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Note

La suppression des allocations familiales ou la nouvelle double peine

La proposition de loi du député UMP Eric Ciotti, qui sera examinée par les députés le 16 juin prochain, s’évertue à désigner les « coupables » de l’absentéisme scolaire, à savoir les parents irresponsables, et propose de les punir en leur supprimant les allocations familiales. Ce procédé, emblématique de la méthode présidentielle en vigueur, fait malheureusement l’économie d’une réflexion en profondeur sur l’absentéisme, baromètre puissant des inégalités du système éducatif français. Infliger à des familles déjà perdantes du système une sanction lourde de conséquence n’est pas la solution.
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1 – Introduction

A partir du 16 juin, une proposition de loi, déposée par le député UMP Eric Ciotti, sera débattue à l’Assemblée nationale pour organiser la suspension des allocations familiales des parents d’élèves absentéistes. Une fois de plus, il y a urgence, puisque l’entrée en vigueur de la mesure est prévue dès la prochaine rentrée scolaire. Le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, en assure activement la promotion : «  Quand par exemple, le président de la République reprend cette idée que nous avons poussée à l’UMP, de la suspension des Allocations familiales quand il y a de l’absentéisme scolaire, je dis à mes militants : « vos idées vont voir le jour »  », a-t-il déclaré.

La mesure est emblématique du sarkozysme : face à un problème social, l’absentéisme, elle désigne à la population des responsables, les mauvais parents. Elle les sanctionne (lourdement : pour une famille de 3 enfants, la mesure représente une perte de 160 € par mois) par le retrait des allocations, alimentant l’idée que de nombreux parents profitent indûment de l’Etat-providence. Elle s’inscrit dans une vision tout à la fois paternaliste, les mauvais parents ayant besoin d’être éduqués par la pédagogie de la sanction, et libérale, qui traite les mêmes parents comme des agents calculateurs, choisissant de ne pas faire ce qu’il faut pour que leur enfant aille à l’école ; la sanction financière est censée modifier les termes de leur choix.

Emblématique, la mesure l’est aussi par l’amalgame fait avec la question de l’insécurité. A Bobigny [2] , le Président a déclaré : «  Par ailleurs, nous allons prendre des mesures nécessaires pour protéger les établissements scolaires de la violence. Désormais, la décision de suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répétitif d’un élève aura un caractère systématique.  ». Un élève absentéiste n’est que rarement un élève violent et c’est d’abord lui-même qu’il punit lorsqu’il ne va pas en classe. Mais l’essentiel est de donner le sentiment d’agir contre l’insécurité.

Le projet semble à ce jour susciter l’adhésion majoritaire de l’opinion : 63 % des Français y sont favorables. La mesure a pour elle la force de l’évidence : les parents sont responsables de leurs enfants. Elle s’attaque à un problème réel, l’absentéisme, fortement corrélé à l’échec scolaire, qui débouche dans notre société devenue très exigeante en qualification sur une exclusion durable des jeunes concernés. Si la suspension des allocations familiales pouvait faire revenir les élèves en classe, il faudrait la soutenir.

Malheureusement, sur ce sujet comme sur d’autres, l’échec est à prédire, et d’abord parce qu’en refusant par principe de comprendre les phénomènes qu’il prétend combattre (« comprendre, c’est déjà excuser » dixit le Président), le Gouvernement se condamne à l’inefficacité. On ne peut être qu’être frappé par l’absence de toute analyse des causes de l’absentéisme chez les défenseurs de la mesure. Face à l’évidence apparente de la responsabilité parentale, il faut rappeler ici quelques vérités :

- l’absentéisme n’est pas le produit du vice individuel de certains parents, mais le révélateur des inégalités du système éducatif ;

- le problème ne peut être traité par la mise à l’écart de quelques uns, mais au contraire en rendant l’école plus inclusive et en lui donnant comme premier objectif la réussite du plus grand nombre ;

- le système de la suspension des allocations familiales n’a rien d’une idée neuve et a été abrogé en 2004, pour avoir fait la preuve de son inefficacité ;

- l’échec plus général des politiques de « responsabilisation » des familles, constaté en France comme à l’étranger, révèle que la capacité des parents à contrôler les conduites de leurs enfants mineurs ne saurait être surestimée ;

- les actions de prévention précoce auprès des parents, en amont du phénomène et en présence de facteurs de risque, démontrent la meilleure efficacité. Simples et peu coûteuses, ces actions ne sont pas inconnues en France mais à l’évidence moins spectaculaires.

La proposition de loi Ciotti apporte la plus mauvaise réponse qui soit à la question de l’absentéisme. La société française parvenait déjà assez mal à lutter contre la reproduction des inégalités sociales à l’école. Elle s’apprête aujourd’hui à infliger une double peine aux perdants du système en leur supprimant les allocations familiales.

2 – L’absentéisme, révélateur des inégalités du système éducatif français

Le taux moyen « d’absentéisme récurrent » [3] dans les établissements du secondaire est de 7 % au cours de l’année 2007 – 2008, dernière année où les statistiques sont disponibles. Il est en augmentation significative par rapport aux années précédentes, où il a été plus proche de 5 %, sans qu’on sache à ce stade s’il s’agit d’une augmentation durable ou d’un simple accident.

Cette valeur moyenne dit en réalité peu de choses. La majorité des établissements sont très peu concernés par l’absentéisme : la moitié d’entre eux ont un taux inférieur à 2 %. Ce sont les graves difficultés d’un petit nombre d’établissements qui tirent la moyenne vers le haut. L’absentéisme récurrent est supérieur à 20 % dans les 10 % des établissements les plus en difficulté, soit 10 fois la valeur médiane. Autant dire que ces établissements ne sont pas dans le même monde que l’établissement lambda. L’absentéisme est un des indicateurs qui permettent d’objectiver et de confirmer un sentiment largement répandu : une minorité d’établissements sont confrontés à des difficultés sans commune mesure avec celles de l’ensemble du système.

L’autre fait frappant révélé par les statistiques, étonnamment peu commenté dans le débat public, est que l’absentéisme est d’abord un problème de l’enseignement professionnel [4] . Le taux d’absentéisme récurrent n’est que de 3 % en collège, il est de 6 % en lycée d’enseignement général et technologique et de 15 % en lycée professionnel. La problématique de l’absentéisme ne recoupe ainsi que très partiellement celle de la violence scolaire, beaucoup plus concentrée au collège, alors que les deux problèmes sont souvent amalgamés dans le débat public.

Les causes de cet absentéisme très élevé dans l’enseignement professionnel ont été parfaitement analysées dans un rapport de novembre 2009 du Haut conseil de l’éducation [5] . L’enseignement professionnel concentre les élèves ayant connu de grandes difficultés au collège. A l’entrée en seconde professionnelle, 69 % des élèves ont au moins un an de retard et 20 % au moins deux ans. Un quart des élèves sont issus des SEGPA [6] , qui accueillent dans le cycle du collège les élèves connaissant des difficultés scolaires « graves et durables ». L’orientation dans l’enseignement professionnel est un choix par défaut, fait pour les élèves que les enseignants estiment trop faibles pour suivre une scolarité d’enseignement général ou technologique. Au sein de l’enseignement professionnel, le choix de la filière se fait en fonction de l’offre de formation sur le territoire et non d’un projet défini avec l’élève et ses parents ni des perspectives sur le marché du travail. D’autres éléments, tels que l’éloignement géographique avec le domicile souvent plus important que dans l’enseignement général et technologique, contribuent dans une moindre mesure à cet absentéisme endémique.

L’absentéisme récurrent est, de toute évidence, fortement corrélé à l’échec scolaire. Alors qu’il ne représente que 43 % des effectifs, l’enseignement professionnel génère deux tiers des sorties sans diplôme du système scolaire. Dans ce domaine, la France ne parvient plus à progresser depuis une quinzaine d’années, tandis que les conséquences sociales du phénomène sont devenues de plus en plus lourdes ; le taux de chômage des non-diplômés a triplé en 30 ans et atteint aujourd’hui 47 %. L’enquête internationale PISA, analysée par C. Baudelot et R. Establet [7] , montre que le système français, s’il obtient des performances dans la norme des pays de l’OCDE pour les résultats moyens des élèves, se distingue par une proportion élevée d’enfants au niveau très faible. Notre école se caractérise par son « fond de classe étoffé », pour reprendre les termes de ces auteurs, dont l’origine sociale est le plus souvent modeste ; l’impact du milieu d’origine sur les résultats scolaires est 2 fois plus élevé en France que dans les pays les plus performants.

3 – L’école française peut mieux faire pour susciter l’adhésion de tous ses élèves

Une idée couramment avancée est que les élèves absentéistes sont ceux qui ne sont « pas faits » pour l’enseignement général et qui finissent par décrocher. Il faudrait donc les orienter vers un enseignement qui leur soit plus adapté pour résoudre le problème. Cette politique est celle qui est pratiquée aujourd’hui en dépit des instructions officielles, qui consiste à orienter massivement les mauvais élèves du collège vers le professionnel, avec les résultats qu’on sait. Au départ, une apparence de bon sens : il y a des élèves au tempérament plus « manuel » qui seront plus motivés par un enseignement plus pratique. A l’arrivée, une orientation par défaut, la démotivation, la concentration des cas difficiles et un absentéisme très élevé. Non pas que certains élèves ne puissent bénéficier de modes moins académiques d’apprentissage et d’évaluation de leurs qualités. Mais l’orientation vers une branche de l’enseignement professionnel ne devrait pas s’appuyer sur le seul constat des difficultés, mais sur une évaluation des aptitudes et des appétences de chaque élève et sur la définition d’un projet partagé avec lui et ses parents, tenant compte des perspectives du marché du travail. Une orientation précoce, lorsqu’elle n’est pas choisie par l’élève, qu’elle est vécue comme un échec et qu’elle lui déplaît, peut être le premier facteur d’absentéisme.

Plutôt que de placer les élèves en difficulté dans des filières à part, il faut au contraire rendre l’école plus inclusive. Il faut lui donner comme premier objectif d’amener à un niveau standard le plus grand nombre possible d’élèves. L’objectif de réduction du nombre d’élèves sans diplôme a été énoncé à de multiples reprises, il est inscrit dans la loi et fait partie des engagements européens de la France. Pourtant, les réformes les plus susceptibles de le réaliser sont loin d’être toutes mises en œuvre.

Un élève absentéiste a le plus souvent une longue histoire derrière lui, faite de difficultés de compréhension, de retards accumulés et de démotivation. On ne se réveille pas absentéiste un beau matin, on le devient au terme d’un processus, lorsqu’on n’accepte plus de venir passivement à des cours qu’on a depuis longtemps cessé de suivre. L’absentéisme débute au collège et explose au lycée ; mais c’est à l’école primaire que se créent des écarts difficilement réversibles. On sait qu’à son issue, 25 % des élèves ont des « acquis fragiles » et 15 % connaissent des « difficultés sévères ou très sévères » [8] . Les élèves aux « acquis fragiles », selon le HCE, « ne sont pas encore des lecteurs assez entraînés pour assimiler le contenu de livres scolaires, ou même pour les utiliser » et ils ne maîtrisent pas les opérations de base en calcul. Ils sont « condamnés à une scolarité difficile au collège et à une poursuite d’études incertaine au-delà ». Les élèves connaissant des « difficultés sévères ou très sévères » ont un « lexique très limité, des difficultés de compréhension, des repères méthodologiques et culturels très insuffisants ». Pour eux, un « réel parcours scolaire de collège » est « impossible ». Comment s’étonner dès lors de l’absentéisme ? Ce qui devrait surprendre est qu’il soit si bas, ce qui traduit sans doute, loin du discours ambiant, la portée de l’autorité parentale et de la norme sociale de la scolarisation.

On sait que pour remédier à ces inégalités, il faudrait agir dès l’amont de l’école primaire et tout au long de celle-ci. La très forte prévalence de la scolarisation en maternelle devrait être un atout de notre pays pour lutter précocement contre les inégalités de développement cognitif et d’apprentissage de la langue. L’école primaire pourrait consacrer des ressources beaucoup plus importantes à l’appui renforcé aux élèves en difficulté.

On ne peut par ailleurs occulter la situation particulière à laquelle font face les établissements situés dans les quartiers sensibles, autrefois qualifiés de « ZEP » (zones d’éducation prioritaire) et aujourd’hui dénommés « réseaux ambition réussite ». La proportion d’enfants dont les parents sont en difficulté sociale ou qui ne maîtrisent pas ou mal la langue française y est très supérieure au reste du territoire. Les statistiques d’absentéisme publiées par le ministère de l’éducation ne distinguent pas ces établissements, mais tout laisse penser qu’ils sont, en moyenne, parmi les plus concernés. La préconisation d’un renforcement massif des moyens dans ces quartiers, par une division par deux de la taille des classes, a été formulée il y a déjà plusieurs années [9]  ; celle-ci pourrait être réalisée à moyens constants si la taille des autres classes n’était augmentée que d’une unité. C’est ce que font la Suède ou les Pays-Bas, qui ont des quartiers connaissant des difficultés semblables aux nôtres. L’assouplissement de la carte scolaire décidé il y a deux ans par le Gouvernement semble conduire au contraire à une aggravation des difficultés de ces établissements, en en faisant partir une proportion considérable de bons élèves, selon la première évaluation donnée par un syndicat de chefs d’établissement [10] .

Enfin, puisque l’absentéisme est concentré dans l’enseignement professionnel, c’est aussi dans la réforme de ce dernier qu’il faut chercher les réponses appropriées. Des mesures décidées depuis deux ans, telles que la création d’un parcours de découverte des métiers au collège, la mise en place d’un livret de compétences permettant de valoriser toutes les aptitudes de l’élève, y compris celles acquises en dehors du temps scolaire, ou encore la facilitation des changements d’orientation en cours de cursus par des systèmes de passerelle, vont dans le bon sens. Cependant, beaucoup reste encore à faire pour que l’enseignement professionnel devienne un lieu valorisant de préparation à des métiers qualifiés, y compris dans le cadre de créations d’entreprise : développement du nombre de places en apprentissage, systématisation d’une expérience directe et récente de l’entreprise chez les formateurs, meilleure articulation avec le monde économique pour la définition de l’offre de formation dans chaque territoire.

La lutte contre l’absentéisme relève d’abord de la politique de l’éducation : voilà un constat bien banal. Il faut toute la démagogie du sarkozysme pour tenter de le faire oublier et de détourner le débat sur les allocations familiales.

4 – La suspension/suppression des allocations familiales a déjà fait la preuve de son inefficacité

La proposition de loi Ciotti prévoit un dispositif de sanction des parents dont les enfants seraient absents à l’école de manière récurrente et non justifiée par la suspension des allocations familiales à l’initiative de l’inspecteur d’académie. Ainsi, il s’agit ni plus ni moins que de revenir à la logique du dispositif qui préexistait de 1966 jusqu’à une date récente… celui-ci ayant été abrogé par la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, parce que considéré alors comme inefficace et inéquitable [11] .

Le dispositif envisagé se veut toutefois plus «  gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant sanctionner [les parents] par la suspension des allocations familiales  ». Selon les termes de son promoteur, une première étape «  carton jaune  » ou de «  main tendue  » est distinguée, à savoir, la saisie de l’inspection académique par le chef d’établissement et la convocation par l’inspecteur d’académie des parents de l’élève. La seconde étape, «  plus coercitive et dissuasive  », interviendrait si dans l’année scolaire qui suit la convocation, une absence non justifiée de plus de quatre demi-journées dans un mois était à nouveau constatée : l’inspecteur d’académie pourrait alors saisir la CAF afin de suspendre les allocations familiales relatives à l’enfant (i.e. perte des seules allocations de l’enfant concerné par l’absentéisme). La troisième étape, de rétablissement ou de durcissement , consisterait soit dans le rétablissement rétroactif des allocations familiales, soit dans la suppression des allocations si le défaut d’assiduité était toujours constaté.

Pour ses défenseurs, la responsabilisation par la sanction financière la simple menace suffirait à changer l’attitude des parents. La mesure est bien conçue d’un point de vue utilitariste qui ne jurerait que par les incitations – la carotte et le bâton. Toutefois, elle est à confronter à la réalité des familles. L’absentéisme ne se présente pas dans les familles par hasard :

Il est associé à un déficit d’adhésion de l’enfant aux objectifs scolaires. Les « décrocheurs » se recrutent parmi les publics en échec scolaire et en orientation subie, qui anticipent de faible retour de leur investissement scolaire sur le marché du travail.

Si l’absentéisme n’est pas l’apanage des enfants de familles en difficulté, il est surreprésenté dans les familles dont les parents ne sont pas familiers des institutions scolaires, qu’ils ont peu ou pas fréquentés et avec lesquelles ils entretiennent un rapport de délégation, parfois de crainte ou de défiance. Ces parents sont souvent confrontés à divers facteurs de fragilité : horaires atypiques, parents isolés et sans emploi, etc [12] .

Les parents « sans autorité » sur leurs enfants sont ceux délégitimés aux yeux de leurs enfants, qui les voient comme des victimes ou qui ont une image dévaluée des attitudes parentales (vulnérabilité sociale des mères, positionnement de certains des pères, entre retrait et autoritarisme) [13] .

Les équipes pédagogiques des établissements scolaires ne sauraient enfin être exonérées. Beaucoup d’observateurs soulignent une prise de contact tardive des chefs d’établissement avec les familles, souvent limitée à l’envoi de courriers (que généralement les « décrocheurs » scolaires témoignent avoir détournés). En dépit d’efforts ici et là, le monde scolaire se montre fréquemment distant avec les parents d’élèves qui lui sont socio-culturellement les moins proches.

Alors qu’il s’agit de contrecarrer des facteurs de « défaillances » parentales que ces familles maitrisent peu ou mal, cette « aide » sous contrainte apparaît trop tardive, la diminution des ressources matérielles contraire à la capacité de « mieux » éduquer l’enfant, le recours à la sanction inadaptée. Ce type de mesure frappera notamment les chefs de famille monoparentale, plus de 9 sur 10 des femmes, restées seules sur le front de la responsabilité parentale. On peut également anticiper qu’une partie du noyau dur des familles en grande difficulté ne manquera pas – au cas où il leur serait appliqué ce dispositif – de se tourner en dernier recours vers les centres communaux d’action sociale, avec un effet de substitution et de déversement vers l’aide d’urgence extra-légale. A contrario, on ne saurait passer sous silence les 1,2 millions de famille d’un enfant et qui ne bénéficient pas des allocations familiales, versées seulement à partir de l’enfant de rang 2, et donc indifférentes à ce dispositif.

Enfin, dans les cas minoritaires mais avérés où l’éducation d’un mineur est gravement compromise du fait de son milieu familial, un tel dispositif est à la fois redondant et dérisoire au regard des dispositifs existants de tutelle aux prestations, d’interventions sociales au titre de la protection de l’enfance ou des poursuites sur le fondement de l’article 227–17 du code pénal («  fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur  »).

5 – La nécessaire implication des familles ne doit plus être pensée sous l’angle de la « responsabilisation » mais de l’implication tout au long de la scolarité

Plus généralement, les mesures de responsabilisation des parents, pour apparaître frappées au coin du bon sens, ont jusqu’ici peiné à démontrer leur valeur ajoutée. Dans le cas français, des réformes récentes avaient donné de nouvelles compétences aux élus locaux en matière de suivi des parents au vu de l’assiduité scolaire : les maires (« conseil pour les droits et des devoirs des familles » et « accompagnement parental » créés par loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance) et les présidents des conseils généraux (« contrat de responsabilité parentale » créé par la loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances). Ces dispositifs présentent un faible recours, inversement proportionnel à leur médiatisation initiale, et sont apparus comme un facteur de complexité supplémentaire dans les nombreux dispositifs d’accompagnement ou d’implication des parents.

Beaucoup a été tenté depuis une vingtaine d’années, en France comme à l’étranger (Royaume-Uni, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Belgique, Pays-Bas, etc.) en matière de responsabilisation des parents, pour lutter contre l’absentéisme, mais aussi les incivilités et la délinquance des mineurs : la contractualisation, la sanction, la mise en cause de la responsabilité civile, la mise en cause de la responsabilité pénale, les alternatives aux poursuites (stage parental), etc. Même si elles n’apparaissent pas d’emblée infondées sur le plan des principes juridiques (les parents sont les premiers responsables de l’enfant mineur), ces mesures pèchent par inefficacité et par inéquité. La responsabilisation est une stratégie réactive, qui vient trop tard dans le cycle de la relation enfant-parent et famille-école , au moment où le jeune s’émancipe de sa famille et quand le hiatus avec l’institution scolaire est avéré [14] .

Le tournant préventif des politiques d’implication des familles est un impératif. Les mesures dites de « prévention précoce » (dès le préscolaire et le primaire) et plus généralement de « soutien à la fonction parentale » et de « médiation scolaire », si elles suivent une méthodologie minimale, s’avèrent efficaces, simples à mettre en œuvre et peu coûteuses. Si ces actions de proximité favorisent l’assiduité scolaire, c’est qu’elles visent une meilleure adhésion à l’ordre scolaire, une communication et une collaboration entre les familles et les professionnels (de la petite enfance, de l’éducation et de la jeunesse), un développement des capacités parentales de suivi de la scolarité, une adaptation des modes d’imposition de la discipline dans la sphère familiale, une meilleure socialisation avec les pairs. Elles s’adaptent à la diversité des publics auxquels elles s’adressent (familles populaires, familles monoparentales, familles migrantes, familles de quartiers « difficiles », confrontés à une concentration spatiale des difficultés socioéconomiques susceptibles de décourager les investissements scolaires selon un « effet de comparaison sociale », etc.).

La médiatisation récente du dispositif de la « mallette des parents » a offert un éclairage bienvenu sur cette stratégie. Au cours de l’année scolaire 2008–2009, 37 collèges de l’Académie de Créteil ont expérimenté la « mallette des parents », un projet conçu pour consolider le lien entre le collège et les parents d’élèves volontaires. L’objectif de cette expérimentation était d’accroître la participation des parents d’élèves de 6ème à la scolarité de leurs enfants en évaluant les effets de la mise en place de trois réunions-débats réunissant des parents d’élèves et les professionnels, axées sur l’aide que les parents peuvent apporter aux enfants, les relations avec le collège et la compréhension de son fonctionnement. Tel qu’il a été déployé, ce dispositif s’est avéré relativement peu coûteux, entre 1000 et 1500 euros par collège [15] .

En la matière, la « mallette » ne saurait être l’arbre qui cache la forêt des actions dans le domaine de parentalité. Les réseaux d’écoute, d’aide et d’accompagnement des parents (REAAP), initiés depuis 1999, sont financés sur des crédits de l’Etat, des collectivités locales et du Fond national d’action sociale des CAF : ils ont pour but de soutenir et coordonner les différentes initiatives, professionnelles et bénévoles, qui visent à renforcer les parents dans leur rôle d’éducateur de l’enfant (groupes de parents, groupes de parole, lieux d’accueil enfants-parents, etc.). Ils visent également à encourager les responsables des lieux et structures fréquentés par les parents à accueillir de nouvelles initiatives (au sein des crèches, des établissements scolaires, des centres sociaux et de loisirs, etc.). Les dispositifs de réussite éducative (inscrits dans les programmes 15 et 16 du Plan de cohésion sociale du 30 juin 2004) visent, dans le cadre de la politique de la ville, à mieux coordonner les interventions auprès des enfants fragiles scolairement, notamment par un travail auprès des parents. Enfin, on peut souligner le travail des Universités Populaires de Parents, une initiative associative soutenue par des crédits européens. Depuis 2005, les UPP font travailler collectivement des parents, dans un but d’«  empowerment  » et avec le soutien d’universitaires, sur les questions du décrochage scolaire, de la transmission des valeurs aux enfants et de la cohérence éducative. Ces travaux ont été le support de débats locaux entre parents, élus et professionnels et ont générés des projets locaux de coopération [16] .

L’ensemble de ces dispositifs travaille à bas bruit, pour un public encore restreint, mais pas sans résultats. Plutôt que de responsabiliser à grand fracas, une politique d’investissement social fait le pari d’une plus grande autonomie des personnes. Mais cette responsabilité des familles et des jeunes des milieux sociaux les moins favorisés ne saurait toutefois se construire sans moyens : elle suppose un service public de l’éducation renforcé, et peut-être à plus long terme, un véritable service public du soutien à la parentalité qui ne saurait se résumer à des dispositifs ponctuels et accusatoires.

  1. Alain Marceau et Marcelle Cerdan sont les pseudonymes de spécialistes des politiques sociales

  2. Discours prononcé le 20 avril lors de la prise de fonction de Christian Lambert comme préfet de Seine-Saint-Denis.

  3. C’est-à-dire la proportion d’élèves ayant enregistré au moins quatre demi-journées d’absence non justifiées au cours d’un mois.

  4. Rappelons que l’enseignement professionnel accueille plus de 1,1 millions de jeunes, soit 43 % des élèves du second cycle de l’enseignement secondaire. Il débute en seconde et peut être dispensé sous statut scolaire, dans les lycées professionnels, ou dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Il prépare aux diplômes du CAP, du BEP et du baccalauréat professionnel.

  5. Bilan des résultats de l’école – 2009 – L’enseignement professionnel , Haut conseil de l’éducation.

  6. Sections d’enseignement général et professionnel adapté.

  7. C. Baudelot et R. Establet, L’élitisme républicain, La République des idées, 2009.

  8. Bilan des résultats de l’école – 2007 – L’école primaire, Haut conseil de l’éducation.

  9. T. Piketty, « L’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises : une estimation à partir du panel primaire 1997 », 2004.

  10. Evaluation réalisée par syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN), sur la base d’une enquête auprès de 2600 établissements, rendue publique en mai 2010.

  11. Notamment au regard des conclusions de la commission sur « les manquements à l’obligation scolaire » piloté entre 2002 et 2003 par Luc Marchard (conseiller référendaire à la Cour des comptes, alors délégué interministériel à la famille).

  12. Pour un éclairage approfondi des logiques à l’œuvre, Mathias Millet et Daniel Thin, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale , Paris, PUF, 2005.

  13. Marwan Mohammed, La formation des bandes de jeunes. Entre la famille, l’école et la rue , PUF, 2010.

  14. Colloque « La responsabilisation des parents, une réponse à la délinquance des mineurs ? Perspectives internationales », janvier 2008, Centre d’analyse stratégique, Délégation interministérielle à la Ville, GIP Droit et Justice.

  15. Projet sélectionnés dans le cadre des appels à projets « Pour de nouvelles expérimentations sociales », initiés en 2007 par le Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et financé par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse. L’évaluation après un an par l’Ecole d’Economie de Paris conclut de la comparaison des bénéficiaires et des classes témoin que les parents sont plus impliqués et moins souvent convoquées par l’administration. L’amélioration du comportement des enfants est sensible (moins d’absentéisme, moins d’exclusions temporaires, moins d’avertissements en conseil de classe) même si l’effet sur les résultats scolaires est assez ténu. Pour plus de détail, voir « La mallette des parents » : quels effets attendre d’une politique d’implication des parents d’élèves dans les collèges ? , http://www.parisschoolofeconomics.eu/spip.php?article882.

  16. Pour en savoir plus, http://uppacepp.eu/.

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