Face à la précarisation de l’emploi, construire des droits pour tous
Alors que le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi est en discussion à l’Assemblée nationale, Terra Nova se penche sur les transformations du monde du travail depuis trente ans et sur le développement du précariat. Ce rapport, issu des réflexions d’un groupe présidé par Philippe Askenazy et Rokhaya Diallo, propose de sortir de la vision traditionnelle d’un marché du travail organisé autour de la dualité CDI / CDD, et d’analyser plutôt l’évolution des trajectoires individuelles des individus. Il en ressort qu’en France, les deux tiers du monde du travail sont précaires, précarisés ou menacés. Face à cette situation, Terra Nova appelle à la définition, pour chaque salarié, de droits nouveaux permettant d’améliorer la qualité des emplois. Ce rapport est également l’un des derniers travaux de Robert Castel, membre actif du groupe, qu’il a éclairé de sa réflexion fondatrice sur les mutations du travail et la notion de précariat.
Le récent accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi marque une étape importante dans la reconnaissance des bouleversements du monde du travail, notamment de la montée de la précarité, et dans la définition d’une nouvelle approche des droits sociaux, qu’il convient de moins lier au contrat de travail ou à un emploi particulier, et davantage à l’individu tout au long de son parcours professionnel. Cet accord, qui n’a pas encore fait l’objet d’une loi, offre l’occasion d’aborder la question centrale des transformations profondes du monde du travail et de la détermination des nouveaux droits à mettre en place.
Cet essai revient sur ces transformations au long cours, afin de renouveler la vision dominante du monde du travail qui se focalise sur les types de contrats existant à un moment donné (80 % de CDI, fonctionnaires et indépendants, 10 % de contrats atypiques et 10 % de chômeurs) et oublie la réalité des trajectoires vécues par les individus. Cette vision statique, fondée sur la nature des contrats, est à l’origine des représentations traditionnelles opposant « insiders » protégés et « outsiders » marginalisés. Elle masque les mutations profondes du monde du travail, marquées par une dégradation croissante des conditions, et une insécurisation des trajectoires professionnelles, qui concerne d’une façon ou d’une autre une majorité des salariés. Cet essai propose de suivre les évolutions des trajectoires professionnelles des individus, de plus en plus marquées par l’absence de perspectives de progrès, des interruptions et des ruptures, la précarité. Cette approche révèle ainsi que la frontière entre une « classe populaire laborieuse » et une « classe moyenne laborieuse » est purement virtuelle : en France, les deux tiers du monde du travail sont précaires, précarisés ou menacés.
A partir de ce nouveau diagnostic des évolutions du monde du travail, cet essai a pour objectif de proposer un horizon cohérent pour une redéfinition des droits des salariés tout au long de leur parcours professionnel. Pour ce faire, il convient d’abandonner progressivement les politiques entretenant le développement des emplois de mauvaise qualité : notamment les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires. Cet essai insiste sur la nécessité d’associer à tout emploi, quel que soit son statut, des droits nouveaux qui permettront d’améliorer la qualité : formation professionnelle pour tous, tout au long de la vie, effective et transférable, quel que soit le contrat de travail ; accès complet à la protection sociale…
Pour endiguer la précarisation de la société, il formule quelques mesures concrètes : un accès aux minima sociaux généralisés à tous les actifs de moins de 25 ans ; une remontée des barèmes du RSA pour extraire de la pauvreté nombre de précaires ; le droit pour un salarié à temps partiel d’aménagement des horaires permettant d’assumer éventuellement un deuxième emploi souhaité ou une formation à temps partiel choisi…
Il s’agit de mettre en avant la question de la qualité des conditions du travail, trop souvent oubliée au nom de la nécessité de sauver des emplois. Cette question est le chaînon manquant entre le débat sur la politique industrielle et celui sur la protection sociale et la fiscalité. On ne pourra développer une stratégie économique ambitieuse, capable de maintenir notre système de solidarités, d’alimenter le budget de l’Etat, de résorber la dette et de respecter notre environnement qu’à la condition de promouvoir un travail de qualité pour tous.