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Étude

État des lieux et perspectives de l’aidance

Ce livret de réflexion prospective, élaboré par Terra Nova et la Chaire « Transitions démographiques, Transitions économiques » (TDTE), dresse un tableau de la demande et de l’offre de soins et d’accompagnement des personnes âgées dépendantes en France et dans les pays de l’OCDE. Étude réalisée par Terra Nova et la Chaire « Transitions démographiques, Transitions économiques » dans le cadre de la Rencontre organisée par AG2R LA MONDIALE : Cultures Branches le 5 mars 2021, intitulée « 5e branche ″autonomie″ : quels nouveaux leviers de négociation pour les branches professionnelles ? »
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État des lieux de l’aidance

1.1 État des besoins en soins au niveau européen

Les effets conjugués de la baisse des taux de fécondité et de l’allongement de l’espérance de vie conduisent à une hausse de la part des 65 ans et plus dans la population en Europe et dans un grand nombre de pays de l’OCDE. Il en résulte une augmentation du nombre de personnes susceptibles d’être confrontées à la perte d’autonomie et des besoins de soins aux personnes âgées dépendantes.

Ainsi, la part des 65 ans et plus dans la population a déjà presque doublé dans les pays de l’OCDE en un demi-siècle : de moins de 1/10 en 1960 (9 %), elle est passée à plus de 1/6 en 2017 (17 %). Et elle pourrait avoir franchi la barre de 1/4 en 2050 (27 %). Dans l’UE à 27, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus devrait passer de 89 millions en 2010 à 125 millions en 2030 (+ 40 %), et le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus pourrait être multiplié par trois d’ici 2060.

Dans l’ensemble de l’UE à 27, le ratio de dépendance des personnes âgées [2] devrait augmenter de façon très significative : il était de 25,9 % en 2010, il pourrait atteindre 38,3 % en 2030 et dépasser les 50 % en 2060 [3] .

Autrement dit, alors qu’on compte aujourd’hui entre 3 et 4 personnes en âge de travailler pour 1 personne de 65 ans ou plus, elles ne seraient plus que 2 pour 1 d’ici quarante ans. Nul doute que les besoins en soins de longue durée, et plus largement d’accompagnement de la perte d’autonomie, en seront considérablement accrus.

Ratio de dépendance des personnes âgées pour 12 pays (prévisions)

Source : https:/ /www. e urofound.europa.eu/more-and-better-jobs-in-home-care-services

Ces besoins dépendront bien sûr étroitement de l’état de santé des populations âgées. Par définition, si l’on vieillit en meilleure santé, la demande de soins sera moindre que dans le cas contraire. Aujourd’hui, la proportion des 65 ans et plus déclarant un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais est supérieure à 50% dans de nombreux pays de l’OCDE : 59% en France, 42% au Royaume-Uni, 58% en Italie et en Allemagne pour une moyenne de 57% pour l’ensemble des pays de l’OCDE.

Proportion de 65 ans et plus déclarant un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais

Source : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm

À l’allongement de la vie s’ajoute donc la question de la qualité de vie à ces âges-là.

Passé 65 ans, l’espérance de vie varie sensiblement entre les pays de l’OCDE (de 18 à 24 ans pour les femmes et de 14 à 20 ans pour les hommes), mais plus encore le nombre d’années en bonne santé.

Ces dernières ne représentent que 47 % des années à vivre pour les hommes et 46 % pour les femmes en France ; 49 % et 46 % en Italie ; 41 % et 35 % en Autriche ; 52 % et 45 % en moyenne dans l’OCDE ; mais 63 % et 58 % en Allemagne ; 64 % et 53 % en Espagne…

Espérance de vie et années de vie en bonne santé à 65 ans, par sexe, 2017 (ou année la plus proche)

Note : La comparabilité des données est limitée en raison de facteurs culturels et de la formulation différente des questions dans l’enquête EU-Silc.

1. Moyenne sur trois ans (2015–2017)

Source : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm

Plus l’espérance de vie en bonne santé est réduite, plus la multiplication des maladies chroniques et des situations de polypathologies chez les plus de 5 ans fait croître la demande de soins de longue durée (et donc de soignants, d’aides-soignants, d’auxiliaires de vie, etc.), tant en termes quantitatifs que qualitatifs.

Les écarts d’espérance de vie en général et d’espérance de vie en bonne santé en particulier sont également marqués entre les catégories sociales au sein de chaque société. En France, au début des années 2000, un homme cadre de 35 ans pouvait espérer vivre jusqu’à 84 ans, soit six années de plus qu’un ouvrier au même âge (77,6 ans) ; et une femme cadre, jusqu’à 88 ans, soit trois années de plus qu’une ouvrière au même âge (84,8 ans). Selon l’Insee, l’écart d’espérance de vie « sans incapacité dans les activités en général » serait même en moyenne de huit années entre cadres et ouvriers (et de dix années quant à l’espérance de vie « sans problèmes sensoriels et physiques »).

Espérance de vie totale et sans incapacité à 35 ans chez les hommes

Lecture : en 2003, un homme cadre de 35 ans pouvait espérer vivre encore trente-quatre ans sans problèmes sensoriels et physiques, soit dix ans de plus qu’un ouvrier.

Source : Ined- Données 2003 – © Observatoire des inégalités

Le défi de l’offre de soins de longue durée pour accompagner les personnes âgées dépendantes est donc aussi un défi d’équité et de justice. Un accès équitable aux soins est fondamental pour qu’une société soit inclusive et que les systèmes de santé soient performants.

Si la France affiche de bons chiffres au niveau de l’OCDE dans le domaine de la couverture et du suivi, grâce à sa couverture universelle et à de hautes probabilités de consultation (89%, contre 65 % en Suède et aux États-Unis) [4] , elle couvre en revanche assez mal le coût des soins de longue durée des personnes fortement dépendantes ( severe needs ).

Dans ce dernier cas, elle fait moins bien par exemple que la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Angleterre, la Suède ou les Pays-Bas.

Part des coûts de soins de longue durée pris en charge par le système de protection sociale selon le niveau des besoins

Note : Low, moderate and severe needs correspond to 6.5, 22.5 and 41.25 hours of care per week, respectively. Years refer to 2016 except the 2019 in the Netherlands; 2018 for Canada, France, Italy, Japan, Latvia, Luxembourg, USA; 2017 for Austria, Belgium, Korea, Finland, Hungary, Lithuania, Slovenia.

Source: OECD analyses based on the OECD Long-Term Care Social Protection questionnaire, th OECD Income Distribution Database and the OECD Wealth Distribution Database

1.2 Organisation des soins DES PAYS européens (recours à l’aide professionnelle et famille)

Le niveau de dépense médicale et médico-sociale en soins de longue durée donne une idée de l’investissement de chaque pays dans l’accompagnement des personnes âgées dépendantes. En y consacrant 1,8 % de son PIB en 2018, la France se situe dans la moyenne du cœur historique de l’Union européenne (UE à 15) au côté du Royaume-Uni, loin derrière un groupe de tête dominé par des pays scandinaves (entre 2,5 % et 3 %) et loin devant un groupe de queue (entre 0 % et 1%) où l’on retrouve les pays méditerranéens et les États-Unis.

Dépense médicale et médico-sociale de soins de longue durée en 2018 (en % du PIB)

Lecture : En 2018, la France consacre 1,8 % de son PIB aux SLD.

Source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/panoramas-de-ladrees/article/les-depenses-de-sante-en-2019-resultats-des-comptes-de-la-sante-edition-2020

Cette distribution ne reflète pas nécessairement une plus ou moins grande attention ou sollicitude à l’égard des personnes âgées dépendantes, mais simplement l’intensité de l’effort des administrations publiques [5] dans ce domaine. En effet, l’aide peut être apportée par ces organismes publics, mais aussi par des organismes privés (secteur lucratif et non lucratif) et par les proches (famille, voisins, amis…). C’est la combinaison des apports de ces trois types d’acteurs qui permet d’identifier différents modèles au sein de cet ensemble de pays. Tout d’abord, un groupe de pays qui privilégient l’intervention de l’État, l’universalisme et l’égalité : les pays scandinaves sont clairement dans ce cas. Ensuite, un groupe de pays qui sollicitent davantage les solidarités familiales et où l’Etat intervient beaucoup moins : c’est le cas des pays méditerranéens en particulier. Puis des pays plus libéraux où l’État intervient également très peu et qui comptent davantage sur le marché : c’est le cas des États- Unis, notamment.

Enfin, un groupe central où l’intervention de l’État reste importante, mais qui sollicitent aussi les solidarités familiales et plus marginalement le marché : la France est dans ce cas.

On retrouve ici, assez logiquement, la typologie des « modèles d’État-Providence » de Gösta Esping-Andersen [6] . Mais l’organisation des soins de longue durée est également structurée par d’autres dimensions qui pèsent fortement sur son évolution récente, notamment la répartition entre les soins à domicile et les soins en établissement, ou encore la répartition des aides entre professionnels et non-professionnels dans l’ensemble des soins à domicile.

De nombreuses personnes bénéficiant de soins de longue durée souhaitent rester à leur domicile aussi longtemps que possible.

Pour cette raison, dans un pays comme la France, l’entrée en institution a lieu de plus en plus tard (l’âge moyen d’entrée en Ehpad était de 85 ans et 3 mois en 2015 et l’âge médian de 87 ans).

De fait, les résidents y arrivent dans des situations de dépendance de plus en plus forte et dans des états de santé de plus en plus dégradés.

Une récente enquête du Crédoc pour AG2R LA MONDIALE, la Caisse des dépôts et Consignations et Terra Nova soulignait que l’entrée en structure d’accueil n’est envisagée que lorsque la vie à domicile est devenue pratiquement inenvisageable [7] . Des évolutions qui ont conduit à une spécialisation de fait des Ehpad dans l’accompagnement et la gestion d’un public beaucoup plus dépendant et nécessitant des moyens médicaux plus lourds.

Cette forte préférence pour le maintien à domicile est également motivée par les coûts supérieurs que suppose la prise en charge en établissement, du moins aussi longtemps que les personnes ne sont pas trop dépendantes.

En 2011, en France, le coût horaire de l’accompagnement à domicile était de 15,5 euros (pour 376 millions d’heures) contre 20 euros pour l’accompagnement en Ehpad (pour 332 millions d’heures), soit environ 30 % de plus [8] . L’accompagnement à domicile représentait alors 58 % des personnes âgées dépendantes classées GIR 1 à 4 mais ne pesait que 47 % des financements publics consacrés à la dépendance. Au niveau de l’OCDE, rapporté au revenu disponible des plus de 65 ans, le coût total des soins de longue durée est également sensiblement moins élevé quand les personnes restent à domicile et que leurs besoins sont légers ou modérés, comme le montre le graphique ci-après.

Coût des soins de longue durée rapporté au revenu disponible des 65 ans et plus, selon le niveau des besoins et le mode de prise en charge

Note: Bars show averages for 26 juridictions in the OECD and EU. Low income refers to the upper boundary of the 20th percentile, and high income to the upper boundary of the 80th percentile. Low, moderate and severe needs correspond to 6.5, 22.5 and 41.25 hours of care per week, respectively. The costs of institutional care include the provision of food and accommodation, so are overestimated relative to home care. Years refer to 2016 except the 2019 in the Netherlands; 2018 for Canada, France, Italy, Japan, Latvia, Luxembourg, USA; 2017 for Austria, Belgium, Korea, Finland, Hungary, Lithania, Slovenia.

Source : OECD analyses based on the Long-Term Care Social Protection questionnaire and the OECD Income Distribution Database.

Les progrès technologiques, en particulier dans les domaines de la domotique et de la télémédecine, facilitent en outre le maintien à domicile en assurant une meilleure sécurité des personnes et une meilleure maîtrise des coûts.

Ils permettent également à des structures d’accueil et d’hébergement d’envisager de se transformer en centres de services à distance pour les non-résidents (surveillance, suivi médical, coordination des intervenants, etc.). Préférences collectives, coûts de prise en charge en institution, progrès technologiques : ces différents facteurs ont poussé de nombreux pays de l’OCDE à développer des services à domicile pour les personnes âgées dépendantes (particulièrement en Allemagne, en Australie, aux États- Unis, au Portugal et en Suède). Du coup, la part des 65 ans et plus recevant des soins à domicile tend à augmenter dans la plupart des pays de l’OCDE, comme le montre le graphique ci-après pour la période 2007–2017.

Bénéficiaires des soins de longue durée de 65 ans et plus, recevant des soins à domicile (2007 et 2017)

Source : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm

La part des 65 ans et plus recevant soit des soins en institutions, soit des soins à domicile fournis par la puissance publique, soit encore des prestations monétaires pour financer des soins souligne bien la montée d’une préférence collective pour l’accompagnement à domicile dans un grand nombre de pays de l’OCDE et de l’Union européenne. De nombreux États ont donc clairement choisi d’accompagner cette préférence.

Pourcentage des 65 ans et plus recevant des soins en institution, des soins à domicile fournis par la puissance publique ou des prestations monétaires pour financer des soins

Source : https:/ /www. e urofound.europa.eu/more-and-better-jobs-in-home-care-services

La répartition des dépenses publiques (en % du PIB) dans les soins de longue durée entre soins en institution et soins à domicile traduit, elle aussi, la prégnance croissante des soins à domicile. Les dépenses consacrées à ces derniers représentent plus de la moitié des dépenses publiques consacrées aux soins de longue durée en Pologne, au Royaume-Uni, en Autriche et en Italie ; et plus du tiers en Allemagne, Norvège, Danemark, Belgique.

Dépenses publiques en soins de longue durée (en pourcentage du PIB) dans les différents modèles de prise en charge en Europe et en Amérique du Nord (2009 ou année la plus récente)

Note: Green bars represent data for which no reliable information by care setting is available. The figure does not take into account private spending on care, which explains the somewhat unexpected order of countries (for example, the US being among the low-spending countries).

Source : https:/ /www. e urofound.europa.eu/more-and-better-jobs-in-home-care-services

Les comptes des administrations publiques ne reflètent toutefois qu’une partie de l’activité de soins aux personnes âgées et dépendantes, que ce soit à domicile ou en établissement. Une autre partie est prise en charge directement par le marché aux frais des usagers. Et, surtout, une partie plus grande encore est prise en charge par l’aide informelle, souvent d’origine familiale.

À l’heure actuelle, les soins informels (prodigués par la famille, les voisins, les amis) restent en effet majoritaires. On estime en France que la contribution des aidants non professionnels pourrait être valorisée à environ 11 milliards d’euros par an, soit 0,5 % du PIB (enquête Share) [9] .

Au niveau de l’Union européenne, les proches prestataires de soins informels à domicile fournissent en moyenne 60 % des soins dont les aidés ont besoin.

Cet équilibre varie néanmoins fortement selon les pays et reflète en partie les caractéristiques du modèle de protection sociale qui y prévaut. En Grèce où domine un modèle de type méditerranéen sollicitant beaucoup les solidarités familiales, 90 % des soins à domicile sont fournis par la famille et l’entourage contre 15 % au Danemark où domine un modèle scandinave qui attend davantage de l’État [10] .

Traduisant une typologie analogue, le nombre médian d’heures de soins informels varie de 28 heures hebdomadaires en Italie et 21 heures en France à 2 heures en Finlande et au Danemark, et moins de 1 heure en Suède [11] .

Les pays d’Europe centrale et orientale se rapprochent pour une part d’un modèle où domine l’aide familiale. Ces tendances sont souvent corrélées à des attitudes culturelles quant aux responsabilités morales (voire légales) de la famille à l’égard des aînés dépendants [12] .

Mais, à ces particularités historiques et culturelles, s’ajoute naturellement la plus ou moins grande disponibilité de services professionnels à des tarifs accessibles.

Le recours à l’aide informelle résulte aussi des obstacles à la création d’emplois dans les métiers du soin de longue durée et de l’accompagnement des personnes âgées dépendantes : difficultés à recruter, contraintes budgétaires, conditions de travail…

Ces difficultés expliquent sans doute qu’en dépit de fortes créations d’emplois dans le secteur de l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, la quantité de professionnels disponibles ne suit pas vraiment la dynamique démographique.

Cela se voit lorsqu’on mesure le nombre de travailleurs dans le domaine des soins de longue durée pour 100 personnes âgées de 65 ans et plus : il stagne ou décroît dans de nombreux pays de l’OCDE sur la période 2011–2016.

De ce tableau, il ressort que de nombreux pays vont devoir consentir des efforts pour ajuster demande et offre de soins dans les années et les décennies qui viennent.

Travailleurs du secteur des soins de longue durée pour 100 personnes âgées de 65 ans ou plus (2011 et 2016)

Note : Données de l’Enquête sur les forces de travail (EFT) de l’UE basées sur les chiffres de la CITP 4 et de la NACE 2. 1. Sur la base des chiffres de la CITP 3 et de la NACE 2. 2. À interpréter avec prudence car la taille des échantillons est faible. 3. La diminution aux Pays-Bas est en partie due à une rupture méthodologique en 2012, ainsi qu’à des réformes.

Source : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm

1.3 Évolutions des tendances de la demande et de l’offre de soins

Les principales données de prospective démographique ont été rappelées au début de ce papier : la part des 65 ans et plus dans la population devrait passer de 1/6 en 2017 (17 %) à 1/4 en 2050 (27 %).

Le ratio de dépendance des personnes âgées pour l’ensemble de l’UE à 27 pourrait du coup augmenter très sensiblement : 38 % en 2030, plus de 50 % en 2060 [13] . Même en imaginant une amélioration de l’état de santé moyen des personnes concernées, cette dynamique entraînera un accroissement très net de la demande de soins de longue durée et singulièrement de la demande de soins à domicile. Selon certaines prévisions, le nombre de personnes bénéficiant de soins à domicile pourrait ainsi augmenter de 130 % d’ici 2050 et le nombre de personnes travaillant dans le soin de longue durée devrait doubler à la même échéance [14] .

C’est pourquoi les prévisionnistes anticipent depuis plusieurs années une forte dynamique de création d’emplois dans les métiers du care à destination des personnes âgées dépendantes.

C’était le cas, par exemple, des analystes de France Stratégie en 2014, qui estimaient que les plus fortes créations d’emplois dans les huit années à venir auraient lieu dans les métiers d’aides-soignants et d’aides à domicile :

Métiers bénéficiant des plus importants volumes de créations d’emplois entre 2012 et 2022 selon trois scénarios

Source : https:/ /www.s t rategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/cgsp_dares_les_metiers_ en_2022_01072014.pdf

Le recours à l’aide professionnelle pourrait être d’autant plus soutenu que les aidants informels risquent d’être moins disponibles.

Les déséquilibres démographiques résultant de la baisse des taux de natalité et de l’allongement de la longévité réduisent en effet la disponibilité des jeunes générations pour prendre soin de leurs propres parents âgés. À cela s’ajoute l’émergence de nouveaux modèles familiaux, caractérisés par un plus grand nombre de ménages d’une personne seule et une présence accrue des femmes sur le marché du travail. Moins de femmes seront donc disponibles pour fournir ces soins informels alors que ce sont elles qui sont aujourd’hui majoritairement mobilisées.

Cette dynamique est cependant freinée par un manque d’attractivité de ces professions : conditions de travail éprouvantes, horaires atypiques, multiplication des temps partiels, multi-salariat, faible rémunération (voir 2.1, p. 22) …

La dynamique des créations d’emplois se trouve, au total, inférieure à celle des besoins liés au vieillissement et à l’état de santé de la population.

En France, le nombre d’inscrits en formation d’aides-soignants tendait même à décroître sur la période 2013–2018 (Drees, enquête écoles) :

Nombre d’inscrits en formation d’aides-soignants en France

Ainsi, la Commission européenne anticipait qu’un tel écart, entre l’offre et la demande, entraînerait une pénurie de 2 millions de travailleurs de la santé en 2020, dont 1 million dans le secteur des prestataires de soin de longue durée. Et, de fait, en 2020, l’Europe manque de 8,5 % du nombre requis de travailleurs de la santé [15] .

Défis et politiques à mettre en œuvre en France pour améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie

2.1 Les défis

Le portrait social des aidants professionnels et inattractivité des métiers du grand âge

Les métiers du grand âge désignent toutes les professions des domaines sanitaire et social qui sont en contact avec les personnes âgées. Le spectre des métiers et professions qui accompagnent ou interviennent auprès des personnes âgées en perte d’autonomie est large: on en trouvera une liste non exhaustive dans l’encadré 1. Mais, même s’il existe des difficultés pour trouver certains professionnels médicaux sur certains territoires, comme les médecins généralistes, les médecins coordinateurs ou les infirmiers, les difficultés et les inquiétudes d’attractivité des métiers du grand âge se concentrent surtout sur deux professions : les aides-soignants, notamment en structure de prise en charge de personnes âgées dépendantes, et les professionnels qui interviennent au domicile de la personne âgée.

Les professionnels de l’aide et du soin à domicile sont majoritairement des femmes peu ou pas diplômées.

En 2019, 84,5 % des personnels de services directs aux particuliers sont des femmes. Il s’agit d’un chiffre plus élevé que chez les employés de commerce (70 %) et les employés administratifs d’entreprise (80 %) [16] . Mais la population des professionnels de l’aide à domicile est plus féminisée encore. 91 % des aides-soignants, par exemple, sur la période 2012– 2014 (92 % en 1982–1984) sont des femmes : sur une population totale de 733 000 aides- soignants, on ne comptait que 66 000 hommes… Une balance qui traduit la forte inertie de la répartition des tâches liées au care entre les sexes [17] .

Encadré 1 : Les métiers du grand âge Concernant les professionnels de santé, on peut dénombrer : les médecins généralistes, les médecins coordinateurs, les gériatres, les infirmiers, les aides-soignants, mais aussi moins fréquemment les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les paramédicaux, les masseurs-kinésithérapeutes, les psychomotriciens, les ergothérapeutes, les opticiens, les audioprothésistes. Concernant les professionnels du champ social, ce sont les aides ménagères, les assistants sociaux et des professionnels qui interviennent au domicile qui vont jouer un rôle. Les professionnels qui interviennent au domicile sont entre autres les accompagnants éducatifs spécialisés, les auxiliaires de vie sociale et les assistants médico-psychologiques.

En outre, alors que la majorité des personnels de services directs aux particuliers sont en emploi à durée indéterminée (à près de 85 % selon l’Insee) [18] , les professionnels de l’accompagnement à domicile peuvent être plus exposés aux contrats courts et à la précarité.

Selon la Dares, dans le domaine des aides-soignants, il est devenu coutumier d’embaucher en CDD, mais il est plus surprenant que 97 % des sorties d’emploi y fassent suite à une fin de CDD (contre 79 % tous métiers confondus) [19] .

Plus encore que la forme du contrat de travail, c’est l’exposition au temps partiel, au sous-emploi et aux horaires atypiques qui caractérisent ces métiers.

En 2019, selon l’Insee, 50 % des personnels de services directs aux particuliers étaient concernés par le temps partiel contre moins de 20 % de l’ensemble des personnes en emploi et à peine plus de 30 % de l’ensemble des employés [20] .

Un temps partiel qui peut être très partiel : un quart d’entre eux (24 %) travaillent au plus à mi-temps et 17,9 % sont en sous-emploi.

Cette précarité pousse souvent les intéressés au multi-salariat en raison du faible volume d’heures hebdomadaires effectuées chez l’employeur principal, et à la multiplication de temps d’intervention disséminés dans la journée. Elle pousse également à accepter des horaires atypiques. Ainsi, près de la moitié (47 %) des personnels des services directs aux particuliers travaillent le samedi (contre moins de 40 % pour l’ensemble des personnes en emploi) ; 28,9 % le dimanche (contre à peine plus de 20 %) et 8,5 % la nuit. Cette fréquence des horaires atypiques est encore plus prononcée pour les aides-soignants : selon la Dares, 22 % travaillent la nuit (contre 13 % tous métiers confondus), 78 % le samedi (contre 52 %) et 67 % le dimanche (contre 27 %) [21] .

Heures de travail « atypiques » des aides-soignants (%)

Ces situations sont d’autant plus éprouvantes que les professionnels concernés sont plus âgés. Or, selon la Dares, la population des aides-soignants en exercice tend à vieillir. 44 % d’entre eux avaient moins de 30 ans au début des années 1980 contre seulement 20 % au début des années 2010.

Dans le même temps, les plus de 50 ans passaient de 12 % à 24 %. Le tableau n’est guère différent dans la catégorie des aides à domicile et aides ménagères où un salarié sur cinq a plus de 55 ans.

Structure d’âge des aides-soignants (en %)

Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/ pdf/synth_stat_no19_-_portraits_stat_des_metiers_1982–2014_web.pdf

De fait, ces métiers pâtissent d’un manque d’attractivité. Il faut dire que le salaire mensuel net médian des aides-soignants (en équivalent temps plein et hors apprentis et stagiaires) se situe autour de 1 500 euros contre 1 800 euros pour l’ensemble des métiers, soit 20 % de moins). Les métiers les plus en prise avec l’accompagnement du grand âge (aides à domicile et aides ménagères, aides- soignants…) figurent respectivement en 3e et en 4e position de la liste des métiers ayant le plus d’employés rémunérés en dessous de 1,3 Smic horaire. Plus exactement, 42 % des aides-soignants (soit plus de 730 000 personnes) gagnent moins de 1,3 Smic, 28 % moins de 1,2 Smic et 14 % moins de 1,05 Smic… La situation est encore plus tendue chez les aides à domicile et auxiliaires de vie sociale dont les salaires institués dans les conventions de branche de l’aide à domicile et des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs sont les plus faibles. La rémunération annuelle nette globale se situe entre 8 000 et 10 000 euros (soit 750 euros par mois).

Selon un rapport du CESE de 2020, la rémunération moyenne mensuelle des aides à domicile s’élevait à 893 euros [22] . Les situations de pauvreté laborieuse sont donc fréquentes dans ce secteur où deux salariés sur cinq occupent un logement HLM.

Les vingt métiers ayant l’effectif le plus élevé de salariés rémunérés jusqu’à 1,3 Smic horaire

Source : https://www.credoc.fr/publications/les-emplois-dans-les-services-a-domicile-aux-personnesagees-approche-dun-secteur-statistiquement-indefinissable

Ces niveaux de rémunération sont d’autant moins attractifs que le niveau moyen de qualification des aides-soignants est sensiblement plus élevé qu’il y a trente ou quarante ans. Il y a une quarantaine d’années (1982–1984), 38 % des aides-soignants n’avaient aucun diplôme : ils ne sont plus que 12 % aujourd’hui ; seuls 2 % avaient le bac ou un brevet professionnel : ils sont 24 % aujourd’hui. Chez les aides-soignants de moins de 30 ans, le décalage est encore plus net : 37 % ont le bac, un brevet professionnel ou équivalent, et 6 % seulement sont sans diplôme [23] .

À ce tableau d’ensemble s’ajoutent des risques professionnels particulièrement sensibles dans notre pays. Alors que 64 % des professionnels du soin de longue durée seraient exposés à des facteurs de risque physique au sein des pays de l’OCDE, ils seraient plus de 90 % dans ce cas en France, un score beaucoup plus élevé que chez la plupart de nos voisins européens.

Part des travailleurs du secteur des soins de longue durée déclarant être exposés à des facteurs de risques physiques (OCDE, 2013)

Source : https://www.oecd.org/publications/who-cares-attracting-and-retaining-elderly-care-workers- 92c0ef68-en.htm

En effet, les métiers du grand âge se démarquent ainsi par un taux élevé d’accidents du travail/maladies professionnelles (AT / MP).

De 100 pour 10 000 salariés dans les secteurs des Ehpad et de l’aide et du soin à domicile, ce taux est trois fois supérieur à la moyenne nationale. L’impact de cette sinistralité sur les finances n’est pas sans conséquence, comme le souligne le rapport El Khomri ; 176 000 journées de travail de perdues en 2017. En 2008, un tiers des salariés à domicile disent avoir vécu au moins un arrêt de travail dans la dernière année [24] .

Que ce soit en établissement ou à domicile, les conditions de travail des aides-soignants et intervenants à domicile sont particulièrement difficiles.

Une étude de la Drees en 2016 [25] auprès de 340 soignants en Ehpad a permis de recueillir les difficultés de ce métier ; il est tout d’abord pénible physiquement avec une posture debout prolongée, une manutention des personnes, des mouvements répétitifs, la peur de se blesser, mais aussi psychologiquement, avec les situations de stress répétées jugées de plus en plus récurrentes, les relations conflictuelles avec les patients et les proches des patients, et par l’accompagnement de la fin de vie.

À domicile, une enquête de 2008 de la Drees [26] auprès des intervenants au domicile des personnes fragilisées décrit les difficultés, aussi bien physiques que psychologiques, qui sont propres à leurs conditions de travail. Parmi les facteurs les plus pénibles, cette étude relève en particulier : l’insalubrité et l’exiguïté des lieux, le fait d’aider une personne en fin de vie et l’effort physique demandé. 95 % des salariés se plaignent de la position debout prolongée ; il est à noter que l’âge moyen des répondants est de 45 ans. Près de 43% des aides à domicile font face à des demandes d’actes qui ne font pas partie de leurs missions et 36% à des demandes d’actes qu’ils ne veulent pas effectuer. Quatre salariés sur dix ont déjà subi une forme d’agression verbale ou des comportements, ou paroles déplacées, et 13% une forme d’agression physique. L’étude met de plus en avant l’existence d’un risque d’épuisement professionnel. Trois caractéristiques semblent favoriser notamment ce phénomène : le nombre de personnes aidées, le fait d’intervenir exclusivement auprès de personnes fragiles et le fait que le salarié soit embauché par un prestataire. Ces caractéristiques concernent plus souvent des salariés qualifiés avec un temps de travail important et le fait qu’ils ne s’occupent que d’aide dans les actes essentiels de la vie quotidienne [27] .

Ces conditions participent à l’inattractivité des métiers du grand âge, alors même que la demande pour ces métiers est forte.

Selon l’enquête Pôle Emploi Besoins en main-d’œuvre (BMO) de 2020, les aides à domicile, aides ménagères et les aides- soignants font partie des dix métiers les plus recherchés.

Les aides à domicile et aides ménagères figurent parmi les professions où sont anticipées les plus fortes difficultés de recrutement. Le réseau Uniopss-Uriopss a réalisé en 2019 [28] une enquête sur les difficultés de recrutement auprès de 450 établissements et services prenant en charge des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Le taux d’ETP vacants [29] dans les établissements et services de personnes âgées s’élevait à 5 % en 2019 et à 6 % pour les structures qui prennent en charge les personnes en perte d’autonomie à domicile.

Une minorité d’établissements en viennent à fermer des lits et à laisser des personnes alitées ou non levées un jour sur deux du fait des difficultés de recrutement.

Le portrait social des aidants du secteur informel

Il est plus délicat de décrire la condition des aidants du secteur informel, sur lesquels repose, on l’a vu, l’essentiel de l’aide apportée aux personnes âgées dépendantes. Leur décompte même est problématique. Selon des estimations de l’OCDE, dans les pays développés, ils avoisineraient 13,5 % de la population âgée de 50 ans et plus : de 19,7 % en République tchèque à 6,5 % en Grèce [30] , en passant par le Royaume-Uni (18,2 %), la France (17,5%), l’Allemagne (17 %), le Danemark (15,2 %), l’Italie (10,3 %) …

Proportion d’aidants informels parmi la population âgée de 50 ans et plus (2017 ou année la plus proche)

1. Les données relatives au Royaume-Uni font référence à l’Angleterre.

Note: La définition des aidants informels varie selon les enquêtes (voir Définition et comparabilité). Le Royaume-Uni et les Etats-Unis prennent en compte les aidants informels qui fournissent des soins hebdomadaires. L’Australie et l’Irlande prennent en compte tous les aidants informels.

Source : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm

Ces données laissent cependant place à de nombreuses incertitudes.

Dans le cas français, les estimations nationales oscillent, par exemple, entre 8,3 et 11 millions d’aidants informels [31] .

Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’une population majoritairement féminine, quoique dans des proportions inférieures aux aidants professionnels (58 % selon le Baromètre BVA/April de 2018).

Les aidants informels sont également sensiblement plus âgés que les professionnels : toujours selon le Baromètre BVA/ April, 57 % d’entre eux auraient plus de 50 ans et 24 % plus de 65 ans.

Selon la Drees (Enquête Handicap Santé 2008), l’âge moyen des aidants informels était de 58 ans en 2008, alors que l’âge moyen des aides à domicile professionnels se situait au début des années 2010 autour de 45 ans. Cela s’explique aisément, plus de 80 % des aidants informels prenant soin d’un membre de leur famille et la dépendance frappant majoritairement les plus de 70 ans. Il est à noter que plus de la moitié des aidants informels ont un emploi (52 % selon BVA/April 2018) et cumulent ainsi vie professionnelle et activité auprès d’un proche. 44 % déclarent peiner à concilier leur vie professionnelle, personnelle et familiale, d’une part, et leur rôle d’aidant, de l’autre. Il faut dire que l’aide informelle est une charge quotidienne 7 jours/7. Selon le Baromètre BVA et la Fondation April 2020, un aidant sur six consacre 20 heures par semaine ou plus pour aider son ou ses proches. Une activité qui ne laisse guère de répit et mord même sur les temps de repos : 44 % de ceux qui s’occupent d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer déclarent poser des jours de congés ou de RTT pour s’occuper de leur proche.

Les trois quarts d’entre eux reconnaissent que leur rôle d’aidant leur cause fatigue et stress et qu’il a un impact négatif sur leur vie professionnelle (concentration et efficacité). L’anxiété, les perturbations du sommeil et les maux de dos sont régulièrement évoqués.

Au total, le profil typique de l’aidant informel est celui d’une femme salariée dans la cinquantaine qui, ayant fini d’élever ses enfants, commence à prendre soin de ses parents vieillissants. Si elle a été exposée à différents facteurs de pénibilité au cours de sa vie professionnelle, c’est également le moment où elle ressent elle-même les premières usures de l’âge. Pour peu que ses revenus soient modestes ou même moyens et que le parent concerné ne bénéficie pas (ou pas encore) de l’APA [32] , elle a peu de possibilités de déléguer cette charge à des tiers moyennant rétribution.

La frontière entre l’aidance professionnelle et informelle à l’aune de nouveaux modèles de prise en charge de la dépendance

L’opposition aidants informels et aidants professionnels tend à isoler deux mondes qui, en pratique, ne sont pas toujours si dissemblables et qui sont de plus en plus souvent amenés à coopérer étroitement auprès des personnes aidées.

Selon la Drees, en 2015, 47 % des personnes aidées l’étaient par un seul aidant (dans plus de la moitié des cas, une personne de son entourage). Mais dès que la personne est aidée par deux aidants ou plus, la combinaison de professionnels et de non professionnels croît avec le niveau de dépendance : l’aide mixte prévaut dans 20 % des cas pour les personnes classées GIR 5–6 (niveaux les plus faibles), dans 48 % des cas pour les GIR 3–4 et dans 77 % des cas pour les GIR 1–2 (niveaux les plus forts). Plus la dépendance est élevée, plus elle nécessite de soins, moins l’entourage parvient à faire face seul, plus il doit coopérer avec

des professionnels.

Dans ces coopérations, se nouent des liens qui ne sont pas que de services, mais aussi bien souvent des liens affectifs autour de la personne aidée comme entre les aidants. Intuitivement, la « division du travail » entre aidants professionnels et aidants familiaux attribuent aux premiers la compétence, les charges techniques et matérielles, et aux seconds les charges affectives et désintéressées. La réalité est souvent beaucoup plus subtile et complexe. C’est une dimension peu évoquée dans les enquêtes sur le sujet, mais qui participe de la richesse et de la difficulté de ces situations pour les professionnels comme pour l’entourage familial. Il s’y joue des attachements, mais aussi des blessures : blessure de la famille qui se plaint de professionnels trop « froids » ou insuffisamment disponibles à leurs yeux ; blessure des professionnels lorsque la personne qu’ils soignaient depuis de longs mois ou années vient à disparaître… Il s’y joue aussi des apprentissages techniques pour les aidants familiaux.

Autre facteur de brouillage de la frontière entre aidants professionnels et aidants informels, les dispositifs mis en place par plusieurs États européens pour « formaliser l’aide informelle »: octroi de bénéfices sociaux aux «  caregivers  » en Angleterre ou en Autriche, accès à la formation en Belgique, possibilité de monétarisation partielle de l’aide comme en France (notamment dans le cadre de l’APA)… Ces différentes initiatives consistent à structurer une zone intermédiaire entre les mondes professionnel et informel. Elles suscitent des controverses et soulèvent des difficultés de répartition des rôles entre ces deux mondes et de reconfiguration des relations au sein de la famille, mais elles dessinent un ensemble de réponses complémentaires des efforts réalisés dans le domaine de la formation et du recrutement des professionnels [33] .

Il est important de comprendre le défi futur que va représenter la perte d’autonomie en France; en 2015, on comptait 2,5 millions de personnes âgées dépendantes, elles seront 4 millions en 2050. L’aidance aussi bien professionnelle qu‘informelle sera nécessaire pour la prise en charge de la dépendance due au vieillissement, car aucun de ces deux mondes ne pourra seul satisfaire la demande.

Par ailleurs, la volonté d’accompagner les personnes âgées à domicile, exprimée aussi bien dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 2016 que dans le rapport Libault de mars 2019, va demander d’une part un accompagnement accru de la personne âgée par des aides- soignants, et des infirmiers qui doivent se rendre à domicile, et des aides ménagères, aides à domicile qui sont déjà en sous-effectif. D’autre part, cela demandera d’équiper les maisons en matériel médical pour les personnes âgées en perte d’autonomie lourde, mais aussi d’adapter la maison à la perte d’autonomie plus légère pour éviter tout risque de chutes et de fragilités supplémentaires.

Lorsqu’elles ne sont pas prises en charge à domicile, les personnes âgées peuvent vivre dans des établissements spécialisés : les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) qui ont la spécificité d’être médicalisés et collectifs, les EHPA (établissement d’hébergement pour personnes âgées) non médicalisés destinés aux personnes âgées disposant d’une bonne autonomie physique, les résidences autonomie qui proposent des services collectifs et les établissements de soins de longue durée (USLD) qui sont rattachés aux hôpitaux et proposent des soins médicaux lourds et une surveillance médicale constante pour les personnes âgées avec l’état de santé le plus dégradé. Les Ehpad sont en 2019 les établissements les plus nombreux et concentrent 70 % des établissements de prise en charge de personnes âgées et 79 % des places [34] .

Viennent ensuite les résidences autonomie (20 % des structures d’hébergement), les USLD (6 % des structures) et les EHPA (3 % des structures). Les structures de prise en charge de personnes âgées se focalisent sur les personnes âgées avec une dépendance plus lourde ; en 2015, 48,6 % des résidents des structures d’hébergement ont un niveau de dépendance de GIR 1 et 2. Une tendance semble émerger depuis ces 20 dernières années où la prise en charge de la dépendance est répartie entre le domicile, pour les dépendances légères, et l’hébergement en structures spécialisées pour les dépendances plus lourdes. Le nombre d’Ehpad a ainsi augmenté de 42 % entre 2007 et 2019.

Cependant, de nouveaux modèles de prise en charge hybrides émergent depuis quelques années.

Le rapport « Maintien à domicile : vers des plateformes numériques de services » de la Caisse des Dépôts [35] réalise un benchmark des expérimentations d’Ehpad hors-les-murs qui proposent des structures à cheval sur le domicile et l’Ehpad. Ces établissements mettent en avant deux modèles d’organisation ; un modèle intégré où les Ehpad ont la capacité de proposer une offre de services orientée vers le domicile comme l’hébergement temporaire, la restauration, l’animation, l’accueil de jour et de nuit, un point d’accueil et d’information. Ces services sont rendus possibles par les moyens matériels et humains de l’Ehpad. Ils peuvent aussi faire appel à des prestataires extérieurs pour des services spécifiques de téléassistance ou de télésurveillance qu’ils ne procurent pas initialement.

D’autre part, il existe un deuxième modèle externalisé et coordonné où les Ehpad contractualisent avec des prestataires de services à domicile, comme les SSIAD, CCAS/CIAS et les CLIC, pour fournir des services supplémentaires à domicile.

L’avantage de ce modèle est de permettre une synergie entre les services, et un partage des risques. L’offre est aussi plus facilement et rapidement adaptable à la demande sur les territoires mais la coordination reste moins aisée.

Ces modèles hybrides peuvent plus facilement répondre au libre choix de l’individu de rester vivre à domicile tout en étant dépendant et en bénéficiant de services comme l’accueil de jour, des activités d’animation, la téléassistance, etc.

Cependant, ces modèles demandent une évolution des métiers du grand âge et notamment un accompagnement de la personne dépendante aussi bien pour coordonner les services proposés que pour s’assurer que ces services correspondent bien à ses besoins. C’est ce qu’on appelle communément le «  care manager  ».

Le même rapport de la Caisse des Dépôts souligne qu’il existe en réalité deux types de coordinateurs : le «  care assessor  » qui coordonne les équipes médico-sociales et formule un plan d’aide selon les besoins de la personne, et le «  care manager  » qui assure le suivi du bénéficiaire, qui aide à trouver des solutions adaptées et veille sur la coordination des services. Si aujourd’hui, le rôle de care manager est plutôt joué par les aidants familiaux, il faudra à l’avenir faire attention à ce que les modèles hybrides de prise en charge de la perte d’autonomie n’entraînent pas une surcharge pour les aidants informels.

Il semble urgent de revoir nos modèles traditionnels de prise en charge de la perte d’autonomie.

Une étude de la Drees de 2020 [36] montre que les personnes âgées vivant en établissement présentent un état psychologique plus dégradé que les personnes du même âge vivant à domicile. Une personne âgée sur cinq vivant en établissement souffre de dépression, et un tiers des résidents sont en situation de détresse psychologique, contre un quart des personnes âgées de plus de 75 ans qui vivent à domicile. Mais il semble aussi urgent d’investir pour augmenter le nombre de places dans les structures hybrides d’hébergement au vu du vieillissement démographique dans la décennie à venir. En effet, il faudra doubler le nombre de places ouvertes pour accueillir les 108 000 seniors supplémentaires qui auront besoin d’une place en Ehpad d’ici à 2030 [37] . En outre, il faudra aussi prendre en compte les conditions de travail difficiles des aidants professionnels et l’impact néfaste que peut avoir l’activité d’aide sur les aidants informels.

3. Le futur de la prise en charge de la perte d’autonomie

Soutenir les aidants informels

Les difficultés rencontrées dans la vie des aidants informels sont multiples. Pour eux, les besoins en reconnaissance de leur activité sont criants, qu’il s’agisse de dispositifs de soutien, d’aide financière et matérielle ou de répit.

L’encadré 2 recense des dispositifs étrangers, publics ou associatifs, intéressants pour venir en aide aux aidants informels et qui peuvent constituer une source d’inspiration pour les décideurs politiques, mais aussi pour les acteurs privés ou de la société civile.

Encadré 2 : Les dispositifs innovants étrangers en faveur des aidants informels Dans un contexte où les familles sont de plus en plus amenées à prendre en charge un proche en situation de perte d’autonomie, il apparaît essentiel de proposer des dispositifs leur permettant d’exercer leur rôle d’aidant de façon plus sereine et de ne pas voir leur santé mentale et/ou physique se détériorer. Face à une situation parfois jugée catastrophique où les aidants souffrent de leur activité d’aide, des pays ont mis en place des dispositifs inspirants pour soutenir les aidants informels. Une détection et un accompagnement renforcé quotidien des aidants à Taïwan Au printemps 2019, la Taïwan Association of Family Caregivers a créé des Centres de Ressources pour les aidants. Ils leurs permettent de rencontrer un «  case manager  » qui les prendra en charge, les accompagnera dans toutes leurs activités et organisera des visites à domicile.Le case manager peut même jouer un rôle de médiation entre la famille et l’aidant pour trouver des alternatives concernant la prise en charge de l’aidé. De plus, il évaluera leurs besoins ainsi que leur état de stress puis leur fournira l’aide dont ils ont besoin. L’association propose une expertise d’accompagnement et de formation des aidants informels depuis 1977. Elle leur propose des groupes de soutien et de parole, des activités entre pairs permettant de partager un moment de divertissement et de répit, une ligne de soutien, des services de répit gratuits réalisés par des bénévoles de l’association ainsi que des consultations de soutien psychologique avec des professionnels. Enfin, de nombreuses formations sont proposées aux aidants, notamment pour leur permettre de se former aux gestes du quotidien, à la communication avec l’aidé, aux informations et aux ressources administratives. La Taiwan Association of Family Caregivers va même plus loin en mettant en place le concept de « Cafés aidants ». Cette initiative permet de jouer un rôle en amont et de détecter les aidants qui ont besoin d’aide. Ainsi, l’association forme les employés d’un café volontaire au programme des « Cafés aidants », aux difficultés des aidants. Elle leur apprend à trouver des ressources pour les aidants et à identifier les aidants les plus à risque. L’aidant peut ainsi demander des informations aux personnels du café formés et le personnel met à disposition de l’aidant un formulaire qui lui permettra par la suite d’être contacté par l’association et un centre de ressources. Une campagne médiatique « des cafés gratuits à deux » facilite la visibilité de ces structures en proposant aux aidants et à un membre de leur entourage de venir consommer un café gratuitement dans un établissement « Café aidant ». Le café est aussi un moment de répit qui permet à l’aidant de se rappeler qu’il doit aussi prendre soin de lui-même. Confier aux municipalités la responsabilité de prendre en charge les personnes âgées en Suède La Suède a, dans un premier temps, multiplié les dispositifs d’aide aux personnes âgées dépendantes notamment en conférant aux 290 municipalités suédoises la responsabilité de s’assurer que les habitants reçoivent l’aide et le soutien dont ils ont besoin.Cette décision a été renforcée par la loi de 2009 qui oblige les municipalités suédoises à proposer des services individualisés aux personnes malades et aux aidants. Les municipalités assurent donc une aide directe aux personnes âgées en perte d’autonomie en proposant des services en plus du déploiement de l’aide à domicile : transports des plus fragiles et livraison de repas à la maison. Elle a renforcé sa politique d’aide aux aidants en instaurant des « congés de soins » qui sont rémunérés à 80% et la possibilité de se mettre en indisponibilité pendant 100 jours. Le pays propose aussi des dispositifs de soutien psychologique, des consultations médicales et, depuis août 2019, un « contact permanent pour les soins » qui charge un aidant professionnel du rôle de «  care manager  » et notamment de contact entre l’aidé, l’aidant informel et les aidants professionnels. Un plan d’action national pour reconnaître les aidants et soutenir les jeunes aidants en Australie D’autres pays comme l’Australie ont reconnu le statut des aidants informels et ont mis en place un plan d’action national pour les soutenir. La stratégie nationale australienne instaurée dans les années 2011–2014 a fixé 6 priorités :1 – La reconnaissance et le respect des aidants ;2 –La fourniture d’une information claire et une amélioration de l’accès aux services de soins ;3 –Une meilleure protection des salariés aidants permise avec le « Fair Work Act » qui leur donne la possibilité d’avoir des horaires de travail flexibles.4 –Le financement de services de répit et la fourniture de données sur les aidants pour adapter les politiques publiques à leurs besoins.5 – Permettre aux aidants de développer leurs connaissances en leur fournissant une formation.6 – Donner l’opportunité aux aidants de participer davantage à la vie sociale dans leur communauté.La facilité d’utilisation d’une plateforme publique d’aide et la création d’un numéro unique d’information permettent de relayer plus facilement les informations aux aidants.La situation des jeunes aidants informels (25 ans ou moins), est aussi une préoccupation en Australie ; ils seraient au nombre de 235 000 selon l’association Carers Australia. C’est pourquoi une bourse a été mise en place par le gouvernement, « Young Carer Bursary Program » qui offre chaque année 1000 bourses de 3000 $ pour inciter les aidants à retourner à l’école et à poursuivre leurs études. L’engagement associatif au Québec pour proposer des dispositifs de répit aux aidants Dans d’autres pays, des associations et acteurs de la société civile ont initié de nouveaux dispositifs pour soutenir les aidants et leur donner du répit. Au Québec, c’est l’association Baluchon Alzheimer® qui offre un service de répit 24 heures sur 24, de 4 à 14 jours pour les aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et apparentées. Le baluchonnage vise à charger une personne, appelée baluchonneuse, de s’occuper d’une personne aidée à son domicile et d’assurer un continuum de service avec la collaboration du Réseau de la Santé et des Services Sociaux. Le baluchonnage coûte 15$ canadiens par jour aux familles, la plupart des frais étant pris en charge par l’assurance responsabilité civile et professionnelle. La famille doit également laisser à la baluchonneuse 20$ canadiens par jour pour les dépenses supplémentaires destinées à l’aidé. En outre, la baluchonneuse rédige un journal d’accompagnement où elle retranscrit ses observations et suggestions, qu’elle remettra à l’aidant. Un rendez-vous est ensuite organisé pour passer en revue le journal de la baluchonneuse et des stratégies proposées. En 2018–2019, 2 047 jours de baluchonnage ont été effectués par l’association [38] .

Il est toutefois important de se demander si nous voulons qu’à terme l’aidance informelle prenne en charge très majoritairement la perte d’autonomie des plus âgés dans notre société. D’une part, l’aidance informelle peut relever d’une volonté personnelle de prendre soin de son proche âgé ou en fin de vie : il relève du choix de l’aidant informel de dédier librement son temps à son proche dans le besoin et il n’est pas certain que les bonnes volontés y suffisent. D’autre part, elle peut aussi impliquer des effets néfastes sur la santé mentale et physique des aidants. Il semble donc indispensable dans le futur d’offrir une aide professionnelle plus importante qui pourra, si ce n’est se substituer, du moins compléter l’aide informelle pour s’assurer que les aidants ne pâtissent pas de leur activité d’aide et que les besoins des aidés soient correctement satisfaits. Le chapitre suivant s’intéressera, pour cette raison, aux propositions pour améliorer l’attractivité des métiers du grand âge et favoriser une plus grande offre de l’aide professionnelle.

Mettre en place cette offre professionnelle plus abondante  demandera naturellement du temps et impliquera des coûts supplémentaires. Elle devra s’accompagner de dispositifs pouvant venir en aide aux aidants informels qui sont le plus dans le besoin : des dispositifs de formation, pour leur donner les compétences nécessaires et se protéger des risques physiques et psychologiques de cette activité, et des dispositifs pour soutenir et accompagner ceux d’entre eux qui sont le plus en difficulté. Ces orientations sont d’autant plus stratégiques que le nombre d’aidants devrait sensiblement augmenter dans les années à venir : selon la Drees, un salarié sur quatre sera aidant en 2030. Dans cette optique, La Chaire TDTE a formulé dans une note de positions de mars 2020 [39] plusieurs propositions pour un accompagnement renforcé, optimal et solidaire des aidants informels qui pourront soutenir les aidants dans une phase transitoire.

Tout d’abord, la Chaire TDTE propose dans cette note la création de centres de ressources pour accompagner et soutenir psychologiquement les aidants les plus fragiles.

Ces centres de ressources pourraient être intégrés au sein des « Maisons des aînés et des aidants » pour consolider et coordonner l’aide apportée à la population âgée et son entourage. Il est à noter que ces Maisons des aînés et des aidants existent, mais seulement sur une partie du territoire, notamment parisien. Les centres de ressources pourraient travailler en collaboration avec des associations françaises d’aidants et proposer divers services : un service d’assistance sociale où les aidants pourraient présenter leur situation et leurs difficultés. L’assistant social serait en mesure à la suite de cet entretien de formuler un plan d’aide et d’orienter l’aidant vers des dispositifs adaptés : solutions de répit, participation à des groupes de parole, mise en contact et intégration à un réseau d’aidants proches de lui, accès à une aide juridique. Des formations peuvent être aussi assurées pour utiliser les bons gestes dans la vie quotidienne et diminuer le risque d’accident pour l’aidant, ainsi que des « visites à domicile amicales » par des bénévoles pour briser la solitude des aidants.

L’assistant social permettrait un véritable suivi de l’aidant et lui propose notamment des bilans de santé pour s’assurer que l’activité d’aide n’a pas un impact néfaste sur sa santé mentale et physique.

Deuxièmement, la Chaire TDTE préconise la mise en place d’un plan d’aide adapté aux jeunes aidants [40] , c’est-à-dire des aidants âgés de moins de 25 ans, dont l’activité d’aide peut avoir des effets dramatiques sur leur scolarité et in fine sur leur insertion sur le marché du travail.

Il n’existe pas actuellement de définition légale des jeunes aidants. Pour permettre la création de dispositifs cohérents, la Chaire TDTE préconise de reconnaître les jeunes aidants, de généraliser une formation pour les enseignants aux enjeux des jeunes aidants, de permettre la diffusion de brochures d’informations pour orienter les jeunes aidants, d’instaurer une obligation de suivi psychologique et scolaire, de leur offrir la possibilité d’aménager leur rythme d’étude avec des cours par correspondance ou encore la possibilité d’étaler leurs études dans le temps, et donner droit à des aides supplémentaires pour les jeunes aidants qui consacrent plus de 20 heures par semaine d’aide informelle, la création d’une plateforme d’échanges pour s’aider d’un point de vue scolaire.

Troisièmement, la Chaire TDTE propose de renforcer les dispositifs envers les aidants de personnes souffrant de pathologies lourdes telles que les maladies neurodégénératives et de proposer un droit au répit renforcé.

Il convient alors d’améliorer l’accès aux dispositifs de relayage pour les aidants de personnes atteintes de maladies neurodégénératives qui nécessitent un accompagnement permanent dans l’objectif aussi de prévenir tout risque sur la santé des aidants.

Enfin, la Chaire TDTE préconise de rémunérer les aidants actifs occupés qui viennent en aide aux personnes âgées ayant une dépendance lourde.

En rémunérant au Smic horaire net les heures réalisées par les aidants actifs qui prennent en charge une personne âgée de GIR 1 à 3, le coût annuel de cette mesure s’élèverait à 1,1 milliard d’euros annuel. Cette indemnisation viendrait compenser les impacts de l’activité d’aide sur le travail des aidants actifs informels. Il est important de noter qu’il existe déjà des solutions similaires au titre de l’APA ou de la PCH. Au titre de l’APA, toute personne peut être rémunérée en tant qu’aide à domicile sauf s’il s’agit du conjoint avec qui la personne en perte d’autonomie vit. Au titre de la PCH, il n’est pas possible d’employer, en tant qu’aide à domicile, le conjoint avec qui la personne en perte d’autonomie vit, un père, une mère, les enfants, une personne retraitée ou en activité professionnelle à temps plein. Mais il existe un mécanisme de dédommagement pour les aidants informels rémunérés à hauteur de la moitié du Smic pour les aidants actifs et les ¾ du Smic pour les aidants qui réduisent ou abandonnent leur activité professionnelle. Une étude menée par Terra Nova en 2020 [41] montre cependant que peu de personnes en perte d’autonomie ont recours à ces mesures (5 % à 7 % au titre de l’APA) ou s’ils en ont recours, par exemple au titre de la PCH, les aidants continuent à travailler et bénéficient ainsi d’une rémunération faible.

Par ailleurs, le Bureau International du Travail préconise l’intégration de care credits [42] . Ce sont des mécanismes permettant de remédier à l’impact négatif que le temps consacré à prendre soin d’autrui et passé hors du marché du travail peut avoir sur les pensions de retraite. Ce sont le plus fréquemment des femmes qui sont concernées par cet effet négatif car leurs carrières sont davantage caractérisées par de longues périodes consacrées à l’aide de personnes dépendantes dans leur entourage [43] , une participation plus faible au marché du travail [44] , plus de travail à temps partiel et donc des revenus plus faibles.

Toutes ces caractéristiques compromettent leurs droits à pension dans un système qui lie le niveau des pensions servies au travail rémunéré, aux cotisations et aux revenus.

Valoriser les aidants professionnels et les métiers du grand âge : renforcer le plan d’action du rapport El Khomri

Le contexte actuel de la prise en charge de la perte d’autonomie, notamment marqué par une volonté de prise en charge à domicile, et les difficultés liées aux mauvaises conditions de travail des métiers du grand âge et à leur inattractivité, exigent de revoir notre modèle de prise en charge de la dépendance.

Des mesures préventives à domicile

En premier lieu, la volonté de prise en charge à domicile va demander des investissements conséquents, pas seulement pour accroître les effectifs de personnel d’aide à domicile, mais aussi pour adapter l’environnement du patient à sa dépendance. Les ergothérapeutes sont les plus à  même de remplir cette fonction et de définir avec le patient âgé et ses proches ses besoins en matériel, en réaménagement de son lieu de vie, et les travaux à mener. La prévention des chutes, qui sont les principaux déclencheurs de la dépendance, est un vrai enjeu et des études montrent l’efficacité de simples conseils d’ergothérapie dans le risque de chutes. En 2015, un essai contrôlé randomisé a été réalisé sur 530 personnes âgées en Australie [45] . Un groupe test a bénéficié de la visite à domicile d’un ergothérapeute qui a sensibilisé le senior aux risques de son environnement et a préconisé des réaménagements dans son domicile. Après un an de suivi, en moyenne 50 % des modifications recommandées à domicile avaient été mises en place. Le nombre de chutes, pouvant entraîner une situation de perte d’autonomie, avait diminué significativement chez le groupe qui a bénéficié de la visite de l’ergothérapeute, spécifiquement pour les seniors déjà fragilisés, ayant déjà connu des chutes l’année avant l’intervention. Ainsi, une politique de prévention notamment de l’habitat du senior est efficiente pour prévenir la perte d’autonomie et utile dans le cadre d’une stratégie de prise en charge de la dépendance à domicile.

Dans la contribution des ergothérapeutes dans le cadre de la concertation grand âge et autonomie [46] , l’ANFE [47] et l’AFEG [48] recommandent de recruter des ergothérapeutes au sein des services à domicile (SPASAD, SSIAD, SAAD) ou encore d’inclure le financement de l’évaluation de l’ergothérapeute dans les plans APA. Si ces propositions peuvent constituer des pistes de réflexion et permettraient en effet un recours plus important aux ergothérapeutes, il ne faut pas sous-estimer les coûts en aménagements du domicile que peut entraîner une telle politique. Des pays européens ont mis en place des mesures préventives de manière à laisser la personne âgée vivre le plus longtemps possible à son domicile. Le rapport du Conseil de l’âge du HCFEA [49] de 2019 donne des exemples internationaux de mesures préventives à la perte d’autonomie. Au Danemark, une consultation préventive à domicile doit être proposée à toutes les personnes âgées de 65 à 79 ans et jugées « à risque » d’isolement. Cette visite est obligatoire à l’âge de 80 ans, et doit être proposée tous les ans, pour s’assurer que la personne est toujours autonome [50] .

Au Japon, même si le niveau de dépendance de la personne âgée est considéré comme très faible, l’équivalent français des GIR 5 et 6, ces individus peuvent bénéficier de services et programmes de prévention à la perte d’autonomie [51] , comme des visites à domicile, et participer à des groupes de soutien. La lutte contre l’isolement est aussi considérée comme un défi au Japon et la participation à la vie communautaire, le bénévolat, ou encore la socialisation avec ses voisins sont encouragés pour prévenir l’isolement mais aussi la perte d’autonomie.

La revalorisation monétaire des métiers du grand âge

Les difficultés importantes à recruter des personnels du métier du grand âge ont été évoquées précédemment, alors même que la demande est grandissante. La demande en aides-soignants en Ehpad, en aide à domicile ou aides-soignants dans des modèles hybrides de prise en charge, comme les Ehpad hors-les-murs, va impliquer une revalorisation du métier d’aides-soignants et une amélioration de ses conditions de travail pour améliorer l’attractivité des professions du secteur.

En ce qui concerne la revalorisation du métier d’aides-soignants, le rapport El Khomri propose de « remettre à niveau les rémunérations des conventions collectives inférieures au Smic » et d’intégrer un mécanisme d’alignement automatique des salaires quand le Smic est revalorisé dans les conventions collectives. Revaloriser les salaires des métiers du grand âge doit en effet être négocié au sein des conventions collectives, mais il serait souhaitable que la revalorisation vise un niveau au-dessus du Smic pour d’une part revaloriser ces métiers difficiles et prendre en compte les risques liés au métier, et d’autre part rendre plus attractives ces carrières et répondre aux besoins futurs. Ce sont les revendications les plus immédiates du secteur, avec la demande d’indemnisation des déplacements des aides à domicile. En effet, les déplacements entre chaque lieu de travail sont quotidiens et sont encore très peu indemnisés, les conventions collectives fixant un niveau d’indemnisation très faible. Dans son rapport 2020, le CESE préconise de « fixer un tarif de remboursement des frais de déplacement commun à l’ensemble des conventions collectives des travailleurs à domicile et au niveau des tarifs des barèmes fiscaux communément pratiqués », et exiger auprès des entreprises prestataires de services à domicile d’organiser les lieux de travail à domicile sur un périmètre géographique limité pour réduire la longueur des déplacements.

Cette revalorisation monétaire nous semble nécessaire pour affronter les défis futurs et va être répercutée sur les coûts de la perte d’autonomie, qui s’élevaient déjà à 30 milliards d’euros en 2014 [52] . Nous sommes très favorables à l’organisation d’une concertation sur l’évolution de la rémunération des métiers du grand âge.

La formation et l’amélioration des conditions de travail

L’amélioration des conditions de travail est aussi un réel enjeu pour réduire la sinistralité de ces métiers. En établissement, c’est le manque de personnel, le taux d’encadrement dans les Ehpad notamment qui est jugé largement insuffisant. Le CESE dans son rapport 2020 préconise que les ARS assurent le suivi des taux d’encadrement en Ehpad et qu’ils soient conformes à des objectifs de qualité de soins et de vie au travail. Les formations et la valorisation des compétences des aides-soignants et des aides à domicile peuvent améliorer à la fois l’attractivité des métiers du grand âge et les conditions de travail. Le CESE recommande que toutes les formations du grand âge soient définies par blocs de compétences pour qu’ainsi les passerelles entre les métiers du grand âge soient facilitées. De plus, d’après ce même rapport, les aides à domicile sont souvent dépourvues de qualification ou de certifications qui pourraient leur permettre de changer de métier.

D’autres pays développés et vieillissants sont concernés par le problème d’inattractivité des métiers du grand âge et tentent d’y remédier par la formation. En Suède, les auxiliaires de vie n’ont pas besoin de qualification, ce sont les municipalités qui doivent s’assurer de leur faire suivre un programme de formation adapté. En 2011, une formation a été mise en place pour élever les compétences des auxiliaires de vie. Formation qui pouvait être financée par des subventions de l’État.

Valoriser l’expérience sur le terrain et proposer une évolution dans les métiers du grand âge pour gagner en responsabilité et autonomie sont aussi des pistes importantes pour inciter les employés à rester dans cette branche d’activités.

Cette valorisation au cours de la carrière pourrait passer par la délégation d’activités ou de services à plus haute valeur ajoutée. Tout comme au Japon où les aides-soignants et les auxiliaires de vie peuvent passer le concours de «  care manager  » et devenir ainsi gestionnaire de cas ou coordinateur des soins, après cinq ans d’expérience.

Chez les aides à domicile, les travailleurs les plus qualifiés sont aussi les plus stressés et pâtissent des pires conditions de travail. Il faudra donc veiller à ce que l’accroissement des responsabilités et des charges ne soit pas plus que proportionnelle à l’augmentation des qualifications.

Enfin, le rapport El Khomri propose entre autres un programme national de lutte contre la sinistralité des métiers du grand âge et d’intégrer des objectifs de sinistralité propres à chaque établissement pour améliorer les conditions de travail des aides-soignants et aides à domicile. En Suède, une expérimentation a été menée dans la ville de Göteborg où la journée de travail des aides-soignants en structure de prise en charge de personnes âgées a été diminuée à six heures par jour, permettant alors de diminuer significativement l’absentéisme dans ces structures.

Par ailleurs, des formations à la bientraitance existent pour lutter contre les actes de maltraitance envers les personnes âgées dépendantes et sont destinées aussi bien à des soignants en Ehpad qu’à des aides à domicile. L’encadré 4 présente les impacts bénéfiques de ces formations sur la santé mentale et l’autonomie des patients âgés, mais aussi sur les conditions de travail des soignants. En plus d’améliorer les conditions d’exercice et de constituer une piste de réflexion pour améliorer l’attractivité des métiers du grand âge, ces formations à la bientraitance proposent une nouvelle vision du soignant ; le soignant n’est pas seulement celui qui procure des soins, il s’inscrit aussi dans une démarche collective et active de bientraitance. En outre, une étude [53] , où une formation de bientraitance a été mise en place en établissement, a montré que ce type de formation améliore la relation entre les soignants et les proches aidants. Les aidants peuvent davantage prendre part aux activités de l’établissement et être présents pour leurs proches. Ils se sentent apaisés et rassurés par l’accueil et le soutien de l’établissement qui avait mis en place cette formation.

Encadré 3 : L’importance des formations à la bientraitance En France, des formations ont été mises en place pour à la fois améliorer le bien-être des résidents en Ehpad et les conditions de travail des soignants. Il existe plusieurs formations permettant d’améliorer la prise en charge des résidents âgés en perte d’autonomie vivant dans des structures de prise en charge de personnes âgées. Elles peuvent être destinées à des personnes âgées plus ou moins dépendantes et souffrant de pathologies neurodégénératives. Toutes ces formations ont en commun le fait qu’elles visent à améliorer la formation des soignants d’établissement pour prendre soin des patients âgés avec bientraitance.Si ces formations nous semblent cruciales pour les métiers du grand âge, c’est parce qu’elles ont donné lieu à des évaluations scientifiques qui ont montré à la fois leur impact sur le bien-être des patients, mais aussi sur l’amélioration des conditions de travail des soignants.D’une part, ces formations réduisent les troubles comportementaux des patients âgés atteints de maladies neurodégénératives en diminuant significativement les symptômes psycho comportementaux liés aux démences, les troubles d’agitation et d’affect, les comportements agressifs et d’auto-blessure, l’apathie et l’irritabilité, et en augmentant le nombre de comportements positifs, notamment de contact visuel, liés à la communication et au toucher. De plus, la mise en œuvre de ces formations permet d’améliorer les capacités cognitives et la communication des personnes âgées. Elles leurs permettent de se reconnecter à la réalité ; elles redonnent de l’autonomie et permettent aux personnes âgées de venir en aide à d’autres individus. Ces formations permettent aussi d’améliorer la capacité à s’alimenter seul ; d’augmenter significativement l’engagement des résidents atteints de démences dans des activités organisées par la structure qui les prend en charge ; et d’améliorer des comportements moteurs et verbaux. L’impact des formations sur la santé et le bien-être des patients âgés a aussi été évalué.Les formations à la bientraitance permettent d’améliorer le bien-être et l’humeur des résidents atteints de démence, de réduire leur fréquence cardiaque et leur pression artérielle, de réduire significativement la dépression et l’usage de psychotropes, ainsi que d’améliorer la qualité de la vie chez les résidents.D’autre part, ces formations ont aussi des impacts très positifs et intéressants sur les soignants. En effet, la plupart des formations permettent une reconnexion entre le soignant et le patient âgé, avec une augmentation du nombre de regard des soignants vers les personnes âgées atteintes de démences. Après la mise en place de telles formations, les résidents de structures de prise en charge de personnes âgées acceptent davantage les soins, portent plus de regards vers leurs soignants et leurs sourient davantage. Ce sont des conditions de travail améliorées pour les soignants. Et en effet, ils ont davantage envie d’aller travailler ; ils disent travailler dans un milieu chaleureux, accueillant et respectueux des personnes. Ces formations permettent alors de réduire le stress des soignants et d’améliorer leur bien-être. Ces formations peuvent donc constituer des pistes pour améliorer l’attractivité des métiers des soignants.

En effet, les relations entre professionnels du grand âge et les aidants informels ne sont pas nécessairement aisées. Pour les soignants en établissement, les relations avec les proches peuvent être conflictuelles [54]  ; « les familles renvoient une charge de culpabilité liée à l’institutionnalisation que les équipes ont parfois du mal à gérer ». Les proches ont un niveau d’exigence élevé, ce qui augmente le sentiment d’échec pour les soignants.

Au-delà des relations difficiles entre professionnels du grand âge et aidants informels, les aidants informels éprouvent des difficultés à organiser la prise en charge de leurs proches. Selon le baromètre des aidants de BVA et de la Fondation April de 2020 [55] , les individus interrogés jugeaient très ou assez utile d’assurer une meilleure coordination entre tous les acteurs du médico-social pour faciliter la vie des aidants.

La conception d’un métier de «  care manager  », qui assurerait une coordination des soins, est une piste non négligeable pour faciliter les soins, les conditions de travail des aidants professionnels et la vie des aidants informels.

Reconnecter les aidants informels et les aidants professionnels : comment définir les contours du métier du care manager ?

Nous désignons par «  care manager  » un professionnel qui assure la coordination des services de santé, de soins, et le suivi de la personne dépendante et qui aide à trouver des solutions adaptées.

Les expériences étrangères

La Suède, le Danemark ou encore le Japon ont déjà mis en place des métiers de «  care manager  ». Les «  care managers  » sont souvent assimilés à une fonction d’évaluation des besoins de l’aidé et ont aussi pour mission d’adapter ses besoins dans le temps.

En Suède, les municipalités ont la responsabilité de prendre en charge la perte d’autonomie des plus âgés. Un «  municipal care manager  », un membre du service social de la municipalité, va évaluer dans un premier temps le niveau de besoin de la personne dépendante. Ensuite ce «  municipal care manager  » est chargé de la coordination des aides et des services médicaux et sociaux apportés par la mairie. Il a un diplôme équivalent à celui d’assistant social avec une année de spécialisation en gériatrie.

Au Danemark, c’est aussi la municipalité qui est chargée de l’évaluation de la perte d’autonomie et des besoins des personnes dépendantes. Si l’évaluation de la perte d’autonomie est réalisée par une équipe pluridisciplinaire et en consultation avec la famille, c’est le «  care assessor  » qui coordonne l’équipe chargée de l’évaluation. Pour être «  care assessor  », il faut avoir travaillé entre trois et sept ans à la municipalité dans l’accompagnement à domicile de personnes âgées. Un «  care manager  » vient ensuite prendre le relais pour assurer la coordination des professionnels qui interviennent au domicile des personnes âgées et que les services proposés conviennent au niveau de perte d’autonomie actuel dans l’objectif d’améliorer l’autonomie des personnes aidées. Le «  care manager  » est un travailleur social de la municipalité.

Au Japon, le «  care manager  » visite une première fois la personne aidée à son domicile et remplit une grille d’évaluation qui permettra de mesurer le degré de perte d’autonomie de la personne. Après avis du médecin traitant et validation du comité d’évaluation, le niveau de dépendance et le montant du plan d’aide sont déterminés.

Le «  care manager  » conseille alors la personne aidée dans les services à sélectionner et coordonne les professionnels engagés dans ces services.

Les «  care managers  » sont considérés comme de véritables experts pour définir les services les plus appropriés tout en tenant compte du niveau du plan d’aide. Le métier de «  care manager  » est accessible par concours à toutes personnes ayant cinq ans d’ancienneté dans un métier du grand âge ; ce sont le plus souvent les auxiliaires de vie sociale, les infirmiers et les assistants sociaux qui sont reçus au concours.

Le métier du «  care manager  » peut ainsi constituer une évolution pour certains métiers du grand âge et améliorer leur attractivité ; en effet qui pourrait mieux guider et suivre les personnes âgées dépendantes dans leurs besoins que des professionnels qui connaissent le terrain ? Cependant, cela demande de mener davantage d’études et de concertations pour définir les contours de ce métier. Quelles compétences demande le métier de «  care manager  » ? Quelles sont les attentes des personnes aidées et des aidants vis-à-vis de ce métier ? Quel modèle de financement ?

Définir les contours du métier de « care manager » : les compétences

Le baromètre BVA pour la Fondation April de 2020 a permis de mettre en évidence les pistes d’actions jugées très utiles par les aidants : entre autres, une meilleure coordination entre les acteurs (61 %), un maintien à domicile de l’aidé facilité (54 %), une aide financière et/ou matérielle (61 %) ou encore des formations (58 %). Des enquêtes supplémentaires pourraient explorer plus en détail les besoins, les difficultés des aidants et leurs attentes à l’égard du métier de «  care manager  ».

Il est certain, cependant, que le «  care manager  » doit avoir une connaissance de l’organisation des soins sur son territoire, des services médico-sociaux et des contraintes des différents acteurs (aides à domicile, infirmiers, etc.) pour mieux les organiser efficacement. Le «  care manager  » doit être là pour faciliter les conditions de travail de ces métiers tout en répondant aux besoins des plus âgés.

Le «  care manager  » doit aussi avoir des compétences en évaluation de la perte d’autonomie et avoir connaissance des risques qui pourraient engendrer une perte d’autonomie lourde. Le conseil de l’âge du HCFEA préconisait en 2020 [56] un suivi régulier des personnes âgées et de leurs plans personnalisés pour s’assurer que les plans d’aide APA correspondent bien aux besoins actuels des personnes âgées. Ce suivi peut donc être réalisé par un «  care manager  » aussi formé pour cette fonction. Cela demande de mettre à disposition ou de créer des outils d’évaluation et de suivi de qualité. De plus, un protocole doit être décidé pour établir à quelle échéance le «  care manager  » suit la personne aidée et quand il doit mettre à jour l’évaluation de sa perte d’autonomie.

Le «  care manager  » doit aussi développer des soft skills spécifiques à ce métier. Dans ce sens, une étude de 2015 [57] réalisée dans le comté de Blekinge, en Suède, a évalué la perception du métier de «  care manager  » chez les personnes aidées âgées de 75 ans et plus. Cette étude montre qu’une relation de confiance entre personnes âgées aidées et les «  care managers  » est nécessaire ; en effet, la plupart des personnes aidées répondant à cette enquête considèrent le «  care manager  » comme quelqu’un en qui elles peuvent avoir confiance. Elles le perçoivent comme un professionnel qui ferait tout son possible pour les aider, avec qui elles ont des discussions et à qui elles peuvent confier leurs difficultés. Les personnes âgées aidées perçoivent aussi le «  care manager  » comme quelqu’un qui est toujours là pour porter leur voix, notamment en cas de maltraitance. Elles disent que le «  care manager  » comprend l’importance de leurs préoccupations et elles sont satisfaites du fait qu’il ne dépend pas d’organisations prestataires qui sont directement impliquées dans les soins. Par ailleurs, les «  care managers » répètent souvent aux personnes aidées que le choix de service ne dépend que d’elles. Le «  care manager  » est là pour les aiguiller mais la personne aidée fait ses propres choix.

On voit à travers cette expérience que les «  care managers  » n’ont pas seulement besoin de compétences liées à l’organisation des soins et des services sociaux, mais aussi de «  soft skills  ». Savoir nouer une relation de confiance, avoir des valeurs morales fortes comme avoir confiance en la parole de la personne âgée, porter sa voix et toujours rappeler à la personne âgée ses droits et qu’elle seule peut faire ses choix sont des compétences importantes à acquérir pour un «  care manager  ».

Le «  care manager  » peut aussi s’interposer entre l’aidé et son aidant pour valoriser la parole de l’aidant. Ainsi, l’étude rapporte une  situation spécifique où une réunion entre les aidants, la personne aidée, les professionnels de santé et le «  care manager  » a lieu pour organiser le retour à la maison de la personne aidée qui a été hospitalisée. Les aidants prennent la parole et organisent le retour à la maison sans demander l’avis de la personne aidée. Le «  care manager  » tente, lui, de faire revenir la discussion autour des besoins de l’aidé et de l’impliquer dans la discussion. Ces situations délicates demandent de développer des compétences relationnelles auxquelles les futurs «  care managers  » doivent être formés et sensibilisés.

Définir les contours du métier de «  care manager  » : les conditions d’exercice et le modèle de financement

Dans ses recommandations, le conseil de l’âge du HCFEA [58] préconisait d’élaborer les critères d’éligibilité pour définir la population de personnes âgées qui nécessitent l’aide d’un «  care  manager  ». Selon le conseil de l’âge, le «  care manager  » peut être rattaché à un « dispositif d’appui à la coordination ou à un/ plusieurs services à domicile ».

Ces dispositifs pourraient bénéficier de financements dédiés à ce poste, par exemple dans le cadre « d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) avec un Saad ou de CPOM territoriaux incluant plusieurs Saad, Ssiad ou Spasad ».

Il est important de pouvoir définir si toutes les personnes âgées en perte d’autonomie, légère ou lourde, qui bénéficient de l’APA peuvent aussi bénéficier de l’aide d’un «  care manager  ». L’étude de Hjelm et al (2015) [59] a aussi mis en avant le témoignage de personnes âgées, autonomes, qui bénéficiaient de l’aide d’un «  care manager  » et jugeaient cette aide encore inutile, parce qu’elles étaient entièrement capables de gérer leurs soins et besoins.

Cependant, savoir qu’ils avaient accès à un professionnel capable de les conseiller sur des services de soin et de les renseigner sur leurs droits était apprécié et leur donnait une vision réconfortante de leur futur en cas de perte d’autonomie. Ainsi, l’accord de la personne aidée semble être primordial pour l’affectation d’un «  care manager  ».

Concernant la structure qui emploie le «  care manager  », il vaut peut-être mieux privilégier une structure en lien avec les prestataires de service mais indépendante d’eux. Des acteurs privés en France ont déjà constitué des structures pour accompagner le senior à domicile et lui trouver une solution adaptée à ses besoins. C’est le cas par exemple de Marguerite services [60] qui propose un diagnostic, des solutions sur mesure, un accompagnement et des visites à domicile. Le «  care manager  » idéal devrait pouvoir être en lien avec des organismes de santé publics et être légitime aussi bien auprès de la personne âgée prise en charge qu’auprès des organismes prestataires de services. De plus, un modèle de financement doit être conçu pour que les «  care managers  » puissent pouvoir rendre service à toutes les personnes âgées, quel que soit leur revenu.

  1. Fondation du risque

  2. Cet indicateur calcule le ratio entre les personnes en âge de travailler (15–64 ans) et les 65 ans et plus.

  3. « More and better jobs in home-care services », European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions. Lien vers la publication : https://www.eurofound.europa.eu/more-and-better-jobs-inhome-care-services

  4. Panorama de la santé 2019, OCDE. Lien vers la publication : http://www.oecd.org/fr/sante/panorama-dela- sante-19991320.htm

  5. Au sens des administrations publiques de la comptabilité européenne, c’est-à-dire y compris les dépenses des organismes de protection sociale.

  6. Gösta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’Etat-Providence, Paris, PUF, 1990.

  7. « L’heure du choix : l’entrée des personnes âgées en maisons de retraite », enquête du Crédoc pour AG2R LA MONDIALE, la Caisse des dépôts et Terra Nova, septembre 2018, échantillon de 2014 personnes de 18 ans et plus. Les raisons de l’entrée en institutions les plus souvent citées sont « l’état de santé et l’âge de la personne », le fait qu’il n’y ait « plus de solution de maintien à domicile » et que « les proches ne pouvaient plus aider ».

  8. Accompagnement professionnel de la dépendance des personnes âgées, Les dossiers de la DRESS , n° 51, mars 2020, solidarites-sante.gouv.fr

  9. Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé de l’université Paris-Dauphine dans le cadre de l’étude Share.

  10. « Home Care across Europe », European Observatory on Health Systems and Policies. Lien vers la publication : e96757 (who.int) ; le rapport n’indique pas les données pour la France.

  11. Ibid , European Observatory on Health Systems and Policies.

  12. Les familles n’ont pas de responsabilité légale sur leurs membres dépendants dans les pays scandinaves ou en Angleterre.

  13. « More and better jobs in home-care services », European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions. Lien vers la publication : https://www.eurofound.europa.eu/more-and-better-jobs-inhome-care-services

  14. « More and better jobs in home-care services », European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions. Lien vers la publication : https:/ /www. e urofound.europa.eu/ more-and-better-jobs-inhome-care-services

  15. « More and better jobs in home-care services », European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions. Lien vers la publication : https:/ /www. e urofound.europa.eu/ more-and-better-jobs-inhome-care-services

  16. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4482462#titre-bloc-8

  17. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_portraits_stat_des_metiers_1982–2014_ web.pdf

  18. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4482462#titre-bloc-8

  19. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_portraits_stat_des_metiers_1982–2014_ web.pdf

  20. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4482462#titre-bloc-8

  21. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_portraits_stat_des_metiers_1982–2014_ web.pdf

  22. Canieux, N. (2020) « Le travail à domicile auprès des personnes vulnérables : des métiers du lien », Les avis du CESE , CESE 28, décembre 2020.

  23. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_-_portraits_stat_des_metiers_1982–2014_ web.pdf

  24. Drees (2012) « Les conditions de travail des aides à domicile en 2008 », Dossiers Solidarité et santé , n° 30.

  25. Drees (2016) « Des conditions de travail en Ehpad vécues comme difficiles par des personnels très engagés », Les dossiers de la Drees , n° 5, septembre 2016.

  26. Drees (2012) « Les conditions de travail des aides à domicile en 2008 », Dossiers Solidarité et santé , n° 30.

  27. Aussi appelés ADL – activities of daily living – en anglais, elles correspondent à : se laver, s’habiller, se nourrir, se servir des toilettes, réaliser des transferts (se lever, se coucher ou s’asseoir).

  28. Uniopss – Uriopss (2019) « Difficultés de recrutements en établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de handicap », Résultats de l’enquête Flash du réseau Uniopss-Uriopss, septembre 2019.

  29. Soit le taux d’ETP non pourvu depuis au moins le 30 juin 2019 et restant à pourvoir au 1er septembre 2019.

  30. Les chiffres de la Grèce et de l’Italie peuvent surprendre compte tenu de la part très élevée de l’aide informelle dans ces deux pays. Nous formulons l’hypothèse suivante : les aidants dans ces pays, où la coexistence de plusieurs générations sous le même toit reste relativement répandue et où la prise en charge des membres dépendants est plus familiale et collective, ne se reconnaissent pas en tant qu’« aidants ». Les familles trouvent ça naturel d’être aidant et ne se retrouvent pas dans la définition donnée de l’aidance.

  31. L’Enquête Handicap Santé 2008 de la Drees indique 8,3 millions d’aidants informels dont une grosse moitié (4,3 millions) aident régulièrement un proche de 60 ans ou plus à son domicile. Le Baromètre BVA/ Fondation April indique de son côté, près de dix ans plus tard, 11 millions d’aidants familiaux qui accompagnent au quotidien un proche en situation de dépendance.

  32. L’Enquête VQS 2014 montre que 9 % des 60 ans et plus résidant à leur domicile (soir environ 1,4 million de personnes) ont un score VQS supérieur à 40 et peuvent à ce titre être considérés en perte d’autonomie, soit deux fois plus que de bénéficiaires de l’APA (740 000 personnes recensées entre GIR1 et GIR4).

  33. Voir Giraud, O., Petiau, A., Rist, B., Touahria-Gaillard, A. et Trenta, A. (2020) « Perte d’autonomie : comment mieux accompagner les aidantes et aidants familiaux ? », Terra Nova, p. 5.

  34. Drees (2020) « Les établissements d’hébergement pour personnes âgées », dans L’aide et l’action sociale en France , édition 2020, chapitre 17, p. 109–115.

  35. Caisse des Dépôts (2020) « Maintien à domicile : vers des plateformes numériques de services ».

  36. Shirine Abdoul-Carime (DREES), « Un tiers des personnes âgées vivant en établissement sont dans un état psychologique dégradé », Études et Résultats , n° 1141, Drees, janvier 2020.

  37. Albane Miron de l’Espinay et Delphine Roy (DREES), « Perte d’autonomie : à pratiques inchangées, 108 000 seniors de plus seraient attendus en Ehpad d’ici à 2030. Projections de population âgée en perte d’autonomie selon le modèle Lieux de vie et autonomie (LIVIA) », Études et Résultats , n° 1172, Drees, décembre 2020.

  38. Retrouvez les informations sur baluchonalzheimer.com

  39. Retrouvez la note complète « Les positions de la Chaire TDTE pour un accompagnement renforcé, optimal et solidaire des aidants » du 10 mars 2020 sur le site de la Chaire TDTE : tdte.fr.

  40. L’association JADE, Jeunes AiDants Ensemble, avait chiffré le nombre de jeunes aidants à 500 000 à partir de l’enquête Handicap-Santé de la Drees de 2008 et du projet JAID et de l’étude ADOCARE qui estime que 17,1 % des lycéens sont aidants. Cette estimation pourrait être cependant sous-évaluée selon l’association.

  41. Giraud, O., Petiau, A., Rist, B., Touahria-Gaillard, A. et Trenta, A. (2020) « Perte d’autonomie : comment mieux accompagner les aidantes et aidants familiaux ? », Terra Nova, p. 5.

  42. Entretien entre la Chaire TDTE et Shahrashoub Razavi, Directrice du département de la protection sociale au Bureau International du Travail, dans le cadre du Symposium International 2020 de la Chaire TDTE et du Réseau EIDLL à revoir ici : http://tdte.fr/article/show/symposium-toutes-les-videos-303

  43. Périodes qui viennent s’ajouter dans certains cas à des interruptions d’activité liées à l’éducation des enfants.

  44. L’écart de taux d’activité entre hommes et femmes se resserre mais reste significatif : 68,2 % pour les femmes en 2018 contre 75,9 % pour les hommes.

  45. Cumming R.G., Thomas M., Szonyi G., Salkeld G., O’Neill E. (2015) « Home visits by an occupational therapist for assessment and modification of environmental hazards: a randomized trial of falls prevention », Journal of the American Geriatrics Society , Vol 47, Issue 12, 27 april 2015.

  46. ANFE et AFEG (2019) « Contribution des ergothérapeutes dans le cadre de la concertation grand âge et autonomie », Note de synthèse, janvier 2019.

  47. Association Nationale Française de Ergothérapeutes.

  48. Association Française des Ergothérapeutes en Gériatrie.

  49. Haut Conseil de la famille de l’enfance et de l’âge.

  50. Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – HCFEA (2019) « Politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées : quelques comparaisons internationales », Conseil de l’âge, mars 2019, p. 134.

  51. Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – HCFEA (2019) « Politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées : quelques comparaisons internationales », Conseil de l’âge, mars 2019, p. 51.

  52. Drees, « Personnes âgées dépendantes : les dépenses de prise en charge pourraient doubler en part de PIB d’ici à 2060 », Etudes & Résultats, octobre 2017, n° 1032.

  53. Lalande, G., Leclerc, G. (2004), « L’approche ″Carpe Diem″ et l’approche ″Prothétique élargie″ : une étude descriptive et comparative », rapport de recherche, Centre de recherche sur le vieillissement, Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke.

  54. Drees (2016) « Des conditions de travail en Ehpad vécues comme difficiles par des personnels très engagés », Les dossiers de la Drees , n° 5, septembre 2016.

  55. Baromètre BVA et Fondation April, 6e vague, juillet 2020, Résultats.

  56. Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – HCFEA (2020) « Le recours des personnes âgées vulnérables aux emplois et services d’aide à domicile », Conseil de l’âge, rapport adopté par consensus en avril 2020.

  57. Markus Hjelm, Göran Holst, Ania Willman, Doris Bohman, Jimmie Kristensson (2015) « The work of case managers as experienced by older persons (75+) with multi-morbidity – a focused ethnography » BMC Geriatr. 2015; 15: 168. Published online 2015 Dec 17. doi: 10.1186/s12877–015–0172–3

  58. Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – HCFEA (2020) « Le recours des personnes âgées vulnérables aux emplois et services d’aide à domicile », Conseil de l’âge, rapport adopté par consensus en avril 2020.

  59. Markus Hjelm, Göran Holst, Ania Willman, Doris Bohman, Jimmie Kristensson (2015) « The work of case managers as experienced by older persons (75+) with multi-morbidity – a focused ethnography » BMC Geriatr.2015; 15: 168. Published online 2015 Dec 17. doi: 10.1186/s12877–015–0172–3

  60. Plus d’informations sur : https://www.margueriteservices.fr/

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