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Rapport

Dépendance, pour une prise en charge pérenne et solidaire

En annonçant dès 2007 l’instauration d’un « 5ème risque de sécurité sociale co-géré par la sécurité sociale et les collectivités locales », Nicolas Sarkozy entendait placer la dépendance au cœur du débat public. Les propositions du gouvernement se font toujours attendre, et l’expression « 5ème risque » a été largement galvaudée. Dès lors, il convient de se concentrer sur la seule question qui vaille : comment améliorer de manière qualitative et quantitative la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie dans un double contexte marqué par une forte contrainte budgétaire et un quadruplement du nombre des personnes âgées de plus de 85 ans dans les 40 prochaines années ? Le rapport de Terra Nova « Pour une prise en charge solidaire et pérenne du risque dépendance », fruit des réflexions d’un groupe de travail présidé par Luc Broussy, analyse les enjeux de la prise en charge de la dépendance, décrypte les projets actuels du gouvernement, et porte des propositions pragmatiques alliant crédibilité et ambition : contribution de l’ensemble des Français au financement de la dépendance, meilleure lisibilité des dispositifs existants, mise en place d’une loi pluriannuelle de préparation de la France au vieillissement de sa population…

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1 – Perte d’autonomie : l’obligation d’une réforme

Pourquoi le débat sur la dépendance est-il de nouveau d’actualité alors qu’une prestation dédiée – l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie – est déjà aujourd’hui perçue par plus de 1,2 million de personnes âgées pour un montant global de plus de 5 milliards d’euros ? Pour au moins trois raisons :

1.      1 – La « massification » du grand vieillissement : une bonne nouvelle…

L’allongement de la durée de vie est probablement un des progrès les plus essentiels qu’ait connu l’humanité au cours du XXème siècle. Alors qu’on vivait en moyenne 40 ans en France en 1850, l’espérance de vie a franchi le seuil des 80 ans en 2008. Certes, on a toujours connu des personnes vivant très âgées. La nouveauté est que de l’exception, on est passé à la norme. Au point que les « plus de 85 ans », au nombre de 1,4 million en 2011, seront 2,3 millions en 2020, 2,5 millions en 2030, 3,9 millions en 2040, 4,8 millions en 2050 et 5,4 millions en 2060[1]. En revanche, on assistera dans le même temps à une progression raisonnable et lissée dans le temps du nombre de personnes âgées dépendantes. Les statistiques de l’INSEE portant sur les projections du nombre de personnes âgées dépendantes à l’horizon 2040 tranchent sensiblement dans leur ampleur avec les projections démographiques que nous venons de voir plus haut. Evaluées en 2000 à 800 000, les personnes âgées dépendantes seraient 920 000 en 2025 et 1 200 000 d’ici 2040 selon l’INSEE[2]. Ainsi donc entre 2010 et 2040, le nombre de « plus de 85 ans » évoluerait de + 300 % tandis que le nombre de personnes âgées en situation de dépendance n’évoluerait lui que de + 50 %.

1. 2 – Un enjeu de solvabilisation : l’insuffisance de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)

L’APA, en vigueur depuis 2002, a connu un succès considérable depuis sa création. Elle n’en est pas moins aujourd’hui insuffisante pour faire face aux coûts croissants de la dépendance.    

En établissement, l’APA, d’un montant moyen mensuel de 350 euros, ne vient solvabiliser qu’une petite partie des frais réellement engagés par les résidents et leurs familles. Reste à la charge des personnes âgées des sommes dépassant systématiquement 1 500 euros par mois et plus souvent 2 000 euros par mois.   À domicile, l’APA est versée selon un mécanisme différent. Dès lors que les revenus de la personne âgée sont supérieurs à 695 euros/mois, le plan d’aide donnera lieu au paiement d’un ticket modérateur par le bénéficiaire. Ce système a une conséquence immédiate : plus la personne est dépendante et plus ses revenus sont importants, plus le ticket modérateur qu’elle devra acquitter sera lourd à supporter. On constate ainsi de plus en plus sur le terrain que des personnes âgées aux revenus moyens ne parvenant plus à acquitter des tickets modérateurs de 200 à 300 euros par mois décident d’elles-mêmes de réduire leur plan d’aide. Cette logique est particulièrement perverse et doit conduire à modifier les règles de calcul de l’APA à domicile.  

1. 3 – Un enjeu de financement : besoin de rééquilibrage entre financement local et national

  L’indécision publique porte aussi depuis 30 ans sur la dose de solidarité nationale à instiller dans le financement de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.  

De 1975 à 2002, l’Allocation Compensatrice pour Tierce Personne puis la Prestation Spécifique Dépendance ont été entièrement financées par les conseils généraux. Ce n’est qu’à partir de 2002 avec la création de l’APA que l’Etat a pris la décision de participer sensiblement au financement de la perte d’autonomie via une participation du fonds de solidarité vieillesse (FSV) à hauteur de 1,4 milliard d’euros. Participation qui est depuis versée aux départements en fonction de critères de péréquation.  

Toutefois, depuis 2003, les gouvernements successifs n’ont pas augmenté ce montant. Et comme dans le même temps les dépenses ne cessaient de croître, la part de la solidarité nationale dans le financement de l’APA n’a cessé de diminuer pour atteindre aujourd’hui 28 % contre 72 % assumés par la fiscalité locale. Le système actuel revient en effet à demander aux jeunes creusois de financer la dépendance des vieux creusois et aux jeunes valdoisiens de financer la dépendance des vieux valdoisiens. Or, les plus de 60 ans représentent 34 % de la population de la Creuse alors qu’ils ne représentent que 14 % de la population du Val d’Oise…

Comment avec de telles inégalités continuer à prétendre que le financement d’un risque aussi lourd que la dépendance peut reposer principalement sur les départements ?  

Un vieillissement accéléré dans les 30 prochaines années ; des montants d’APA aujourd’hui nettement insuffisants par rapport aux besoins de solvabilisation ; un financement reposant essentiellement sur la fiscalité locale : trois bonnes raisons rendant nécessaires une réforme du système actuel.    

2 – Le projet de la Droite : l’individu seul face à sa dépendance

  Il n’est pas possible aujourd’hui d’analyser, pour le critiquer ou pour le louer, le projet présenté par le Gouvernement. Tout bonnement parce que celui-ci n’existe pas. Depuis 2007, date de l’élection de Nicolas Sarkozy, le pouvoir exécutif ne s’est engagé sur rien. Trois ans et demi après le début du quinquennat, Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot ont tout juste pris la peine d’ouvrir un « grand débat national sur la dépendance ». Mais ils n’ont pas pris la peine en trois ans et demi de décider de quoi que ce soit d’autre.  

Dès lors pour juger des propositions du camp conservateur, il convient de s’appuyer sur des rapports parlementaires émanant de députés ou de sénateurs UMP mais aussi sur les rares débuts d’orientation lancés timidement par le Président de la République.

2.      1 – Entre attentisme et catastrophisme

  Dès le 18 septembre 2007, quatre mois après son élection, Nicolas Sarkozy s’était engagé à rendre public un projet de loi au premier semestre 2008. Puis le Gouvernement annonça la publication d’un projet pour janvier 2009. Puis, Nicolas Sarkozy s’exprima de nouveau le 12 mai 2009 lors d’un déplacement à Nancy pour annoncer des décisions pour l’automne 2009. Et il faudra finalement attendre le mois de novembre 2010 pour que le Président de la République annonce un projet de loi pour l’automne… 2011. Avant que Roselyne Bachelot ne précise que l’ensemble du dispositif législatif ne pourrait probablement pas être adopté avant l’élection présidentielle. Malgré l’opération médiatique consistant à animer un « Grand Débat national sur la Dépendance », force est de constater que le quinquennat devrait se terminer sans qu’aucun dispositif d’ensemble n’ait été adopté.   Mais cet attentisme coupable se double d’une volonté de dramatiser le débat.  

François Fillon d’abord a, devant le Parlement en novembre 2010, évalué à 22 milliards d’euros le financement actuel dédié à la dépendance et à 8 milliards le besoin de financement dans les « prochaines années ». Or, la somme de 22 milliards d’euros est un vaste fourre-tout comprenant notamment pour près de 12 milliards d’euros l’ensemble des dépenses d’assurance maladie dédié aux personnes âgées dépendantes. L’Assurance maladie n’a pourtant rien à faire, à ce stade, dans le débat puisque les personnes âgées dépendantes sont et doivent être des assurés sociaux comme les autres, ayant cotisé comme les autres et recevant donc des prestations comme tout le monde. En réalité, le financement de la dépendance peut être évalué aujourd’hui à 9 milliards d’euros, dont les deux tiers sont assumés aujourd’hui par les seuls conseils généraux. On comprend bien toutefois que brandir des sommes aussi gigantesques a pour effet de démontrer aux français qu’ils seraient irresponsables d’assumer de tels besoins de financement par le seul biais de la solidarité nationale.  

D’autres en ont rajouté en matière de statistiques démographiques. Ainsi, le 25 octobre 2010, en pleine réforme des retraites, Christian Estrosi, à qui on ne connaissait pas ce talent de démographe, déclara face à François Chérèque et Bernard Thibault : « en 2030, c’est simple, nous aurons une espérance de vie de près de 100 ans » (sic…).[3] Au même moment, Nicolas Sarkozy expliquait : « Il y a un lycéen sur deux d’aujourd’hui qui deviendra centenaire ». Au lieu de cela, l’Institut National des Etudes Démographiques estime plutôt que 16 % des filles (et seulement 4 % des garçons) nés en 2000 deviendront centenaires. Quant à l’espérance de vie en 2030, elle sera au mieux de 83–85 ans, bien loin des 100 ans indiqués par le Maire de Nice.

De telles galéjades sont à l’évidence censées faire peur et légitimer dès lors les solutions esquissées par la droite : recours sur succession et recours aux assurances privées.

2. 2 –  Les solutions de la droite : assurance privée et recours au patrimoine

  Le choix de l’assurance privée est ici purement idéologique puisqu’il répond à l’objectif de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires. Le rapport Rosso-Debord propose donc la souscription d’une assurance perte d’autonomie obligatoire à partir de 50 ans. Au-delà même d’arguments idéologiques sur le rejet ou non par principe d’un recours aux assurances privées, nous proposons de repousser ici ce scénario.  

D’abord, le caractère obligatoire de l’assurance dépendance semble difficile à mettre en œuvre : il est donc probable que cette obligation ne sera pas respectée sauf à imaginer des mécanismes de sanction suffisamment dissuasifs. La vérification de l’assurance automobile – obligatoire – est simple puisqu’elle consiste en l’apposition d’un macaron sur le pare-brise du véhicule. Or, ici, comment « sanctionnera »-t-on le citoyen qui a décidé d’échapper à son obligation ?  

A l’instar du marché des complémentaires santé dont on ne cesse de critiquer le manque de lisibilité et la difficulté pour l’assuré de « s’y retrouver », la mise en place d’une assurance perte d’autonomie privée impliquant de nombreux acteurs augmenterait considérablement le degré de complexité de notre système de protection sociale.  

Enfin, les assureurs seraient tenus de proposer un socle minimum de couverture (une prestation d’un montant donné pour chaque niveau de dépendance) pour une cotisation mensuelle (forfaitaire) dont le rapport Rosso-Debord indique qu’elle pourrait s’élever à entre 20 et 30 € en fonction de l’âge de souscription ; mais chacun serait libre de souscrire des garanties plus élevées. Ainsi, on verrait se développer un système où les plus aisés pourraient souscrire des assurances confortables tandis que les plus démunis bénéficieraient du socle minimum de couverture qui exclurait les dépendances partielles, sans aucune dimension redistributive ou solidaire. De plus, cette obligation d’assurance revient à créer un nouvel impôt forfaitaire : les plus riches comme les plus pauvres paieront 30 € pour bénéficier d’une couverture, à rebours du principe de proportionnalité des cotisations et contributions et de progressivité de l’impôt.  

Pour toutes ces raisons, l’introduction des assurances privées dans le système nous paraît aujourd’hui dangereuse et prématurée aujourd’hui. Mais rien n’empêche pour autant de poursuivre la réflexion. Car si la construction d’un étage complémentaire nous paraît hors de propos quand un « régime de base » solidaire n’a pas encore été consolidé, on ne doit pas écarter par principe toute discussion sur un partenariat public-privé lorsque, et seulement lorsque, le régime public sera assis et pérenne. Car il faut bien noter aujourd’hui un certain paradoxe. Alors que l’on crie haro sur les assurances privées, aujourd’hui en France, les principaux pourvoyeurs d’assurance dépendance privée sont des organismes… à but non lucratif. La MGEN et l’AG2R sont en effet aujourd’hui les deux principaux « assureurs privés » bien loin devant AXA ou les AGF…  

2. 3 – Le caractère injuste du recours sur succession

La seconde idée avancée par le gouvernement consiste à mobiliser le patrimoine des personnes âgées. Faire payer les détenteurs de patrimoine peut sembler de prime abord une idée qui ne peut que plaire à la gauche, mais ce n’est pas le cas.  

En effet, il ne s’agit pas d’augmenter les prélèvements sur le capital, sur les successions ou sur le patrimoine de tous. Il s’agit de demander aux personnes âgées qui auront eu la malchance de se retrouver dans une situation de perte d’autonomie de financer leur propre dépendance avec leur propre patrimoine.  

Un tel scénario constitue la négation même de la solidarité puisqu’elle laisse peser l’entièreté du risque sur la personne elle-même.   Au-delà de ces deux pistes, certains, à droite, ne renoncent pas à une forme de prélèvement obligatoire nouveau. Mais celui-ci prendrait la même forme qu’en 2004 : celle d’une augmentation de la Contribution de Solidarité pour l’Autonomie en échange de la suppression d’un second jour férié. Ce système a pourtant déjà été dénoncé pour son caractère inégalitaire puisqu’il ne concerne ni les non-salariés, ni les retraités mais pèsent principalement sur les revenus du travail des actifs.    

3 – Les solutions progressistes pour une prise en charge universelle, solidaire et pérenne de la dépendance

 Entre un attentisme coupable et un Grand Soir de la dépendance que certains prônent sans savoir comment le financer, notre proposition, concrète, réaliste et pragmatique, vise à renforcer les aspects positifs du système existant et à corriger ses défauts ou ses dérives.

3. 1 – Un coût raisonnable, maîtrisable sur le long terme, qui doit appeler des ressources pérennes recentrées sur la solidarité nationale

1er constat : rien ne justifie qu’on déroge, pour la seule dépendance, au principe de solidarité nationale.

Au regard des inégalités territoriales que cela génère, il n’est plus possible de laisser reposer sur les seuls départements et donc sur la seule fiscalité locale, le financement de la dépendance.    

2ème constat : il semble indispensable de continuer à laisser aux conseils généraux la responsabilité de la gestion sur le terrain des politiques en faveur des personnes âgées dépendantes.

Le bilan de l’APA depuis 2002 montre qu’ils ont été sur ce plan efficaces et proches du terrain. Faut-il pour autant que les départements continuent à financer une part de la prestation ? A cette question, nous répondons oui au risque sinon de voir les conseils généraux se transformer en simple guichet sans aucun pouvoir de décision.  

3ème constat : l’évolution du nombre de personnes âgées dépendantes sera très progressive lors des 10 prochaines années.

Rien ne justifie donc d’alerter l’opinion publique sur un soi-disant « tsunami » ingérable.  

4ème constat : il est vain de vouloir construire un second étage sur un premier étage encore largement branlant.    

3. 2 – Une prestation de solidarité nationale co-financée par l’Etat et les départements

  Il s’agit donc d’inscrire dans la loi le principe d’un financement paritaire entre l’Etat et les départements. Sachant que l’on part d’une situation où l’équilibre actuel est de 72/28, la recherche de cet équilibre nécessite que la solidarité nationale soit appelée progressivement à rattraper son retard.   La loi devrait donc instaurer le mécanisme suivant :  

– programmation dans le temps du rattrapage de l’Etat à hauteur de 2,5 milliards d’euros ;  

– inscription de la parité 50/50 qui ne peut s’entendre qu’au plan national. Certains départements « jeunes et riches » seraient en effet appelés à contribuer au-delà de 50 % tandis que les départements « pauvres et âgés », qui seront incapables dans les années à venir de financer 50 % de leurs dépenses, verraient une part plus importante de leurs dépenses prises en charge par l’Etat.    

3.      3 –   Les pistes de financement possibles

  Nous pensons raisonnable de mobiliser sur les 5 ans à venir un volant supplémentaire de financement entre 4 et 5 milliards d’euros. En 5 ans, cela reviendrait à doubler le financement actuel de l’APA. Ce n’est pas rien.  

Le relèvement de la CSG acquittée par les retraités imposables  

L’équité intergénérationnelle, l’évolution positive des revenus globaux des retraités depuis 20 ans ainsi que le poids croissant des sacrifices fait par les actifs en matière de financement des retraites nécessite un effort mieux partagé entre actifs et retraités. En d’autres termes, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, exposait récemment la même idée : «  Il serait temps que la solidarité intergénérationnelle fonctionne aussi des plus âgés vers les plus jeunes. A revenu égal, l’imposition à la CSG doit être égale, que l’on soit actif ou retraité. On ne peut pas créer un nouveau service pour les plus âgés qui soit uniquement financé par les actifs »[4].  

Le relèvement de la CSG des retraités imposables (hors petites retraites) qui représente environ 2Md€ permettrait déjà un effort supplémentaire non négligeable de la solidarité nationale.  

Se pose également la question de l’abattement pour frais professionnels de 10% sur l’IRPP dont bénéficient aujourd’hui certains retraités. Est-il normal et juste en effet qu’un couple de retraités à 4 000 euros par mois ait droit à un tel abattement sur l’impôt sur le revenu ? Cette mesure ne concernerait évidemment en rien les retraités modestes mais rapporterait en revanche 2,2 milliards d’euros.   

Ensuite, mobiliser le patrimoine… de l’ensemble des français  

Au-delà, une autre ressource doit être trouvée pour compléter les besoins de financement évoqués plus haut.  

Cette seconde phase devra faire appel au patrimoine. Mais au patrimoine de tous les Français et non au patrimoine des seules personnes âgées via un recours sur succession dont nous avons dit plus haut le caractère totalement injuste. La loi TEPA a instauré une quasi-suppression des droits de succession. Avant la loi, seul un petit quart des successions donnaient lieu à paiement de droits de succession. Autant dire que l’immense majorité des patrimoines modestes et moyens était exonérée. Aujourd’hui, 95% des successions sont exonérées. Il est facile de voir donc à qui a profité la mesure lorsqu’on sait que 10% de ménages détiennent 46% du patrimoine et que la succession moyenne en France est de 56 000 euros…  

Si on prône le mérite et le travail par rapport à la rente, il devient difficile et illogique d’encourager la diminution de l’impôt sur les successions. Il est surtout extrêmement choquant d’expliquer qu’il est légitime que, via le recours sur succession, les personnes âgées, y compris modestes, paient le coût de leur dépendance sur leur propre patrimoine tandis que l’impôt sur la succession des 10 % de ménages les plus aisés diminue fortement.  

Revenir sur ces éléments de la loi TEPA permettrait d’abonder le financement de la dépendance à hauteur de 2 milliards d’euros supplémentaires.

3. 4 – Une nouvelle gouvernance permettant d’être plus efficace et plus lisible pour le citoyen

  La complexité du « back-office » institutionnel est peut-être un mal nécessaire si l’on veut que les différentes parties prenantes travaillent ensemble. Pour rendre le système plus efficace, les liens entre la CNSA et les conseils généraux ont besoin d’être revus en profondeur.  

La Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, créée en 2005, fait aujourd’hui consensus. Il conviendrait toutefois de l’ériger en véritable pilote du 5ème risque. Sachant qu’il est proposé plus loin de revenir à une parité 50/50 dans le financement de l’APA, il est proposé ici d’instituer un véritable organe de pilotage de la CNSA constitué pour trois tiers des représentants de l’Etat, des parlementaires et d’organisations syndicales et des conseils généraux. La CNSA serait alors chargée de signer des conventions bilatérales avec l’ensemble des conseils généraux pour coordonner les politiques publiques.  

L’accès à l’information est aussi un enjeu majeur pour les personnes âgées et leurs familles. D’autant plus majeur que cet accès aux renseignements est généralement sollicité en situation de crise. Pour rendre plus accessible l’information, il faudrait créer trois échelons clairs :

– au niveau national par la création d’un n° d’appel unique

– au niveau départemental par la transformation des Maisons Départementales des Personnes Handicapées en Maisons Départementales de l’Autonomie

– au niveau local en contractualisant avec les Centres Communaux d’action sociale.  

3. 5 – Une offre de services soutenue par les pouvoirs publics

  Les associations d’aide à domicile vivent actuellement une situation économique très difficile. Beaucoup d’entre elles ferment leurs portes après des cessations de paiements ou des liquidations judiciaires alors qu’elles n’ont pas forcément démérité en termes qualitatifs. L’Assemblée des Départements de France a engagé un véritable processus contractuel avec les principales organisations d’aide à domicile en France visant à moderniser la tarification et les prestations de ces services. Il serait souhaitable que ces propositions soient avalisées rapidement par le Parlement.  

Quant aux établissements, s’ils se sont pour beaucoup profondément modernisés depuis 10 ans, il reste toutefois sur le territoire de nombreuses maisons de retraite architecturalement dépassées. Aujourd’hui, la question de la modernisation du bâti se pose essentiellement dans le secteur public (notamment dans le secteur public hospitalier). Il conviendrait dès lors de créer un fonds d’investissement et de modernisation des EHPAD coordonné par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) afin de pallier les carences de la puissance publique dans ce domaine. Sans un tel concours, il sera difficile de moderniser les EHPAD qui n’offrent pas des conditions acceptables d’hébergement ce qui reviendrait à mettre en difficulté un secteur public qui assure aujourd’hui en moyenne les tarifs les plus accessibles.  

3. 6 – Pour une loi pluriannuelle de préparation de la France au vieillissement de sa population

Mais la question du vieillissement de la population française ne peut se résumer au seul prisme de la dépendance. C’est la raison pour laquelle nous prônons non un projet de loi sur le 5ème risque mais une loi pluriannuelle de préparation de la France à son vieillissement.  

Légiférer sur la seule question de la dépendance serait méconnaître l’ensemble des défis qui se posent à la société française en matière de vieillissement. « Quand le Sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt » dit le proverbe chinois. Nous ne devons pas jouer le rôle de l’idiot en choisissant de légiférer sur la dépendance sans traiter en amont tous les facteurs qui y conduisent.  

Nous prônons donc une loi qui, au-delà de la seule question d’une Allocation rénovée, embrasse l’ensemble des conséquences sociétales du vieillissement. Ce projet de loi devra aussi :

– traiter de la question de l’aide aux aidants

– définir une politique ambitieuse de santé publique et de prévention des risques

– repenser l’habitat et la conception des espaces publics pour tous les âges – fluidifier le parcours de soin de la personne âgée aujourd’hui trop erratique et dès lors plus coûteux

– mesurer l’impact du vieillissement sur la politique du Logement en reprenant les préconisations du rapport Boulmier[5] publié en juin 2010

– réfléchir aux conditions d’une meilleure attractivité des métiers de l’aide aux personnes sachant que plus de 300 000 embauches sont prévues dans ce secteur dans les 10 ans à venir.  

***  

Les débats actuels autour du 5ème risque constituent un double trompe-l’œil. Non seulement les solutions envisagées apparaissent pusillanimes et inspirées par un individualisme d’inspiration libérale, mais ils occultent également les enjeux plus globaux que pose le vieillissement en cours de la population française.   En 2012, un projet de loi devra répondre à ces deux enjeux :  

– en améliorant et en consolidant la prise en charge des personnes âgées dépendantes grâce à un système solidaire et pérenne ;

– en appréhendant de manière plus globale les enjeux que le vieillissement pose à la France.  

De telles orientations permettront d’en finir avec cette curieuse tendance à traiter la question du vieillissement comme la gestion d’une calamité annoncée, pour gérer au contraire avec sérénité et solidarité un des plus formidables progrès des XXème et XXIème siècles : celui de l’allongement continu de la durée de la vie.  

[1] Blanpain N., Chardon O. (2010), « Projections de population : l’horizon 2060 », INSEE Première n°1320, octobre 2010

[2] La dépendance des personnes âgées : une projection en 2040 – Cyril Rebillard – Michel Duée – Données Sociales – INSEE – Edition 2006

[3] Cédric Mathiot, « Les lycéens centenaires », Libération, 18 novembre 2010.

[4] L’Express – 24 novembre 2010.

[5] Muriel BOULMIER : « L’adaptation de l’habitat à l’évolution démographique : un chantier d’avenir » – rapport au Secrétaire d’Etat aux Logement – Juin 2010 – La Documentation Française

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