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Note

Pour une politique de santé publique de l’enfant et de l’adolescent

En matière de santé et de bien-être de l’enfant, la France ne figure plus parmi les pays les mieux classés. Les inégalités de santé persistent et s’aggravent. Les nouvelles problématiques telles que les pathologies chroniques, les allergies, l’obésité ou la santé mentale sont insuffisamment prises en compte, et révèlent les limites du système de santé actuel. Dans cette note, Jean-Marie Le Guen, député et médecin, se prononce en faveur d’une réelle politique de santé de l’enfant, intégrant l’apport des sciences médicales et sociales. Il préconise de faire évoluer les structures existantes, en intégrant une dimension santé au service public de la petite enfance, en modernisant et valorisant l’offre de soins primaires.
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Au 21 e siècle, la santé de l’enfant ne doit plus être évaluée uniquement au regard d’indicateurs de mortalité. D’autres paramètres, comme les inégalités de santé, doivent également être pris en compte.

La France ne figure plus parmi les pays développés qui présentent les meilleurs indicateurs de mortalité et de morbidité. A titre d’exemple, la mortalité infantile, qui a nettement régressé en France au cours du 20 e siècle, notamment grâce à la lutte contre les maladies infectieuses, se stabilise autour de 3,7/1000, voire tend à augmenter, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, la Suède, la Grèce ou l’Espagne, ont de meilleurs résultats.

Mais surtout, les inégalités de santé persistent et s’aggravent. Or, les inégalités sociales de santé, qui apparaissent dès le plus jeune âge, peuvent entraver considérablement la vie adulte, car l’état de santé a un impact majeur sur l’insertion sociale et la réalisation des potentiels individuels.

Par ailleurs, la santé de l’enfant dépend aussi du contexte, de nos modes de vie et de notre environnement affectif, socioéconomique, physique et écologique.

Il est donc urgent d’analyser, tout d’abord, les limites du système de santé actuel, et d’identifier les problématiques de santé émergentes. Sur cette base doit être élaborée une nouvelle politique de santé de l’enfant, qui privilégie une approche globale de la santé pour une réalisation du plein potentiel de chacun, et qui refonde le système de prévention et de soins dédié à l’enfant.

– Un système de santé complexe et qui montre ses limites

« Le niveau réel d’un pays se mesure à l’attention qu’il accorde à ses enfants, à leur santé et à leur sécurité, à leur situation matérielle, à leur éducation et à leur socialisation, ainsi qu’à leur sentiment d’être aimés, appréciés et intégrés dans les familles et les sociétés au sein desquelles ils sont nés. » [1]

1 – Des résultats mitigés et inquiétants Des inégalités de santé croissantes

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’état de santé de la population générale, et plus particulièrement celui des enfants, s’est nettement amélioré en France : le taux de mortalité maternelle est passé de 28,2 décès pour 100 000 naissances vivantes en 1970 à 9,6 en 2010 ; le taux de mortalité infantile est passé de 29 décès d’enfants de moins de 1 an pour 1000 naissances vivantes en 1960 à 3,6 en 2006–2008 [2] . Par ailleurs, l’évolution du droit et de la place des enfants dans la société a contribué à favoriser l’accès pour tous à l’éducation. Pratiquement 100% des enfants sont désormais scolarisés dès l’âge de 3 ans.

Cependant, la comparaison internationale fait apparaître le retard de la France par rapport aux pays de même niveau de développement socioéconomique [3] , notamment en matière d’inégalités. Si la France est bien classée en matière de bien-être matériel des enfants (5 e rang sur 24 pays de l’OCDE), ce n’est pas le cas pour le bien être éducationnel (23 e rang) et sanitaire (15 e rang). Autre donnée préoccupante : entre l’âge de 1 et 5 ans, les accidents de la vie courante restent une des premières causes de décès des enfants [4] .

En outre, si l’état de santé moyen de la population est relativement bon, de fortes disparités existent, que ce soit d’un département à l’autre ou entre les différentes classes sociales : l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadres et ouvriers est, par exemple, de 7 ans pour les hommes et 3 ans pour les femmes.

Ces inégalités sont encore plus criantes en ce qui concerne la santé des enfants

En effet, les populations bénéficiant de la CMU ont moins recours à une consultation pédiatrique de prévention que le reste de la population [5] . Or, c’est au cours de ces consultations que l’impact des facteurs environnementaux sur la santé de l’enfant peut être le plus facilement appréhendé.

L’étude récemment publiée par l’IRDES [6] montre l’effet dans le temps des inégalités de santé résultant des conditions de vie, inégalités repérables dès la vie in utero et qui s’aggravent au cours de l’enfance : des épisodes de précarité pendant l’enfance et des comportements à risque chez les parents (tabagisme et autres addictions, mauvaise hygiène de vie et alimentation…) sont des facteurs de risque potentiellement responsables d’un mauvais état de santé à l’âge adulte.

Le suivi prénatal, primordial pour dépister des anomalies de développement, des complications éventuelles et assurer une prise en charge adéquate, ainsi que le suivi après l’accouchement, sont inégaux selon les ressources du ménage. L’enquête périnatale 2003 menée par l’Inserm [7] montre que les conditions précaires chez les femmes enceintes affectent non seulement leur propre santé mais aussi celle de l’enfant à naître (suivi médical insuffisant pendant la grossesse, taux de prématurité et de mortalité maternelle supérieurs, état de santé global du nouveau né).

A l’âge scolaire, les conditions de vie matérielles des enfants (logement, alimentation), les problématiques d’accès aux soins et à la prévention et la faiblesse des liens sociaux influent sur le repérage et la prise en charge des troubles de la vue, des caries dentaires, et bien évidemment sur l’évolution du surpoids.

L’environnement physique joue aussi un rôle dans la survenue des inégalités de santé. Ainsi, le saturnisme touche davantage les enfants vivant dans un logement insalubre. La probabilité de survenue d’un accident domestique, première cause de mortalité entre 1 et 14 ans, est plus grande dans un logement non sécurisé.

Une prise en compte insuffisante des nouvelles problématiques de santé

Au premier rang de ces nouvelles problématiques, le développement des pathologies chroniques est particulièrement préoccupant, du fait de leur incidence et de leurs répercussions négatives sur l’état de santé physique et mental à l’âge adulte. Un grand nombre d’études montre que les réponses qui y sont apportées aujourd’hui sont insuffisantes, ce qui induit une dégradation de la santé de l’enfant.

Par exemple, la détection et la prise en charge de l’asthme, pathologie respiratoire fréquente et potentiellement grave (en 2005, 1 enfant sur 10 scolarisé en CM2 a eu au moins une crise d’asthme au cours des 12 derniers mois [8] ), sont insuffisantes. Elles nécessitent souvent un avis spécialisé, un suivi médical régulier, un cadre d’éducation thérapeutique, et parfois des interventions sur l’environnement (lutte contre la pollution intérieure dans l’habitat), et un protocole d’accueil individualisé (PAI) dans le cadre scolaire.

Il en va de même pour les allergies, notamment les allergies alimentaires, qui sont en très nette augmentation. Elles nécessiteraient une adaptation du régime alimentaire impliquant un dépistage précoce et une information des parents, éventuellement la mise en place d’un PAI à l’école.

Malgré les programmes de sensibilisation mis en place, la prévalence de l’excès de poids (environ 16% des enfants scolarisés en CM2 [9] 10 ), qui peut se manifester dès les premières années de vie, et de l’obésité de l’enfant (environ 3,7% des enfants scolarisés en CM2), est en augmentation constante, en particulier chez les enfants issus de milieux défavorisés. Pourtant, les effets physiques et psychologiques à court et long terme en sont connus : à l’âge adulte, un antécédent d’excès de poids pendant l’enfance peut être un facteur de risque de morbidité (obésité adulte, diabète, pathologies coronariennes…) et de mortalité prématurée.

Les troubles des apprentissages, qui peuvent cacher des pathologies diverses (troubles neurocognitifs, troubles mentaux, déficiences sensorielles…), sont insuffisamment repérés, malgré les progrès réalisés dans le domaine des sciences neurocognitives et de l’imagerie médicale. Actuellement, 15% des enfants n’ont pas acquis une lecture fonctionnelle et une écriture lisible en fin de primaire [10] . L’illettrisme, potentiellement à l’origine d’un profond handicap social, touche encore plus de 10% de la population [11] . Des enfants confrontés à une problématique médicale et non pas pédagogique ne sont ainsi pas pris en charge par le système de santé, alors même que le système éducatif demeure très démuni face à ce genre de situations.

La santé mentale ne bénéficie pas d’une attention suffisante. Depuis le début du 21 e siècle, l’OMS alerte sur l’augmentation de la prévalence des troubles mentaux et des comorbidités qui leur sont associées, notamment chez l’enfant. La morbidité imputable aux troubles mentaux pourrait ainsi passer de 10% en 1990 à 15% en 2020, et les troubles mentaux pourraient devenir l’une des principales causes de maladie chez l’enfant. Constat alarmant : le suicide est la deuxième cause de décès chez les adolescents. Les passages à l’acte demeurent exceptionnels chez les moins de 15 ans (entre 30 et 100 chaque année), mais leur nombre pourrait être largement sous-estimé.

L’instrumentalisation sécuritaire de ces troubles du comportement de l’enfant, et leur assimilation à une montée de la violence et de la délinquance par le gouvernement actuel entraînent des confusions inquiétantes dans la population. En réaction, la méfiance engendrée par cette politique de stigmatisation chez certains professionnels vis-à-vis de l’étude et de l’analyse des troubles du comportement est certes justifiée, mais parfois excessive. Car cette méfiance ne favorise pas le recueil des données objectives nécessaires, si bien que la recherche épidémiologique en santé mentale de l’enfant demeure insuffisamment développée. Or, des recherches adaptées en la matière permettraient de mesurer les besoins réels et d’évaluer l’offre de soins en conséquence.

Il existe donc un fort risque de laisser grandir des enfants en souffrance, ce qui peut parfois entraîner des troubles du comportement précoces, qui peuvent à leur tour déboucher sur des comportements violents à l’âge adulte.

La maltraitance et la négligence demeurent des phénomènes relativement fréquents : leur taux de prévalence est estimé à environ 10% dans les pays à niveau de vie élevé [12] [13] . La violence pendant l’enfance est ainsi un véritable fléau, qui nécessite une approche multidisciplinaire dans son traitement comme dans sa prévention. A ce titre, la violence en milieu scolaire appelle également une approche préventive avant toute forme de répression.

2 – Un service laissé à l’abandon De la conquête des droits de l’enfant…

Le droit des enfants a été un des piliers fondateurs des politiques sociales en France, y compris en matière de santé. On peut en effet considérer la loi de 1841, qui interdit le travail des enfants de moins de 8 ans dans les usines, et fixe pour ceux âgés de 12 à 16 ans une durée maximale de travail de 12 heures par jour, comme un des actes fondateurs des interventions sociales de l’Etat en France. Par la suite, la notion de droit de l’enfant s’est construite, tout au long de la III e République, à travers le droit à la survie, le droit à la protection dans les conditions de travail, le droit à l’éducation (scolarisation obligatoire – loi de 1882) et le droit à la protection contre les mauvais traitements (loi de 1898).

En matière de santé, la loi Roussel de 1874 relative à la protection des enfants de 1er âge a imposé la surveillance par l’autorité publique des enfants placés en nourrice, dans une perspective de protection de leur vie et de leur santé, et a instauré un suivi annuel des statistiques de la mortalité de ces enfants.

En 1902 paraît la première loi de santé publique, dont les principales dispositions (règlement sanitaire, mesures d’hygiène et de désinfection d’habitation, surveillance médicale de pathologies, vaccination antivariolique, conseil supérieur de l’hygiène publique) sont en partie reprises dans le code de santé publique.

Les conditions de vie de l’enfant sont progressivement améliorées par la lutte contre la mortalité infantile, l’amélioration des conditions d’alimentation (promotion de l’allaitement maternel, début de la notion de conservation, pasteurisation du lait) et des conditions de garde des enfants. En effet, un nombre considérable d’enfants décédaient auparavant au cours de leur transfert ou de leur séjour chez les nourrices. La France a ainsi longtemps été un des pays les plus en pointe dans l’amélioration de la santé maternelle et infantile grâce à ses politiques familiales et sociales.

Le système actuel repose sur les ordonnances de 1945, qui créent un système public de santé préventif destiné à tous les enfants avec le service de Protection Maternelle et Infantile (PMI) et le service de médecine scolaire.

Combinant les approches sanitaires et sociales, la PMI assure gratuitement un suivi global du développement de l’enfant durant les six premières années de vie. Selon le code de santé publique, 20 examens médicaux sont obligatoires entre 0 et 6 ans. Ils sont pris en charge à 100% par l’Assurance maladie.

Ces examens ont pour objectif de surveiller la croissance staturo-pondérale et le développement psychomoteur de l’enfant et d’effectuer les vaccinations obligatoires et recommandées. Ils sont également l’occasion d’informer les parents sur les besoins de leur enfant en matière d’alimentation et de sommeil. Aux âges clés de la croissance sont instaurés des dépistages plus ciblés des troubles visuels et auditifs, des troubles du langage oral et des troubles mentaux.

Pendant les années 1970, la PMI est marquée par des évolutions sociétales importantes et par un intérêt pour la périnatalité : suivi et certificats médicaux, loi de 1970 qui rend obligatoire la délivrance de certificats de santé de l’enfant au cours de trois examens médicaux (à 8 jours (CS8), au 9 e mois (CS9) et au 24 e mois (CS24)), prise en charge à 100% des frais médicaux de la femme enceinte à partir du 6 e mois, premiers plans périnatalité visant à sécuriser la grossesse et l’accouchement. Les plans périnatalité qui se sont succédé depuis 1970 (1970–1976, 1995–2000, 2005–2007) ont permis une surveillance plus adéquate de la grossesse, une prise en charge optimale des grossesses à risque avec une sécurisation de la naissance (regroupement des moyens, plateaux techniques performants…) et le dépistage de facteurs de risque de handicap.

Entre 1982 et 1989, la compétence de la protection maternelle et infantile a progressivement été transférée au conseil général. Dans la même logique, la loi du 5 mars 2007 fait du président du conseil général le responsable de la protection de l’enfance et renforce les mesures destinées à maintenir l’enfant dans le cadre familial (plutôt que de le placer en famille ou en institution).

Grâce à ce contexte favorable, la France a pu considérablement réduire la mortalité autour de la grossesse et de la naissance, en luttant notamment contre les carences nutritionnelles et les pathologies infectieuses.

La santé scolaire a, quant à elle, pour mission d’assurer une visite médicale obligatoire au cours de la 6 e année de chaque enfant ainsi que des examens médicaux périodiques. Elle est devenue le « Service de promotion de la santé en faveur des élèves » en 1991 et reste sous la tutelle du ministère de l’Education nationale, après avoir été un temps sous le contrôle du ministère de la Santé. Ses missions actuelles sont de dépister des déficiences ou des pathologies et de favoriser l’accès aux soins, l’aide à l’intégration des enfants souffrant de maladies chroniques ou porteurs de handicaps (renforcée par la loi de février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées), la prise en charge des situations de maltraitance ou à risque, et la mise en place d’actions d’éducation et de promotion de la santé associant parents et professionnels.

Parallèlement, le système général de soins, y compris la médecine libérale et la médecine hospitalière, assure des activités de prévention et de dépistage. En ambulatoire, les médecins généralistes contribuent à la prise en charge primaire des enfants, notamment pour le traitement des pathologies aiguës, mais aussi pour leur suivi global. Les pédiatres assurent le suivi et la prise en charge spécialisée des enfants. En milieu hospitalier coexistent les services de pédiatrie générale, les urgences pédiatriques, et des services spécialisés, médicaux ou chirurgicaux, voire surspécialisés dans certains domaines et maladies rares. Plus largement, des professionnels variés sont concernés par la santé et le bien-être des enfants (puéricultrices, psychologues, orthophonistes, kinésithérapeutes…).

…A un recul de la prise en charge de la santé de l’enfant

La décentralisation, qui aurait dû permettre la mise en place d’une politique de proximité en direction des familles dans les domaines sanitaire et social, favorisant ainsi la coordination des services, aboutit en réalité à de fortes inégalités entre les départements, en fonction de leurs choix politiques et de leurs ressources .

On observe ainsi une quasi-disparition du service de PMI dans certains départements ou une action minimale en direction des publics les plus modestes. N’ayant plus les moyens d’assurer ses missions, le service de Protection Maternelle et Infantile est aujourd’hui peu attractif pour les professionnels et peu valorisé au regard de la population. Selon les statistiques de la DRESS en 2005, on y comptait 1810 équivalents temps plein (ETP) de médecins, titulaires ou vacataires, avec de fortes disparités interdépartementales en matière salariale, 710 ETP de sages-femmes et 3735 ETP de puéricultrices. Des effectifs à mettre en rapport avec les 800 000 naissances par an que compte la France.

On constate la même dégradation dans le domaine de la santé scolaire : bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’une décentralisation systématique, le service de santé scolaire n’a pas les moyens de jouer de façon satisfaisante son rôle de suivi médical préventif universel, qui a depuis les années 1970 été progressivement assumé par la médecine libérale. Avec un nombre de médecins titulaires dangereusement bas (environ 1 médecin pour 7 500 à 12 000 élèves), on estime que seuls 2 640 000 élèves par an sont vus par les médecins scolaires, sur un total d’environ 12,5 millions d’élèves. La situation des infirmières scolaires, très présentes dans les lycées, est tout aussi dramatique.

Le rôle et les moyens de la médecine scolaire auraient dû être renforcés par la loi du 5 mars 2007, qui prévoyait la mise en place de bilans obligatoires supplémentaires à 9, 12 et 15 ans, pour le repérage des situations à risque de maltraitance et d’enfants en danger. C’est loin d’être le cas, puisque les décrets d’application de cette loi n’ont jamais été pris et les financements jamais mis à disposition.

Ainsi, les services de PMI et de santé scolaire, censés s’adresser à l’origine à l’ensemble de la population, ont progressivement été conduits, faute de moyens adéquats, à cibler leurs actions en direction des populations les plus vulnérables , en contradiction avec la volonté initiale de mener des actions non stigmatisantes et universelles.

En parallèle, on assiste à un affaiblissement de la pédiatrie générale, en particulier de la santé publique en pédiatrie . Au sein des universités comme dans le cadre des politiques publiques, l’essentiel des moyens est dirigé vers la pédiatrie hyperspécialisée et les maladies rares (génétiques, oncologiques…). Ce désinvestissement de la pédiatrie générale ne peut manquer d’avoir un impact préoccupant sur l’offre de soins disponible et la prise en charge des enfants.

Alors que la France est un des pays d’Europe qui connaît le plus fort taux de natalité (environ 12,8 pour 1000 habitants [14] ), elle fait partie de ceux qui comptent le moins de pédiatres. Seul 1 enfant sur 5 est suivi par un pédiatre en France, et le nombre de pédiatres formés chaque année ne permettra pas de combler la pénurie actuelle de pédiatres libéraux ou hospitaliers dans certaines régions, ni de remplacer ceux qui vont partir à la retraite dans les années à venir. L’implication des médecins généralistes dans le suivi des enfants permet de pallier partiellement le manque de spécialistes, mais ne peut compenser totalement la plus-value des pédiatres, qui ont une formation théorique et clinique beaucoup plus complète.

Aux problèmes de démographie médicale s’ajoute la problématique de la diversité des pathologies (bénignes, chroniques, aiguës, spécialisées) et des modes de prise en charge, alors que les liens entre les différents professionnels sont trop faibles. Cette désorganisation relative de notre système se manifeste de manière nette au moment des épidémies hivernales (bronchiolite, gastroentérite, grippe…), où l’offre de soins en ville s’avère clairement inadaptée et rapidement dépassée, ce qui provoque une saturation parfois dramatique des urgences hospitalières, également touchées par le manque de moyens humains.

Même les surspécialités en pédiatrie ne sont pas épargnées : les délais d’attente pour une consultation peuvent dépasser trois mois à l’hôpital, le secteur libéral n’étant pas accessible à tous en raison des dépassements d’honoraires.

Les rapports dressant ainsi un état des lieux alarmant se multiplient : le rapport du professeur Sommelet, dont la conclusion montre qu’une réforme du système actuel de santé de l’enfant est nécessaire ; un rapport de l’IGAS [15] qui suggère une réflexion sur l’organisation et l’efficience du système actuel, notamment pour les services de santé primaire, face à l’augmentation de la précarisation et à l’évolution des besoins.

Le principal constat qui se dégage de l’ensemble de ces réflexions est l’absence d’une politique globale ciblée sur les besoins collectifs en prévention, en éducation et en soins de l’enfant et de l’adolescent, mais aussi d’une politique qui prendrait en compte la personnalité, l’histoire, l’environnement familial et social de l’enfant. Les données épidémiologiques et la recherche qui permettraient de construire des programmes cohérents et adaptés aux besoins des populations sont actuellement insuffisantes en qualité ou en quantité, voire inexistantes dans certains domaines. Livrés à eux-mêmes suite au désinvestissement de l’Etat du domaine de la santé de l’enfant, parents et professionnels sont également démunis.

Il est donc urgent de renouer avec l’ambition originelle qui fit du droit et de la santé de l’enfant un des moteurs des politiques sociales et sanitaires de notre pays, et de mener à bien une réforme ambitieuse du système de santé dédié à l’enfant pour redonner aux services de PMI et de santé scolaire, à l’hôpital et à la médecine de ville les moyens de prendre en charge la santé de tous les enfants de façon efficace et juste.

Pour une réelle politique de santé de l’enfant

1 – Développer une approche globale de la santé

L’engagement pour la santé de tous, avec équité et éthique, doit être la priorité de la prochaine décennie. La perception de la santé en France doit évoluer. Elle ne doit plus être définie uniquement au regard de la pathologie, mais bien comme un état global de bien-être, qu’il faut constituer, développer, promouvoir et préserver. Il faut désormais promouvoir l’égalité des chances, par la santé, dès le début de la vie.

Renforcer et améliorer la prévention

Dans son rapport de 1997 intitulé Stratégie pour une politique de santé , le Haut Comité de la Santé Publique définit l’enfance et l’adolescence comme « les périodes du développement physique et mental, de l’acquisition d’un capital culturel et scolaire plus ou moins important, de l’intégration de la vie sociale plus ou moins réussie… un moment d’identification personnelle et sociale… celui où s’achève de se constituer son capital de santé ».

La préservation du capital santé de chaque enfant passe par un effort soutenu en matière de prévention. Il faut, tout d’abord, connaître et agir sur les facteurs, dont l’alimentation, susceptibles d’avoir un impact, positif ou négatif, sur l’état de santé de l’enfant, et créer ainsi un environnement favorable à son développement dans ses principaux milieux de vie.

L’élaboration de programmes de prévention précoce et d’une stratégie de dépistage à long terme est nécessaire, notamment en matière de santé mentale et de prévention de la violence scolaire, mais aussi de développement des aptitudes fondamentales de l’enfant, de la construction de l’estime de soi, et de l’apprentissage du « vivre ensemble » [16] .

Il faut également instaurer un suivi médical régulier pendant l’enfance, tout au long de la croissance, pour repérer et dépister les pathologies nécessitant une prise en charge spécifique, les troubles du développement staturo-pondéral et cognitif, la souffrance psychologique et les situations à risque de maltraitance ou de maltraitance avérée.

En parallèle, il faut mener un effort d’information des parents sur les besoins de santé globale de leur enfant, en se basant sur la définition de la santé de l’OMS [17] , afin d’assurer une complémentarité entre les milieux familial et scolaire.

Enfin, compte tenu des progrès qu’elle pourrait permettre, une réflexion sur la place de la médecine prédictive devrait être engagée.

Identifier et développer des parcours de soins clairs pour les familles

Le système de santé en pédiatrie doit veiller à placer l’enfant au centre de son organisation. L’empilement des programmes de santé et des structures de soins n’aboutit qu’à un morcellement de la santé de l’enfant qui a besoin, tout au contraire, d’être envisagée dans la transversalité et la continuité.

La constitution du dossier médical personnalisé spécifique de l’enfant permettrait ainsi de renforcer et développer les réseaux santé en pédiatrie et de favoriser la continuité du soin, la sécurisation de la prise en charge et la coordination des acteurs des domaines sanitaires et sociaux.

Réorienter la dépense sociale vers le renforcement du capital santé

La lutte contre les inégalités sociales de santé passe par la réorientation de la dépense sociale vers le renforcement du potentiel santé, c’est-à-dire l’amélioration de l’accès aux soins et une meilleure prise en compte de l’environnement et des déterminants de santé d’ordre psychoaffectif, socioéconomique et écologique. Le développement des compétences sociales [18] doit devenir un axe fort des politiques publiques destinées à l’enfant puisque, comme l’OMS l’a rappelé en 1999, elles ont un rôle particulièrement important à jouer dans la promotion de la santé. Ce développement du potentiel santé de chaque enfant passe nécessairement par un renforcement de la médecine préventive en milieu scolaire.

En outre, les inégalités de santé chez l’enfant pourraient être fortement réduites par la création d’une couverture complémentaire universelle gratuite pour chaque enfant.

Cette dernière mesure garantirait un égal accès à la médecine générale et spécialisée, y compris pour les soins optiques et dentaires, quel que soit le niveau de revenus et de couverture des parents. Dans un premier temps, la priorité pourrait être donnée à l’accès gratuit aux soins ainsi qu’au suivi préventif pour les 2 millions d’enfants pauvres que compte la France.

Porter une attention particulière aux périodes de vulnérabilité

Une attention particulière doit être portée aux périodes de vulnérabilité [19] que peuvent traverser les parents – et donc les enfants – dans leur parcours socioprofessionnel et personnel : facteurs psychoaffectifs, conditions socioéconomiques, statut civil, immigration, handicaps et pathologies chroniques…. Bien que les données épidémiologiques soient insuffisantes, il apparaît que, pendant ces périodes, les populations en difficulté ont tendance à s’isoler et ont besoin d’un accompagnement personnalisé pour une réinsertion dans un parcours de soins identifié le plus précocement possible.

Il faut de façon prioritaire soutenir la parentalité et amener le système de soins vers les personnes en situation de vulnérabilité.

Afin de pouvoir suivre les enfants et les familles en situation de vulnérabilité, ou qui en présentent les signes avant-coureurs, il est nécessaire de construire des instruments permettant de les identifier et de former les médecins au repérage et à la prise en charge des cas de maltraitance physique et psychique. A ce titre, un certain nombre d’expériences en matière de prévention précoce (par exemple prévention de la dépression maternelle postnatale et visites à domicile) devraient être valorisées.

2 – Refonder le système de prévention et de soins dédié à l’enfantIntégrer une dimension santé au service public de la petite enfance

La France dispose d’un service public de la petite enfance essentiellement tourné vers l’accueil et les modes de garde du jeune enfant, qui facilite pour les femmes la poursuite de leur activité professionnelle sans renoncer à la maternité. L’accueil collectif du jeune enfant représente également un atout majeur dans la socialisation précoce, bénéfique pour son adaptation ultérieure à la collectivité et pour le développement de ses compétences sociales.

Cependant, ce service reste insuffisant pour accueillir l’ensemble des enfants qui en ont besoin et n’a pas une dimension santé suffisante. En effet, les établissements d’accueil des jeunes enfants constitueraient un lieu idéal pour promouvoir la santé et lutter ainsi contre les inégalités sociales de santé, tout comme le serait le milieu scolaire. Cette approche du jeune enfant et de sa santé n’impliquerait pas une réforme du service de la petite enfance. Elle viendrait insérer une politique de santé dans ce cadre préexistant.

Pour cela, il est impératif d’augmenter les capacités d’accueil des jeunes enfants en collectivité et d’y faciliter la socialisation précoce, en sollicitant quand cela est nécessaire les professionnels qualifiés (éducateurs, travailleurs sociaux, psychologues …).

En complément, informer et éduquer les parents et les professionnels sur la santé des jeunes enfants permettrait de constituer une porte d’entrée efficace dans le système de soins.

Moderniser et valoriser l’offre de soins primaires

« Le concept de « soins primaires » ( primary care ) est porteur d’une ambition de justice sociale visant à garantir l’accès de tous à des soins de base. Cette dénomination est également mobilisée pour désigner l’organisation des systèmes de soins extra-hospitaliers. » [20]

PMI et médecine scolaire sont censées assurer la prévention, la promotion de la santé et l’éducation à la santé pour tous. En réalité, en l’absence de pilotage national, en fonction des choix politiques, de la territorialisation des politiques de santé et en raison de l’évolution des pratiques médicales et des besoins, ce système ne peut assurer l’ensemble de ses missions et ne répond pas de manière optimale aux besoins actuels. Parallèlement, l’offre de soins primaires en milieu libéral se raréfie. Les professionnels ne cessent d’alerter les pouvoirs publics sur cette problématique (une pétition de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire, « Toujours plus d’enfants, toujours moins de pédiatres… », vient d’être remise au gouvernement).

Dans la perspective d’une évolution défavorable de la démographie médicale et de pratiques de plus en plus spécialisées en milieu hospitalier, le système de soins primaires devient le premier recours pour le suivi préventif et la prise en charge de la santé globale des enfants. De même, avec l’évolution de la médecine de ville, fortement sollicitée pour la prise en charge des pathologies aiguës de l’enfant mais aussi des pathologies nécessitant un avis et un suivi spécialisés à plus ou moins long terme, il est impératif de revaloriser la place et les missions du service public dédié à l’enfant afin de lutter contre les disparités territoriales et d’assurer au service public les moyens de réaliser ses missions.

C’est pourquoi il paraît essentiel d’étendre le suivi de l’enfant par la PMI jusqu’à 12 ans et de coordonner le suivi PMI avec celui de la santé scolaire , en valorisant leur pluridisciplinarité, notamment dans leurs actions de soutien à la parentalité.

Dans cette optique, des transferts de compétences entre professionnels de santé (médecins, puéricultrices, infirmières) pourraient être envisagés, afin notamment de dégager du temps médical et de valoriser l’action de chaque professionnel. L’interdiction de prescription des médecins de PMI et de médecine scolaire mérite d’être réévaluée.

Améliorer la formation et la recherche

Il est impératif de relancer la réflexion universitaire en santé publique pédiatrique autour du concept de santé globale de l’enfant dans son environnement, par exemple par la création de chaires de santé publique en pédiatrie dans les facultés de médecine, et le développement de la recherche en épidémiologie pédiatrique et psychiatrique.

Ce dispositif pourrait être complété par le renforcement de la formation initiale des enseignants et des professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux, ainsi que par des mesures destinées à rendre plus attractive la pédiatrie ambulatoire et le mode d’exercice des pédiatres.

CONCLUSION

Les enfants et les adolescents représentent environ un quart de la population française. La préservation de leur capital santé et la réalisation de leurs potentialités doivent redevenir des priorités car elles conditionnent la situation sanitaire et sociale de demain.

Pour y parvenir, il est urgent de modifier notre perception de l’enfant, de son bien-être, de sa santé et de son évolution, et de refonder aussi bien le système de prévention que le système de soins dédiés à l’enfant.

  1. Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, Florence, « La pauvreté des enfants en perspective : vue d’ensemble du bien-être des enfants dans les pays riches », Bilan Innocenti 7, 2007.

  2. Sources INSEE, OCDE.

  3. Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, Florence. « Les enfants laissés pour compte : Tableau de classement des inégalités de bien-être entre les enfants des pays riches », Bilan Innocenti 9, 2010.

  4. Source Cépidc.

  5. DRESS, « La prise en charge des enfants en médecine générale : une typologie des consultations et visites », août 2007.

  6. IRDES, « Les modes de vie : un canal de transmission des inégalités de santé ? », mai 2010.

  7. Unité de Recherches Epidémiologiques en Santé Périnatale et Santé des femmes, Inserm – U. 149, Enquête périnatale 2003.

  8. DRESS, « La santé des enfants scolarisés en CM2 en 2004–2005 », avril 2008.

  9. C. Billard, « Santé des enfants et des adolescents, Rencontre-débat autour des expertises collectives Inserm », 2009.

  10. Haut conseil de l’éducation, rapport 2007.

  11. Tursz A, Les oubliés, Enfants maltraités en France et par la France , 2010, éditions du Seuil.

  12. Gilbert R, Widom CS, Browne K, Fergusson D, Webb E, Janson S. “Child Maltreatment 1. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries ” Lancet , 2009; vol.373 : 68–81.

  13. INSEE 2010.

  14. Rapport IGAS, « La prévention sanitaire en direction des enfants et des adolescents », février 2003.

  15. Observatoire International de la Violence à l’Ecole pour l’Unicef France, Enquête de victimisation et climat scolaire auprès d’élèves du cycle 3 des écoles élémentaires, 2011.

  16. « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. », OMS, 1946.

  17. Progrès en pédiatrie 17, Club international de pédiatrie sociale, « Pédiatrie sociale ou l’enfant dans son environnement », 2004.

  18. « La prise en charge de la santé de l’enfant et de l’adolescent doit tenir compte des facteurs de vulnérabilité liés à l’évolution de l’environnement socio-familial, du mode de vie et de l’irruption des nouvelles techniques d’information et de communication, dont le revers de la médaille est l’exposition à des risques de violence physique et morale ». (Rapport Pr. Sommelet)

  19. IRDES, Questions d’économie de la Santé n°141, « Trois modèles types d’organisation des soins primaires en Europe, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande », avril 2009.

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