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Note

A Paris, la sécurité, liberté fondamentale, doit être une priorité municipale

Terra Nova a décidé d’ouvrir ses pages au débat des élections municipales de mars 2020 à Paris en publiant un texte de Gaspard Gantzer et Benjamin Djiane, président et vice-président de « Parisiennes, Parisiens » sur une nouvelle politique de sécurité à Paris. Notre volonté n’est pas ici d’exprimer une préférence partisane, mais de jeter les bases d’une discussion de fond. À ce débat documenté, nous convions toutes les parties prenantes à cette élection, y compris les experts qui souhaitent s’exprimer sur ces sujets. Nous sommes ici dans notre rôle d’animation de la vie démocratique. C’est donc avec plaisir que nous avons publié et publierons dans les semaines et les mois qui viennent toute contribution qui se donnerait l’ambition de nourrir une telle discussion, que ce soit pour répondre à un texte ou pour développer un autre point de vue. Notre seule exigence est que ces contributions dépassent le cadre d’une simple opinion ou d’une tribune.
Publié le 

La sécurité est un droit fondamental. A Paris, elle devient une obsession quotidienne pour des milliers de Parisiennes et de Parisiens, victimes et témoins impuissants d’une insécurité qui ne faiblit pas dans les transports et l’espace public, notamment dans les quartiers les plus populaires de la ville.

De récentes enquêtes d’opinion (BVA juin 2019, IFOP septembre 2019) le confirment : la sécurité s’est installée en tête des attentes des habitants de Paris. La sécurité prise dans son acception la plus large c’est-à-dire, en premier lieu, le risque terroriste, les violences physiques, les trafics, les vols, mais également les incivilités sous leurs différentes formes : occupation de l’espace public par des groupes d’individus, agressions verbales, nuisances sonores, déplacements de deux roues sur les trottoirs ou bien encore souillures sur la voie publique. En matière d’incivilités, la liste est longue des manifestations de non-respect des règles élémentaires qui rendent possible la vie en collectivité.

Comment cette question est-elle aujourd’hui traitée par les décideurs publics ? Par d’interminables décharges de responsabilité.

A Paris, hélas, le débat politique sur la sécurité aboutit toujours à une querelle de compétences entre l’Etat et la Ville de Paris, chacun se défaussant allègrement sur l’autre.

La Mairie de Paris renvoie presque systématiquement la responsabilité de ce qui ne va pas sur la préfecture de police. Elle peut s’appuyer pour cela sur une longue histoire institutionnelle qui, sur fond de méfiance du pouvoir central par rapport à une population parisienne si volontiers frondeuse et communarde, a fait de cette grande maison qu’est la préfecture de police une autorité omnipotente. Ainsi, Paris est resté, en matière de sécurité, empêtré dans un vieux schéma : jusqu’en 1977, il n’existe pas de Maire de Paris, mais un Préfet de la Seine qui a la charge d’administrer la capitale.

De son côté, chaque fois qu’elle est interpellée – ou pire mise en cause –, la préfecture de police affirme quant à elle faire le maximum avec les moyens matériels et humains dont elle dispose, et ce dans le cadre strict de ce que permet la loi.

Ces deux postures – l’une municipale, l’autre préfectorale – se font face sans se donner les moyens de répondre aux insécurités que subit une population qui ne comprend plus vraiment qui fait quoi.

A quelques mois des élections municipales, cette note a vocation à dépasser les crispations pour esquisser, avec le franc-parler nécessaire, ce que pourrait être une réponse globale en matière de sécurité et de tranquillité publique dans la première ville de France. Une réponse qui, parce que le sujet est central dans la vie de chacun, appelle le consensus le plus large possible.

État de la délinquance à Paris

Partons d’un constat : si l’attente de sécurité se fait de plus en plus pressante, c’est qu’il y a une raison. Avant d’être un sentiment, l’insécurité est une réalité.

Cette réalité, c’est d’abord celle des attentats de 2015 qui ont marqué une nouvelle époque, par leur mode opératoire inédit, mais aussi parce que ce sont nos valeurs, notre culture, notre mode de vie et, ce faisant, notre façon de vivre ensemble, qui ont été attaqués. Malgré les renforts militaires conséquents déployés dans les rues, ces évènements pèsent encore très fortement sur les appréhensions de la population. Il y a, depuis plusieurs années, une montée en puissance du «  sentiment de vulnérabilité  » (qui trouve aussi son origine dans les vagues terroristes sanglantes de la fin des années 70 et 80 et de 1995) comme l’exprime très justement Chloé Morin [1] , Directrice d’études à l’institut IPSOS. C’est un sentiment que l’attaque du 3 octobre dernier, au cœur même de la Préfecture de Police, n’a pu que renforcer.

Mais, au-delà de ces épisodes d’hyperviolence, nous assistons plus largement à une détérioration générale des indicateurs de la délinquance dans un climat de relative résignation. L’époque où l’on était suspendu aux chiffres de la délinquance semble en effet derrière nous, comme si les médias et la population s’étaient faits à l’idée qu’il n’y avait, dans ce domaine, plus aucun scoop à attendre.

Si l’on se penche sur les données statistiques, il apparaît que Paris, qui semblait globalement épargnée en matière de crimes et de délits, est devenue, en quelques années, une ville de plus en plus sujette à des infractions de tous types.

Le phénomène le plus criant est sans aucun doute la hausse continue, depuis cinq ans, des violences sexuelles, qui touchent les femmes au premier chef. 3 357 cas ont été recensés en 2018, soit une hausse de +25,31% par rapport à l’année précédente. Cette réalité s’accompagne d’un chiffre alarmant : aujourd’hui, 45% des femmes se plaignent d’être harcelées dans la rue.

Deuxième élément frappant : la hausse des atteintes aux biens. Alors qu’en 2018 le France a connu une baisse de 6% des vols par effraction, la capitale a quant à elle vu le nombre de cambriolages bondir de 16,12%. Tous les arrondissements sont concernés, avec des progressions supérieures à 40% dans les 2 e , 3 e , 4 e , 6 e et 7 e . Les chiffres obtenus pour les neufs premiers mois de l’année 2019 [2] confirment malheureusement cette tendance.

A ces deux marqueurs de l’état de la délinquance, s’ajoute l’enracinement de phénomènes lourds qui déstabilisent des quartiers entiers. Il en va ainsi des trafics de drogue dans le nord de la ville, avec la colline du crack, porte de la Chapelle, ou encore – de manière plus récente et tout aussi prégnante – dans le 15 e arrondissement, dans le quartier Balard. Au trafic de crack, s’ajoute la diffusion massive de drogues en tout genre, du cannabis – aujourd’hui totalement banalisé chez les adolescents – à la cocaïne, en passant par la Kétamine, un anesthésiant pour chevaux, la MDMA et l’Ecstasy. Ces produits – soit disant récréatifs – circulent librement dans le milieu de la nuit et sont à l’origine de nombreux décès chez les jeunes parisiens, comme l’a encore révélé dramatiquement la mort d’un jeune de 21 ans dans le 12 ème arrondissement au mois de septembre dernier.

Il existe aussi, comme l’a souligné l’étude édifiante Criminalité sur les territoires du Grand Paris , réalisée par l’ONDRP [3] , des « hotspots », ces fameux territoires qui présentent la particularité de concentrer en leur sein un type bien défini de délit ou de crimes. C’est le cas des « hotspots » des violences physiques dans le 1 er aux abords des Halles, ou dans le 8 e arrondissement. Le cas aussi des « hotspots » de vols avec violence dans les secteurs de la place de la Bataille de Stalingrad, de Barbès-Rochechouart, ou de la place de Clichy. Enfin, on pourra citer le développement de la prostitution (dont les formes évoluent avec les « salons de massage » ou l’essor du numérique) et l’augmentation spectaculaire mais aussi tragique des rixes entre bandes d’individus jeunes : plus de 230 depuis 2016 qui se sont soldées par 8 morts.

Ce que montre ce rapide tableau, c’est l’ampleur de la tâche à accomplir. Elle revient en premier lieu aux directions et services qui dépendent de la préfecture de police.

Une préfecture de police qui ne peut pas être mobilisée sur tous les fronts

La préfecture de police, exception française

Paris bénéficie, avec la préfecture de police, d’une institution forte de 40 000 agents (effectifs de Paris intra-muros et des trois départements de la petite couronne entrés depuis 2009 dans la compétence territoriale du préfet de police). Héritage de la lieutenance générale de police créée lors de l’affaire des poisons sous Louis XIV, véritablement instaurée sous sa forme actuelle par Bonaparte en 1800, la préfecture de police a été créée pour faire face à la concentration de la criminalité dans la capitale, mais aussi pour répondre aux besoins croissants en matière de maintien de l’ordre et de protection des pouvoirs publics.

Elle a été maintenue tout au long des 19 ème et 20 ème siècles, l’Etat préférant conserver le contrôle sur la police, qui est autant son bras armé à Paris qu’un symbole de son autorité. Le peuple parisien ne s’y trompa d’ailleurs pas, car, en août 1944, c’est l’occupation de la préfecture de police par les Forces françaises de l’intérieure (FFI) qui lança véritablement l’insurrection parisienne contre l’occupant allemand et ouvrit la voie à la Libération de Paris.

Si le Général de Gaulle fut à un moment tenté de la supprimer après l’affaire Ben Barka, l’existence de la préfecture de police n’a jamais été véritablement contestée, même après les vagues de décentralisation, l’Etat n’ayant probablement pas suffisamment confiance dans les élus parisiens pour leur confier la plénitude des pouvoirs de police. Les maires de Paris successifs depuis 1977 n’ont d’ailleurs jamais revendiqué ces pouvoirs, et ils n’ont obtenu que de timides transferts de compétences, même si le dernier transfert qui date d’une loi de février 2017 a été plus conséquent, notamment dans le domaine de la circulation.

La préfecture de police présente aujourd’hui deux principales particularités.

La première, c’est que le préfet de police est doté d’une autorité de police administrative générale. C’est à lui, et à lui seul (et non au maire comme dans toutes les autres communes de France), que revient la responsabilité de garantir l’ordre public, la sécurité, ainsi que le secours et la lutte contre les incendies. Cette unité dans la prise de décision est gage de réactivité et d’efficacité pour intervenir dans un espace urbain étendu et densément peuplé qui est aussi le siège des institutions de la République, des représentations diplomatiques et d’autres sites sensibles. Il est d’ailleurs hors de question de plaider ici pour une évolution dans ce domaine qui ne pourrait introduire que de la confusion, en particulier dans la gestion des situations critiques. Toutes les évolutions envisagées se feront donc à organisation administrative constante.

Seconde caractéristique : la préfecture de police est constituée de directions et services à part entière (DSPAP [4] , DOPC [5] , DRPJ [6] , BRI [7] , DRPP [8] , BSPP [9] , …) et non pas des services déconcentrés rattachés à une direction centrale. Ainsi, elle dispose de moyens opérationnels, à la fois humains, financiers et logistiques, qui lui permettent d’agir de façon autonome, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, mais sans avoir à passer sous les fourches caudines de l’état-major de la Direction générale de la police nationale.

Autorité de police générale et directions et services à part entière font que le préfet de police dispose d’une autorité hiérarchique directe sur l’ensemble des spécialités policières et de secours. C’est un atout opérationnel incontestable. A ce titre, le projet d’évolution, porté par le ministre de l’Intérieur [10] , qui viserait à faire disparaitre les unités d’intervention de la BRI et verser ses effectifs dans le RAID, l’unité d’élite de la police nationale, ne semble pas souhaitable. Elle laisse en effet craindre que le préfet de police perde son commandement direct sur une force d’intervention rapide dont le professionnalisme en matière de grand banditisme ou encore de prises d’otage n’est plus à démontrer, comme chacun a pu le constater lors des attentats de 2015, lorsque ses membres sont intervenus courageusement Porte de Vincennes et au Bataclan.

L’abandon de la police du quotidien

La préfecture de police est une institution remarquable avec des personnels dévoués, qui doit faire face à un ensemble très large de missions. Si les manifestations récentes du mouvement dit des « Gilets jaunes » ont pu conduire à s’interroger légitimement sur son efficacité, il faut reconnaître que, dans l’ensemble, elle parvient à assurer son rôle en matière de protection des pouvoirs publics, de maintien de l’ordre et de circulation. Il n’en demeure pas moins qu’elle présente – et le chiffres de la délinquance exposés précédemment en sont une démonstration – une grande faiblesse en matière de sécurité de proximité.

La police du quotidien a été abandonnée par la police nationale, qui n’a plus les moyens ni même la volonté de l’assurer. D’une part, les effectifs et les implantations des commissariats ont été rationalisés à outrance dans une logique purement comptable et budgétaire. D’autre part, les patrouilles dans les rues ont quasiment disparu, à l’exception notable des brigades anti-criminalité (BAC), l’état-major de la préfecture préférant que les policiers se projettent sur le terrain en cas de problèmes plutôt qu’ils incarnent une présence continue dans l’espace public.

Résultat, la police de proximité est souvent pour les habitants une vaine promesse, du fait d’une présence trop faible sur la voie publique, d’un accueil très perfectible dans les commissariats (les dépôts de plainte y sont souvent trop compliqués) et d’un taux d’élucidation, notamment en matière d’atteinte aux biens, particulièrement bas (de l’ordre de 10%) et ce, malgré les progrès de la police technique et scientifique.

Ce constat largement partagé doit pousser la préfecture de police à mener les réformes nécessaires. Il doit aussi inciter les responsables municipaux, et celles et ceux qui aspirent à le devenir, à prendre conscience d’une réalité nouvelle. La Ville de Paris doit être aux côtés de l’Etat et prendre une part beaucoup plus importante dans la préservation de la sécurité des Parisiennes et Parisiens.

Face à un risque terroriste durablement présent, à des problématiques de maintien de l’ordre public sans cesse croissantes (manifestations de grandes ampleurs, événements sportifs et festifs…) et face encore à la diversité des phénomènes de criminalité et de grands banditismes, la préfecture de police – c’est encore plus vrai dans le contexte actuel de contrainte budgétaire – ne pourra pas tout faire. Bien sûr, il lui appartient notamment de mieux organiser la DSPAP (avec notamment l’emploi massif des technologies numériques, le renforcement du taux d’officiers de police judiciaire…) mais il faut aussi alléger sa charge de travail pour la rendre plus efficace. Il en va de l’intérêt des habitants.

La ville de Paris doit assumer son rôle en matière de sécurité

Une action complémentaire de celle de l’État

Les temps ont changé : l’action publique, peu importe les sujets (emplois, solidarité, éducation, …) s’articule dorénavant entre plusieurs niveaux de responsabilités, allant du local au national, des collectivités territoriales à l’Etat. La sécurité, même si l’évolution a été plus tardive, ne fait pas exception : il appartient plus que jamais aux collectivités territoriales, chacune dans leurs champs de compétences, d’agir aux côtés de l’Etat pour mettre en œuvre les politiques adaptées de prévention et de répression.

Or, on peut constater – et surtout regretter – que trop d’hésitations, au plus haut niveau municipal, ont fait que la Ville de Paris, pour des raisons idéologiques et partisanes, n’a pas, au cours des dernières années – et ce malgré une attente croissante des habitants – suffisamment intégré ce que devait être son rôle en matière de sécurité urbaine.

La capitale, tout comme Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Dijon ou Rennes doit assumer, au travers d’une approche partenariale, d’apporter des solutions locales aux problèmes locaux, en mobilisant pour cela ses moyens propres, et sans toujours tout attendre de l’Etat. Paris, à l’instar de Berlin, Madrid ou Rome (capitales de pays avec une diversité de modèles d’organisation des pouvoirs et qui ont pourtant toutes une police municipale) doit, elle aussi, se doter d’une telle structure. Car même si l’exécutif parisien, après 5 années d’opposition constante, s’est finalement – et bien tardivement à l’échelle de la mandature – exprimé en faveur d’une police municipale, cette police, dans les faits, n’existe pas. Il ne s’agit en réalité que d’un assemblage disparate de services, fonctions et statuts, sans culture commune, mis sous un même chapeau (la Direction de la Prévention, de la Sécurité et de la Protection) dont le sigle DPSP est globalement inconnu des Parisiennes et des Parisiens.

Il n’est pas aujourd’hui question que l’autorité du maire de Paris se substitue à celle du préfet de police. En matière de sécurité publique – et peut-être plus qu’ailleurs – il faut une unité de commandement, il faut savoir précisément qui décide de quoi.

Il n’est pas question également que la police municipale parisienne vienne « concurrencer » la police nationale. Il y a d’ailleurs des domaines qui doivent rester exclusivement ceux de la police nationale : la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, la protection des pouvoirs publics nationaux ou bien encore le maintien de l’ordre public. Mais la police municipale, doit pouvoir compléter l’action de la police nationale, et intervenir pour tout ce qui correspond au bas du spectre : incivilités, circulation (y compris sécurité routière, en allégeant d’ailleurs le travail de la DOPC), encadrement des nombreux évènements se déroulant dans l’espace public (courses à pieds, festivals, brocantes…) et bien évidemment petite délinquance (toujours en étroite collaboration avec la police nationale), car c’est celle-ci qui mine le quotidien des Parisiennes et Parisiens. Par son action de prévention, de médiation et de répression, par sa présence dissuasive, elle apporterait (au même titre que les agents de la RATP et de la SNCF en charge de la sécurité) un véritable renfort opérationnel et une évidente amélioration du ressenti des habitants. On le voit sur le terrain, des synergies de moyens et d’action ne demandent qu’à émerger entre les différentes entités. Il faut pour cela une volonté politique renforcée.

Une nouvelle organisation territoriale, au plus près du terrain

La première clef du succès de cette nouvelle police municipale parisienne sera son organisation territoriale. Au niveau métropolitain, nous proposerons aux communes membres de la Métropole du Grand Paris de constituer un conseil métropolitain de prévention de la délinquance, qui devra élaborer un contrat de sécurité à l’échelle de la zone urbaine dense et se réunira tous les mois, en présence du Préfet de police, pour coordonner sa mise en œuvre. La police nationale est en effet organisée au niveau de l’agglomération. Il est incompréhensible que les communes et les acteurs institutionnels qui s’y trouvent ne se parlent pas davantage tant les problèmes de délinquance dépassent les frontières administratives.

Au niveau municipal, sous l’autorité centrale de l’Hôtel de Ville, pour ce qui est de la fixation des priorités, de la formation, du contrôle et de la réparation des moyens, la police municipale sera pilotée au niveau des arrondissements directement par les maires (qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition – il faut faire confiance aux maires d’arrondissement !) et disposera d’une antenne dans chaque quartier. Elle pourrait même disposer, à l’image des koban japonais, des petits postes de proximités accueillant 2 ou 3 policiers, ouverts 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Ils aident la population à s’orienter, patrouillent à vélo dans le quartier, connaissent bien les habitants et sont connus d’eux.

Une police humaine, de proximité

La seconde clef sera la qualité des liens humains que ses agents parviendront à tisser avec la population. Au contact permanent des commerçants, des gestionnaires de services publics, des associations, des habitants et travailleurs d’un quartier, elle sera connue et reconnue de tous, mais aussi appréciée, notamment par la jeunesse. C’est par la confiance et l’efficacité qu’elle gagnera son autorité et le respect dans chaque rue, chaque pâté de maisons, chaque groupe d’immeubles, y compris dans les zones les plus chaudes et enclavées de la capitale.

Avec cette police municipale, nous redonnerons ses lettres de noblesse à la prévention de la délinquance qui a été si souvent caricaturée et moquée depuis 2002, alors qu’elle est la seule voie pour permettre une baisse durable des contraventions, délits et crimes, et pour tisser de la confiance avec la population [11]

Une police municipale compétente, formée et équipée

Cette police municipale ne peut pas naître d’un claquement de doigt. Comme nous l’avons déjà explicité [12] , il convient d’avancer, certes rapidement, mais en ayant d’abord et avant tout, les idées claires, ce qui impose une réflexion préalable. Nous insisterons ici sur trois points : les fondements juridiques, l’enjeu des compétences, et enfin la question de l’équipement.

Le champ d’intervention de la police parisienne

D’abord, les fondements juridiques. Il est faux de dire que la loi doit impérativement changer pour commencer de créer une vraie police municipale parisienne. En effet, les 1 000 Agents de surveillance de Paris (ASP) venus de la préfecture de police et rattachés à la ville de Paris depuis le 1 er janvier 2018 sont déjà des agents de police judiciaire adjoints (des APJA, définis à l’ article 21 du Code de procédure pénale) c’est-à-dire qu’ils ont, comme n’importe quel autre policier municipal en France, la capacité de rendre compte de toute infraction constatée. C’est vrai en particulier pour les infractions au code de la route : excès de vitesse, non-respect des sens interdit, dépassements non autorisés, circulation sur voies réservées, stationnement non autorisé…

Les autres agents de la DPSP, c’est-à-dire majoritairement les Inspecteurs de sécurité de la ville de Paris (ISVP) et les personnels techniques encadrant (en tout 1900 agents), peuvent quant à eux, d’ores et déjà, intervenir et verbaliser pour un nombre étendu d’incivilités : déjections canines, divagations d’animaux, épanchements d’urine, nuisances sonores, terrasses-étalages, règlement des espaces verts, marchés, chantiers, occupation de la voie publique ou bien encore défaut de présentation des ordures ménagères pour la collecte.

Enfin, il convient de rappeler que les ASP ou les ISVP, en cas de crime ou de délit flagrant, peuvent, en application de l’article 73 du code de procédure pénale, en appréhender l’auteur et le présenter immédiatement à un officier de police judiciaire. On peut donc très bien imaginer que l’auteur d’un cambriolage soit interpellé en flagrant délit par un ASP ou un ISVP et remis à la police nationale.

Bien entendu, l’ensemble de ces interventions des policiers municipaux dans le champ judiciaire devra se faire en étroite collaboration avec le parquet et sous l’autorité du Procureur de la République.

Compte tenu de ces éléments, si l’on voulait être provocateur, on pourrait dire que la question de la police municipale à Paris n’est pas tant une question juridique (même s’il faudra en passer par la loi pour aligner les ASP et les ISVP sur le droit commun des agents de police municipale) qu’une question de management et d’enrichissement des compétences. Il faut, en effet, avant toute chose aider les ASP, les ISVP, à prendre la pleine mesure de leurs missions, les rendre, également, par une doctrine d’engagement plus détaillée, et plus ambitieuse, mieux à même de répondre aux attentes qu’expriment les habitants.

Une école de police parisienne

On sent bien que le véritable enjeu, c’est celui des compétences, qu’il faut impérativement tirer vers le haut. Il y a deux voies à envisager. D’abord, un plan de recrutements ciblés, pour faire venir une centaine de cadres issus d’autres polices municipales ou de la police et de la gendarmerie nationales. L’intégration de ces profils expérimentés permettra de bâtir une force crédible.

La seconde voie, c’est la mise en place d’un plan de formation d’ampleur pour développer les aptitudes, asseoir les bons réflexes, et renforcer les conditions physiques. A cet égard, la création d’une école de police parisienne, sur le modèle de ce qui peut exister à New-York, serait très utile. Naturellement, il n’est pas question de remplacer le Centre National de la Fonction Publique Territoriale – qui est habilité à organiser les concours et à dispenser les formations aux futurs policiers municipaux – mais de prévoir qu’à l’issue de cette première étape, les effectifs affectés à Paris poursuivent leur instruction pendant quelques mois, tout comme un gendarme ou un policier, après sa formation initiale, peut choisir de se spécialiser dans une unité d’élite. Une attention toute particulière sera portée à la déontologie, au rapport police-population, ou encore à la parfaite connaissance du territoire parisien. L’école de police parisienne doit être un modèle du genre, garante d’une culture commune parmi les agents, de Paris et pourquoi pas de son agglomération (les autres villes de la petite couronne pourraient participer à sa création et contribuer à son financement). Elle doit aussi contribuer à la réputation de la police parisienne. C’est essentiel pour asseoir son autorité. On pourrait d’ailleurs envisager d’un point de vue symbolique que la police municipale parisienne défile, elle aussi, sur les Champs-Elysées le 14 juillet, à l’instar de la brigade des sapeurs-pompiers.

Une police qui aura les moyens d’agir

Enfin, troisième point : la question de l’équipement. Il s’agit de donner à l’ensemble des personnels les moyens matériels permettant d’être réactifs, dissuasifs et qui garantissent un haut niveau de protection pour tous, c’est-à-dire pour les habitants et les agents eux-mêmes. Le métier de policier municipal, tout comme celui de policier ou de gendarme, est un métier dangereux qui expose potentiellement ses agents à ce qu’il y a de plus violent dans la société. Ne faisons pas semblant d’ignorer que toute personne qui porte sur elle un sigle police devient de fait une cible. Clarissa Jean-Philippe [13] et Aurélie Fouquet [14] ont été tuées alors qu’elles portaient l’uniforme de policière municipale.

C’est pourquoi, il est nécessaire d’équiper les policiers municipaux à Paris, comme la législation le permet, d’armes létales. Mais pas n’importe comment ! Et surtout pas tous d’un coup. On peut envisager que, en attendant la mise en place de l’Ecole de police parisienne, seuls les anciens policiers ou gendarmes puissent porter une arme à feu. Puis, au fur et à mesure des montées en compétence des personnels mais aussi de la création d’une formation dédiée, ce type d’armement pourrait être étendu aux autres agents. Quoi qu’il en soit, la question des équipements et de l’armement ne doit pas précéder la réflexion sur leurs finalités. Certaines missions, en particulier le soir, demanderont des effectifs équipés de façon appropriée, quand d’autres pourraient réclamer un équipement plus léger.

Cette police devra se déplacer principalement à pieds, par groupe de deux ou trois agents, mais pourra aussi avoir recours à des vélos, scooters ou voitures électriques, particulièrement quand elle aura à patrouiller de nuit.

L’équipement, c’est enfin la mise en commun de certaines communications radio avec les forces de police pour garantir une meilleure coordination. C’est le développement de la vidéo protection, des nouvelles technologies, en particulier l’internet des objets qui est d’un appui précieux pour la sécurisation bâtimentaire ou bien encore l’objectivation en temps réel des nuisances. Il faut investir et être beaucoup plus innovant. La crédibilité de la police municipale parisienne passera aussi par sa capacité à maitriser ce saut technologique qui attend toutes les forces de sécurité.

Tout cela a bien entendu un coût. A l’heure actuelle, la Ville de Paris consacre environ 400 millions d’euros par an à la sécurité publique et civile, en fonctionnement et en investissement. Une large part de ce budget est consacrée à une contribution au budget de la préfecture de police, pour un montant de 216 millions d’euros en 2019. Une part de cette contribution (entre 10 et 20 millions d’euros) pourrait être redéployée pour financer le recrutement et la formation nécessaires à la mise en place de la police municipale. Ce serait logique, dans la mesure où la Ville de Paris viendrait prendre le relai de la préfecture de police dans la protection de la sécurité des Parisiens, et cela permettrait en outre d’auto-financer le déploiement de la police parisienne.

Après des années d’inaction, la tâche qui attend la ville de Paris est énorme si elle veut se donner les moyens de répondre aux attentes et inquiétudes des habitants. Nous espérons au travers de cette note avoir pu éclairer l’ensemble des éléments du débat. Un débat qui mérite d’être tranché sans démagogie avec en tête le seul intérêt des Parisiennes et des Parisiens.

  1. «  Attaque à la Préfecture : l’onde de choc d’une tuerie au cœur de l’Etat  », Le Monde, 10 octobre 2019

  2. «  Paris s’enfonce dangereusement dans la spirale des vols et des violences  », Le Figaro, 29 octobre 2019

  3. Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales

  4. Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne

  5. Direction de l’ordre public et de la circulation

  6. Direction régionale de la police judiciaire

  7. Brigade de recherche et d’intervention, anciennement l’anti-gang

  8. Direction du renseignement de la préfecture de police

  9. Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

  10. Certaines voix notamment celle Jean-Michel Fauvergue, député (LREM) de la Seine et Marne et ancien chef du Raid, se sont également exprimées en ce sens.

  11. Le rapport de Terra Nova, «  Police et population : pour des relations de confiance  » (2016) sous la direction de Jacques de Maillard apporte à ce sujet une réflexion très utile. La confiance ne peut naitre que d’un traitement juste et proportionné du public de la part des forces de sécurité, d’où l’importance de la formation, et d’un ancrage territoriale des policiers, ce qui implique de revaloriser les missions d’ilotage.

  12. «  L’heure est venue de créer une police municipale parisienne  » par Benjamin Djiane et Vincent Baladi, Le Monde, 06 août 2018 ; «  Police municipale : Anne Hidalgo découvre l’insécurité à Paris  », par Gaspard Gantzer et Benjamin Djiane, L’Opinion, 28 janvier 2019.

  13. Assassinée à Montrouge le 8 janvier 2015, par le terroriste Amedy Coulibaly

  14. Tuée le 20 mai 2010 à Villiers sur Marne, par un gang de braqueurs.

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