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Note

Budget 2026 : rebâtir un climat de confiance entre l’État et les collectivités locales

Dénoncées comme excessivement dépensières, les collectivités locales se plaignent de leur perte d’autonomie et de charges croissantes imposées sans compensations suffisantes. Pour dépasser ce dialogue de sourds, une véritable négociation institutionnalisée — avec une perspective sur plusieurs années — doit prendre place entre l’Etat et les acteurs locaux, sur la base de données fiables, transparentes et comparables.

Publié le 

Relations financières entre l’État et les collectivités et budget 2026 : il est urgent de (re)bâtir un climat de confiance 

Si une majorité de Français se dit globalement satisfaite de ses services publics selon un baromètre présenté récemment par le gouvernement, [1] leur financement semble de plus en plus incertain. De fait, le déficit budgétaire et, surtout, sa rapide progression ces dernières années font peser de fortes incertitudes sur la pérennité des moyens financiers consacrés à l’action publique, notamment au niveau local. Rappelons, pour mieux en saisir l’enjeu, que les transferts financiers de l’État en direction des collectivités, en dépit des coupes franches opérées ces dernières années, restent conséquents. Dans la loi de finances pour 2025, ils représentent une enveloppe de 104,5 Mds€ recouvrant différents mécanismes[2] et jouent à ce titre un rôle significatif au sein des budgets locaux.

Contraint de réduire son déficit, l’État regarde donc du côté des collectivités locales et considère les sommes qu’il leur verse comme une variable d’ajustement possible. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lors de la dernière loi de finances en imposant par exemple aux collectivités un prélèvement sur une partie des recettes leur revenant[3], faisant ainsi coup double : d’une part économiser sur les transferts qui leur sont versés et d’autre part les contraindre à freiner leurs dépenses en limitant leurs recettes.

Tandis que les travaux préparatoires de la loi de finances pour 2026 se terminent et qu’une contribution de l’ordre de 5,3 Mds€ sur les 43,8 milliards d’économies recherchés pour l’ensemble des finances publiques est évoquée[4] concernant les collectivités, le même scénario semble se rejouer : concertation morcelée et inefficace, dialogue de sourds entre un État qui reproche aux collectivités des dépenses trop élevées et trop dynamiques et des élus locaux critiquant l’excès de contraintes et de normes. On connait d’avance le probable dénouement pour les budgets locaux : une participation financière imposée, mal calibrée, ressentie comme arbitraire et injuste par les élus locaux, et pénalisant avant tout l’investissement local. Désunies, incapables de faire bloc, les collectivités locales peinent à trouver une stratégie pour négocier des marges de manœuvre et préserver les moyens du financement de l’action locale, pourtant essentiels à la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le propos n’est pas ici de remettre en cause la participation des collectivités locales à la réduction du déficit public ; elles sont parties intégrantes de la nation et bénéficient à ce titre de nombreuses aides publiques le justifiant. Mais force est de constater que la méthode n’y est pas.

Alors que de nouvelles échéances locales se rapprochent, et que les collectivités sont appelées à s’impliquer encore plus dans des défis sociaux et environnementaux qui les engageront durant plusieurs années, il est grand temps de changer de méthode. En se renvoyant la responsabilité des déficits, les acteurs publics locaux et nationaux contribuent à brouiller le nécessaire débat démocratique sur les modalités de fonctionnement des services publics et leur financement.

Publiée en décembre dernier sur le site de Terra Nova[5], une note faisait le constat des relations dégradées notamment sur le plan financier entre l’État et les collectivités. En les explicitant, elle proposait d’ouvrir quatre chantiers pour sortir de l’impasse et remédier à cette situation de défiance réciproque : la nécessité de rebâtir un lien de confiance entre l’État et les collectivités, la mise en place d’un texte de loi spécifiquement dédié aux collectivités locales fixant des objectifs clairs et partagés, la refondation d’un système de financement pérenne et juste des collectivités locales et, enfin, une évolution de notre millefeuille territorial aujourd’hui enchevêtré et trop peu lisible.

Au cœur de ces quatre chantiers et au terme de plusieurs auditions destinées à identifier pour chacun des propositions opérationnelles, se trouve une question cruciale : la nécessaire refondation d’un cadre de dialogue et d’échanges entre l’État et les collectivités. Cette affirmation pourrait paraitre un peu vaine et simpliste au vu de la gravité de la situation financière et des menaces d’instabilité politique qu’elle fait peser. La mise en place d’un espace de débat équitable et apaisé entre l’État et les collectivités constitue pourtant un passage obligé et un enjeu majeur pour l’avenir des services publics tant locaux que nationaux.

Cela passe par plusieurs conditions essentielles : il s’agit tout d’abord de se mettre d’accord sur un diagnostic partagé concernant l’état des finances locales et ses évolutions au cours des dix dernières années, et plus particulièrement la situation financière des collectivités et la réalité des moyens qui leur sont apportés par l’État pour remplir leur mission de service public. Les instances en charge de ces missions semblent aujourd’hui impuissantes à jouer ce rôle. Il convient dès lors de les faire évoluer en leur donnant les moyens d’une réelle expertise indépendante, à même de définir collégialement les objectifs réalistes d’une trajectoire de redressement des comptes publics et les moyens de contractualisation qui pourraient y être associés.

Cela implique enfin, condition essentielle, que les deux parties s’entendent avant tout sur les objectifs poursuivis et le rôle que chacun doit jouer pour assurer l’avenir du pays. 

C’est à ce titre que les collectivités pourront, en tant que partenaires et non plus en sous-traitantes des décisions de l’État, participer aux finalités qui engagent la dépense publique.

1. S’entendre sur un diagnostic partagé de la situation des finances locales

Afin de rebâtir une relation de confiance entre l’État et les collectivités, experts et observateurs s’accordent à dire qu’il conviendrait en premier lieu de s’entendre sur un diagnostic commun concernant la situation des finances locales. Force est de constater qu’aujourd’hui, cette première étape est loin d’être franchie. Les torts sont largement partagés. 

Du côté de l’État, les collectivités sont vues avant tout comme une source de dépenses, celui-là n’hésitant pas à rendre celles-ci responsables de l’aggravation du déficit public. La dynamique de leurs charges, en particulier en matière de ressources humaines, est régulièrement pointée, quand ne sont pas remis en cause certains choix d’investissement.

Pour étayer son approche, le ministère des finances édite tous les mois un document d’une dizaine de pages retraçant en tableaux et graphiques les principaux agrégats en dépenses et en recettes des différents niveaux de collectivités. Cette vue très globale conclut régulièrement et sans nuances sur la « bonne santé financière » des collectivités et le « haut niveau de leur trésorerie ». Si cette publication peut présenter un intérêt pour une analyse macro, elle ne peut servir de base sérieuse de dialogue. Pire, aux yeux des élus locaux, elle apparait plus volontiers comme un irritant, voire une provocation.

A cette vision caricaturale, s’ajoute depuis plusieurs années la suppression régulière de pans entiers de la fiscalité locale[6] (taxe professionnelle, taxe d’habitation, CVAE…) suite à des décisions unilatérales de l’État ayant pour résultat de placer les collectivités dans une relation de dépendance accrue aux dotations versées, ce qui alimente de façon croissante la position de défiance des collectivités à l’égard de l’État. Ce dernier considérant trop souvent la fiscalité locale comme une variable d’ajustement dans des enjeux nationaux et non pas comme une ressource essentielle des budgets locaux.

De leur côté, les collectivités locales se réfugient dernière la notion bien vague d’autonomie financière et du principe un peu passe partout de libre administration, qui est plutôt une autonomie de gestion. Elles mettent en avant le décalage croissant entre les responsabilités qui leur sont confiées dans la mise en œuvre des services publics et des politiques locales et les moyens financiers dont elles disposent pour y parvenir. Elles évoquent « l’inflation normative » et ses conséquences budgétaires, la réduction de leurs recettes, la perte de la fiscalité locale et sa recentralisation… Parallèlement, elles se montrent plutôt réticentes à une transparence concernant leurs charges, évoquant la complexité des modalités d’évaluation, la difficulté à établir des comparaisons valables du fait de la grande diversité des contextes locaux et de situations héritées du passé, de l’existence de charges indirectes ou de « coûts cachés » rarement chiffrés…

Pour certaines d’entre elles, ces griefs justifient une position de désaccord, voire de déni concernant leur implication et leur participation dans les déficits publics passés et à venir.

Lors de la « conférence financière des territoires » qui s’est tenue en mai dernier sous la présidence du Premier ministre, c’est ce scénario bien rodé qui s’est à nouveau rejoué, reflétant les tensions structurelles et récurrentes dans les relations financières entre l’État et les collectivités.

Acte 1, le Premier ministre et les ministres concernés présentent une vision très pessimiste de la situation budgétaire nationale, insistant sur l’ampleur du déficit public[7], l’importance de la dette, le poids des intérêts qu’elle génère, et la nécessité de maîtriser les dépenses pour respecter les engagements européens afin de restaurer la crédibilité budgétaire de la France. Acte 2, les représentants des élus locaux font savoir que les collectivités sont déjà très investies, qu’elles jouent un rôle fondamental dans les investissements publics, que les charges qui leur sont imposées par l’État pèsent lourd dans leurs budgets dont les ressources manquent de visibilité. Tout cela est vrai et chacun repart de son côté avec ses certitudes. L’Acte 3 se jouera à l’automne au moment du vote des lois de finances et les collectivités se verront imposer des conditions de participation qu’elles n’auront pas, ou presque pas, pu négocier.

A l’évidence, il faut changer de méthode. Un diagnostic établi en amont sur la situation des finances locales, piloté par une instance collégiale reconnue par l’ensemble des parties, s’appuyant sur une expertise indépendante, ne se limitant pas à un « arrêt sur image » de la situation actuelle, mais identifiant les évolutions passées sur le temps long et les responsabilités respectives de l’État et des collectivités s’impose.

2. Refonder un lieu de dialogue et de concertation entre l’État et les collectivités

Il existe en France, au niveau national mais aussi local, de nombreux lieux de dialogue et de concertation entre l’État et les collectivités[8]. Ces instances sont variées dans leur composition, leurs missions et leurs niveaux d’intervention.

En matière de finances, le Comité des finances locales (CFL) chargé notamment d’intervenir dans la répartition de la dotation globale de fonctionnement, a longtemps été la figure de proue du dialogue entre les représentants des collectivités et l’État. Son rôle s’est toutefois progressivement atténué avec la baisse d’un tiers de cette dotation en 2014 et la réduction progressive des impôts locaux, limitant d’autant sa capacité de concertation et de décision. En outre, les avis du CFL n’ont, du fait de la loi, qu’un caractère consultatif.

De plus, les propositions et travaux d’évaluation réalisés pour le compte du CFL pilotés par la direction générale des collectivités locales (DGCL) restent très dépendants des orientations fixées par l’État. Le CFL est désormais perçu par de nombreux élus locaux comme affaibli et, de fait, pèse de moins en moins dans le débat actuel sur les finances locales. On ne peut que le déplorer.

Au cours des dernières années, d’autres instances à vocation « finances locales » aux dénominations variées – « assises », « conférences » ou encore « convention » – ont joué un rôle plus conjoncturel. Ce fut le cas par exemple de la conférence nationale des territoires (CNT) mise en place par Emmanuel Macron qui s’est tenue à Cahors en décembre 2017 donnant lieu au dispositif contractuel du même nom d’encadrement des dépenses des collectivités locales.

Comme le remarquait déjà le Sénat en 2011, cette multitude d’instances n’a cependant « pas permis d’instaurer un dialogue serein[9] ». De fait, les critiques concernant ces lieux de dialogue sont nombreuses et récurrentes : l’approche est plus technique que politique, voire technocratique et très descendante ; l’État, initiateur de cet échange, reste souvent le décideur final. Finalement, les collectivités ont le sentiment d’être consultées sans être réellement écoutées ni associées à la décision. Quand des points d’accord sont trouvés, leur mise en œuvre n’est pas toujours effective, nourrissant la frustration des élus locaux. Par ailleurs, la difficulté des collectivités à parler d’une seule voix les affaiblit dans la construction d’un rapport de force équilibré.  

Comme le souligne avec justesse la Cour des comptes, [10] les représentants des collectivités locales doivent être mieux associés en amont aux décisions financières qui les concernent : « cet impératif d’un renforcement de la concertation sur le financement des collectivités locales implique de mettre en place des instances adaptées  ».

Plus récemment, les échanges avec les collectivités en vue de la prochaine loi de finances se déroulent dans le cadre de la toute nouvelle Conférence financière des territoires. Sera-t-elle en mesure d’inverser la tendance ? La rumeur d’instabilité du gouvernement qui s’est renforcée au cours de l’été introduit un doute sérieux. L’instabilité gouvernementale que connaît la France depuis quelques années montre d’ailleurs qu’une instance pérenne de dialogue entre l’État et les collectivités est préférable à des comités ad hoc en série dont la durée de vie devient dépendante de celle de celle des gouvernements

Il conviendrait donc de réformer en profondeur les instances de concertation existantes entre l’État et les collectivités pour aller vers un lieu de dialogue unique s’inscrivant dans la durée.

Cette instance (nouvelle ou recomposée) serait composée de façon collégiale et paritaire entre l’État et les collectivités. Elle comprendrait un collège État, un collège représentant les différents niveaux de collectivités : les régions, les départements, les intercommunalités à fiscalité propre[11], et les communes.

Actuellement, les membres du CFL pour ce qui concerne le bloc local (communes et intercommunalités) sont issus d’une liste établie et coordonnée par l’Association des maires et des intercommunalités de France. Cette pratique pourrait être plus ouverte, au moyen d’un vote impliquant des représentants de l’ensemble des maires et des présidents d’intercommunalités à fiscalité propre, en s’inspirant de façon simplifiée du mode d’élection des sénateurs par exemple.

Il s’agirait d’améliorer la représentation de la diversité territoriale au sein de cette nouvelle instance, tant sur le plan démographique, les territoires fortement peuplés n’ayant pas les mêmes besoins que les territoires peu denses, qu’en matière de typologies de territoires (ruralité, espaces urbains, zones périphériques, territoires littoraux et de montagne…).

Pourrait être associé à ces deux collèges un comité scientifique indépendant regroupant des représentants du monde académique trop peu souvent associé jusqu’à présent[12] ainsi que des représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale pour faire utilement le lien avec le parlement.

3. Mettre en œuvre une instance collégiale disposant d’une expertise propre et indépendante

Cette nouvelle instance serait chargée de l’examen de l’ensemble des dispositifs concernant la fiscalité et les finances locales. Elle aurait notamment, pour mission d’établir de façon régulière un diagnostic objectif et précis sur la situation financière des différents niveaux de collectivités locales qui ferait l’objet d’un débat contradictoire en son sein et d’un suivi régulier. Elle serait également chargée du suivi en toute transparence des transferts financiers de l’État aux collectivités.

Cela lui permettrait de faire le lien entre les finances locales d’un côté et l’ensemble des politiques publiques de l’autre. A l’heure où l’enjeu est de permettre aux collectivités de s’engager toujours plus dans la transition écologique, ce point est essentiel.

Passant d’une logique de consultation (comme c’est le cas de l’actuel CFL) à une logique de co-construction, cette nouvelle instance serait appelée à examiner avec les différents ministères, les dispositions fiscales et financières concernant les collectivités en vue de leur examen en loi de finances et elle pourrait formuler en amont des avis rendus publics. Elle serait à ce titre étroitement associée à la préparation de la loi de finances, ainsi que le suggère d’ailleurs la Cour des comptes qui préconise également la mise en place d’une instance permanente de concertation entre l’État et les collectivités locales chargée de « produire (en amont des lois de finances) un avis public sur les dispositions relatives aux collectivités locales, délibéré par ses membres, et communiqué au Parlement et au Gouvernement[13]  ».

Cette nouvelle instance, serait en toute logique associée à l’élaboration et au suivi des trajectoires financières concernant les collectivités, qui sont négociées dans le cadre des lois de programmation des finances publiques avec la commission Européenne. De fait, ces prévisions engagent les trois familles des administrations publiques du pays, l’État et les administrations publiques centrales (les APUC), les administrations de la sécurité sociale (les ASSO) et les administrations publiques locales (les APUL) en prenant bien soin, concernant ces dernières, d’identifier clairement ce qui correspond précisément aux collectivités locales et aux autres administrations publiques locales, à savoir les organismes divers d’administration locale (les ODAL[14]). Cette distinction est importante car on retrouve au sein des ODAL des organismes ayant eu récemment des besoins d’investissement très importants (Société du Grand Paris, IDF Mobilité, la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques SOLIDEO.) qui doivent être identifiés de façon distincte.

Les travaux d’analyse permettraient de rendre plus explicite « le rôle et la place des collectivités locales dans la stratégie macro-économique de l’État, et de renforcer de façon significative la transparence des données publiques sur les prévisions de l’État en matière de finances locales » comme le soulignent avec pertinence certains experts[15].

Cette nouvelle instance serait enfin un lieu de dialogue partenarial avec les pouvoirs publics, apte à produire en amont de travaux parlementaires par exemple, des diagnostics objectivant les situations locales et nationales sur les sujets concernant les collectivités. Cette instance permettrait ainsi d’améliorer la « culture financière » des élus dans un parlement qui a perdu en expertise avec le non-cumul des mandats locaux et nationaux. 

D’autres chantiers pourraient être assurés : 

  • Travailler sur la constitution d’indicateurs permettant de mieux caractériser la diversité des situations financières locales par exemple. Actuellement, l’État met principalement en avant l’évolution de la dépense locale, tandis que les collectivités regardent plutôt du côté de leur capacité à dégager de l’épargne pour financer leurs investissements.
  • Apporter davantage de transparence sur la réalité du coût des services publics. Cela constitue un enjeu démocratique de premier ordre. La constitution de « référentiels de coûts » pourrait être l’occasion pour les collectivités mais aussi pour le grand public de mieux comprendre les contraintes de financement des services publics. Cela impose bien entendu de se mettre d’accord sur des méthodologies rigoureuses et de bien cadrer l’usage que l’on peut avoir de ces outils.

Pour mener à bien ces missions et ces différents chantiers, il est essentiel que l’ensemble des acteurs disposent d’une capacité d’expertise propre et indépendante.

Actuellement, ce rôle est assuré par l’Observatoire des Finances et de la gestion publique locale (OFGL), anciennement Observatoire des Finances Locales [16], placé sous l’autorité du président du Comité des Finances Locales dont il est une composante.

Chargé « d’établir, de collecter, d’analyser et de mettre à jour les données et les statistiques portant sur la gestion des collectivités territoriales et de diffuser ces travaux[17] », l’OFGL a fourni ces dernières années un travail remarquable dans la mise à disposition des données financières locales en accès libre[18] contribuant à la transparence de la gestion publique locale. En plus du rapport annuel qui fait l’objet d’une présentation au CFL, l’OFGL produit des analyses thématiques sur le contenu des politiques publiques qui constituent un apport majeur à la compréhension de la situation financière des collectivités et un éclairage précieux sur la diversité des situations territoriales. L’OFGL est ainsi un outil d’aide à la gestion et à la décision largement reconnu et utilisé par l’ensemble des acteurs locaux.

Le rôle, actuellement purement technique et informatif de l’OFGL, pourrait toutefois être renforcé en lui permettant un accès plus direct aux données fiscales et budgétaires délivrées par la DGFIP dont il reste largement dépendant, en élargissant les thématiques étudiées, mais également en renforçant ses capacités d’évaluation et d’expertise sur l’évolution des finances locales et du modèle de financement des collectivités au travers de scénarios prospectifs par exemple.

Cela impliquerait de conforter les moyens humains notamment d’une équipe actuellement réduite et surtout de donner à l’OFGL davantage d’indépendance dans sa gestion et dans sa gouvernance.

 

4. Sortir du déni concernant les déficits publics

Si la mise en œuvre d’un diagnostic commun établi par une entité indépendante est un premier pas pour améliorer les relations entre l’État et les collectivités en matière de finances locales, cela ne suffit pas. Il convient, dans un second temps, de définir les objectifs réalistes d’une trajectoire de redressement des comptes publics et les moyens permettant d’y parvenir.

Cela implique de se mettre d’accord sur la réalité des déficits publics et leur évolution afin que chacun assume sa part d’engagement et de responsabilité.

Pour bien comprendre, il est important de préciser que la notion de déficit public est différente selon que l’on parle du déficit du budget de l’État ou du besoin de financement des collectivités locales (voir encadré). Au niveau Européen, selon les conventions établies dans le cadre du traité de Maastricht, le déficit est calculé pour l’ensemble des administrations publiques. Il correspond à un solde dépenses sur recettes sans tenir compte des recettes apportées par l’emprunt.

En outre, il est calculé de façon agrégée pour l’ensemble des entités et administrations publiques, l’État la sécurité sociale et les collectivités.

Pour atteindre les objectifs d’équilibre financier défini pour la France, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) votée au parlement fixe en conséquence une trajectoire pluriannuelle des dépenses et des recettes pour l’ensemble des administrations publiques à horizon de 4 ans. Cette vision prospective est actualisée dans le cadre du Plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) pour 2025–2029 (anciennement Programme de stabilité, PTAB) qui engage l’État auprès de l’Europe sur le niveau du déficit public (on y revient) et le poids de la dette publique. Cela constitue en quelque sorte la feuille de route des lois de finances.

C’est la définition et le respect de cette trajectoire qui pèse sur les relations financières entre l’État et les collectivités, l’État cherchant à alléger ses transferts financiers, tandis que les collectivités souhaitent donner la priorité au financement de leurs actions et de leurs politiques d’investissement.

Lors de la loi de finances pour 2025, pour contenir le déficit, un prélèvement sur les enveloppes financières allouées aux collectivités et une captation par l’État à son profit de la dynamique de croissance des recettes de TVA revenant aux collectivités a été mis en place. Les travaux qui s’engagent dans le projet de loi de finances pour 2026 pourraient s’inscrire dans le même scénario. D’ores et déjà le Premier ministre a annoncé une participation des collectivités à hauteur de 5,3 milliards qui pourrait prendre plusieurs formes : prélèvement sur les recettes locales (via le DILICO[19]), gel de la dynamique de la fraction de recettes de TVA revenant aux collectivités, réduction des enveloppes de dotations et de subventions, baisse des dotations d’investissement….

Toutefois, Il semble difficile de rechercher à rebâtir un climat de confiance entre l’État et les collectivités, si ces dernières restent dans le déni concernant leur implication dans les déficits publics.

Cette reconnaissance apparait comme une condition nécessaire à la création d’un rapport de force équilibré entre les collectivités et l’État (ministère des Finances, ministère des collectivités locales…).

Les collectivités doivent accepter leur part de responsabilité dans la masse globale des dépenses publiques et se sentir impliquées dans le redressement des comptes publics.

Tandis que l’État, de son côté, doit reconnaître aussi les efforts financiers déjà fournis par les collectivités pour maintenir à bon niveau les services publics locaux et l’importance de leur rôle d’investisseur.

Il doit également « assumer la conséquence de ses actes » en reconnaissant les effets de son utilisation de la fiscalité locale pour sa propre politique nationale. En outre, les réformes de la fiscalité locale, suppression de la taxe professionnelle puis de la taxe d’habitation, plus récemment de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ainsi que les divers allégements des impôts locaux au bénéfice des entreprises principalement… coutent cher. Entre 2017 et 2023, ils représentent plus de la moitié de la hausse des déficits publics [20].

Par cette approche qualifiée d’« irresponsable » par certains experts, l’État impose ainsi aux collectivités une double peine : un panier dysfonctionnel de ressources, conséquence directe d’une amputation de leur autonomie fiscale induite par ces réformes, auquel s’ajoutent des ponctions des dotations qu’il leur verse au motif d’un déficit largement aggravé par les réformes subies. Et de l’importance du soutien de l’État aux collectivités, en oubliant que ce soutien correspond à la compensation de la fiscalité supprimée !

Déficit public et besoin de financement

Assez simplement, un déficit correspond à une situation dans laquelle les dépenses sont supérieures aux recettes. Du point de vue de la comptabilité nationale et au sens de Maastricht, ces dernières s’entendent, et c’est là un point important, comme des recettes propres, c’est-à-dire ne prenant pas en compte les recettes d’emprunt (de la même manière, le remboursement du capital de la dette n’est pas pris en compte dans le calcul du déficit).

Ainsi, l’État est en déficit au premier euro non couvert par ses recettes propres, à savoir les produits de l’impôt sur le revenu, de la TVA, de l’impôt sur les sociétés pour les principaux. Pour combler ce déficit, l’État emprunte, quelle que soit la nature de la dépense à couvrir. Dans la mesure où il investit peu lui-même, l’État emprunte principalement pour payer ses charges d’exploitation et les salaires des fonctionnaires… mais aussi les intérêts de sa dette. On parle ici de « déficit budgétaire ».

La France est ainsi structurellement en déficit budgétaire depuis 1975. Ce déficit public est largement imputable aux administrations publiques centrales (budget de l’État et de ses satellites). Il est comblé chaque année par de la dette dont le volume croit fortement : 3 228,4 Md€ au premier trimestre 2024, soit 113 % du PIB, elle était de 867 milliards d’euros en 2000. Selon les dernières estimations publiées par l’INSEE (mars 2025), le déficit public de la France pour l’année 2024 s’est établi à 5,8 % du Produit Intérieur Brut (PIB), après 5,4 % en 2023 et 4,7 % en 2022. 

De leur côté, les collectivités locales bénéficient d’un système budgétaire différent et très protecteur pour leur fonctionnement, c’est la fameuse « règle d’or », qui limite l’emprunt au financement de leurs investissements. Leurs charges d’exploitation doivent obligatoirement être équilibrées avec des recettes propres, impôts locaux et dotations de l’État principalement. C’est pourquoi, concernant les collectivités, on ne parle pas de déficit mais de besoin de financement. C’est pour couvrir ce besoin de financement des investissements que les collectivités ont recours à l’emprunt.

Toutefois, par souci de comparabilité avec les autres pays de la zone euro, la notion de déficit public additionne pour la France : le solde dépenses / recettes propres (hors emprunt) du budget de l’État, de celui des comptes sociaux et le besoin de financement des administrations publiques locales (APUL) concept un plus large que les seules collectivités. Le déficit public est ainsi considéré dans son ensemble pour les trois familles d’acteurs publics ! Et c’est bien ce solde que regardent l’Europe et les agences de notation et qui doit obéir à la règle prudentielle bien connue du plafonnement à 3 % du PIB.

Il est important de noter que, pour les collectivités, l’emprunt n’a pas vocation à financer la totalité des charges d’équipement, cela deviendrait rapidement insoutenable sur le plan budgétaire. Le système vertueux mis en place pour les collectivités les oblige à dégager tous les ans une part de leurs recettes de fonctionnement (fiscalité, dotations…) afin de financer leurs équipements et la charge de la dette (intérêts et remboursement du capital), on parle « d’autofinancement ou d’épargne ». L’épargne a ainsi une double vocation : elle finance les investissements de l’exercice mais également les investissements passés par le jeu du remboursement des annuités d’emprunt.

S’y ajoutent les subventions d’investissement dont les collectivités peuvent bénéficier. Ainsi, en moyenne, tous niveaux de collectivités confondus, les investissements locaux sont financés par un tiers d’emprunt, un tiers de subventions d’investissement et un dernier tiers d’autofinancement (ou d’épargne). Ces proportions n’ont que très peu fluctué au cours des 15 dernières années, bien que l’on observe récemment un léger retrait de l’apport de l’épargne.

Ainsi, l’emprunt que contracte l’État et qui va financer des dépenses de fonctionnement, des salaires principalement, n’a pas le même sens sur le plan économique que celui des collectivités locales qui le destinent principalement à accroitre leur patrimoine. On pourrait en déduire qu’il conviendrait de retenir pour les collectivités des règles différentes dans la comptabilisation des déficits, mais sans que ces dernières se désolidarisent de la nécessité de participer à l’équilibre des comptes publics.

Ainsi, certains économistes proposent l’application d’une « règle verte » : les dépenses d’investissement consacrées à la transition écologique et correspondantes à des investissements d’avenir générant des bénéfices à long terme (réduction des émissions de CO2, économies d’énergie, amélioration de la santé publique, résilience face au changement climatique…) pourraient ne pas être prises en compte, ou de façon partielle, dans le calcul du besoin de financement des collectivités locales au sens de Maastricht. Mais cette décision relève de la volonté politique du gouvernement et de la gouvernance économique européenne. C’est néanmoins une réflexion à poursuivre.

 

5. La trajectoire de redressement des comptes publics : pour une stratégie partagée

Définir les objectifs réalistes

La trajectoire de redressement des comptes publics, telle que définie dans les lois de programmation des finances publiques[21] et déclinée, nous l’avons vu, dans le cadre du Plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) pour 2025–2029, doit reposer sur des hypothèses réalistes et partagées par l’ensemble des acteurs impliqués. C’est loin d’être le cas aujourd’hui.

Le paroxysme semble avoir été atteint lors de la loi de finances pour 2024 où de nombreuses hypothèses macro-économiques se sont révélées inexactes, obligeant le gouvernement à enregistrer un déficit bien plus élevé que celui initialement prévu.

Dans ses conclusions, la commission d’enquête[22] mise en place à l’Assemblée nationale à la suite de ce « dérapage » plaide pour une plus grande transparence sur la construction des hypothèses macro-économiques, une amélioration du dialogue autour des finances publiques pour une responsabilité partagée dans la construction des prévisions, une meilleure association du Parlement pour lui permettre de participer pleinement à la définition de la trajectoire financière définie par le Gouvernement….

Les Administrations publiques locales dont font partie les collectivités, concernées par 20 % de l’ensemble des dépenses publiques et 54 % sur la seule base des dépenses d’investissement[23], doivent en conséquence être associées beaucoup plus étroitement à ces prévisions.

S’engager dans une vision de long terme  

Soucieux avant tout de réduire son déficit, le gouvernement privilégie de façon systématique une approche de court terme.

Les prélèvements réalisés sur les budgets locaux, les contraintes financières imposées aux collectivités apparaissent comme des leviers plus faciles et plus rapides à activer que des réformes structurelles de grande ampleur, dont les effets semblent plus lointains et incertains.

Pour autant, il semble difficile de rebâtir une relation de confiance entre l’État et les collectivités sans une vision stratégique en matière d’aménagement du territoire, définissant le rôle que les collectivités sont supposées y jouer, autrement dit que l’État dise clairement ce qu’il attend des forces locales sur les territoires. Cela pourrait d’ailleurs constituer la première étape d’un travail de plus grande ampleur délimitant les périmètres d’intervention des différents niveaux d’acteurs publics et les complémentarités possibles.

La nécessité de maintenir le bon fonctionnement des services publics locaux dans leur mission de régulation sociale est essentiel. S’y ajoute celle de préserver la capacité d’investissement des collectivités. C’est un levier reconnu de croissance économique au travers de la commande publique locale, c’est un facteur d’attractivité pour de nombreux territoires, c’est encore une réponse attendue aux nombreux objectifs nationaux en matière de transition écologique, d’évolution des mobilités, ainsi que pour intervenir sur la crise du logement, d’adaptation du cadre de vie…

S’appuyer sur un dispositif de contractualisation

Imposé de façon unilatérale par l’État aux collectivités, le dispositif d’encadrement de la dépense publique mis en place en 2018 appelé « contrats de Cahors » s’est soldé par un échec et a laissé aux élus locaux comme à l’État un « mauvais souvenir ». Plusieurs raisons peuvent être évoquées : une approche jugée trop uniforme des contrats et mal adaptée à la diversité des situations locales, des interprétations variables d’un préfet à l’autre sur le périmètre des dépenses concernées, le caractère « non-négociable » des contrats, qui étaient en réalité des documents préparés par l’État avec des objectifs chiffrés définis en amont, des « optimisations » par certaines collectivités permettant de contourner les règles du dispositif avec la création de budgets annexes, ces derniers n’étant pas pris en compte dans le dispositif[24]

Finalement, de nombreux élus locaux pourtant intéressés par le principe d’un engagement à maitriser la dépense ont déploré l’absence de co-construction en amont, tandis que d’autres ont rejeté ce qu’ils considéraient comme une mise sous tutelle de l’État et un manque de confiance.

Après une année de mise en place en 2019, la survenue de la crise sanitaire en 2020 a mis un coup d’arrêt aux contrats de Cahors.

Pour autant, un dispositif de contractualisation dont les termes et les modalités d’application seraient élaborés en amont, conjointement entre l’État et les collectivités locales en s’appuyant sur l’instance neutre évoquée précédemment, serait de nature à répondre aux enjeux du redressement des comptes publics.

Il permettrait d’aller même au-delà de la simple contrainte budgétaire et d’instaurer la relation partenariale recherchée.

Les grands principes de cette contractualisation pourraient être les suivants :

  • Ne pas contraindre l’investissement local en limitant l’endettement des collectivités[25] et donner la priorité aux investissements « vertueux » (transitions, traitement des fractures territoriales…).

> En contrepartie, les collectivités s’engageraient à respecter une norme d’évolution concernant leurs dépenses de fonctionnement dites pilotables. C’est-à-dire les dépenses pour lesquelles les collectivités disposent de marges de manœuvre directes pour agir, par opposition aux dépenses « subies » ou « contraintes » moins facilement ajustables à court terme. Le périmètre pourrait être défini de façon globale ou individuelle pour s’adapter aux spécificités locales ; cette approche pourrait prendre en compte des spécificités locales, selon les enjeux démographiques, économiques, sociaux…

  • Concernant le financement des dépenses d’investissement, fixer aux collectivités un plancher d’autofinancement et un plafond de recours à l’emprunt.  Cette disposition présente un double intérêt : elle laisse le choix aux collectivités de limiter ses charges de fonctionnement ou d’actionner le levier fiscal ;

En contrepartie, l’État s’engagerait à stabiliser les transferts financiers en direction des collectivités en fonctionnement[26] afin d’améliorer la prévisibilité sur leurs recettes et leur stabilité dans le temps. Il s’engagerait également à sortir de la logique des appels à projets largement décriée.

La contractualisation évoquée ici pourrait être globale, s’imposant à l’ensemble des collectivités ou plus utilement opérée par niveaux de collectivités mais l’expérience montre la difficulté pour les associations à imposer une consigne collective à leurs membres et à la faire respecter.

Cette contractualisation gagnerait en efficacité et en durabilité si elle était mise en œuvre à titre individuel. Le propos peut sembler naïf, mais le retour que font les directeurs financiers des collectivités, et notamment des grandes collectivités urbaines, sur les contrats de Cahors témoigne de l’intérêt qu’ils portaient à ce dispositif judicieusement utilisé comme un outil de pilotage local de la dépense. Intéressant en particulier pour sa dimension pluri-annuelle, assurant la visibilité nécessaire à l’action publique locale compte tenu de la durée des investissements locaux.

Renforcer la différenciation territoriale

Le débat est ancien. Si le principe existe depuis longtemps dans la constitution, la loi de février 2022 dite « 3DS »[27] a renforcé la capacité des collectivités à proposer des adaptations du droit répondant ainsi aux attentes exprimées par un nombre croissant d’élus locaux. Certains souhaitant même aller plus loin et accroitre le pouvoir réglementaire local dans différents domaines, la politique du logement, les politiques foncières…

Il faut néanmoins reconnaitre que, dans la pratique, de nombreuses restrictions limitent la portée de ce texte, la différenciation territoriale n’est pas un droit « à la carte », elle doit être justifiée par des « différences objectives de situation » et ne pas restreindre les « libertés publiques »…

La mise en pratique de ces quelques propositions s’accompagne d’un certain nombre de prérequis.

Prérequis N°1 : la nécessité d’introduire une approche pluriannuelle concernant les finances locales au travers, par exemple, de la mise en place d’une loi de programmation pluriannuelle des finances locales spécifique aux collectivités.

Discutée en amont entre l’État et les collectivités dans le cadre de la nouvelle instance de gouvernance locale évoquée précédemment, cette loi de programmation pluriannuelle définirait des objectifs globaux en matière de services publics locaux par exemple et les moyens pour y parvenir. Elle pourrait traiter de sujets comme la répartition des impôts entre l’échelon national et les échelons locaux, l’évolution des dotations de fonctionnement et d’investissement de l’État et leurs contreparties… A ce titre, elle pourrait définir en concertation avec cette même instance une trajectoire des dépenses locales et, pourquoi pas, par strate ou catégorie de collectivités par exemple, un niveau minimum d’investissement en lien avec les projets nationaux.

Elle viendrait en annexe des lois de finances et ferait l’objet d’un débat spécifique sur le même calendrier que la loi de finances concernant le budget de l’État. Elle permettrait en outre également de resserrer le débat uniquement sur les collectivités ; actuellement la catégorie des administrations publiques locales (APUL) regroupe les collectivités et d’autres acteurs publics au profil pourtant bien différent (société du Grand Paris notamment, Ile de France mobilité…).

Le ministère des finances s’est toujours montré très réticent à l’adoption d’une loi de finances spécifique aux collectivités territoriales en évoquant notamment des problèmes d’articulation avec les lois de finances concernant le budget de l’État. Ces difficultés ne semblent pourtant pas insurmontables dès lors que la volonté politique permettrait une bonne organisation et hiérarchisation des différents textes.

Un premier pas pourrait être fait en s’appuyant sur la loi organique de décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publique, qui prévoit la transmission par l’État d’un rapport annexé à la loi de finances portant sur « la situation d’ensemble des finances locales, l’évolution des charges résultant des transferts de compétences, les conséquences, notamment financières, des mesures inscrites dans le projet de loi de finances de l’année »[28], en donnant aux éléments financiers de ce rapport une approche pluriannuelle.

Prérequis N°2 : Le renforcement du niveau d’expertise des échelons intermédiaires de l’État et plus globalement l’amélioration de la culture en matière de finances locales concernant les administrations centrales. La difficulté pour les administrations à apprécier les situations locales, le manque de moyens consacrés au suivi, la faible indépendance des préfets au niveau local au regard de contrats très normatifs imposés par Bercy, expliquent aussi l’échec des contrats de Cahors. Dit autrement, un plus de « culture locale » dans les rouages des administrations de l’État serait de bon augure et participerait grandement à un dialogue constructif et apaisé.

La faiblesse des moyens humains au sein des administrations déconcentrées, leur manque de formation sur les finances locales en mouvement permanent, explique en partie le dialogue de sourds que nous évoquions en introduction de cette note.

La bonne appréciation des situations financières locales serait de nature à favoriser les échanges à l’échelle des collectivités et mettre en place des dispositifs de contractualisation adaptés et à opérer leur suivi dans de bonnes conditions.

Enfin, si on veut que l’État au niveau local soit en mesure de négocier avec les collectivités, il importe d’apporter davantage de cohérence et de concertation entre les différents acteurs qui le représentent dans les territoires. Et de s’interroger sur le rôle que l’on veut donner aux préfets supposés être un régulateur et médiateur des interventions de l’État au niveau local. Le récent rapport de l’Inspection générale des Finances consacré à l’ingénierie territoriale est très éclairant à ce sujet[29].  

Conclusion 

Les premiers éléments concernant la séquence budgétaire qui va s’ouvrir à l’automne ne poussent pas à l’optimisme.

Tous les indicateurs sont au rouge. L’annonce mi-juillet par le Premier ministre et sa ministre des Comptes publics de nouvelles ponctions sur les budgets locaux (5,3 milliards d’euros d’économies demandés par le gouvernement aux collectivités locales) s’apparente une fois de plus à un coup de rabot à l’aveugle. Annonce immédiatement suivie de communiqués cinglants d’une grande partie des associations d’élus pour dénoncer fort justement « une nouvelle atteinte à la capacité d’investissement et d’action des collectivités ». On ne peut pas en conclure que la « reprise du dialogue avec les collectivités » soit optimale.

Ce dialogue de sourds rend le débat sur les collectivités locales assez inaudible, d’autant que les priorités semblent ailleurs : dépenses en faveur de la défense militaire, soutien à l’économie et à la compétitivité et…possible censure sur le vote du projet de budget 2026.

Une fois de plus, les collectivités sont regardées comme de possibles variables d’ajustement des dépenses de l’État laissant de côté la question essentielle : qu’attend-il d’elles ? quel rôle souhaite-t-il leur faire jouer dans le développement économique et social du pays, dans la réponse à la crise du logement, dans l’amélioration des conditions de vie pour tous, dans l’implication devenue urgente dans la transition écologique, dans le déploiement d’une offre de services publique de bon niveau…. Et avec quels moyens ? quel panier de ressources ?

Si l’heure n’est pas au « grand soir », les quelques propositions énoncées dans cette note pourraient constituer le début d’une feuille de route pour l’après 2026.

 

 

ANNEXES

Liste des auditions

Michel Bouvier, Professeur émérite, président de Fondafip 

Gilles Carrez, Président du Conseil national d’évaluation des normes, ancien Député LR et ancien président du CFL 

Jean-René Cazeneuve, député, membre de la commission des finances, ER

Charles Guené, ancien sénateur, LR

Renan Megy, haut fonctionnaire cellule relations avec les collectivités, Matignon

Jacques Oberti, Député (PS) Haute-Garonne

François Thomazeau, consultant, I4CE

Laurent Trogrilc, Président de la communauté du Bassin de Pompey

Membres du groupe fiscalité de Terra Nova

Claire Delpech, experte en finances locales. Co-fondatrice du Réseau finances locales

Emmanuel Blanchet, Directeur général des services d’une collectivité

Franck Claeys, expert en finances locales, Professeur associé Paris 1, Master territoire Panthéon Sorbonne

Christelle Gaucher, Cheffe de service Fiscalité et dotations dans une collectivité,  Administratrice déléguée à l’Afigèse

Nicolas Laroche, expert en finances locales, Maître de conférences associé au CNAM, Financement public du développement territorial

François Loscheider, Urbaniste, délégué général du Conseil de développement du Val-de-Marne, adjoint au maire d’Arcueil 

Françoise Navarre, Chercheuse spécialisée dans l’économie de l’aménagement, les finances publiques locales et le financement des services publics locaux. Co-fondatrice du Réseau finances locales

Marc-Olivier Padis, Directeur des études de Terra Nova

Olivier Wolf, Administrateur territorial, directeur général des services d’une commune

 

Bibliographie synthétique

Rapport IGF sur l’investissement local

Rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, Conférence sur les déficits publics présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault, 20 mai 2010

Pouvoir préfectoral de dérogation aux normes, Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Rémy Pointereau et Guylène Pantel

L’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt, Cour des comptes, Communication à la commission des finances de l’Assemblée nationale janvier 2025

Après la décentralisation : 15 propositions pour refonder l’action territoriale

Terra Nova, janvier 2021 Daniel Behrar et Aurélien Delpirou

Collectivités locales et réduction des déficits publics : l’impossible débat

Terra Nova, mars 2025, François Thomazeau et Johan Theuret


[1] Sondage piloté par le ministère de la fonction publique : https://www.modernisation.gouv.fr/presse/donner-la-parole-aux-francais-pour-ameliorer-les-services-publics

[2] Dont 42 % correspondent en fait à des dégrèvements (4,4 Mds€) et à de la fiscalité transférée (39,8 Mds€).

[3]L’article 186 de la loi de finances pour 2025 a introduit un dispositif dit de « lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales » (DILICO) afin que les collectivités contribuent au redressement des comptes publics.

[4] Maire Info, mercredi 16 juillet 2025

[5] Claire Delpech et le groupe fiscalité, « Relations financières entre l’État et les collectivités locales : 4 chantiers à [r]ouvrir pour sortir de l’impasse  », Terra Nova, décembre 2024.

[6] Claire Delpech et le groupe fiscalité, « Quel avenir pour l’impôt local? Quel financement des services publics locaux? », Terra Nova, septembre 2023.

[7] 5,8% du PIB en 2024.

[8] Au niveau national par exemple, le Comité des finances locales (CFL) créé en 1979, la Commission consultative d’évaluation des charges sur les questions de compensation des transferts de compétences entre l’État et les collectivités créées en 1983, la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN en 2008, devenue le Conseil National d’Évaluation des Normes (CNEN) en 2013, Conférence nationale des exécutifs (CNE) datant de 2007, l’agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT)… Au niveau local, on peut citer les Conférences Territoriales de l’Action Publique (CTAP), les contrats de plan État / régions (CPER)…

[9] Jacqueline Gourault et Didier Guillaume, rapport d’information n° 272 (2010–2011) fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Rénover le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales : une nécessité pour une démocratie apaisée, février 2011.

[10] Cour des Comptes, « Les scénarios de financement des collectivités territoriales », octobre 2022.

[11] C’est-à-dire, les métropoles, les communautés urbaines, d’agglomération et de communes. Les syndicats étant représentés par leurs membres.

[12] Claire Delpech, Françoise Navarre, « Réformer les finances locales, : mieux associer les acteurs, experts et chercheurs », La lettre du financier territorial, n° 409, mai 2025.

[13] Cour des Comptes « Les scénarios de financement des collectivités territoriales », p. 107, octobre 2022.

[14] Selon la Cour des comptes (rapport sur les finances publiques locales de 2024), les ODAL représentent 10 % du volume financier des APUL.

[15] Johan Theuret, François Thomazeau, « Collectivités locales et réduction des déficits publics : l’impossible débat  », Terra Nova, mars 2025.

[16] Créé en 1995 par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de février 1995.

[17] Article L1211–4 du CGCT https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031039236/

[18] https://data.ofgl.fr

[19] Cf note de bas de page N°3

[20] Cour des comptes, « l ’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt », janvier 2025

[21] La Constitution française dispose que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation dont le but est de planifier sur plusieurs années les recettes et les dépenses de l’État, de la sécurité sociale, et des collectivités locales ». Cette loi de programmation doit être en conformité avec les engagements budgétaires européen de Maastricht.

[22] Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, Assemblée Nationale avril 2025.

[23] Formation brute de capital fixe

[24] Olivier Wolf, la Gazette des communes « PLF 2018 : attention aux effets pervers du renforcement du contrôle budgétaire et financier »

[25] Comme c’est le cas actuellement dans le programme de stabilité de la France concernant les administrations publiques locales

[26] A leur niveau 2025 par exemple

[27] Loi de février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale

[28]Article 52 de la LOLF introduit par la Loi organique de décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

[29] IGF, « Rationalisation des interventions des opérateurs de l’État au profit des collectivités en matière d’ingénierie territoriale » juin 2025

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