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Note

Quotient familial : une réforme au secours des classes populaires

François Hollande a proposé de moduler le quotient familial pour davantage d’équité entre les familles françaises. Nicolas Sarkozy quant à lui a qualifié cette initiative de « folie » et ne souhaite pas toucher à la politique familiale à la française. Dans cette note publiée sur Débats2012.fr, le site de Terra Nova dédié à la présidentielle, Olivier Ferrand et le pôle Affaires sociales de Terra Nova nous montrent que la mesure proposée par le candidat socialiste est un redéploiement et non une réduction, encore moins une destruction de la politique familiale.

Publié le 

Quotient familial :une réforme au secours des classes populaires

En juillet 2011, Terra Nova a publié sa contribution n°10 au projet 2012 : « Politique familiale : d’une stratégie de réparation à une stratégie d’investissement social » . En raison de la polémique organisée par l’UMP, Terra Nova juge utile de rappeler son constat sur le caractère inégalitaire du quotient familial – exception française qui bénéficie aux seules familles imposables et offre un avantage par enfant bien plus que proportionnel au revenu – et ses propositions.

1 – Le quotient familial est un dispositif fiscal injuste : il ne bénéficie pas aux classes populaires

Le quotient familial représente une dépense de l’ordre de 13 Md€ par an. Il n’est pas illégitime de s’assurer que cet argent est bien dépensé et qu’il répond à des impératifs de justice fiscale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Le quotient familial est un dispositif fiscal qui fournit une réduction des taux d’imposition en fonction du nombre d’enfants. Il ne concerne donc que les seules familles imposables et offre un avantage par enfant plus que proportionnel au revenu. Conséquence : il ne bénéficie véritablement qu’à une minorité des Français, ainsi que l’a analysé le Conseil des prélèvements obligatoires en 2011 : les 10 % de foyers les plus riches concentrent 42 % de cet avantage fiscal et les 50 % les moins riches ne bénéficient que de 10 %.

Ainsi, dans sa configuration actuelle, il bénéficie de façon disproportionnée aux familles aisées, l’avantage augmentant en fonction des revenus. A l’inverse, les classes populaires n’en bénéficient pratiquement pas. Par exemple, pour une famille avec 4 enfants dont les 2 parents sont au SMIC, le quotient familial rapporte 672 euros par an ; pour la même famille ayant un revenu de 75000 euros, il rapporte 13 806 euros.

Effets du quotient familial

Deux parents gagnant 13000€ (SMIC)

Deux parents gagnant 25000€ (1,9 SMIC)

Deux parents gagnant 50000€ (3,80 SMIC)

Deux parents gagnant 75000€ ou plus (5,7 SMIC)

Avantage par enfant en plus en € et en % du revenu du ménage

Jusqu’au deuxième enfant

279€ (1,1%)

659€ (1,3%)

2301€ (2,3%)

2301€ (1,5%)

Troisième enfant

80€ (0,4%)

1159€ (2,3%)

4107€ (4,1%)

4602€ (3,1%)

Quatrième enfant

36€ (0,1%)

328€ (0,7%)

1320€ (2,6%)

4602€ (3,1%)

Avantage total pour une famille de 4 enfants, en € et en % du revenu du ménage

672€ (2,6%)

2806€ (5,6%)

10029€ (10%)

13806€ (9,2%)

Source : Module de simulation de l’impôt sur le revenu en ligne www.impots.gouv.fr

Note de lecture : pour un ménage dont les deux parents gagnent 50 000€, l’impôt sur le revenu est réduit de 4602€ s’ils ont deux enfants, soit 2301€ par enfant, soit 2,3% du revenu imposable du ménage.

2 – Le quotient familial n’est pas le « socle de la politique familiale »

C’est ce qu’affirme l’UMP et c’est faux. La France consacre aujourd’hui environ 5 % du PIB à la politique familiale, soit environ 100 Md€ en tenant compte des prestations familiales, de la fiscalité, des aides au logement, des minima sociaux, de l’aide sociale, des services aux familles et des droits familiaux de retraite. Le quotient familial représente donc à peine plus de 10 % des dépenses totales.

La politique familiale s’appuie donc sur d’autres outils que le quotient familial dont l’effet en faveur de l’ensemble des familles est réel – même si des ajustements sont souhaitables :

des prestations attribuées sans conditions de ressources pour plus de 20 Md€ : allocations familiales versées à toutes les familles à compter du 2 e enfant (12 Md€) ; complément mode de garde (5 Md€) pour les enfants de moins de 6 ans ; complément de libre choix d’activité versé aux parents arrêtant ou réduisant leur activité pour s’occuper de leur enfant de moins de 3 ans (2 Md€), etc. ;

des prestations sous conditions de ressources pour 17 Md€ : allocation de naissance et allocation de base de la PAJE (prestation d’accueil du jeune enfant), versées aux familles ayant un enfant de moins de trois ans (5 Md€) ; allocations logement (8 Md€), allocation de rentrée scolaire (1,5 Md€), complément familial réservé aux familles de trois enfants et plus (1,5 Md€).

La politique familiale est au service d’objectifs multiples : des objectifs « traditionnels » – soutenir la natalité, compenser le coût de l’enfant, lutter contre la pauvreté – et des préoccupations apparues plus récemment – permettre l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, promouvoir le développement de l’enfant.

Le quotient familial ne constitue donc qu’une partie du soutien financier aux familles, à la fois en montant, et parce qu’il ne concerne qu’une partie limitée d’entre elles. Les excellents résultats de la France en matière de natalité s’expliquent avant tout par une politique familiale ancienne, alliant prestations universelles et prestations sous conditions de ressources, aides monétaires et offre de services (accès à la santé, à l’éducation et accueil des jeunes enfants). A contrario, plusieurs grands pays qui n’ont pas de quotient familial (Etats-Unis, Irlande) ont des taux de natalité similaires à celui de la France. Le quotient familial est donc loin d’être l’alpha et l’omega de la politique familiale et sa réforme est nécessaire.

3 – Les propositions de Terra Nova en matière de politique familiale

Globalement, la politique familiale française présente deux défauts.

Le premier est bien connu : si la politique familiale opère une vraie redistribution « horizontale » (des couples sans enfants vers les familles nombreuses), elle est porteuse d’effets inégalitaires importants en termes « verticaux » (des familles modestes vers les familles aisées). Ceci est dû au fait qu’il y a peu de prestations sous conditions de ressources (17 Md€ sur 100 Md€) et, surtout, que la politique familiale passe pour l’essentiel par des dispositifs fiscaux. C’est le cas, typiquement, du quotient familial. Au total, pour la politique familiale française, l’enfant d’une famille riche « vaut » plus que l’enfant d’une famille modeste. La France pratique discrètement un eugénisme soft .

Le second est moins connu, et a été pointé par le rapport de Terra Nova : la politique familiale repose sur une logique de réparation. L’enfant est considéré comme un coût qu’il faut rembourser aux parents. Le cas le plus symptomatique concerne les majorations de pensions de retraite au profit des parents qui ont eu à charge des familles nombreuses. Ces majorations sont très importantes : 14 milliards d’euros par an. Elles sont d’ailleurs très inégalitaires : il s’agit d’un supplément de 10 % sur la pension de base (plus la pension est élevée, plus l’avantage est important), qui plus est défiscalisé. Elles relèvent à l’extrême de la logique de réparation : la collectivité rembourse aux parents le cout de l’éducation des enfants, vingt ans après, au moment de la retraite. Pourquoi ne pas investir ces sommes au profit des enfants, au moment de l’éducation des enfants ? Car tel est bien la faiblesse de la politique française : en dépit de dépenses très importantes, l’investissement dans le développement de l’enfant est défaillant. Par exemple, les deux tiers des jeunes enfants ne trouvent pas de solutions de garde en France.

Le rapport de Terra Nova propose, à enveloppe constante pour la politique familiale, de corriger ces deux défauts. Il propose un changement majeur : passer d’une logique de réparation, dominée par un soutien financier aux familles pour compenser le coût de l’enfant, à une stratégie d’investissement social, centrée sur des prestations de services au profit de l’enfant et de son développement. Cette stratégie se veut égalitaire, pour mettre fin à l’injustice actuelle, où tous les enfants n’ont pas la même valeur pour la République.

Les propositions du rapport s’organisent ainsi autour de trois axes :

− promouvoir le développement de l’enfant par la mise en place d’un service public de la petite enfance (SPPE) et par un plus grand investissement des parents (et notamment du père) via une réforme des congés parentaux ;

− accroître l’équité des transferts de la politique familiale ;

− soutenir les choix conjugaux et la parentalité.

Dans ce cadre, Terra Nova propose de réformer le quotient familial pour lui permettre d’être plus juste dans les avantages qu’il donne aux familles des classes moyennes et populaires. L’aide aux familles devrait prendre la forme d’un avantage forfaitaire par enfant aux ménages. Le rapport de Terra Nova étudie trois options : la réduction d’impôt, le crédit d’impôt ou la prestation d’un montant équivalent.

L’avantage du crédit d’impôt ou de la prestation est de permettre aux ménages non imposables de bénéficier du transfert, ce que ne permet pas une réduction d’impôt (qui ne redistribue qu’au sein des familles imposables). Contrairement à ce qui a pu être écrit, une telle réforme ne conduirait ni à rendre imposables de nombreuses familles, ni à réduire le montant des prestations sous conditions de ressources.

Cette option permet de maximiser l’équité du système. Elle permet de faire bénéficier aux classes populaires (les 50 % des Français les plus modestes) de l’avantage du quotient familial dont ils sont injustement privés. Les classes moyennes ne sont pas touchées. Les classes aisées (10 % les plus riches) y perdent mais elles ne sont en rien discriminées : elles bénéficieront également du crédit d’impôt, au même titre que le reste des Français. La réforme met simplement fin à la « discrimination positive » dont elles bénéficient aujourd’hui.

En revanche, touchant beaucoup plus de ménages, le crédit d’impôt conduit, pour un même montant global, à distribuer un montant par enfant plus faible qu’une réduction d’impôt (600€ distribué par enfant contre 1 100 € pour une réduction d’impôt – pour un même niveau de dépense fiscale).

Quelle que soit l’option retenue, dans la continuité de la politique actuelle, un avantage spécifique à partir du 3 e enfant pourrait être prévu (majoration de 30 % à 50 % de l’avantage forfaitaire par enfant).

Le rapport de Terra Nova sur la politique familiale présente différents scénarios d’évolution du quotient familial (cf. tableau en annexe) et chiffre l’effet de ces réformes et, le cas échéant, les économies que la réforme permettrait de réaliser, l’idée étant d’affecter de telles économies à l’investissement dans un service public de la petite enfance (SPPE) permettant d’investir dans l’enfant et de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Il recommande également d’individualiser l’imposition des revenus, tout en maintenant pour les couples dans lesquels un conjoint a des ressources très faibles une réduction d’impôt permettant de tenir compte de la faiblesse des revenus du ménage et de réformer les droits familiaux de retraite pour aider davantage les familles au moment où elles ont des enfants.

ANNEXE

Évaluation des scénarios d’évolution du quotient familial

Modalité

Équité et caractère redistributif

Rendement et montant distribué

Compatibilité avec une fusion IR/CSG

Scénarios privilégiés

Crédit d’impôt

Maximale

Rendement ou montant distribué réduit par l’élargissement du nombre de bénéficiaires : 600€ distribués par enfant à rendement constant

Totale

Réduction d’impôt

Avantage limité aux ménages imposables

Rendement ou montant distribué presque doublé par la restriction du nombre de bénéficiaires : 1100€ distribués par enfant à rendement constant

Totale

Scénarios écartés

Abaissement du plafond

Inégalités maintenues jusqu’au plafond

Rendement limité : 2,5 Mds € pour une division du plafond par deux

Incompatibilité

Alignement sur les unités de consommation Insee

Caractère inéquitable maintenu, limité seulement par la réduction du nombre de parts ;

Perte concentrée sur les familles nombreuses

Rendement de 3 à 5 Mds

Incompatibilité

Abattement d’assiette

Moins inéquitable que le quotient familial, mais avantage par enfant croît avec le taux marginal d’imposition des parents

Selon paramètres

Incompatibilité

Source : rapport Terra Nova « Politique familiale : d’une stratégie de réparation à une stratégie d’investissement social »

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