sont au-delà (la Suède par exemple y consacrait 3,6 % de son PIB en 2009 – données Eurostat [1] ). Pour construire une prospérité durable, respectueuse des hommes et de l’environnement, il convient d’investir dans de nouveaux produits, dans de nouvelles énergies et de nouvelles infrastructures (transports collectifs notamment) et surtout dans de nouvelles activités de services (de l’organisation collective des mobilités et des approvisionnements aux services aux personnes), qui vont être au cœur de l’économie à venir. Il s’agit moins ici de définir quelles doivent être ces activités que de définir une orientation nouvelle tournée vers la qualité et l’innovation.
Une stratégie pour tous
Une telle stratégie, cependant, ne saurait se fonder sur la définition de quelques secteurs de pointe, par exemple les nouvelles technologies, ni sur la mise en exergue de quelques nouveaux champions nationaux, sur lesquels concentrer les ressources, tout en préservant pour la majorité de l’activité industrielle et commerciale la logique du low cost. Il convient au contraire de donner de nouvelles perspectives à l’ensemble de nos activités, d’organiser une montée en gamme de toute l’économie française. Construire une économie de la qualité s’oppose à la logique du low cost , mais elle se différencie aussi de la vision du monde qui a été promue au niveau européen au début des années 2000, appelée la stratégie de Lisbonne, et qui visait à faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde. Cette perspective était trop élitiste, elle laissait implicitement de côté une majorité des Européens et reposait sur une vision durablement déséquilibrée des échanges économiques globaux.
Dans cette perspective, l’Europe devait en effet être tirée par quelque secteurs innovants, et rester devant les autres régions mondiales (à nous les cerveaux, la connaissance, à eux les bras, l’atelier du monde). Outre l’injustice globale sur laquelle reposait cette stratégie, il est déjà trop tard : les Chinois et les Indiens investissent massivement dans la recherche et le développement, les nouvelles technologies, et le capital humain. Il s’agit pour nous désormais de rester dans la course, mais surtout de construire les bases d’une nouvelle économie de services, durable, respectueuse des hommes et de l’environnement. Pour ce faire, il faut donc agir sur la qualité de la production, mais également sur la qualité des emplois et la qualification de la main-d’œuvre, sans lesquelles la logique du low cost ne peut être remise en question.
De meilleurs emplois pour des salariés mieux formés
Améliorer les conditions de travail
Rompre avec la stratégie du low cost , c’est ne plus considérer le travail comme un coût à faire baisser, et le voir davantage comme un atout dans lequel investir. Investir dans les conditions de travail, c’est garantir à terme non pas une productivité forcée et usante (la productivité horaire des Français est parmi la plus élevée du monde, mais les Français sont parmi ceux qui se sentent le plus usés au travail, et souhaitent partir le plus tôt en retraite) mais une productivité fondée sur la créativité, l’innovation et la qualité.
L’investissement dans la qualité des emplois doit devenir à la fois un objectif collectif pour la France et un comportement normal des entreprises. Il s’agit ici d’un ensemble de (re-) conquêtes sociales visant à obtenir une plus grande sécurisation des parcours professionnels, un accès à la formation pour tous ceux qui travaillent, même les personnes ayant un contrat de travail « atypique » (CDD, intérim, emploi aidé, etc.), une organisation du travail qui permette de concilier vie familiale et vie professionnelle, un emploi qui procure satisfaction à celle ou celui qui l’occupe et permette à tous d’être représentés dans les instances décisionnaires de l’entreprise. Il est aussi essentiel de garantir à tous ceux qui travaillent un accès complet à la protection sociale (actuellement, par exemple, du fait qu’elles travaillent souvent à temps partiel et connaissent de nombreuses interruptions de carrière, les femmes ont des droits à la retraite quasiment deux fois moindres que ceux des hommes).
Améliorer la qualité des emplois passe aussi par l’abandon progressif des situations et des mesures qui entretiennent le développement des emplois de mauvaise qualité. Ainsi, la France dépense pas loin de 30 milliards d’euros en exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, où se concentrent les emplois les plus dévalorisés. Il conviendrait de mettre sous « condition de qualité » ces exonérations de cotisations sociales pour favoriser l’amélioration de ces emplois et donner des perspectives de carrière ascendantes à ceux qui les occupent.
Une des éléments essentiels de l’amélioration de la qualité des emplois et de nos productions passe aussi par la qualification de la main d’œuvre. Bien entendu, cela doit se faire tout d’abord par l’accès de tous à la formation professionnelle (actuellement, ce sont les personnes déjà qualifiées qui y ont majoritairement accès), mais, plus structurellement, il s’agit de mettre en œuvre une réorientation générale des politiques publiques vers l’investissement dans le capital humain, de la petite enfance jusqu’à la retraite. Cela passe par un accueil de qualité de tous les enfants, un système éducatif égalitaire, l’investissement dans notre jeunesse, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale pour les femmes et pour les hommes.
La formation pour tous, tout au long de la vie
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont accéléré le rythme du changement. Toute connaissance, tout savoir-faire devient désormais rapidement obsolète. Dans ce contexte, la clé du succès économique est dans la capacité à renouveler en permanence les activités les plus exposées à la compétition mondiale. Transformer les entreprises en organisations qui savent apprendre et changer, et permettre aux salariés de s’inscrire dans un processus de renouvellement constant des compétences devient essentiel.
Alors que la stratégie de compétitivité fondée sur la réduction des coûts, l’hyper productivité et le management par le stress des salariés montre ses limites en France, on découvre que les économies qui sont aujourd’hui les plus dynamiques et les plus innovantes en Europe sont celles qui ont su améliorer les conditions de travail pour tous, réduire les écarts de salaires, favoriser le « travail créatif » et l’autonomie, développer les logiques d’apprentissage permanent au sein de leur entreprise.
Pour éviter une polarisation du marché du travail entre ceux dont les compétences s’accroissent et se renouvellent et ceux dont les qualifications ne changent pas, voire se dégradent au fil de la carrière, il est essentiel de développer une politique de formation professionnelle pour tous et tout au long de la vie. Sur une année, quatre fois plus de salariés suédois ou danois que de salariés français ont accès à de la formation professionnelle (données Eurostat).
Parmi les politiques visant à favoriser de retour à l’emploi des chômeurs, certaines mettent l’accent sur le placement et la reprise d’un emploi quel qu’il soit, y compris d’un emploi de niveau inférieur aux qualifications de la personne, d’autres insistent sur la nécessité de subventionner des emplois peu qualifiés, notamment par l’exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, et la plupart fournit des compléments de ressources aux travailleurs pauvres. Misant sur les emplois de qualité, la stratégie présentée ici repose sur l’organisation des transitions professionnelles, l’accès de tous à des formations longues et qualifiantes tout au long de la vie, et l’accompagnement des mobilités par une garantie de revenu élevée en période de formation professionnelle et de recherche d’emploi, sans perte de droits sociaux. C’est à ces conditions que deviennent socialement acceptables la mobilité professionnelle (chaque année, un tiers des Danois changent de poste ou d’entreprise) ou l’allongement de la durée des carrières (l’âge effectif de départ en retraite était de 63,8 ans en Suède en 2008, de 59,3 ans en France).
Accueillir au mieux tous les jeunes enfants
Aujourd’hui, le chômage touche d’abord ceux qui n’ont pas de qualification ou bien dont les qualifications sont devenues obsolètes. Comment permettre à tou(te)s d’acquérir les compétences nécessaires à l’économie actuelle? Beaucoup de choses se jouent dès le plus jeune âge. Les capacités cognitives, communicationnelles et relationnelles aujourd’hui nécessaires à la réussite scolaire et professionnelle s’acquièrent avant même d’atteindre l’âge de la scolarité. Les enfants nés dans les milieux favorisés bénéficient de nombreuses opportunités d’éveil et de développement de ces capacités, ce qui n’est pas toujours le cas dans des milieux défavorisés. Donner une chance à tous dès le plus jeune âge passe par un service public de la petite enfance de qualité, accessible à tous. De ce point de vue, la tendance actuelle en France à fermer les classes d’école maternelle pour les enfants de deux à trois ans ne va pas dans le bon sens.
Une école pour tous
Permettre à tous d’acquérir les compétences et qualifications nécessaires pour avoir un bon emploi amène aussi à repenser le fonctionnement de notre système scolaire. L’inefficience et l’injustice de notre système éducatif élitiste et sur-sélectif sont de plus en plus patentes. Les résultats récents de l’enquête PISA de l’OCDE deviennent chaque année plus inquiétants, la part des laissés-pour-compte de notre système éducatif ne cessant de s’accroître. Pour inverser cette tendance, il s’agit de faire en sorte que tous puissent aller le plus loin possible dans leurs études (éviter les redoublements, remettre en question le système de notation humiliant, favoriser la mixité sociale et les troncs communs…). En France, nous n’avons pas l’habitude de considérer les politiques d’éducation comme relevant des politiques sociales. On attend pourtant de l’école qu’elle joue un rôle d’ascenseur social. S’il est aujourd’hui en panne, c’est aussi parce que notre système scolaire vise moins la qualification de tous que la sélection des meilleurs [2] .
Investir dans la jeunesse
Alors qu’on a su accompagner l’émergence du troisième âge (la retraite) et que l’on considère important de préparer celle du quatrième (la dépendance), la jeunesse, elle, continue d’être négligée par nos politiques sociales. Cette période de la vie qui n’existait pas il y a cinquante ans (où l’on passait presque sans transition de l’école au travail ou au mariage) et pendant laquelle tant de choses se jouent, tant de choix sont à faire (mener ses études, commencer sa carrière, trouver un logement, fonder un foyer, avoir des enfants) est négligée par nos politiques publiques : le Revenu minimum de solidarité active n’est accessible qu’à partir de 25 ans (sauf à avoir des enfants ou bien à avoir travaillé intensément auparavant), quelqu’un qui n’a jamais travaillé n’a pas le droit aux allocations chômage, même s’il a du mal à trouver un emploi et n’est plus ni en études, ni en formation.
Ce sont bien les jeunes qui souffrent le plus aujourd’hui de la situation économique difficile. La moitié des salariés embauchés en CDD, stage ou apprentissage ont moins de 29 ans, alors que la moitié des salariés en CDI ont plus de 43 ans. Parmi les moins de 25 ans, la part des emplois atypiques est de 49,7 % (contre 12,6 % pour l’ensemble des salariés). Le taux de pauvreté des hommes âgés de 60–69 ans était en 2007 de 8,3 % et de 8,8 % pour les femmes de cette tranche d’âge, de 17,2 % chez les jeunes garçons de 18 à 24 ans et 19,7 % chez les jeunes filles (source : INSEE et Observatoire des inégalités).
Favoriser l’égalité homme femme
Favoriser le travail de tous aux meilleures conditions pose aussi la question de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Alors que les jeunes filles réussissent mieux les études supérieures que les garçons, les femmes font de moins bonnes carrières que les hommes (moins bien rémunérées, plus souvent à temps partiel, moins de responsabilités). Les femmes doivent payer le prix professionnel du fait que ce sont elles qui interrompent ou réduisent leur carrière pour s’occuper des enfants (puis des personnes âgées dépendantes). Permettre aux femmes d’avoir les carrières qu’elles souhaitent, et qui correspondent à leur qualification, passe aussi par une politique d’égalité dans la sphère familiale, par une restructuration profonde des congés parentaux devant inciter les ménages à mieux partager la prise en charge des jeunes enfants (un congé parental plus court mais beaucoup mieux rémunéré, et dont le nombre de mois s’accroît s’il est partagé entre les deux parents).
Développer des structures d’accueil de qualité pour les plus jeunes enfants permet de répondre aux besoins nouveaux des familles et des enfants, mais aussi créer des emplois stables, qualifiés et bien protégés, à l’inverse des emplois privés de services à domicile (subventionnés en France) qui sont le plus souvent à temps partiel, peu qualifiés, mal rémunérés et soumis à la précarité. Cela rend compatible vie familiale et vie professionnelle et donc favorise l’emploi des femmes, ce qui correspond à ce qu’elles souhaitent (acquérir une autonomie financière), mais également à un double besoin social : réduire le risque de pauvreté des enfants (qui est toujours plus faible dans les ménages où les parents travaillent, en particulier dans le cas des familles monoparentales) et augmenter les taux généraux d’emploi.
Améliorer la qualité de vie de tous les Français
La stratégie d’investissement dans un avenir de qualité ne doit pas être réduite à une stratégie de compétitivité économique au seul bénéfice de quelques-uns. Afin de redonner sens aux stratégies économiques, il s’agit de leur définir une finalité, qui doit être d’améliorer la qualité de vie des Français. Quatre sujets de préoccupations majeurs des français apparaissent ici : les transports, le logement, l’accès à des soins de santé de qualité et la prise en charge des personnes dépendantes (âgées mais aussi enfants ou handicapés). Il s’agit ici de répondre aux préoccupations de tous et non pas de préparer l’avenir des meilleurs.
Garantir à tous la qualité de la vie quotidienne passe par l’amélioration des services rendus et donc des emplois dans les secteurs d’activité du quotidien. Il est nécessaire d’investir dans la qualité de ces services, et par conséquent dans la qualification et les conditions de travail des emplois de secteurs comme les transports, le bâtiment, les services aux personnes. Ces secteurs sont trop souvent considérés comme ne faisant pas partie de l’économie de la qualité, du fait d’une comptabilité inadaptée de la productivité, fondée sur le nombre d’unités traitée à l’heure, et du niveau de qualification, alors qu’il faudrait promouvoir le service rendu et l’utilité collective comme critères d’évaluation.
Des transports collectifs de qualité, accessibles à tous
De nombreuses enquêtes sur le stress au travail et la qualité des emplois montrent que des conditions de transports déplorables contribuent à la dévalorisation du rapport au travail, au sentiment de détérioration des conditions de travail. Coincés dans les embouteillages ou dans le RER, les salariés souffrent du manque d’investissement dans le maintien et l’expansion des transports publics de qualité pour tous (y compris les banlieusards, et pas seulement d’Île-de-France). Il ne suffit pas de réprimer les voitures (comme à Paris), il faut aussi compenser par un réseau fluidifié de transports en commun qui ne se contente pas de transporter les résidents du centre ville mais bien tous les habitants d’une agglomération… Les préoccupations quotidiennes des Français rejoignent les préoccupations environnementales, et les solutions passent par le développement de transports publics de qualité accessibles à tous, aussi bien en termes de prix que de desserte.
A côté des transports collectifs traditionnels (train, tram, métro, RER…), le développement de nouveaux modes de transport fondés sur la location personnalisée (velib’, autolib’…) ou le co-voiturage incarnent typiquement l’économie du service de qualité (« économie du quaternaire ») dans lequel il paraît indispensable d’investir.
Un logement de qualité pour tous
Le prix et la qualité du logement sont devenus une préoccupation majeure des Français. Il apparaît nécessaire de construire plus de logements, des logements de qualité (espace, isolation, bâtiments intelligents) et d’améliorer l’existant. En matière de politique du logement, on ne peut pas se contenter de créer un droit opposable non appliqué ou de subventionner le locataire. Ces dernières mesures ne font que faire monter les prix, entretiennent la rareté et, à terme, finissent par enrichir les propriétaires de logements locatifs (individuels ou institutionnels, spéculateurs). Il faut construire et rénover. Pour produire des logements de qualité, il faut aussi investir dans la qualification de la main d’œuvre du bâtiment, secteur particulièrement touché par les mauvais emplois et la précarité. Souvent négligé par ceux qui prônent le progrès social parce qu’il apparaît comme un secteur « naturellement » faits de mauvais emplois aux conditions difficiles, le secteur du bâtiment devrait constituer (avec celui de la grande distribution et des services à la personne) un secteur emblématique de la stratégie d’investissement dans la qualité des emplois et la qualification de la main d’œuvre.
Garantir l’accès de tous à des soins de qualité
Le gouvernement actuel ne cherche pas vraiment à contrôler l’augmentation des dépenses de santé, explicable en partie par l’augmentation sans contrepartie des honoraires des médecins, les prescriptions, examens et actes inutiles et la régulation impossible du système de santé français. Le principe fondamental de sa politique repose sur le soutien à la médecine libérale et le transfert d’une part croissante des soins de santé à l’assurance complémentaire. Dès lors, les mutuelles et assurances privées ne cessent d’augmenter leurs prix. Le système de santé français est désormais un système à plusieurs vitesses, qui éloigne de l’accès aux soins de qualité ceux qui ne peuvent payer les dépassements d’honoraires, les consultations privées, une bonne mutuelle, sans parler de ceux qui se voient tout simplement refuser des soins parce qu’ils bénéficient d’un régime de santé pour les pauvres (la CMU et la CMUC). Les classes moyennes doivent consacrer une part de plus en plus importante de leur budget à maintenir leur accès aux soins de qualité.
Il apparaît aujourd’hui essentiel de réguler le système pour revenir au principe fondamental de notre système de santé : garantir l’accès de tous à des soins de qualité. De nouveaux objectifs doivent être poursuivis : une meilleure prise en charge des soins ambulatoires, l’orientation collective de l’installation des médecins, le renforcement du rôle des médecins traitants, le développement des maison de santé dont le financement public devrait permettre la gratuité des soins, où travailleraient en synergie infirmières, médecins généralistes, laboratoire d’examen, radiologie, kinésithérapie, etc. (tous les soins de première intention). Ces évolutions vont de pair avec un changement du mode de rémunération des médecins et une réorientation des pratiques médicales vers la prévention. Investir dans l’avenir, c’est sans doute investir dans la recherche médicale mais surtout dans la prévention et les politiques de santé publique. Il convient de contrebalancer le pouvoir des « curatifs », qu’il s’agisse de l’industrie pharmaceutique ou des médecins libéraux.
Il faut enfin souligner que la qualité des soins de santé ne repose pas exclusivement sur les compétences des médecins, mais aussi sur l’amélioration de leur pratique, de leurs relations avec les patients, et peut-être surtout sur l’amélioration des conditions de travail des équipes qui entourent les médecins et sont au plus près des patients (auxiliaires de soins, staffs hospitaliers, infirmières notamment).
Des services de « care » de qualité
Laisser son enfant en crèche ou en nourrice, confier son ou ses parents dépendant(s) aux soins d’une aide à domicile ou d’une institution est source d’angoisse pour les membres de la famille (seront-ils bien pris en charge, feront-il l’objet des meilleurs soins, seront-ils protégés de la maltraitance ?). Ici encore, la nécessité de garantir des soins de qualité rejoint les préoccupations économiques et sociales de la stratégie d’investissement dans un avenir de qualité (donner à tous les enfants les moyens de développer leurs compétences, améliorer les conditions d’emploi, y compris dans le secteur des services à la personne) ; dès lors, il ne suffit pas d’essayer par tous les moyens d’étendre les capacités d’accueil (y compris en augmentant le taux d’adultes par enfant, ou bien en baissant le coût des aides à domicile, ce qui précarise un peu plus le secteur des aides aux personnes dépendantes) mais bien de consacrer de l’argent et des efforts à la constitution d’un secteur qui va devenir central dans nos sociétés où l’accueil des jeunes enfants constitue un enjeu majeur pour toutes les familles, et où le vieillissement de la population va engendrer une demande croissante de capacité de prise en charge. Le soin aux personnes constitue un secteur essentiel de l’économie des services de qualité qu’il est nécessaire de construire.
*
L’enjeu actuel, face à la crise structurelle du modèle qui a guidé nos politiques au cours des trente dernières années, est de fonder un nouveau modèle économique, social et écologique. Il s’agit dès lors de concevoir une autre stratégie économique et sociale, celle de la qualité pour tous, qui ne repose plus ni sur la compression des coûts, ni sur la déqualification du travail et la disqualification des individus. A ces politiques passées, de nombreuses dépenses ont été attachées : exonération des cotisations sociales pour financer de mauvais emplois, aides aux secteurs en déclin, qui reposent pour leur survie sur l’hyperproductivisme, mais qui s’avèrent incapables de créer des emplois et de générer de la prospérité. Les sommes ici dépensées seraient mieux employées aux politiques d’investissement social.
Aussi, il s’agit de réorienter les sommes gâchées pour financer les plus riches à coup de baisse des taux d’imposition et d’exemptions fiscales, politiques menées au nom de la théorie du ruissellement économique (le trickle down ) qui voulait nous faire croire que les profits d’aujourd’hui devaient être les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Les immenses revenus générés ont surtout été employés pour alimenter la spéculation, tandis que les classes moyennes et les plus pauvres devaient emprunter pour maintenir leur niveau de vie ou tenter de réaliser leurs projets. Plutôt que de compter sur le jeu des marchés, il s’agit désormais de décider et de faire collectivement les investissements nécessaires pour construire un avenir de qualité pour tous.
Selon les mêmes données Eurostat (indicateurs de la stratégie de Lisbonne désormais intitulée Europe 2020 ), le nombre de demande de brevets déposé auprès de l’office européen des brevets est proportionnellement deux fois plus élevé en Suède qu’en France. Selon les données de l’OCDE, en 2009, la France dépensait pour l’éducation un point de PIB de moins que la Suède, mais aussi un point de moins que dix ans plus tôt. ↑
Comme l’ont montré C. Baudelot et R. Establet dans L’élitisme républicain ; l’école française à l’épreuve des comparaisons internationales , Paris, Seuil, 2009. ↑