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Note

Pensions alimentaires : en finir avec les impayés

900 000 personnes attendent chaque mois une pension alimentaire pour subvenir aux besoins de 1,5 million d’enfants. 35% d’entre elles sont victimes d’impayés, soit 315 000 parents et près de 500 000 enfants. Cette situation est d’autant plus inacceptable que ce sont souvent des personnes modestes, et qu’elles utilisent encore trop rarement les procédures de recouvrement qui sont à leur disposition, soit que la complexité administrative les rebute, soit qu’elles redoutent d’ouvrir un conflit avec leur ex-conjoint. Pour lutter contre ces situations, les réformes engagées sous la précédente mandature ont mis en place des outils importants. Mais il faut aller plus loin, notamment pour mieux garantir le versement effectif des pensions alimentaires et épargner aux créanciers les démarches pour obtenir leur dû. Comment en finir avec les impayés ? C’est ce que Terra Nova a voulu développer dans cette note.
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Introduction

La réforme des pensions alimentaires engagée sous la précédente mandature par Najat Vallaud-Belkacem, poursuivie par Laurence Rossignol et mise en œuvre par la branche Famille de la Sécurité sociale a été une grande réforme. Mais elle est, hélas, passée un peu inaperçue [1] . Si la Cnaf n’en a pas produit de bilan récent, les quelques résultats connus sont cependant très encourageants au regard des objectifs qui étaient poursuivis :

33 500 familles (et plus de 60 000 enfants) bénéficiaient en juin 2018 de l’allocation de soutien familial (ASF) complémentaire et donc d’une pension alimentaire minimale fixée au 1 er avril 2018 à 115,30 €, contre 22 000 € en 2017 et 12 000 € en 2016 ;

la création de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) a permis de faire passer le taux de recouvrement des pensions non versées de 56 % en 2016 (44 % en 2015) à 63 % en 2018, même si, bien sûr, il devra être encore amélioré ;

depuis le 1 er juillet 2018, les CAF ont la possibilité de valider un accord amiable sur la pension alimentaire à l’issue d’une médiation, dès lors que le montant respecte un barème minimum de façon à éviter tout risque de fixation de pensions alimentaires trop faibles ;

97 CAF (sur 101) proposent aujourd’hui des sessions « Être parents après la séparation », qui permettent de préparer les membres du couple qui se séparent à continuer à exercer la coparentalité dans le nouveau contexte.

Pour autant cette réforme n’est pas totalement achevée, sur au moins trois points :

la loi de programmation 2018–2022 et de réforme pour la justice met en place une expérimentation pour permettre aux CAF de procéder à la révision des pensions alimentaires sur la base d’un barème, sauf dans les situations complexes ;

une expérimentation est en cours pour évaluer l’intérêt de rendre obligatoire la médiation préalable à la séparation (c’est la tentative de médiation familiale préalable obligatoire – TMFPO – inscrite dans la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXI e siècle) ;

malgré les efforts de la Cnaf et du ministère des Affaires étrangères pour en améliorer l’efficacité, le recouvrement des pensions à l’étranger reste un problème mal résolu.

Par ailleurs, le mouvement des « gilets jaunes » et le Grand Débat qui a suivi ont illustré les difficultés auxquelles ont à faire face les « familles monoparentales » (dans l’immense majorité des cas, des femmes seules avec enfants). Cette situation est, dans la France d’aujourd’hui, l’un des principaux facteurs de pauvreté (voir encadré ci-dessous).

Monoparentalité et pauvreté En 1975, un peu moins d’une famille sur dix était une famille monoparentale comptant au moins un enfant de moins de 25 ans (9,4 % exactement). Cette situation résultait alors souvent du décès d’un des deux parents. Près de quarante ans plus tard, en 2014, cette proportion voisine avec une famille sur quatre (23 %), soit près de 2,5 millions de familles, selon les données du recensement de l’Insee. Conséquence de cette mutation, 3,4 millions d’enfants mineurs sont élevés par un seul de leurs deux parents, soit près d’un mineur sur quatre, 2,5 millions l’étant au sein d’une famille monoparentale et 1,4 million, dans le cadre d’une famille recomposée.Cette croissance spectaculaire de la monoparentalité est liée à l’augmentation rapide des ruptures conjugales. La garde des enfants étant le plus souvent confiée à la mère, les femmes sont plus souvent concernées que les hommes par cette situation : dans plus de 80 % des cas, les familles monoparentales sont en effet composées d’une mère élevant seule son ou ses enfant(s). Selon l’Ined, entre un quart et un tiers des femmes connaissent désormais au moins une fois dans leur vie une situation de monoparentalité [2] . En 2011, on dénombrait ainsi 1,34 million de mères seules avec enfants contre 6,2 millions de mères vivant en couple. Ces foyers sont particulièrement exposés au risque de pauvreté. D’abord parce que la séparation s’accompagne d’une baisse notable du niveau de vie (- 20 % en moyenne), ce qui en fait une des premières causes de pauvreté. Ensuite parce que le taux de chômage des mères seules avec enfants dépasse les 20 % contre 11 % pour les mères vivant en couple (les difficultés d’accès à l’emploi et de mobilité professionnelle étant accrues par les charges familiales et les problèmes de garde d’enfants en particulier). Enfin, parce que le niveau de formation de ces mères est sensiblement plus bas que celui des mères en couple : en 2011, 28 % des mères seules avec enfants sont sans diplôme contre 19 % des mères en couple, et 28 % d’entre elles ont fait des études supérieures contre 40 % pour les mères en couple.Du coup, le taux de pauvreté après redistribution (mesuré à moins de 50 % du revenu médian) atteint 20 % dans les familles monoparentales, un niveau très supérieur à la moyenne nationale (14 % environ) et incomparable avec le taux de pauvreté des mères vivant en couple (entre 6 % et 7 %). Les conséquences de cette situation sont très concrètes : une famille monoparentale sur cinq vit dans un logement dont la taille est inférieure aux normes de peuplement en vigueur. Beaucoup connaissent des restrictions alimentaires ou de chauffage, des renoncements aux soins, des retards de paiements…Dans ces conditions, la question de la pension alimentaire versée par le parent qui n’a pas la garde des enfants revêt une importance souvent cruciale. Elle représente en moyenne 18 % des revenus du créancier d’aliment , c’est-à-dire celui des deux parents qui a la garde des enfants et à qui le parent débiteur doit verser la pension. Le montant moyen de la pension est de 170 euros par mois et le montant médian de 150 euros ; il est à noter que 20 % des pensions sont inférieures à 100 euros, soit moins de 1 200 euros par an…Même si les connaissances statistiques sont encore très incomplètes sur ce sujet, on considère que les parents créanciers seraient au nombre de 900 000 aujourd’hui [3] . 55 % d’entre eux sont isolés et 45 % de nouveau en couple. En effet, la monoparentalité est souvent une situation transitoire. L’ancienneté moyenne dans cette situation se situe entre cinq et six ans en 2011, soit environ un tiers de la vie d’un enfant avant sa majorité ; 20 % s’y trouvent depuis moins d’un an et 17% depuis plus de dix ans (les mères seules peu ou pas diplômées sont celles qui ont en moyenne la plus grande ancienneté dans la monoparentalité). Selon l’hypothèse retenue par l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), 35 % des parents créanciers d’aliments seraient victimes de non-paiement partiel ou total de la pension alimentaire, soit 315 000 personnes environ. Et dans 43 % des cas, la cause du non-paiement résiderait dans un défaut de ressources du débiteur. Les impayés de pension alimentaire sont donc un problème endémique qui accroît souvent des situations économiques particulièrement critiques et précaires : il occasionne des variations négatives du revenu équivalent à un cinquième des ressources, et parfois davantage chez les mères les plus pauvres. Avec des conséquences nombreuses sur l’éducation des enfants qui sont à leur charge.

L’amélioration du dispositif de paiement des pensions alimentaires, qui était l’un des objectifs de la réforme engagée sous la précédente mandature, peut être un moyen puissant et ciblé de réduire les difficultés des familles monoparentales, comme l’a d’ailleurs annoncé le président de la République le 28 février dernier. De ce point de vue, la réforme pourrait être renforcée et complétée sur trois aspects.

1. Rendre automatique le recours À l’Agence

Le principal objectif de la réforme était d’assurer un meilleur recouvrement des pensions alimentaires non payées. C’est pourquoi elle a conduit à la création, au sein de la branche Famille, de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Malgré les progrès réalisés, la principale limite de la réforme de 2016 résulte du fait qu’une très grande partie des bénéficiaires potentiels ne recourent pas à l’Aripa pour le recouvrement des pensions alimentaires non versées : le nombre de procédures en cours concerne 37 000 familles, soit probablement nettement moins de 20 % des pensions alimentaires non versées. Aux causes habituelles de non-recours au droit (manque d’information, mauvaise connaissance du dispositif, complexité administrative, notamment s’ajoutent des difficultés particulières liées à la situation de séparation : la créancière (qui peut être aussi un créancier, mais qui est dans 93 % des cas une femme) hésite bien souvent à mettre en cause l’ex-conjoint débiteur (qui peut être une débitrice, mais beaucoup moins souvent) et à s’engager ainsi dans un conflit avec l’autre parent. Ce genre de démarche est psychologiquement d’autant plus difficile à assumer par la créancière que celle-ci peut craindre de polluer indirectement les relations entre l’enfant et l’autre parent.

Une solution existe cependant : que la pension soit automatiquement payée à l’Agence, qui la reverse immédiatement au parent créancier. En cas de retard ou de défaut de paiement, l’Agence verserait sans tarder l’intégralité de la pension minimale [4] et se retournerait immédiatement vers le créancier pour récupérer la part qui lui incombe, c’est-à-dire 115,30 € moins l’ASF différentielle. De cette façon, le parent créancier n’aurait plus à se poser la question d’un recours contre le parent débiteur : l’Agence, et à travers elle la puissance publique, jouerait automatiquement le rôle de tiers et assurerait la continuité des versements au parent créancier en portant le risque d’impayés. Ce mécanisme ne concernerait toutefois que les pensions alimentaires inférieures ou égales au minimum (115,30 € aujourd’hui), c’est-à-dire les créanciers les plus modestes et les plus exposés au risque de pauvreté.

Il suffit, pour organiser un tel circuit de paiement, que le montant de la pension soit notifié à l’Agence dès qu’il est fixé, par accord issu de médiation ou par le juge, accompagné des coordonnées bancaires des deux parents. Évidemment, cela mettrait fin aux arrangements informels qui peuvent exister entre les parents, mais il s’agit, après tout, de préserver les intérêts de l’enfant, avant d’envisager ceux des parents [5] . Au passage, un tel dispositif rendrait totalement transparent le paiement des pensions alimentaires, qui pourraient être intégrées automatiquement dans le système déclaratif, pour les impôts comme pour le calcul des prestations, ce qui serait à la fois source de simplification pour les usagers et d’amélioration du contrôle pour les caisses comme pour l’administration fiscale (aujourd’hui, le montant des pensions déclarées versées par les débiteurs est sans commune mesure avec le montant déclaré reçu par les créanciers).

Cette solution avait été envisagée mais clairement exclue lors des travaux préparatoires à la création de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires [6] , sauf en cas de débiteur violent (de façon à éviter toute relation directe entre les ex-conjoints) et, bien sûr, en cas de mise en place de la procédure de recouvrement, puisque c’est alors l’Agence qui recouvre auprès du débiteur et reverse la pension à la créancière, après avoir récupéré le montant de l’allocation minimale qui a été versée entre-temps – ce qui montre que c’est techniquement faisable.

Le motif de ce refus était que « l’intermédiation [risquait] d’engendrer une perte de liens entre les parents, alors que le développement de la coparentalité, qui fait aujourd’hui l’objet de la part des pouvoirs publics d’efforts importants, est prôné par le juge et la branche famille [7]  ». Mais, en fait, le raisonnement peut s’inverser car le sujet n’est ni seulement ni même prioritairement celui de la relation entre les deux parents, mais celui de la relation qu’entretient chacun d’eux avec son ou ses enfant(s). Et rien ne justifie que la relation financière entre les deux parents vienne polluer leur relation avec l’enfant et encore moins les intérêts matériels de ce dernier. De ce point de vue, le passage systématique par l’Agence permettrait aussi de rappeler à chacun des deux parents que la pension alimentaire est là pour couvrir une partie des coûts de l’enfant et lui assurer les meilleures conditions d’existence possibles. Cela suppose en revanche que l’effort pour développer la coparentalité soit amplifié (cf. infra point 3).

La communication du montant de la pension à l’Agence permettrait aussi à la CAF d’attribuer automatiquement le complément (ASF complémentaire) de façon à atteindre le minimum quand elle est inférieure à celui-ci (cf. infra 2.) et donc de garantir un accès automatique à ce droit.

L’autre argument opposé à ce dispositif portait sur le risque financier assumé par les finances publiques en cas de non-paiement et de non-recouvrement. En 2016, le taux d’impayés était estimé par les inspections générales à 35 % : ainsi, plus de 315 000 créanciers sur un total d’environ 900 000 ne recevraient pas (ou alors irrégulièrement et/ou partiellement) les sommes qui leur sont dues par les débiteurs. En réalité, ce chiffre est une estimation fragile. Selon les études disponibles, il se situerait dans une fourchette entre 20 % et 40 %.

Dans le système proposé ici, ce risque ne porte toutefois que sur le montant couvert par la pension minimale et pas sur la part des pensions dues supérieure à ce montant. Surtout, l’expérience du Québec, qui a mis en place un système très voisin depuis 1995, montre que ce risque est considérablement diminué avec l’institution d’un tiers automatique, qui intervient dès les premiers retards de paiement, sans forcément mettre en œuvre tout de suite une procédure de recouvrement forcé : dans cette province canadienne, 80 % des créanciers touchent aujourd’hui leur pension en temps voulu et en entier, et surtout le taux de perception des pensions auprès des débiteurs est supérieur à 95 % (96,9 % en 2017–2018). Cela s’explique facilement : le paiement à un tiers a un effet dissuasif sur les « mauvais payeurs » et évite l’accumulation d’arriérés importants, toujours plus difficiles à recouvrer.

En s’appuyant sur l’exemple québécois, on devrait atteindre, à terme, une baisse drastique du taux d’impayés avec comme objectif de le ramener à 5 %. Sur cette base, on peut estimer [8] le risque financier résiduel de non-recouvrement pour les finances publiques [9] à un montant inférieur à 60 M€ par an [10] , donc très inférieur au risque résiduel identifié par la Cour des comptes sur l’ensemble des prestations versées par les CAF [11] (sans compter la diminution du risque sur ces autres prestations grâce à l’amélioration du contrôle).

Le modèle québécois L’agence Revenu Québec, chargée de la perception des impôts et taxes dans cette province canadienne, administre depuis 1995 le Programme de perception des pensions alimentaires, parfois aussi nommé Programme de perception automatique des pensions alimentaires et connu sous l’acronyme PAPA. Sur l’année 2017–2018, il a géré les dossiers de 274 000 créanciers et débiteurs et versé 488,6 millions de dollars canadiens aux créanciers de pensions alimentaires. Le système s’est avéré, d’après les sources, très efficace : « Un des objectifs poursuivis consistait à augmenter le taux de perception des pensions alimentaires, ce qui a été atteint. Il n’y avait en effet que 45 % des pensions qui étaient payées sur une base volontaire avant l’entrée en vigueur du régime, un taux qui a été augmenté à 74 % dès la première année [12] . » Le taux de perception des pensions alimentaires auprès des débiteurs atteint même aujourd’hui 96 %, selon le rapport annuel de gestion de l’agence Revenu Québec devant l’Assemblée nationale québécoise pour l’année 2017–2018 [13] . Et 78 % des créanciers ont reçu, de leur côté, leur pension alimentaire courante à temps et en entier.L’administration en charge du dispositif fait preuve d’une grande efficacité. Le délai de vingt jours accordé pour effectuer une première intervention de recouvrement à la suite d’un refus de payer de la part d’un débiteur est tenu dans 99,9 % des cas (pour un peu plus de 5 900 interventions dans l’année). Et ce, alors que moins de 6 % des effectifs de Revenu Québec sont affectés à la gestion des « Biens non réclamés et pensions alimentaires », soit 618 équivalent temps plein dans une province de 8,4 millions d’habitants.La loi québécoise organise le dispositif de la façon suivante. Le principe général est que le débiteur alimentaire doit verser la pension au « ministre du Revenu » au bénéfice du créancier alimentaire. Le tribunal peut toutefois exempter un débiteur de l’obligation si les parties en font conjointement la demande. Il peut également, à la même condition, suspendre temporairement l’obligation et permettre le paiement de la pension directement au créancier alimentaire. Dès le prononcé d’un jugement qui accorde une pension alimentaire, le greffier du tribunal notifie au ministre la date d’exigibilité et le montant de la pension, le montant des arrérages de pension, s’il y en a, l’indice d’indexation de la pension prévu au jugement, le cas échéant, ainsi qu’une copie du jugement.La pension alimentaire est perçue au moyen d’une retenue directe sur les sources de revenu de la personne concernée, d’un ordre de paiement ou des deux à la fois. Lorsque le ministre perçoit la pension alimentaire au moyen d’une retenue, celle-ci s’effectue sur les montants et dans l’ordre suivant : 1) les traitements, salaires ou autres rémunérations ; 2) les honoraires ou les avances sur une rémunération, sur des honoraires ou sur des profits ; 3) les prestations accordées en vertu d’une loi au titre d’un régime de retraite ou d’un régime d’indemnisation ; 4) les autres montants prévus par règlement. Le débiteur est censé déposer une caution (la « sûreté »), équivalente à un mois de pension alimentaire auprès de Revenu Québec, que celui-ci pourra utiliser en cas de non-paiement. Le débiteur doit par ailleurs acquitter le montant de la pension dans les dix jours de la réception d’une demande de paiement de l’Agence. Pour recouvrer un montant dû, l’Agence peut exercer tout recours ou se porter partie à toute procédure visant à favoriser l’exécution de l’obligation alimentaire. Elle peut aussi, lorsqu’un versement de pension n’a pas été payé à l’échéance, inscrire au nom du créancier une hypothèque légale sur un bien du débiteur. Revenu Québec verse deux fois par mois au créancier alimentaire le montant de la pension et des arrérages qu’il perçoit. Il peut par ailleurs verser au créancier des sommes à titre de pension alimentaire pendant au plus trois mois, jusqu’à concurrence de 1 000 $ canadiens. Ces sommes sont versées au nom du débiteur et sont recouvrables de celui-ci. Au sein de l’agence Revenu Québec, le dispositif est adossé à un fonds des pensions alimentaires, au crédit duquel sont portés : 1) les sommes perçues par le ministre en vertu de la présente loi ; 2) les sommes versées au ministre à titre de sûretés ; 3) les sommes perçues lors de la réalisation des sûretés ; 5) les avances virées par le ministre des Finances en application de la Loi sur l’administration financière ; 6) les sommes virées par un ministère ou un organisme budgétaire sur les crédits alloués à cette fin par le Parlement ; 7) les intérêts produits par les sommes visées ci-dessus aux points 1) à 3).

2. L’augmentation de la pension alimentaire minimale

L’un des objectifs de la réforme engagée sous la précédente législature était de faire en sorte a) que tout parent qui a la garde de l’enfant bénéficie, pour celui-ci, d’une pension alimentaire, b) que tout parent qui n’en a pas la garde paie une pension alimentaire en fonction de ses ressources et c) que, quand les ressources du parent débiteur sont faibles, la collectivité, c’est-à-dire la Sécurité sociale, vienne compléter ce montant à hauteur d’un minimum (fixé au moment de la réforme à 104,75 €, et à 115,3 € aujourd’hui).

Auparavant, l’allocation de soutien familial (ASF), d’un montant bien inférieur (la moitié environ), n’était payée que s’il n’y avait pas de pension alimentaire, ce qui conduisait nombre de juges à fixer un montant de pension à 0, pour éviter que la pension versée ne soit inférieure à cette ASF, non recouvrable dans ce cas. Les effets de ce phénomène restent massifs puisqu’en 2018 plus de 500 000 enfants bénéficiaient encore de l’ASF à taux plein [14] (non recouvrable) faute que l’un de ses parents paie une pension alimentaire.

Le nouveau dispositif est une façon dynamique, et pour tout dire moderne, de combiner responsabilité et solidarité [15] , la solidarité ne remettant pas en cause le fait que chacun reste responsable à hauteur de ses moyens. La part portée par la solidarité pourrait cependant être accrue pour augmenter le montant de la pension alimentaire minimale au niveau des montants médian (150 €) ou moyen (170 €) actuels, voire pour quasiment le doubler (200 €). Dans cette dernière hypothèse, on augmenterait le revenu des familles monoparentales modestes d’une centaine d’euros par enfant, mesure plus ciblée encore que l’augmentation de la prime d’activité et qui constitue un moyen efficace de lutter contre la pauvreté des enfants concernés.

Les chiffres importants de recours à cette pension minimale (comme on l’a vu, 33 500 familles ont pu bénéficier en 2018 de cette allocation de soutien familial différentielle) ne doivent pas cacher le fait que le taux de recours à ce droit nouveau reste limité, probablement à peine supérieur à 10 % [16]  : on est donc très loin de l’attribution automatique d’un droit. Le circuit de paiement proposé ci-dessus (cf. supra 1.) devrait permettre d’atteindre un taux proche de 100 %.

Si le recours était rendu automatique et le montant de la pension minimale portée à 170 €, le coût direct pour les finances publiques pourrait être estimé à une somme inférieure à 170 M€ [17] , diminuée de l’impact éventuel sur le montant des autres prestations [18] (RSA, prime d’activité aujourd’hui, revenu universel d’activité demain). Mais on ne peut limiter l’augmentation aux seules ASF complémentaires et recouvrables, et elle profiterait aussi aux quelque 1,2 million d’enfants qui bénéficient de l’ASF non recouvrable, notamment les quelque 500 000 enfants pour lesquels le parent qui n’a pas la garde ne paie pas de pension. Le coût en serait alors beaucoup plus important (de l’ordre de 1 Md€).

Mais la mise en place de l’Agence et du paiement direct de la pension, associée à la fixation d’un barème minimum, devrait aussi conduire à ce que tout parent qui n’a pas la garde de son enfant contribue réellement, à hauteur de ses moyens, aux charges d’éducation, et donc de réduire progressivement le nombre d’enfants qui ne bénéficient pas d’une pension alimentaire directe payée par le parent qui n’en a pas la garde.

Enfin, ce montant minimal, qui est aussi celui de l’ASF à taux plein, pourrait, comme les allocations familiales, être modulé en fonction des revenus, pour éviter de verser une ASF à des familles qui n’en ont pas besoin, voire être intégré dans une allocation sociale unique, comme pourraient l’être les allocations familiales.

Ces deux éléments devraient permettre de réduire progressivement la charge pour les finances publiques de l’augmentation de la pension alimentaire minimale. Aussi, cette augmentation pourrait être faite en trois étapes, en fonction des marges de manœuvre dégagées : dans un premier temps un alignement sur le montant de l’allocation familiale (donc un peu supérieure à 130 €), puis au montant médian (150 €), enfin au montant moyen (170 €). Le coût direct (i.e. sans compter la diminution sur d’autres segments) de la première étape pour les finances publiques peut être estimé à un montant de l’ordre de 250 M€ [19] .

3. Rendre obligatoires la mÉdiation et la participation aux sessions de coparentalitÉ

Le droit de se séparer ne doit pas conduire, de la part des parents, à l’abandon ou à la perte de leurs responsabilités parentales ; ni à l’abandon de ses responsabilités par celui qui n’a pas la garde des enfants, ni non plus à la mise à l’écart d’un des deux parents par celui, ou le plus souvent celle, qui en a la garde : si le non-paiement des pensions alimentaires par trop de pères est un scandale silencieux, la mise à l’écart du père par certaines mères l’est tout autant. Il s’agit, plus généralement de poursuivre la politique de déjudiciarisation des séparations, dans toutes les situations où le recours au juge n’est pas nécessaire et de soutien à la parentalité et d’équilibre des responsabilités entre les parents.

Les travaux conduits par l’ancien HCF [20] ont montré à quel point la médiation était plébiscitée comme mode non violent de résolution des conflits en cas de séparation, même si l’impossibilité, à l’époque, de donner force de loi à un accord amiable – donc l’obligation de passer devant le juge – conduisait à ce qu’elle aboutisse trop rarement à la conclusion d’un tel accord. Cette question est désormais réglée, et c’est la raison pour laquelle il serait urgent que l’expérimentation d’une médiation obligatoire qui a été mise en place puisse être rapidement généralisée, et ce malgré certaines résistances.

Dans ce cadre, les sessions de préparation à la coparentalité (en reprenant cette expression québécoise plus claire que la longue circonlocution « Être parents après la séparation [21]  » qui a été retenue en France) pourraient également être rendue systématique, de façon à ce que l’intérêt de l’enfant l’emporte, au sein de l’ancien couple, sur l’intérêt perçu par chacun des deux parents.

  1. Voir « De la Gipa à l’Aripa, itinéraire d’un nouveau droit social » Daniel Lenoir, avril 2017 ( http://www.daniel-lenoir.fr/de-la-gipa-a-laripa-itineraire-dun-nouveau-droit-social/ ) ainsi que «  L’agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires  », Julien Orlandini, Dossier AJ famille , juin 2017.

  2. Voir Élisabeth Algalva, « Les familles monoparentales : des caractéristiques liées à leur histoire matrimoniale », Cahiers de l’Ined , n° 156, 2005.

  3. Rapport de l’IGF, de l’Igas et de l’IGSJ, « Création d’une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires », septembre 2016, http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2016–071R.pdf

  4. Ce dispositif ne fonctionnerait que pour la pension minimale. Il serait en effet difficile de justifier que la solidarité nationale soit engagée à des niveaux supérieurs, et qui peuvent être relativement élevés (et ce qui reviendrait à mettre en place une assurance publique contre le risque de non-paiement).

  5. On peut aussi prévoir, comme au Québec, la possibilité pour les parents qui, d’un commun accord, le souhaitent, d’un paiement direct de la pension par le parent créancier au parent débiteur, à condition évidemment de s’assurer que cette option est bien exercée librement par les deux parents.

  6. IGF, Igas, IGSJ, « Création d’une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires », op. cit.,

  7. Ibid.

  8. Le suivi statistique des pensions alimentaires est particulièrement déficient, d’où les approximations sur nombre d’évaluations. Ce n’est pas le moindre mérite de la solution proposée ici que de garantir aussi une meilleure connaissance de la réalité. Les estimations financières présentées ici ont été faites sur la base d’hypothèses de répartition du montant des pensions majorant le coût pour les finances publiques.

  9. Il faut noter que la solution proposée ici ne constitue pas, comme au Québec, un dispositif de garantie de paiement de la pension alimentaire, en d’autres termes, d’assurance. En effet, dans cette proposition, la garantie ne porte que sur la pension minimale et est assurée par la Sécurité sociale sous la forme d’un circuit de paiement : le dispositif n’est pas, de ce fait, retracé dans un fonds, mais, comptablement, traité comme un compte de tiers, sur lequel on apprécie le risque de mauvais paiement ou de non-recouvrement de sommes dues, comme le fait chaque année la Cour des comptes dans le cadre de son exercice de certification des comptes, en estimant un « risque financier résiduel » au bout de deux ans.

  10. Si l’on considère que le montant à recouvrer est de 115 €, diminué d’une allocation complémentaire moyenne de 40 €, soit 75 € en moyenne, pour un tiers environ des pensions qui seraient inférieures à ce montant (compte tenu d’un montant médian de 150 €), on peut estimer le montant non recouvré à 5 % d’une somme totale de 1,1 Md€ environ (au maximum), soit 55 M€. On peut penser, au vu de l’expérience québécoise, que cet objectif ne serait pas atteint tout de suite, mais au bout de quelques années. Si l’on part d’un taux de 20 % d’impayés, le risque résiduel pour la branche Famille peut être évalué, avec les mêmes hypothèses, à 220 M€ maximum à la mise en place du dispositif. Une étape à 10 %, qui pourrait être atteinte très rapidement, ramènerait ce risque à moins de 110 M€.

  11. 2,8 Mds€ d’indus non détectés après 24 mois (https://www.ccomptes.fr/fr/publications/certification-des-comptes-2017-du-regime-general-de-securite-sociale).

  12. Marie-Renée Roy, Guy Fréchet et Frédéric Savard, « Le Québec à l’avant-garde de la lutte contre la pauvreté au Canada », Policy options , septembre 2008, p. 60.

  13. Revenu Québec, Rapport annuel de gestion 2017–2018, https://www.revenuquebec.ca/documents/fr/publications/adm/ADM-500%282018–12%29.pdf

  14. Il faut préciser que l’ASF, qui a remplacé en 1984 (loi Roudy) l’allocation d’orphelin créée en 1970, pour l’élargir aux enfants ne bénéficiant pas d’une pension alimentaire, est également versée aux familles des enfants ayant perdu l’un de leurs parents (ou les deux), ou n’ayant pas été reconnus par l’un des deux parents : près de la moitié des ASF sont versées à un peu plus de 500 000 enfants à ce titre. Bien sûr, ces enfants pourraient également bénéficier de la revalorisation. En revanche, comme pour les allocations familiales, le montant pourraient être modulé en fonction du revenu du foyer, de façon à éviter que cette aide ne se cumule avec le quotient familial pour les familles les plus aisées, comme cela est indiqué un peu plus loin.

  15. Voir « De la Gipa à l’Aripa, itinéraire d’un nouveau droit social », déjà cité.

  16. Si, compte tenu du fait que la pension médiane est de l’ordre de 150 € – on estime le nombre de pensions alimentaires inférieures au minimum actuel de 115 € à 300 000 (chiffre retenu pour le calcul du risque résiduel) –, on peut estimer le taux de recours à 12 %.

  17. Sur la base de 600 000 familles monoparentales éligibles et d’une proportion de deux tiers des pensions inférieures à 170 €, l’impact pour l’ASF complémentaire est de 10 M€ par mois et celui sur l’ASF recouvrable, dont il faut déduire les sommes qui pourront être recouvrées au taux de recouvrement actuel (63 %), de l’ordre de 3,5 M€ par mois, soit au total 162 M€ par an.

  18. Pour que la réforme ait un impact pour les familles les plus pauvres, il est nécessaire de modifier la prise en compte de l’ASF dans la base ressources du RSA et de la prime d’activité, sinon cette amélioration du droit sera neutralisée.

  19. L’impact sur le montant de l’ASF non recouvrable n’est plus que de 200 M€ environ, celui sur l’ASF complémentaire bénéficie à environ 40 % (contre deux tiers dans le scénario précédent) et celui sur l’ASF recouvrable diminue du montant à recouvrer.

  20. « Les ruptures familiales : état des lieux et propositions », Haut conseil de la famille, avril 2014.

  21. Session qui a fait l’objet d’un MOOC accessible sur http://www.mooc-parents-separation.caf30.fr/

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